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2 août 2016 2 02 /08 /août /2016 23:55
L’abbaye de Fontenay. Dimanche 2 juin 2013
L’abbaye de Fontenay. Dimanche 2 juin 2013

Nous roulons vers Paris, mais nous avons l’intention de tracer notre itinéraire en passant par l’abbaye de Fontenay. Et en route, nous croisons Alise-Sainte-Reine, qui serait, ou plutôt selon les dernières découvertes, ne serait pas Alésia, le lieu de la défaite de Vercingétorix face à César. Il y a un musée à visiter, qui promet d’être fort intéressant, mais nous nous sommes promis de ne pas nous attarder. Très dommage. Ce sera pour une autre fois. Quand même une photo du panneau pour attester notre passage, et une autre de sainte Reine d’Alise, puisqu’elle a laissé son nom au village. En fait, en ce troisième siècle, cette Gallo-Romaine portait un nom latin, Regina. Prénom qui, en français, peut être Régine ou Réjane, ou Roxane, ou sa traduction Reine. En 252, elle est âgée de seize ans. Le préfet des Gaules, qui portait bien son nom –il s’appelait Olibrius! Mais ce n’est pas étonnant, vu que là est l’origine de l’usage de ce mot, nom propre devenu grâce à lui nom commun– veut obtenir d’elle ce que la religion de cette convertie au christianisme ne peut accepter. Même quand il lui promet le mariage, elle refuse. Cela lui vaudra d’être martyrisée et décapitée. Cela n’est pas une légende, c’est une histoire tristement vraie, car en 1909 il a été découvert en fouillant un puits trois coupes utilisées pour célébrer la messe et un plat gravé du poisson symbolisant le Christ, d’un chrisme et du nom de Regina, le tout n’étant postérieur que de quelques dizaines d’années à la mort de Reine. À proximité se trouvait une petite église paléochrétienne où était le sarcophage de Reine avant que ses restes soient transférés en 866 dans l’abbaye de Flavigny-sur-Ozerain.

L’abbaye de Fontenay. Dimanche 2 juin 2013

Nous voici à Fontenay. Le parking se situe face à ce cours d’eau et cette façade couverte de lierre. C’est au sixième siècle que saint Benoît de Nurcie établit la règle bénédictine, basée sur la pauvreté et la solitude: “Posséder égoïstement quelque chose est un penchant mauvais […]. La paresse est l’ennemie de l’âme; aussi à certains moments les frères doivent être occupés à travailler de leurs mains […]. Savoir garder le silence est très important; c’est pourquoi même pour dire des choses bonnes on recevra rarement la permission de parler […]. Tous les moines dorment dans un même lieu. Dans ce dortoir, une lampe brûle toute la nuit. Les frères dorment habillés, avec une ceinture ou une corde autour des reins […]. Tous doivent éviter absolument de manger de la viande”. Il va fonder l’abbaye de Montecassino (ou en français Mont Cassin) en 529 (voir mon article Montecassino daté du 22 avril 2010), laquelle abbaye va, quatre siècles plus tard, en 910, être la maison-mère de l’Abbaye de Cluny. Mais bien vite, dès la fin du dixième siècle, les moines de Cluny trouvent bien contraignante la règle bénédictine, et préfèrent un peu de luxe, un peu d’argent. Dans d’autres abbayes bénédictines, cela apparaît comme scandaleux, entre autres à Molesmes, une abbaye située en Côte d’Or, à proximité immédiate de l’Yonne et de l’Aube. Le supérieur de cette abbaye décide de fonder en 1098 l’abbaye de Cîteaux, où la règle de saint Benoît est respectée à la lettre. Arrive à Cîteaux en 1113 un groupe de trente jeunes gens dégoûtés de ce qui se passe à Cluny, accompagnant un certain Bernard, alors âgé d’environ vingt-trois ans, fils de Tescelin Sore, seigneur de Fontaine, et d’Aleth, fille du seigneur de Montbard. Ses mérites sont tels que, lorsqu’en 1115 est fondé le monastère de Clairvaux, il en est le premier abbé malgré son très jeune âge. En 1118, Bernard de Clairvaux fonde un nouveau monastère à Fontenay, là où depuis 1100 se sont établis deux ermites venus de Cîteaux et, cela fait, il met à la tête de l’abbaye son cousin issu de germain Geoffroy, et retrouve sa chère abbaye de Clairvaux. Il sera le grand saint Bernard de Clairvaux qui, en trente-cinq ans, fondera un total de soixante-sept abbayes cisterciennes.

 

1118, c’est aussi l’année de fondation des Templiers. Nous sommes dans les temps troublés où, au pape désigné à Rome, l’empereur d’Allemagne oppose un autre pape désigné par lui. C’est ce que l’on appelle la Querelle des Investitures: est-ce le pape qui doit sacrer l’empereur, ou l’empereur qui doit désigner le pape? Nous avons vu, en 1084, notre ami Robert Guiscard, le Normand conquérant du sud de l’Italie, venir libérer du Château Saint-Ange où il était assiégé et remettre sur le trône de saint Pierre le pape Grégoire VII, puis saccager et piller Rome pour prix de son aide. En 1118, lorsque meurt Pascal II (j’ai beaucoup parlé de lui à Rome, c’est lui qui a manié la hache pour abattre le noyer de la tombe de Néron sur la Piazza del Popolo, c’est lui qui a construit les églises Santa Cecilia, Quattro Coronati, San Clemente), lui succède Gélase II. Tous deux ont été moines à Cluny. Mais l’empereur Henri V nomme un antipape, Maurice Bourdin, archevêque de Prague, sous le nom de Grégoire. Gélase se réfugie à Cluny, où il meurt en 1119. Son successeur Calliste II qui était évêque de Vienne réunit à Reims un concile qui parvient à mettre fin au schisme. Mais en 1131, lors d’une autre désignation de pape, Innocent II est élu canoniquement, mais Roger, roi de Sicile et frère cadet de Robert Guiscard, soutient l’antipape Anaclet. Pendant huit ans, Bernard de Clairvaux va soutenir la cause d’Innocent qui, ne pouvant entrer dans Rome, va de France en Italie. Quand, en 1138, meurt Anaclet, Roger de Sicile participe à ce que le cardinal Grégoire devienne le nouvel antipape, sous le nom de Victor. Et c’est Bernard de Clairvaux qui obtient de Victor qu’il reconnaisse sa faute et démissionne, rendant Rome et le palais du Latran à Innocent. Cette époque est aussi celle d’Abélard qui, précepteur d’Héloïse, nièce de Fulbert chanoine de Notre-Dame de Paris, tombe amoureux d’elle en 1113 et a d’elle un fils. Comme châtiment, Fulbert le fait châtrer en 1117. En 1121, le concile de Soissons condamne sa Théologie du souverain bien, qu’il doit de ses propres mains livrer aux flammes de l’autodafé. En 1140, au concile de Sens où est mise en cause sa Théologie pour les étudiants, Bernard de Clairvaux réclame la repentance d’Abélard, mais sans débat. Abélard s’enfuit et évite ainsi le bûcher, mais son livre est condamné. À Cluny en 1141, le supérieur organise une rencontre entre Abélard et Bernard de Clairvaux, pour leur réconciliation. Abélard mourra en 1142. Je suis conscient que tout ce que je raconte dans ce paragraphe est totalement hors sujet, mais je pense que cela permet de mieux remettre la fondation de Fontenay dans son contexte historique, et aussi de mieux cerner saint Bernard, son fondateur et son inspirateur.

L’abbaye de Fontenay. Dimanche 2 juin 2013

À Fontenay, il y a des sources partout –d’où, d’ailleurs, ce nom de Fontenay–, c’est un vrai marécage qu’il va falloir assécher avant d’attaquer la construction des bâtiments. La règle leur imposant le travail manuel et la prière (“Ora et labora”, soit “Prie et travaille”), les moines vont donc s’attacher à cette création, ne s’accordant aucun repos pendant vingt-neuf ans, jusqu’à ce qu’en 1147 le pape Eugène III, lui-même ancien moine cistercien, vienne consacrer leur église abbatiale terminée. Il leur faut maintenant s’atteler à la mise en valeur des terres, culture, vignes, élevage. Ils ont aussi, nous allons le voir, une forge et une tuilerie, les moines pratiquent la sidérurgie. Ils sont instruits, cultivés, et se consacrent également à l’étude. D’ailleurs, la plupart d’entre eux sont des fils d’aristocrates (la tradition destine à la vie religieuse le troisième fils de la famille). Ils sont environ cent vingt, mais très vite ils ne suffisent plus à l’entretien de leurs 760 hectares de terre (le domaine est si grand que l’on dit que “partout où le vent vente, Fontenay a rente”: ils s’adjoignent alors deux cents frères convers, lesquels viennent de la campagne et sont illettrés. Ma photo ci-dessus est une bulle du pape Alexandre III datée de 1168, qui installe l’abbaye de Fontenay dans ses possessions et ses privilèges. Elle se trouve dans le petit musée de l’abbaye.

 

Lors de la Guerre de Cent Ans, les Anglais pillent l’abbaye à plusieurs reprises dans les années 1350-1359. En 1361 le roi Édouard III d’Angleterre fait un don pour la restauration de l’église. Au milieu du quinzième siècle, de nouveaux pillages ont lieu. L’abbaye reste pourtant florissante jusqu’au seizième siècle, mais les guerres de religion et, il faut bien le dire, le comportement de certains de ses abbés, vont faire décliner le monastère, les effectifs vont décroître rapidement, puisqu’au dix-septième siècle les moines ne sont plus que vingt-deux.

 

Au moment de la Révolution, ils ne sont plus que douze. Et la Révolution les disperse, l’abbaye est vendue comme bien national, elle est acquise en 1791 pour soixante-dix-huit mille francs par un certain Claude Huguet. Puis, en 1820, elle est aux mains d’Élie de Montgolfier, de cette famille-là qui avait donné naissance aux deux frères qui, quelques années auparavant, en 1782, venaient d’inventer l’aérostat qui porte leur nom, la montgolfière, et ce nouveau propriétaire en utilise les bâtiments pour en faire une papeterie, mettant à profit la présence d’eau pour cette activité. Certes ce n’est plus un lieu de prière et de recueillement, mais cette industrie exige de maintenir les bâtiments en bon état, et c’est ce qui a sauvé l’abbaye de Fontenay.. Par la suite, elle va plusieurs fois changer de mains, certains des propriétaires ayant plus que d’autres conscience de sa valeur architecturale et artistique. C’est ainsi qu’en 1906 le banquier Édouard Aynard lui fait subir une profonde restauration. En 1981, l’UNESCO la classe au patrimoine mondial de l'humanité. C’est toujours la famille Aynard qui en est propriétaire à ce jour, et en autorise la visite de la plus grande partie.

L’abbaye de Fontenay. Dimanche 2 juin 2013
L’abbaye de Fontenay. Dimanche 2 juin 2013

Approchons-nous. Nous arrivons d’abord à la porterie. Parce que les moines devaient vivre dans le recueillement et l’isolement, l’abbaye était entièrement close, et un frère portier recevait, filtrait et introduisait (ou non) les visiteurs. Mes photos sont prises la première de l’extérieur, la seconde de l’intérieur.

L’abbaye de Fontenay. Dimanche 2 juin 2013
L’abbaye de Fontenay. Dimanche 2 juin 2013

L’abbaye était close, disais-je, mais pas l’ensemble des terres où travaillaient moines et convers. Ces terres étaient délimitées par des bornes, dont plusieurs ont été retrouvées et conservées. Ma première photo montre l’une d’entre elles. On y voit les deux poissons, symboles du Christ, qui sont l’emblème de cette abbaye, comme on le constate sur le blason (ma deuxième photo) situé au-dessus de l’entrée. Un rappel: les initiales des mots “Jésus-Christ, fils de Dieu, sauveur”, en grec, forment le mot Ichthys, qui veut dire poisson. Cette étymologie explique pourquoi, par exemple, la science qui étudie les poissons est l’ichtyologie (quand deux consonnes grecques aspirées –c’est-à-dire accompagnées d’un H– se suivent, en français on supprime généralement le deuxième H), et un mangeur de poisson est un ichtyophage. Symbole du Christ, mais aussi évocation de la pratique de la pisciculture par les moines et rappel que la consommation de viande était proscrite dans l’abbaye (excepté pour les malades), et remplacée par du poisson, comme prescrit pour les laïcs mais seulement les jours d’abstinence, à savoir chaque vendredi de l’année, et pendant tout l’Avent, pendant tout le carême. Il ne s’agissait pas d’un souci écologique ou éthique comme chez les végétariens ou les végétaliens, mais d’une privation volontaire, la viande étant considérée comme un mets de luxe.

L’abbaye de Fontenay. Dimanche 2 juin 2013
L’abbaye de Fontenay. Dimanche 2 juin 2013

Une fois acquis le ticket d’entrée et franchie la porterie, on trouve sur la gauche ces bâtiments. Ce sont les communs. Quant à la tour, c’est le pigeonnier. N’importe qui n’avait pas le droit d’élever des pigeons, mais le monastère en avait obtenu l’autorisation en échange de la garde et de l’entretien du chenil de chasse des seigneurs, ce qui signifiait la possibilité de communiquer avec l’extérieur grâce à un moyen de transport des missives discret et confidentiel. Au-delà des communs, on voit l’église abbatiale.

L’abbaye de Fontenay. Dimanche 2 juin 2013
L’abbaye de Fontenay. Dimanche 2 juin 2013
L’abbaye de Fontenay. Dimanche 2 juin 2013

La voilà donc, cette grande église abbatiale construite dans la première moitié du douzième siècle de la main des premiers moines, selon le désir de saint Bernard de Clairvaux.

L’abbaye de Fontenay. Dimanche 2 juin 2013
L’abbaye de Fontenay. Dimanche 2 juin 2013

Cette grande église, avec sa nef de huit mètres de large, soixante-six mètres de long et seize mètres soixante-dix de haut, avec ses deux bas-côtés, est très belle dans son extrême simplicité. Extrême simplicité que l’on retrouve dans toutes les églises cisterciennes, car la règle de l’ordre de Cîteaux rejette toute décoration qui risque de retenir l’œil, au détriment de la prière et de la contemplation de Dieu. Ailleurs, on multiplie les ornements pour la plus grande gloire de Dieu, ici on les prohibe pour la plus grande piété envers Dieu. Deux conceptions opposées, qui pourtant procèdent toutes deux d’une foi profonde.

L’abbaye de Fontenay. Dimanche 2 juin 2013
L’abbaye de Fontenay. Dimanche 2 juin 2013

En approchant du chœur, on découvre ce sol carrelé, produit de la restauration des lieux. Il était ainsi à l’origine, mais sa beauté n’était pas visible depuis l’église, et ne pouvait pas distraire la prière des moines. Tout à l’heure, j’ai évoqué une tuilerie sur laquelle nous reviendrons: les moines mettent à profit l’argile qu’ils prennent sur leurs terres pour réaliser non seulement des tuiles et des canalisations, mais aussi des dalles et carreaux émaillés, comme ceux du treizième siècle que présente, sur ma seconde photo, le petit musée de l’abbaye.

L’abbaye de Fontenay. Dimanche 2 juin 2013

Aucune décoration, à l’exception de deux éléments. Le premier est ce retable représentant des épisodes de la vie du Christ, de la Nativité à la Passion. On l’aperçoit, au-dessus du maître-autel, sur ma photo représentant la nef de l’église. Il date du treizième siècle. À la Révolution, quand l’abbaye a été vendue et transformée en papeterie, il a été retourné face contre terre et a servi de dalle de sol, ce qui explique que ses reliefs aient un peu souffert, suffisamment peu toutefois pour qu’on puisse encore les admirer.

L’abbaye de Fontenay. Dimanche 2 juin 2013
L’abbaye de Fontenay. Dimanche 2 juin 2013
L’abbaye de Fontenay. Dimanche 2 juin 2013

L’autre élément, situé dans le bras gauche du transept, est cette admirable statue bourguignonne de Vierge à l’Enfant qui date de la fin du treizième siècle. Je dis “bourguignonne”, mais pourquoi? Parce que c’est une tradition de la statuaire bourguignonne de représenter la Vierge appuyant Jésus sur sa hanche gauche, tandis que dans la statuaire dite “flamande” Marie se déhanche sur le côté droit. Il y a dans son regard plus de douceur et de tendresse que dans celui de la si célèbre Vierge de Notre-Dame de Paris (du quatorzième siècle) qui a provoqué la conversion de Claudel, davantage marqué par l’intériorité et l’interrogation. Lors de la vente de l’abbaye en 1791, ce qu’elle contenait, argenterie, mobilier, etc. a également été vendu séparément. Selon le site officiel de l’abbaye, cette statue aurait été vendue pour l’équivalent de cinq de nos Euros à des gens d’un village des alentours, qui en ont orné leur tombe familiale. Ce n’est qu’en 1929 qu’elle a été rachetée, et placée ici dans l’église.

L’abbaye de Fontenay. Dimanche 2 juin 2013

Cette pierre tombale est celle de l’évêque Ebrard de Norwich, avec sa mitre, sa crosse, son anneau pastoral. Dès 1132, les moines avaient achevé la construction d’une petite église dédiée à saint Paul, mais en 1139, fuyant des persécutions religieuses, vient se retirer à Fontenay pour y terminer sa vie dans le recueillement cet Ebrard qui lègue toute sa fortune à l’abbaye afin que soit construite une grande église digne de cet ordre monastique. C’est donc grâce à ce don qu’est édifiée l’abbatiale où nous nous trouvons. Mort en octobre 1146, il ne verra pas la consécration, quelques mois plus tard, de “son” église.

L’abbaye de Fontenay. Dimanche 2 juin 2013
L’abbaye de Fontenay. Dimanche 2 juin 2013

Il y a aussi, dans le bras droit du transept, une tombe du quatorzième siècle ornée de deux superbes gisants. Ce couple de personnages aurait été des bienfaiteurs de l’Abbaye, ce qui est probable si on trouve ici leurs tombes. Je lis quelque part que “Dans le transept sud, se trouve un tombeau avec les gisants du chevalier Mello d'Époisses et de son épouse Hélisse de Montréal”. Fort bien, mais nulle part je ne trouve trace de cette Hélisse de Montréal. Gros problème. Au cours de mes recherches sur Internet, je suis tombé sur un document PDF qui est si bien fait, si précis, si complet que je crois pouvoir m’y fier (http://racineshistoire.free.fr/LGN/PDF/Mello.pdf). En page 7/13, se trouve la branche des Mello d’Époisses, dont je vois qu’ils ont vécu à partir du quatorzième siècle. Fort bien. À part qu’aucune dame de Montréal, quel que soit son prénom, n’apparaît. En supposant que le tombeau soit mal daté, ou qu’il ait été sculpté plusieurs décennies après la mort des personnages concernés, je repousse mes recherches au treizième siècle. Là, en page 4/13, je trouve Dreu IV de Mello, seigneur d’Époisses, Château-Chinon, Bréchart et Saint-Bris, qui a été croisé en 1248/1249 et qui a épousé en 1245 une certaine Helvise de Montbard (j’avais Hélisse, je trouve ici Helvise, ce n’est pas un problème, mais c’est Montbard, pas Montréal…), fille d’André et Huguette de Bourgogne-Montagu; Dreu et Helvise meurent tous deux en 1252. Outre deux filles, qui ne peuvent transmettre le nom, ils ont eu deux fils, dont l’un, Dreu V de Mello, né vers 1240, épouse avec dispense (vu son âge!) en 1246 une certaine Adélaïde de Montréal (le prénom ne colle pas, mais la famille de Montréal apparaît ici). L’arbre généalogique ne dit pas ce que devient cette Adélaïde, mariage évidemment non consommé et annulé ou décès précoce, mais Dreu V se remarie en 1255 avec Eustachie de Lusignan morte en 1270, et en troisièmes noces il épouse en 1283 Jeanne de Trie. Il meurt en 1310, donc au quatorzième siècle. Son épouse adulte, sur le gisant, ne peut être la petite Adélaïde de Montréal. De tout cela, je conclus que, très probablement, il y a erreur dans l’identification des gisants, que ce sont en réalité Dreu IV et sa femme Helvise de Montbard, et qu’il y a eu confusion avec Adélaïde de Montréal qu’a épousé leur fils.

 

Et d’ailleurs, l’abbé Breuillard, qui était curé de la paroisse de Cisery (Yonne) au dix-neuvième siècle, écrivait ceci: “André de Montbard laissa de son mariage avec Clémence, Jean et Bernard, morts sans postérité, et Elvis, qui épousa Dreux de Mello ou Mario, issu d'une famille considérable de Picardie. Dreux de Mello et sa femme Elvis approuvèrent, dans le courant de 1237 [mais selon l’arbre généalogique ci-dessus, Dreu et Helvise ne se seraient mariés qu’en 1245] les aumônes qu'André de Montbard avait faites aux religieux de Fontenay; ils donnèrent aussi eux-mêmes en pure aumône, pour le remède de leurs âmes, après leur mort, en 1245 [ils seraient morts en 1252] aux frères de Vance, cent sols tournois, à charge d'un anniversaire, et confirmèrent encore les aumônes qui leur avaient déjà été faites aussi précédemment par Bernard de Vic-Chassenay. Dreu de Mello avait épousé en premières noces Elvis, fille unique de Hugues, seigneur de Lormes et de Château-Chinon, dont il eut Dreux de Mello. Elvis, fille d'André de Montbard, qu'il avait épousée en secondes noces, et dont il n'eut pas de postérité, l'institua son héritier. […] Guillaume de Mello succéda à son père dans la terre d'Époisses […]. Il fut inhumé dans l'abbaye de Fontenay”. Il n’est pas dit que Guillaume ait été enterré avec son épouse. Malgré les petites différences dans la datation, je pense que l’abbé Breuillard confirme mon hypothèse, nous sommes ici en présence de Dreu IV et d’Helvise de Montbard, et les dons à l’abbaye de Fontenay sont attestés.

 

Je me suis lancé dans cette recherche, je viens d’en disserter très –beaucoup trop– longuement, parce que cela m’a intrigué, puis passionné. Je doute qu’il en ait été de même pour mes lecteurs… Toutes mes excuses!

L’abbaye de Fontenay. Dimanche 2 juin 2013

…Mais je ne quitte pas pour autant ces gisants, parce que plusieurs tout petits personnages sont représentés à leurs côtés. Entre autres ce moinillon agenouillé (ou assis?) tenant un livre de prières qu’il lit pour le repos de l’âme de ces deux personnages. Je trouve cette représentation à la fois jolie et amusante.

L’abbaye de Fontenay. Dimanche 2 juin 2013
L’abbaye de Fontenay. Dimanche 2 juin 2013
L’abbaye de Fontenay. Dimanche 2 juin 2013

Sur ma photo de la nef latérale, tout au bout nous avons vu le départ d’un escalier. Cet escalier, le voilà. C’est d’en haut que j’ai pris ma photo du transept avec la Vierge. Il monte vers le dortoir des moines, construit en 1457, et sa charpente de chêne est d’origine. Le chemin n’était donc pas long pour se rendre, en pleine nuit, à 02h30, dans l’église pour les prières. Seul le père abbé, supérieur du monastère, disposait d’une cellule (spartiate), les moines dormant sur des paillasses à même le sol, tout habillés, dans ce dortoir commun (bonjour l’odeur), comme le veut la règle de saint Benoît que j’ai citée plus haut. Vœu de pauvreté oblige… Mais plus tard des cellules individuelles ont été construites.

L’abbaye de Fontenay. Dimanche 2 juin 2013
L’abbaye de Fontenay. Dimanche 2 juin 2013

Ce superbe cloître roman a été conservé depuis l’origine, dans la première moitié du douzième siècle, à la différence de la majorité des cloîtres de France datant du Moyen-Âge qui, par manque d’entretien ou par volonté de destruction, ont disparu ou sont très endommagés. Il est conçu pour donner accès à toutes les salles du monastère et, dans son harmonieuse simplicité, comme lieu de recueillement et de méditation.

L’abbaye de Fontenay. Dimanche 2 juin 2013
L’abbaye de Fontenay. Dimanche 2 juin 2013

De même que dans l’église, la décoration est réduite à sa plus simple expression. Ainsi, sur les chapiteaux on ne trouve pas ces sculptures de personnages typiques de l’architecture romane, mais de simples feuillages. Et la variété du feuillage, différent d’un chapiteau à l’autre, n’altère cependant pas l’unité de la décoration.

L’abbaye de Fontenay. Dimanche 2 juin 2013

Avant de pénétrer dans la première des salles qui bordent le cloître, je remarque ces beaux conduits de cheminée. Cherchant à savoir s’ils sont d’origine (oui, ils sont bien du douzième siècle), je trouve ma réponse en face d’une photo toute semblable à la mienne. Je tiens à préciser que jamais je ne pirate le web, et que tous les milliers de photos que j’ai publiées sont de moi. Si je fais une saisie d’écran (Google Earth, par exemple), je signale l’origine de l’image.

L’abbaye de Fontenay. Dimanche 2 juin 2013
L’abbaye de Fontenay. Dimanche 2 juin 2013

Le mot chapitre, c’est capitulum, en latin. Récapituler, c’est donc étymologiquement résumer l’ensemble des chapitres. Et la salle capitulaire –où nous sommes à présent– est la salle où, quotidiennement, lors de la réunion générale du matin, on lit et commente un chapitre de la règle de saint Benoît. Mais cette salle et cette réunion ne se limitent pas à cela. Pour favoriser l’humilité et la contrition, la règle exige la confession publique des péchés, c’est là que cela se passe. On y échange les nouvelles, on y répartit les tâches de la journée. Quand le supérieur démissionne ou meurt, on y élit le nouvel abbé.

L’abbaye de Fontenay. Dimanche 2 juin 2013
L’abbaye de Fontenay. Dimanche 2 juin 2013

Les deux cheminées que l’on voit sur ces photos ont été bouchées, mais elles permettaient de chauffer cette salle, le chauffoir, la seule à disposer d’un foyer dans toute l’abbaye, à l’exception, bien sûr, de la cuisine et aussi de l’infirmerie. Il s’agissait bien d’une vie d’ascèse parce que la région, si elle n’est pas le pôle nord, connaît cependant des hivers plutôt rigoureux, avec des températures négatives. Je lis que la température, dans cette vallée, descend souvent aux alentours de -20°.

L’abbaye de Fontenay. Dimanche 2 juin 2013
L’abbaye de Fontenay. Dimanche 2 juin 2013
L’abbaye de Fontenay. Dimanche 2 juin 2013

À deux reprises, j’ai parlé de la forge en disant que j’y reviendrais. Voilà donc ce grand bâtiment de cinquante-trois mètres de long, et le bassin qui l’accompagne. Cette forge a été construite volontairement à l’écart des bâtiments du couvent, qui eux ouvrent sur le cloître, et sont réservés à la prière, à la méditation, à la vie de la communauté, au travail intellectuel (entre la salle capitulaire et le chauffoir, une salle est réservée au travail des copistes qui, tout le jour, recopient des livres, tant que l’imprimerie n’a pas été inventée et suffisamment diffusée).

L’abbaye de Fontenay. Dimanche 2 juin 2013

Sur le flanc du bâtiment, une grande roue à aubes utilise la force mécanique du petit torrent que l’on voit dévaler à l’arrière-plan de ma photo, le Ru de Fontenay dévié par une digue vers ce bief créé dès le douzième siècle, pour mouvoir un marteau hydraulique qui bat le fer. Depuis les débuts de l’âge du fer, vers 1500 avant Jésus-Christ, on n’avait jamais utilisé que la force des bras, et c’est ici l’un des tout premiers endroits au monde où l’utilisation de la force hydraulique permet de manier une tête de marteau de plusieurs dizaines de kilos, tandis que l’arbre muni de cames permet d’accélérer le mouvement de la frappe. Je disais que tout cet appareillage avait disparu, mais il ne fait pas de doute que les moines aient utilisé ce matériel de pointe, d’une part parce que ce détournement de cours d’eau et cette roue à aubes n’auraient pas de sens, et d’autre part parce que l’on sait de source sûre et documentée que la Maison-mère, Clairvaux, en était équipée en 1136.

L’abbaye de Fontenay. Dimanche 2 juin 2013
L’abbaye de Fontenay. Dimanche 2 juin 2013
L’abbaye de Fontenay. Dimanche 2 juin 2013

Lorsque la papeterie s’est installée dans l’abbaye, les éléments constitutifs de la forge ont été enlevés. Puis, quand les propriétaires ont eu la remarquable idée de rendre à l’abbaye son apparence d’autrefois, il n’a pas été trop difficile d’y replacer une enclume, un soufflet, quelques accessoires, puisque rien n’avait été démoli, cette cheminée par exemple ayant été conservée: on ne s’en servait plus, mais elle ne gênait pas. En revanche, les installations lourdes n’existaient plus. Les propriétaires auraient bien voulu en recréer, pour montrer aux visiteurs comment la forge fonctionnait à l’époque des moines, mais le budget faisait défaut, et les moyens techniques aussi.

L’abbaye de Fontenay. Dimanche 2 juin 2013

Or il se trouve que le lycée professionnel Eugène Guillaume, de Montbard, est impliqué dans un projet européen Comenius avec des établissements étrangers sur des études toutes théoriques, et le hasard fait que des professeurs de ce lycée discutent avec l’un des propriétaires. De part et d’autre c’est l’enthousiasme, d’un côté de voir “peut-être” se réaliser la reconstitution du marteau hydraulique, de l’autre d’élargir le projet pédagogique avec une réalisation concrète qui donne un sens et un but à la recherche. Les établissements concernés sont:

– Lycée professionnel Eugène Guillaume, Montbard, France

– High Technical School, Bruntal, République tchèque

– Zespol Szkol, Czerwionka-Leszczyny, Pologne

– Zespol Szkol Wladislawa Sikorskiego, Sulechow, Pologne

– Johann-Philipp Reis Schule, Friedberg, Allemagne

– I.T.C. Archimede, Modica (Sicile), Italie

– Colegiul Tehnic Samuil Isopescu, Suceava, Roumanie

 

C’est en mars 2005 qu’a lieu la première rencontre entre les équipes, le projet “les jeunes et le travail dans une Europe en mutation” est monté avec toutes les exigences de paperasse administrative que cela représente (pour avoir monté un projet européen au lycée Léonard de Vinci à Melun quand j’en étais le proviseur, je peux attester que c’est lourd. Mais pour être honnête, je dois préciser que c’est essentiellement sur les épaules des deux proviseurs-adjoints, sur leur compétence, sur leur travail acharné que tout a reposé. Et je tiens à les en remercier ici une fois de plus). Dès juin 2005 il est accepté par les autorités européennes. Chacune des équipes est chargée d’une partie précise, de conception et –en liaison avec des entreprises– de réalisation.

L’abbaye de Fontenay. Dimanche 2 juin 2013
L’abbaye de Fontenay. Dimanche 2 juin 2013

On voit ici l’axe qui transmet l’énergie produite par le moulin à eau, avec son anneau de cames qui meut le bras, et sur ma seconde photo la tête du marteau. Le travail en entreprise, que je viens d’évoquer, était indispensable, parce que les établissements scolaires peuvent être remarquablement équipés sans pouvoir réaliser certaines pièces de dimensions trop importantes. Et, pour ne prendre que deux exemples, cet axe géant de neuf mètres de long, taillé dans un tronc de chêne centenaire de la forêt du Grand-Jailly en Côte d’Or et pesant plus d’une tonne, seule une entreprise de charpente disposait des moyens techniques pour la transporter et la mettre en place avec une grue de levage. De même, la roue du moulin d’un diamètre de cinq mètres, des élèves allemands y ont travaillé, mais dans les locaux et en liaison avec une entreprise de Saxe. Bref, c’est en mai 2008 que les vannes sont ouvertes… et que le marteau bat l’enclume! Émotion!

L’abbaye de Fontenay. Dimanche 2 juin 2013
L’abbaye de Fontenay. Dimanche 2 juin 2013

Il y a aussi un petit musée qui ne manque pas d’intérêt, mais j’en ai déjà montré une bulle du pape, une borne délimitant les propriétés de l’abbaye, un échantillon de carrelages, et j’ai déjà été bien trop long au sujet de cette abbaye. Je me limiterai donc ici à ces deux têtes, des culots de voûte du second tiers du treizième siècle, sculptés dans cet art gothique naissant. J’aime bien la façon dont elles sont décrites, la première “Visage à la frange en bouclette” et la seconde “Visage à la frange en rouleau”.

L’abbaye de Fontenay. Dimanche 2 juin 2013

À présent, nous sortons de l’abbaye, les yeux encore pleins de merveilles. Nous nous retournons pour la regarder encore un peu. Sur la droite le petit cours d’eau qui a alimenté la forge. Dans notre dos, la route, le parking. Sur la gauche, un chemin qui longe les murs de l’abbaye, et un calvaire, un simple Christ en croix patiné par le temps mais qui mérite quand même qu’on s’y arrête un instant.

L’abbaye de Fontenay. Dimanche 2 juin 2013
L’abbaye de Fontenay. Dimanche 2 juin 2013

Et puis un petit panneau informe que ce sentier mène aux mines. Une équipe de chercheurs en métallurgie médiévale, sous la direction de l’université de Paris I, a découvert une quinzaine de puits de mine médiévaux à quelques centaines de mètres de l’abbaye. En effet, en Bourgogne comme en Champagne, en de nombreux endroits on trouve du minerai de fer de bonne qualité, et il est avéré que nos moines cisterciens de l’abbaye de Fontenay avaient dès le milieu du douzième siècle obtenu l’autorisation d’exploiter le sous-sol de ces forêts dont le droit d’usage leur avait été accordé, qu’ils exploitaient ici le fer, et que dans leurs hauts-fourneaux ils en produisaient des loupes qu’ils battaient à chaud dans leur forge. Cinq à sept cents mètres à parcourir sur les agréables sentiers de cette belle forêt, pas question de manquer cela comme complément de notre visite.

L’abbaye de Fontenay. Dimanche 2 juin 2013
L’abbaye de Fontenay. Dimanche 2 juin 2013

Oui, je suis heureux de ne pas avoir manqué cette partie de la visite, même si le non-spécialiste ne voit pas grand-chose, et s’il m’en a coûté quelques piqûres de moustiques… D’ailleurs, seules les femelles de moustiques ont besoin de pomper du sang, et quand nous sommes plusieurs c’est toujours moi qui suis choisi. À mon âge, qu’il y ait encore des êtres de sexe féminin que je puisse attirer, cela devrait me rassurer!

 

arfois, le minerai affleurait, et il suffisait pour l’exploiter de creuser des tranchées à ciel ouvert. Parfois, au contraire, il convenait de creuser des puits et des galeries. Ma première photo représente le puits n°1, qui donne accès à deux galeries, courant sept ou huit mètres plus bas l’une au nord, l’autre au sud. Difficile de prendre une photo à travers l’étroit maillage de la grille qui protège le promeneur de la chute dans le trou, d’autant que le trou lui-même est extrêmement obscur. Toutefois on aperçoit l’entrée.

 

Ma deuxième photo ne montre que la grille couvrant le puits n°3. Là, si je pouvais avoir accès, je descendrais au niveau inférieur, à près de dix mètres, et j’aurais accès à un autre réseau partant dans plusieurs directions.

 

Et voilà, nous avons vu où vivaient les moines, où ils priaient et où ils travaillaient. Il est temps maintenant de repartir et de poursuivre notre route vers le nord, vers Paris.

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commentaires

J
Très beau reportage. Nous connaissons bien cette abbaye
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P
La Bourgogne est vraiment une région magnifique. L'abbaye de Fontaine entre autre, est une pure merveille architecturale. De plus, l'apaisement qui se dégage de ce lieu est impressionnant. A ne surtout pas louper lors d'un passage par cette région !
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