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4 septembre 2017 1 04 /09 /septembre /2017 23:55

Nous avons jeté un tout petit coup d’œil sur cette île du Dodécanèse. Nous sommes venus de Patmos le 3 au matin avec le camping-car, nous n’avons passé que peu d’heures avant de nous embarquer, sans véhicule, pour Kalymnos. Nous avons eu un peu plus de temps pour la visite de Kalymnos, mais pas beaucoup quand même parce que nous sommes retournés à Leros le soir, avons dormi très, très brièvement dans notre maison roulante sur le port pour nous embarquer avec le camping-car en direction de Kos où nous arriverons au petit matin. Une journée et une nuit bien remplies donc, mais qui ne nous autorisent pas à dire que nous “connaissons” Leros ou Kalymnos. Pour le présent article, donc, Leros.

 

D’après les fouilles archéologiques, l’île a été habitée au néolithique, entre 8000 et 3000 avant Jésus-Christ. On estime en général que lorsqu’Homère cite, dans la Guerre de Troie, les îles Kalydnes sous le même roi que Kos et Nisyros (chant II, vers 677), cela pourrait se rapporter entre autres à Leros.

 

Je lis que du côté de l’aéroport, où bien évidemment nous n’avons pas eu le temps de nous rendre, lors des travaux d’aménagement ont été mis au jour des restes d’un temple d’Artémis datant du huitième ou du septième siècle avant Jésus-Christ.

 

L’auteur anonyme des Notes d’un voyage fait dans le Levant en 1816 et 1817 nous dit quelques mots de cette île: “ Dès que nous eûmes mis à la voile, le vent du nord recommença à souffler avec une violence extrême, et nous força de nous réfugier dans le port de l'île de Leros. Cette île, ainsi qu'une grande partie de celles de l'Archipel, n'est habitée que par des Grecs; la seule maison turque est celle du gouverneur. La ville est bâtie sur le penchant d'une haute montagne au sommet de laquelle est une forteresse construite par les Génois, à ce que me dirent les habitants […]. Le port de Leros, l'aqueduc qui traverse la vallée, les maisons de la ville qui s'élèvent en amphithéâtre sur le penchant de la montagne dont la forteresse couronne le sommet, présentent un fort beau coup d'œil. Je n'ai rencontré nulle part de plus belles femmes et en plus grand nombre que dans cette petite ville; elles ne se voilent point le visage, et chaque soir nous les voyions passer auprès de l'aqueduc, pour aller puiser de l'eau à une fontaine où elles se réunissaient. Leur costume consiste en une longue robe d'une étoffe épaisse qui suit le contour de la taille et qui est fixée au bas des reins par une ceinture; elles portent de grands pantalons larges d'étoffe rayée, qui sont noués au-dessus de la cheville, et elles savent ajuster sur leur tête d'une manière simple et gracieuse un voile rouge dont les reflets contribuent à les embellir. Les hommes y sont affables, et se livrent généralement à la marine: ils sont d'une adresse merveilleuse aux exercices du corps; presqu'à tout coup je leur ai vu enlever, au jeu de quilles, celle du milieu toute seule, quoique l'éloignement qui séparait chacune d'elles fût peu considérable, et que les joueurs fussent placés une grande distance”. À la différence des ouvrages de Tournefort ou de Choiseul-Gouffier, celui-ci n’est pas illustré, et je suppose que l’œil aiguisé de cet auteur aurait trouvé à faire des dessins savoureux.

Leros. Mercredi 3 septembre 2014
Leros. Mercredi 3 septembre 2014

Je passerai sur l’histoire de l’île, sautant d’un bond immense jusqu’aux Guerres Balkaniques. En 1911-1912, l’Italie attaque l’Empire Ottoman pour s’approprier la Libye. Au cours de cette guerre, l’Italie parvient à occuper les îles du Dodécanèse. En ce qui concerne Leros, c’est le 13 mai 1912 qu’un détachement de l’armée italienne vient prêter main forte aux habitants de Leros pour chasser de l’île la garnison turque. Cela fait l’affaire des Grecs dans ces Guerres Balkaniques. Intervient le premier traité de Lausanne, du 18 octobre 1812, aux termes duquel la Libye échoit à l’Italie, mais l’Italie doit rendre à l’Empire Ottoman les îles du Dodécanèse qu’elle avait réussi à prendre. Et puis il y a la Première Guerre Mondiale, la guerre gréco-turque de 1919-1923, et l’Italie profite du contexte politique pour ne pas vraiment se retirer. Le second traité de Lausanne du 24 juillet 1923, considérant que la Grèce a perdu sa guerre contre la Turquie alors qu’elle avait été l’agresseur, considérant aussi que l’Italie a choisi en 1915 de se ranger aux côtés de la Triple Entente franco-anglo-russe et a participé à la victoire, décide de ne pas rattacher le Dodécanèse à la Grèce et de le donner à l’Italie. Ce n’est qu’au cours de la Seconde Guerre Mondiale, en 1943, que la Grèce va récupérer ces îles, dont Leros.

 

C’est la raison pour laquelle j’ai pris en photo ce bâtiment où l’on aperçoit, en haut du mur au-dessus de la porte, ces carreaux de céramique qui signalaient que là se trouvait un bureau de la Guardia di Finanza italienne, corps appartenant à l’armée dont les membres seraient des équivalents de nos gendarmes (chargés d’enquêtes) mais avec pouvoirs financiers. Par exemple, un automobiliste est pris en flagrant délit d’infraction par la police, la Guardia di Finanza arrive pour percevoir l’amende. Un soir tard à Ancône, j’ai été longuement suivi, puis doublé et arrêté par une voiture de la Guardia di Finanza. On m’a demandé de présenter mes papiers, ceux du camping-car, et si j’avais été en infraction ces messieurs auraient été habilités, non seulement à dresser procès-verbal comme nos gendarmes, mais à percevoir le montant de l’amende infligée. Heureusement pour moi, j’étais en règle.

 

Dans le présent article, je vais essentiellement montrer des souvenirs de cette période italienne de l’île, parce que lorsqu’on lit les Notes d’un voyage fait dans le Levant dont je viens de citer un passage, et que, gardant cette description en mémoire, on regarde le paysage autour de soi, on ne reconnaît rien. Pourtant, c’est dans le même port que nous qu’était arrivé cet auteur. L’activité édificatrice des Italiens dans une période aussi courte est hallucinante, car c’est sous Mussolini qu’elle a eu lieu, c’est-à-dire après 1923, et comme le pays a d’autres priorités avec la Seconde Guerre Mondiale, elle prend fin en 1939. Seize ou dix-sept années seulement.

Leros. Mercredi 3 septembre 2014
Leros. Mercredi 3 septembre 2014

Cette fièvre architecturale n’avait pas pour but l’aménagement d’un espace public vétuste, inadapté ou inesthétique. Elle avait un but hautement politique et psychologique. Il s’agissait, pour le pouvoir fasciste, de montrer sa force à travers une architecture urbaine massive, puissante, voire écrasante. Cela se retrouve dans les bâtiments regroupant des commerces de détail, comme sur la première des deux photos ci-dessus, de même que dans des résidences privées (ma seconde photo). Et ces lions sur ces piliers rouges sont comme la cerise sur le gâteau.

 

Évidemment, Rome présente encore plus d’exemples de cette architecture, et j’y avais consacré un article entier, avec des commentaires explicatifs. On peut s’y reporter en cliquant sur le lien: Architecture mussolinienne. Samedi 13 et dimanche 14 mars 2010.

Leros. Mercredi 3 septembre 2014
Leros. Mercredi 3 septembre 2014

Cette église témoigne aussi de cette volonté. Elle est due au crayon de l’architecte A. Bernabiti, qui l’a édifiée de 1935 à 1939. Il fallait italianiser le Dodécanèse à tout prix. Cela signifiait d’abord extirper cette foi orthodoxe qui n’avait rien d’italien, car ce sont les esprits et les mentalités qu’il convient de changer. Cette église dédiée à San Francesco était donc destinée au culte catholique. La domination mussolinienne sur l’île a été trop brève pour parvenir à transformer les Grecs en Italiens. D’ailleurs, eût-elle été plus longue, je ne suis pas sûr qu’elle y fût parvenue, pas plus que n'y sont parvenus les Ottomans qui l’ont occupée quatre siècles, de 1522 à 1912. Il est vrai cependant que les Ottomans laissaient les Grecs parler leur langue, suivre leurs usages et pratiquer leur religion, à condition qu’ils ne fassent pas sonner des cloches dans les églises et monastères, à la différence des Vénitiens, des Génois, puis des Italiens, qui voulaient éradiquer l’orthodoxie au profit de l’allégeance au pape de Rome.

Leros. Mercredi 3 septembre 2014
Leros. Mercredi 3 septembre 2014
Leros. Mercredi 3 septembre 2014

La conséquence de cela, c’est qu’une fois débarrassés des Italiens, les Grecs de Leros ont ajouté une iconostase à cette église, quelques icônes, des lustres, et ont procédé à sa consécration à saint Nicolas (Άγιος Νικόλαος) au détriment de saint François, pour en faire une église orthodoxe. De la sorte, si l’extérieur est tout à fait latin et mussolinien, l’intérieur est clairement orthodoxe, à l’exception des fenêtres dans le sanctuaire.

Leros. Mercredi 3 septembre 2014
Leros. Mercredi 3 septembre 2014
Leros. Mercredi 3 septembre 2014

Une fois libérés de l’occupation italienne, les Grecs n’ont pas détruit ce qui représentait un mauvais souvenir historique –ils en avaient connu tellement!–, ils ont seulement laissé un peu à l’abandon les bâtiments civils. Et puis avec le temps, leur vision des choses a changé, ils ont considéré ce legs comme un témoignage historique qui méritait d’être sauvegardé, et ils se sont mis à tout rénover. L’Union Européenne, par exemple, prend part au cofinancement des deux millions trois cent vingt-sept mille huit cents Euros de ce bâtiment, comme on peut le voir sur ce grand panneau. Il y est dit αποκατάσταση κινεματοθεάτρου Λακκίου, c’est-à-dire “rétablissement d’un cinéma de Lakki”, Lakki étant la ville où nous sommes, le port de l’île de Leros. Nous sommes en septembre 2014, ces travaux sont inscrits au programme européen 2000-2006, il y a un peu de retard… Mais on sait que l’Europe exige qu’il y ait cofinancement, et si l’État grec en faillite ne peut pas payer sa part (25 pour cent), l’Europe ne paie pas non plus la sienne. En outre, l’Europe n’envoie pas d’argent à l’avance, elle rembourse sur présentation des factures acquittées. Si l’on n’est pas en mesure d’avancer l’argent, on ne peut réaliser les travaux, et l’Europe garde ses sous. Je connais bien la rigidité du système, établi pour éviter que l’argent ne soit dévoyé (ce qui est fort bien), parce que j’ai eu l’occasion de bénéficier d’un programme de ce type pour mon lycée lorsque j’étais proviseur. Toutefois, avec ces camions et ces machines, il semble que les travaux soient en cours. Sans doute très lentement, au rythme des rentrées d’argent.

Leros. Mercredi 3 septembre 2014

Cela aussi date de l’époque mussolinienne, même s’il n’y a rien là de grandiose. Mais c’est du béton, c’est blanc, c’est sans fioritures. Hélas, c’est aussi sans charme et sans personnalité.

Leros. Mercredi 3 septembre 2014
Leros. Mercredi 3 septembre 2014

La photo de ce terrain de sport? Aucun intérêt. Rien du tout. Mais je l’ai prise, et je la publie, en raison de la plaque apposée sur le mur de clôture. Les deux dernières lignes, c’est le nom donné au lieu et la date, “Nicolas Xénos, année 2013”. La première ligne nous dit que c’est un stade public. Mais en y joignant la seconde je dirais plutôt “Terrain public de ποδόσφαιρο” (podosphairo, c’est-à-dire pédisphère). Autrement dit c’est un terrain de “balle au pied”, transcription très exacte de l’anglais “football”. En français, nous avons repris le mot anglais tel quel. Du coup, je me suis amusé à réfléchir à la façon d’exprimer ce sport dans diverses langues. J’en pratique quelques-unes à des niveaux divers, et pour celles que je ne parle pas du tout, lorsque je visite un pays j’achète systématiquement un petit dictionnaire de poche pour essayer de balbutier quelques mots ou comprendre ce que je lis sur le menu ou sur une affiche. Voici le résultat de mes recherches: nulle part je n’ai trouvé, comme en français, la transcription pure et simple du mot, mais parfois une adaptation phonétique, comme fútbol et espagnol, futbol en turc, футбол en russe, ou à peine déformé fotbal en tchèque (lecture du mot anglais, mais avec la prononciation locale), ce qui est une façon de garder le même mot anglais mais avec une orthographe localement adaptée. Certaines traductions ressemblent à l’original, comme l’allemand Fußball, étant donné que dans cette langue Fuß désigne le pied. Le finnois traduit complètement le mot, jalkapallo, où jalka désigne le pied et pallo la balle. De même en breton (hé oui, il fut un temps où je tentais de m’initier à la langue de mes ancêtres maternels, avec Assimil breton et un petit dictionnaire), mell-droad, où mell veut dire balle, et troad (en breton, les consonnes initiales changent selon l’environnement, c’est la “mutation consonantique”, ici le D- du mot composé correspond au T- du mot simple) veut dire le pied. Et puis il y a des langues qui créent un mot à part, comme le polonais qui dit piłka nożna, où piłka veut dire ballon, mais si j’en crois mon petit dictionnaire nożna ne signifie rien d’autre que football. Dans ma collection, il me reste l’italien, calcio, “coup de pied”, dont l’étymologie m’apparaît tout de suite à partir du latin : calx signifie le talon, calcare signifie fouler aux pieds, piétiner, calceus désigne un soulier, et de là avec un suffixe –ura notre mot français chaussure, comme la chaussée vient de calceata [via].

 

Parce que ces petits jeux linguistiques m’amusent toujours, ils ont justifié cette photo d’un coin de terrain de football sans aucun intérêt!!!

Leros. Mercredi 3 septembre 2014

Ne passant que si peu de temps à Leros et n’en montrant qu’un tout petit échantillon de l’architecture mussolinienne, j’ai pensé que je devais aussi en montrer les personnages célèbres, ou supposés tels parce que représentés dans l’espace public. Mais face à ce monsieur nommé Paris Roussos (1875-1966), j’avoue ne pas le connaître. Le texte gravé sous son buste me renseigne un peu, “protagoniste de la lutte suprême pour la libération du Dodécanèse”. Par ailleurs, sur Internet je n’ai rien trouvé, que sa signature au bas de la préface d’un livre regroupant des articles de la presse britannique parus en 1918-1919 au sujet du Dodécanèse, où il représente The Executive Committee of the Inhabitants of the Dodecanese. La place où est situé son buste porte son nom.

Leros. Mercredi 3 septembre 2014

Quant à cet Anastase Tasopoulos, que je ne connaissais pas non plus, il est qualifié de υπομοίραρχος, qui correspond, je crois, au grade de lieutenant de gendarmerie. Il est présenté comme un modèle d’altruisme et d’autosacrifice, avec une date, 22 juillet 1956, mais on n’en dit pas plus sur son action. Je cherche alors sur Internet et je trouve un journal daté du 25, trois jours plus tard. Les journalistes n’étaient pas encore bien informés mais il semble que, pour réparer une pompe située au fond d’un puits de dix-sept mètres de profondeur dans les environs de Lakki, le technicien soit descendu dans ce puits. Le voyant en difficulté, le propriétaire du puits est descendu, puis deux étudiants de l’école technique de Leros. Mais au fond du puits ils manquaient d’oxygène et sont tombés dans l’eau. Comprenant la situation et pleinement conscient du danger, Tasopoulos est venu accompagné de gendarmes et il est descendu lui-même attaché à une corde et, en bas, il s’est détaché mais lui aussi s’est trouvé asphyxié. Des cinq hommes que l’on a remontés et transportés à l’hôpital, quatre sont morts dans les heures qui ont suivi (dont ce courageux officier de gendarmerie), un seul a pu être ranimé.

Leros. Mercredi 3 septembre 2014
Leros. Mercredi 3 septembre 2014

C’est sur cette note triste que nous allons quitter Leros pour Kalymnos, avant d’y revenir pour la nuit. Nous nous rendons sur le port, et voilà notre bateau qui approche.

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