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30 septembre 2016 5 30 /09 /septembre /2016 23:55

En route vers Prague, nous faisons halte à Strasbourg. Une brève halte de quelques heures, juste le temps de marcher un peu dans la ville et de visiter la cathédrale, et nous devons rapidement retourner au camping-car pour faire quelques kilomètres encore, car nous passerons la nuit sur une aire d’autoroute entre Heilbronn et Nuremberg.

 

C’est, j’en suis parfaitement conscient, un peu manquer de respect pour cette grande ville qui mériterait mieux et plus de temps. Ce n’est pas seulement le siège du Conseil de l’Europe, c’est une grande métropole régionale chargée d’histoire. Elle a été allemande, même quand les traités de Westphalie, en 1648, ont rattaché l’Alsace à la France, restant une ville libre jusqu’à ce que Louis XIV, en 1681, aille en prendre possession en en faisant brièvement le siège. Elle a vu naître bien des personnalités, comme le maréchal d’Empire Kellermann en 1735, le général Kléber en 1753, Louis Ier de Bavière en 1786, Gustave Doré en 1832, Charles de Foucauld en 1858, Claude Rich en 1929, Herbert Léonard en 1945…

 

Cela, sans compter ceux qui, sans y être nés, y ont vécu, comme Gutenberg qui y a passé une dizaine d’années au milieu du quinzième siècle et y a commencé à réfléchir aux caractères typographiques mobiles (mais il est né et mort à Mayence et à cette époque Strasbourg était encore allemande), ou encore Goethe qui est venu y étudier le droit en 1770-1771 (depuis près d’un siècle Strasbourg était rattachée à la France mais sa brillante université accueillait de nombreux étudiants étrangers, allemands, britanniques, russes…), ou Rouget de Lisle qui y a composé la Marseillaise, pour n’en citer que quelques-uns.

 

Ayant travaillé deux ans et demi (ce “et demi” pour cause de départ pour l’hémisphère sud) au lycée de Guebwiller, j’ai eu bien souvent l’occasion de me rendre au rectorat de Strasbourg (à 102 kilomètres, je me rappelle!), je connais la ville. Toutefois, y étant pour le travail, je me devais de revenir au bureau dès la réunion terminée, ou dès la négociation menée à son terme. Il est arrivé parfois cependant que, libéré après 18 ou 19 heures, je n’aie pas de scrupules professionnels pour m’attarder un peu. Mais c’étaient des visites si réduites, et il y a si longtemps (septembre 1979 à février 1982), que mieux vaut dire que je ne connais pas Strasbourg. Et ce n’est pas la visite d’aujourd’hui, hélas, qui a changé beaucoup de choses. Je commence par un tout petit tour en ville où je ne dirai rien de la merveilleuse cathédrale, parce que mon prochain article lui sera réservé.

Strasbourg. Dimanche 8 septembre 2013

Alors, qu’avons-nous vu à Strasbourg? De l’endroit où nous étions garés, nous avons gagné le barrage Vauban, qui a été construit sur l’Ill de 1686 à 1700, après que la ville a été prise par Louis XIV. Il est classé aux monuments historiques depuis 1971. En amont, on trouve des terres cultivées, des vergers, qui sont inondés si les arches du barrage sont fermées, et donc transformés en marécages fort difficiles à franchir. Telle était la destination militaire du barrage, pour éviter ou retarder grandement l’avancée d’un ennemi éventuel. Cet ennemi s’est trouvé en 1870, quand l’armée prussienne est venue assiéger la ville. Malgré cette défense, Strasbourg a été prise au bout d’un mois et demi.

Strasbourg. Dimanche 8 septembre 2013
Strasbourg. Dimanche 8 septembre 2013

Le passage sur le barrage, dans un long tunnel, est ouvert au public de 6h à 21h, ce qui est sans doute pratique pour les habitants, mais aussi très intéressant pour les touristes, d’autant plus qu’une terrasse offre une très belle vue. Sur la plaque indiquant les horaires d’ouverture, il est dit “Cyclistes, mettez pied à terre”; or ma première photo ne permet que très difficilement de le distinguer, mais ce que l’on voit tout au fond est une cycliste en train de pédaler sur son vélo. Soyons sympa, supposons qu’elle a cru respecter la règle en posant un pied au sol (la grammaire française exige l’usage du singulier), puis qu’elle est repartie en selle… Préfère-t-elle être considérée comme un peu stupide ou comme contrevenante?

Strasbourg. Dimanche 8 septembre 2013

On a pu apercevoir sur mes photos précédentes, que des grilles bordaient le couloir. Derrière les grilles sont placées des statues qui, paraît-il, sont des moulages de plâtre des statues de la cathédrale. Ici, devant un roi que je n’identifie pas (je ne saurais dire si c’est un roi de la Bible, David, Salomon…, ou un roi allemand de l’époque du bâtiment), on voit un homme ailé à tête de lion pourvu d’une auréole. Ce ne peut être, bien sûr, que saint Marc, l’évangéliste dont l’attribut est le lion et qui est habituellement représenté ailé. Mais tantôt c’est un lion ailé, tantôt c’est un homme accompagné d’un lion, je ne l’avais encore jamais vu en lion habillé comme un homme, avec des pieds et des mains humains.

Strasbourg. Dimanche 8 septembre 2013

Le barrage est pourvu de trois ponts-levis ainsi que de portes d’écluse permettant de le fermer. Il est donc normal que l’on puisse voir en divers endroits des machineries et de grosses chaînes.

Strasbourg. Dimanche 8 septembre 2013
Strasbourg. Dimanche 8 septembre 2013

Tout près en aval du barrage Vauban, se trouvent trois ponts successifs permettant de relier les deux rives de l’Ill. Ce sont les Ponts Couverts, construits de 1230 à 1250, donc beaucoup plus anciens que le barrage. Ma première photo ci-dessus est prise depuis la terrasse du barrage Vauban, l’autre photo a été prise de l’autre côté.

Strasbourg. Dimanche 8 septembre 2013
Strasbourg. Dimanche 8 septembre 2013

Les Ponts Couverts continuent d’être appelés de ce nom, quoique depuis 1784 leur toiture ait été enlevée. Ils sont gardés par quatre tours fortifiées qui ont été classées aux monuments historiques en 1928. Dans son Mémoire historique sur les anciens monuments militaires de la ville de Strasbourg, publié en 1822, M. Coqueugniot, qui est un ancien colonel d’infanterie, écrit: “Sans cette défense une armée ennemie, qui aurait voulu assiéger la ville aurait pu construire, sur le bord de l'Ill, à une distance quelconque de la ville, deux forts bateaux dont les dimensions auraient été telles qu'en les faisant couler bas, par une simple ouverture faite au fond de chaque bateau, ils auraient pu fermer hermétiquement les deux fossés; car le chêne vert et l'orme sont plus pesants que l'eau, et il aurait été facile de trouver ces deux espèces de bois, en quantité suffisante, pour construire les deux bateaux de barrage […]. Ce n'est pas pour servir de magasin que l'on a construit le bâtiment appuyé sur les pilasses; c'est pour y loger des défenseurs, comme pour y placer des machines de guerre et des munitions. La toiture elle-même serait très utile, parce qu'elle mettrait les défenseurs à couvert des traits que lanceraient les tours nautiques, dont j'ai donné la description dans l'article précédent; et que, dans le cas où les béliers de ces tours feraient ébouler les pilasses, tout le corps du bâtiment, en tombant dans l'eau, formerait un obstacle qui arrêterait la marche des tours nautiques, des tortues et des bateaux d'attaque. Les petites fenêtres, que l'on voit sur les côtés du pont-couvert, sont des meurtrières par où les assiégés auraient tiré sur les assiégeants”.

Strasbourg. Dimanche 8 septembre 2013
Strasbourg. Dimanche 8 septembre 2013
Strasbourg. Dimanche 8 septembre 2013

Le barrage Vauban, les Ponts Couverts se trouvent dans un quartier de Strasbourg nommé la Petite France. C’est un coin très romantique, entre l’eau, les frondaisons, les maisons typiques alsaciennes colorées, avec leur armature de colombages.

Strasbourg. Dimanche 8 septembre 2013
Strasbourg. Dimanche 8 septembre 2013

J’ajoute ces photos de bâtiments typiquement alsaciens. Je dis “typiquement”, parce que si l’Alsace n’est nullement la seule région usant du colombage (rien qu’en France, en se déplaçant d’est en ouest, on en trouve beaucoup à Troyes, et en Normandie), en revanche chaque pays, chaque région, a son style architectural propre pour disposer les poutres, pour la forme du toit (ici adaptée aux chutes de neige plus abondantes qu’en Champagne et surtout que près de la Manche). Les lignes sont à la fois puissantes et harmonieuses. Aujourd’hui, entre les bois des colombages, on utilise des matériaux plus solides et durables, ciment ou brique, mais autrefois c’était du torchis, composé principalement de paille hachée. Bois et paille, des combustibles merveilleux pour les incendies. À côté de ces maisons particulières, les bâtiments publics, hôtel de ville, marché, églises, etc., étaient construits en pierre.

Strasbourg. Dimanche 8 septembre 2013
Strasbourg. Dimanche 8 septembre 2013

En quittant cette charmante Petite France, nous nous sommes dirigés vers le plein centre, vers la place de la Cathédrale, qui a su garder son caractère, sans que les boutiques de colifichets pour touristes, les bars et restaurants, la défigurent. J’ajoute une photo d’un détail de l’intéressante façade qui habille ce merveilleux bâtiment ancien.

Strasbourg. Dimanche 8 septembre 2013

Les façades sont souvent décorées de toutes sortes de sculptures. Mais comme ailleurs en France et dans la plupart des pays d’Europe, ce sont bien souvent des statues de saints qui ont été placées pour protéger les habitants en même temps que pour décorer. Sur ma photo, cette femme tient en main un coffret d’où sort un collier, et elle porte une croix sur la poitrine. J’ai eu beau chercher, je n’ai pas trouvé qui c’était. Alors j’ai cherché sur Internet la composition du conseil municipal de Strasbourg, et j’ai trouvé que le premier adjoint au maire, monsieur Alain Fontanel, était chargé de la culture. J’ai décidé de lui écrire pour lui poser la question. Sa réponse a été très rapide, très aimable et extrêmement complète (ce qui est loin d’être le cas quand, en d’autres circonstances, j’ai posé ce genre de questions dans d’autres villes). C’est pourquoi je me permets de donner son nom ici et, plutôt que d’extraire de son courriel certaines informations, je préfère le citer textuellement: “La sculpture est située sur l’arête du bâtiment situé 89 rue des Grandes Arcades. L’immeuble avait été sinistré par les bombardements de 1944 et reconstruit de 1950 à 1954 par le bijoutier Jean Roger. Il semblerait que cette femme, en costume strasbourgeois du XVI° siècle, soit l’épouse du bijoutier tenant un coffret à bijoux dans sa main. Elle est l’œuvre du sculpteur strasbourgeois Alphonse Rompel (1895-1971)”. Voilà qui est clair et complet. Merci, Monsieur le Maire-Adjoint.

Strasbourg. Dimanche 8 septembre 2013
Strasbourg. Dimanche 8 septembre 2013

Et puis immanquablement il y a une grande statue de bronze à l’effigie de Gutenberg avec sa presse d’imprimerie sur la place qui porte son nom. Avec ses 3,30 mètres de haut, elle date de 1840 et elle est l’œuvre de David d’Angers et la belle façade que l’on distingue derrière lui est celle de la Chambre de Commerce qui date de 1585. Sur le document qu’il tient en main, on peut lire “Et la lumière fut”, phrase qui se trouve dans la Genèse. L’imprimerie, parce qu’elle permet la diffusion culturelle par le livre tiré en de nombreux exemplaires beaucoup moins coûteux que les manuscrits sur parchemin, est présentée comme la lumière qui éclaire le monde.

Strasbourg. Dimanche 8 septembre 2013

Le socle de la statue est de plan carré. Sur chacune de ses faces de grès rose des Vosges, une plaque de ce même David d’Angers représente une des quatre parties du monde, et ce que l’imprimerie lui a apporté. C’est pourquoi chacune des plaques représente, en son centre, une presse autour de laquelle la scène s’organise. C’est par l’Europe, du côté où Gutenberg fait face, que l’on commence, en mettant à l’honneur notre grand philosophe national, René Descartes. Descartes a écrit les Méditations métaphysiques, alors que fait-il, devant la presse? Il médite, bien sûr, c’est ce qu’a de mieux à faire un philosophe!

 

Plus que les autres religions chrétiennes, le protestantisme prône la lecture de la Bible et, le premier livre imprimé par Gutenberg ayant été sa célèbre Bible à quarante-deux lignes, David avait représenté Luther comme personnage central. Il serait absurde de vouloir dire si Gutenberg était catholique ou protestant, vu qu’il était mort (1468) avant la naissance de Luther (1483) ou de Calvin (1509), mais la ville de Strasbourg, au dix-neuvième siècle comme dans les siècles précédents et comme aujourd’hui encore, a toujours vu sa population partagée entre ces deux cultes (sans parler des Juifs). Aussi, la réaction des Catholiques a-t-elle été violente. Le conseil municipal a alors demandé à David de modifier son projet. Il place alors, à égalité d’importance, Luther et Bossuet, cet évêque catholique faisant pendant au réformateur. Ce n’est pas assez, les Catholiques intégristes réclament la disparition complète de Luther. David est outré. Il écrit au maire “Il n’est venu à l’esprit de personne de voir dans le bas-relief de l’Europe une lutte religieuse; il serait inouï qu’une ville aussi éclairée que Strasbourg donnât au monde un exemple d’aussi absurde intolérance. Cela n’est pas croyable”. Mais toute négociation ayant échoué, le maire cède et David remplace Luther et Bossuet par Érasme et Montesquieu. Dans cette foule de célébrités, toutes individualisées, je devrais aussi reconnaître des philosophes, des auteurs dramatiques, des peintres et des sculpteurs, des scientifiques, tels que Voltaire ou Rousseau, Kant, Hegel ou Goethe, Shakespeare ou Molière, Poussin ou Raphaël, Copernic, Newton, Linné ou Ambroise Paré.

Strasbourg. Dimanche 8 septembre 2013

En tournant vers la face qui suit vers la droite, on trouve l’Asie avec en arrière-plan à droite une divinité sur un piédestal. Au milieu, devant la presse, des Européens –l’indianiste français Duperron et l’orientaliste anglais William Jones– échangent des livres imprimés contre des manuscrits que des brahmanes lettrés leur tendent. Derrière les Européens, à gauche, on voit un Turc lisant un petit livre imprimé, tandis que, de face, le sultan Mahmoud II, son turban ottoman posé à terre, lit Le Moniteur universel, journal officiel du gouvernement français. Même si la France est redevenue un royaume, même si Louis-Philippe a rétabli la censure, c’est malgré tout une monarchie constitutionnelle, où les Républicains peuvent faire entendre (discrètement) leur voix, à l’opposé de l’Empire Ottoman, qui reste à l’opposé de la démocratie et où les presses à imprimer sont restées très longtemps interdites. Voir le sultan lire un journal est donc significatif de ce qu’apporte l’imprimerie. À droite, un Européen instruit des enfants asiatiques assis sur le sol.

Strasbourg. Dimanche 8 septembre 2013

L’Afrique, au dos du monument. L’image est forte. Au premier plan, sur la droite, des chaînes et des entraves sont posées sur un tronc. Au sol, au milieu, un fouet. Du côté droit, un Européen délie un esclave noir, tandis qu’un autre Africain lui baise la jambe en signe de reconnaissance. Derrière la presse, des Européens distribuent des livres à des Noirs qui se précipitent, avides de savoir. Devant à gauche, un Africain serrant un petit livre sur son cœur et un Européen –le philanthrope anglais William Wilberforce, fervent partisan de l’abolition de l’esclavage– sont tombés dans les bras l’un de l’autre. Il faut se souvenir que l’esclavage, un temps aboli par la Révolution française (1794), avait été rétabli par Bonaparte premier consul en 1802, et ce n’est qu’en 1848, soit quelques années après la pose de ces plaques en 1844, que Victor Schœlcher obtiendra enfin son abolition définitive. Ce choix de sujet, cette représentation, disent assez les convictions républicaines et humanistes de David d’Angers.

Strasbourg. Dimanche 8 septembre 2013

En continuant de tourner, on arrive au quatrième côté, l’Amérique. Devant la presse, un texte composé avec les caractères typographiques en relief, et un homme tient un papier de même dimension, c’est le document qui vient tout juste d’être imprimé. Cet homme, c’est Benjamin Franklin et ce texte, c’est la Déclaration d’indépendance des treize États-Unis d’Amérique. Sont aussi présents Washington, Jefferson qui est l’auteur du texte, et La Fayette un peu plus à gauche, serrant sur sa poitrine l’épée que le pays lui a remise en remerciement des services rendus. À droite, on trouve Simon Bolivar, qui a été l’acteur principal de l’indépendance d’une grande partie du nord de l’Amérique du Sud, depuis Panama jusqu’au Pérou; il reçoit les marques d’affection des Indiens.

 

Si je me suis tant attardé sur ce monument, c’est d’une part parce que Gutenberg a beau être né et mort ailleurs, avoir réalisé concrètement son invention ailleurs, il n’en est pas moins un personnage essentiel de Strasbourg, où il a imaginé le procédé qui allait révolutionner le monde, et où il a travaillé à la composition chimique de l’alliage métallique approprié. C’est d’autre part parce que ces quatre bas-reliefs de David d’Angers sont intéressants à voir, mais encore mille fois plus intéressants lorsque l’on comprend le détail de ce qu’ils représentent. J’ajouterai que j’ai, à titre très personnel, un intérêt particulier à évoquer Benjamin Franklin. En effet, mes fonctions de proviseur du lycée Léonard de Vinci à Melun faisaient de moi, de facto, le directeur pédagogique du GRETA (établissement public d’enseignement pour personnes sorties du système scolaire) de La Rochette, qui était à l’époque installé dans les locaux d’un petit château à vrai dire en assez piètre état, dans le grenier duquel se trouvait une longue barre de fer à première vue assez banale, mais qui était un paratonnerre que Benjamin Franklin en personne avait placé sur le château quand le système était encore à l’état expérimental.

 

À présent, avant de passer à mon prochain article sur la cathédrale de Strasbourg, encore deux photos.

Strasbourg. Dimanche 8 septembre 2013

Parmi les personnages célèbres que j’avais cités au début, je n’ai parlé ensuite que de Gutenberg. Or je suis tombé sur un immeuble portant ces deux plaques, elles sont pour moi l’occasion de ne pas laisser isolé ce grand inventeur. Je ne montre pas le bâtiment, puisque les plaques disent “Ici s’élevait…” ce qui signifie que le bâtiment a été remplacé par un autre. Mais c’est en ce lieu que, pour la première fois, la Marseillaise a été chantée par Rouget de Lisle, et en ce lieu également qu’est né Charles de Foucauld.

Strasbourg. Dimanche 8 septembre 2013

Et puis quelque chose qui n’est certes pas propre à Strasbourg puisque la ville le partage avec toute l’Alsace, le bilinguisme. La langue alsacienne est un dialecte allemand, et elle est encore pratiquée couramment. Les quotidiens existent en deux versions, le titre étant imprimé en bleu ou en rouge selon qu’il s’agit de la version en langue allemande ou en langue française. L’Alsace, dans son immense majorité, dans sa quasi-totalité, est attachée à la France, mais elle tient jalousement à ses particularités, et elle a bien raison. La conquête de Louis XIV est lointaine, mais le passage à l’Allemagne comme conséquence de la guerre de 1870, le retour à la France après la Première Guerre Mondiale, la reprise par l’Allemagne en 1939 et la libération de 1945 sont des événements relativement récents et très douloureux, mais qui ont permis à cette région de garder sa double personnalité, à la différence de la Bretagne, par exemple, qui revient depuis quelques années à la pratique de sa langue, mais il y a eu une rupture, une génération au cours de laquelle la langue bretonne n’a plus été langue maternelle pour personne. Et c’est ainsi que les plaques de rues sont bilingues de façon toute naturelle.

 

Une anecdote pour terminer. À l’époque où je travaillais à Guebwiller, il y a plus de trente ans, la monnaie unique et l’Euro n’existaient pas, bien entendu. Un matin, achetant mon journal, je trouve la libraire hors d’elle: “Vous l’avez vu, ce type que vous avez croisé quand vous êtes entré? Imaginez-vous qu’il m’a demandé si j’acceptais les francs, ou seulement les marks!” Hé oui, c’était un Français, il s’était rendu en Alsace, et parce qu’autour de lui il entendait parler allemand il ne s’était pas rendu compte que l’Alsace était française… Pourtant, les frontières existaient encore entre la France et l’Allemagne, et il aurait pu se rendre compte qu’il n’en avait pas franchi… À moins que ce n’ait été une pure agressivité d’un “Français de l’intérieur”, comme disent les Alsaciens, montrant sa désapprobation que l’on ose s’exprimer, en France, en une langue autre que le français… Quoi qu’il en soit, cette anecdote est, pour moi, si pleine de signification que je ne l’ai pas oubliée au bout de tant d’années.

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