Dans cette île de Cos, nous aimons beaucoup la capitale, nous y avons vu de nombreux lieux intéressants, et puisque nulle part dans cette île il n’existe de camping c’est sur un parking de la ville, près du site archéologique ouest, que nous avons établi nos pénates, je veux dire notre camping-car. Mais la “province” de Cos est très loin de démériter, et mes articles Cos 07, Cos 08 et Cos 09 seront consacrés à trois sites hors de cette capitale. Je commence cette série par un kastro, c’est-à-dire un château fort médiéval, situé à Antimakheia.
Ce nom, Αντιμάχεια, on le trouve orthographié de diverses façons. D’abord, parce qu'en grec moderne le groupe de consonnes NT (ντ) se prononce D, ou ND avec un N très doux, presque inexistant, c’est parfois par un D qu’on le transcrit. Ensuite, la lettre χ qui, en grec ancien, était un K aspiré (on la trouve dans schéma, chronologie, etc.), se prononce aujourd’hui un peu comme le G final de l’allemand König, ou comme le CH de l’allemand Ach, et beaucoup plus doux que la jota espagnole, ce qui fait que des éditeurs le transcrivent parfois par un simple H, se référant à l’usage anglais, et non français, d’aspirer fortement le H dans des mots comme hand, home, behaviour. Enfin, l’ancienne diphtongue EI (ει) se prononce aujourd’hui I. C’est ainsi que lorsque l’on voit Adimahia, c’est un choix de transcription pour Antimakheia. Choix qui n’est pas le mien, car alors je n’écrirais plus week-end, mais ouiquènnede, ni T-shirt, mais ticheurte…
Antimakheia, c’est un village situé à un peu plus de vingt kilomètres au sud de la capitale, à proximité immédiate de l’aérodrome, et le kastro que nous allons visiter aujourd’hui est à peu près à mi-distance à vol d’oiseau du village et de la côte sud-est de l’île. On a l’habitude de voir ces châteaux défensifs face à la mer, pour pouvoir lutter contre les invasions, ou sur une acropole, pour protéger les habitants et la ville qui se développe à ses pieds, on n’a guère l’habitude de les voir s’élever en dehors des lieux habités ou en rase campagne, loin des lieux où le péril peut arriver. La colline où il a été bâti est haute de 170 mètres, ce qui procure toutefois une vue très vaste sur l’île. Et c’est là son intérêt, il est bâti en plein centre de Cos, à peu près à mi-distance du nord et du sud, avec vue sur les deux côtes à l’est et à l’ouest. De là-haut on peut surveiller toute l’île, tous les mouvements.
La première de ces photos est prise côté terre, le sol est nu, il n’y a rien. La seconde, je l’ai prise entre deux créneaux de la citadelle, la terre est brûlée et nue, à part une toute petite coulée de verdure. Et la troisième, également d’en haut, depuis la citadelle, côté mer au loin; il suffit de consulter la carte pour comprendre que ce que l’on voit à l’horizon, c’est l’île de Nisyros et son volcan, notre prochaine escale. À l’époque moderne quelques maisons se sont construites sur la côte, c’est une longue plage où parfois viennent des baigneurs, mais des bateaux ennemis n’auraient pu accoster parce qu’il n’y avait pas de môle donnant un tirant d’eau suffisant (aujourd’hui un port a été aménagé), et de toutes façons les canons du château n’auraient pas porté aussi loin.
Ci-dessus, une porte latérale, fermée à la visite, qui permettait de pénétrer dans cet énorme bastion semi-circulaire, et un peu plus loin l’accès à l’entrée principale vers la cour du château. Il y avait là un ancien petit château byzantin quand les Chevaliers de Saint-Jean ont édifié, de 1337 à 1346, une forteresse beaucoup plus puissante. À l’époque, le Grand Maître était Hélion de Villeneuve, qui a assumé ces fonctions de 1319 à 1346. Comme il ne devait pas être très distrayant de vivre ici, l’Ordre a décidé, en 1383, d’y envoyer comme prisonniers les Chevaliers que l’on voulait punir. En outre, du fait de son isolement et de sa position retirée, le château pouvait être considéré comme un refuge pour la population en cas de danger; par exemple en 1457, lorsque les Turcs sont arrivés en force, avec cent cinquante-six navires et seize mille hommes, le château a pu accueillir des milliers d’habitants. Il n’a pu avoir de rôle prépondérant dans la défense de l’île, mais au moins il a gardé les habitants en sécurité pendant les vingt-trois jours qu’a duré la bataille entre les assaillants et les Chevaliers, dans les autres châteaux et déployés sur le terrain.
Plus tard, le Grand Maître Pierre d’Aubusson (1473-1503) dont j’ai eu l’occasion de parler au sujet du kastro de Neratzia, dans la capitale, a jugé opportun de renforcer puissamment les défenses du kastro d’Antimakheia, opération commencée en 1490 et, si l’on en croit la date sculptée au bas du blason placé au-dessus de la porte, terminée en 1494. En 1493, un séisme a secoué l’île et causé de gros dégâts au kastro. La réparation est incluse dans les travaux de fortification de d’Aubusson. Ce blason, nous avons appris à l’identifier en visitant le château de Neratzia, c’est celui de Pierre d’Aubusson. Et nous avons aussi appris qu’en 1486 il avait été fait cardinal, et puisque ce blason est postérieur à cette date il est surmonté du chapeau attaché à cette dignité.
Un peu plus tard, un autre Grand Maître, Fabrizio del Carretto (1513-1521) qui a déjà fortifié Neratzia, va construire ici un puissant bastion en fer à cheval. Mais quand, en 1522, les Turcs parviennent à prendre Rhodes, les Chevaliers doivent également quitter Cos, et le kastro d’Antimakheia tombe entre les mains des Ottomans, en même temps que le reste de l’île de Cos.
Durant l’occupation ottomane, les bâtiments du kastro ont continué d’être habités, et pour cela on a construit une mosquée dans l’enceinte. Mais vers le milieu du dix-neuvième siècle les habitants ont quitté le château, créant des villages à l’extérieur, et les bâtiments ont été abandonnés. Puis les Turcs ont dû quitter l’île et la mosquée a été détruite. Par deux fois, en 1926 et en 1933, l’île a été secouée par de violents séismes qui ont détruit la plupart des bâtiments encore debout, mais les murailles ont résisté.
Nous allons maintenant faire un tour, pour voir ce qui n’a pas été détruit par le temps, les hommes, les séismes. En voyant, dans la pierre, ces trous qui semblent être l’aboutissement d’une rigole, je suppose qu’il s’agit d’un écoulement des eaux de pluie, mais en l’absence de toute explication je ne saurais l’affirmer. Bon, ma visite commence mal!
De même ici, devant cette fosse semi-cylindrique, je me pose des questions. Au fond, je vois des orifices qui correspondent à des arrivées ou à des évacuations d’eau… J’aurais bien pensé à une petite citerne, mais les parois ne portent aucune trace d’un quelconque enduit hydrofuge. J’ai cependant un guide de Cos (éditions Marmatakis) qui n’évoque le kastro qu’en quelques mots: “À visiter […] et à 3 km, sur la colline, le château vénitien avec ses citernes, ses salles et deux églises en bon état”. Pas un mot de plus, mais justement les citernes. Et dans cette évocation, si brève, si minime, une erreur grossière qui attribue la construction aux Vénitiens. Faut-il croire aux citernes? Dans ces conditions, je n’ai aucune réponse, même hypothétique, à donner à mes questions…
Deux bâtiments sont bien conservés dans le kastro, ce sont deux chapelles. Celle-ci est dédiée à saint Nicolas (agios Nikolaos). Elle date du quatorzième siècle, et les trois sources que j’ai consultées la disent toutes trois post-byzantine. Quand l’île n’appartenait plus aux Byzantins, donc était confiée aux Chevaliers. Pourquoi n’est-il pas dit qu’elle est l’œuvre des Chevaliers? Faut-il comprendre que ce n’est pas eux qui l’ont construite, mais qu’elle a été englobée dans le château lorsqu’il s’est amplifié? Je ne pense pas. Sans doute l’un des auteurs s’est-il exprimé ainsi, et les autres, guides imprimés et sites Internet, ont tout simplement recopié l’expression.
Au-dessus de la porte, une pierre porte trois blasons. En haut à gauche, pas de doute, c’est celui du Grand Maître Fabrizio del Carretto. Les deux autres blasons, je ne sais les identifier, car ceux de tous les Grands Maîtres sont écartelés (c’est-à-dire partagés en quatre quartiers), la première et la quatrième parties représentant la croix de l’Ordre, la seconde et la troisième appartenant en propre au chevalier. Or le blason en haut à droite et le blason du bas ne sont pas écartelés. En outre, la croix de l’Ordre a été martelée sur le blason de Carretto. J’ai lu que cette pierre qui porte la date de 1520, compatible avec les dates de Carretto (1513-1521), avait sans doute été apportée ici provenant d’ailleurs. Ce qui est sûr, c’est que la chapelle est antérieure à 1520. Reste à expliquer deux des trois blasons, et la suppression de la croix de l’Ordre de Saint-Jean (peut-être due aux Turcs, après leur victoire et leur prise de possession?).
Selon l’une de mes sources (viagallica, sur Internet), “elle abrite, dans l’abside, une fresque intéressante de saint Christophe portant l’Enfant Jésus”, et selon une autre (Mediterraneo Editions), “inside the church there is a fresco from the 15th-16th centuries”. Je publie donc cette photo de l’abside, où saint Christophe semble jouer à cache-cache! Cette fresque est peut-être intéressante, puisqu’on me le dit, mais elle est assez effacée, hélas.
Non loin, il y a une autre chapelle. Celle-là est un peu plus grande, et sa patronne est sainte Paraskevi (sainte Parascève). Datant du tout début du dix-huitième siècle, en 1705, elle a été construite près de deux siècles après le rattachement de l’île à l’Empire Ottoman. Faute de se convertir à l’Islam, les non-Turcs de l’Empire ne pouvaient avoir accès à quelque poste public que ce soit, mais ils étaient libres d’exercer les professions indépendantes de leur choix, et de pratiquer leur religion. On se rappelle, par exemple, comment les Juifs chassés d’Espagne en 1492-1493 ont été accueillis par les Ottomans. Et puisque l’île de Cos était grecque orthodoxe, il n’est pas étonnant que les gens qui habitaient dans l’enceinte du château y construisent une église.
…Libres de construire une église et d’y pratiquer leur culte, mais les cloches sont interdites. Elle ne doivent en aucun cas se substituer à la voix du muezzin, sans même parler de la couvrir en sonnant simultanément. Les cloches sont donc postérieures à la libération de l’île. C’est pourquoi cette église, comme tant d’autres, n’a pas de clocher en maçonnerie, le clocher métallique ayant été ajouté ensuite, sur le côté. Cette cloche a été fondue avec le nom de sa donatrice Maria Phorozi, précisant ”en mémoire de mes parents et de ma sœur Zacharo”. Saint Georges terrassant le dragon, le Christ en croix, sont également très beaux.
Sur le flanc de l’église, nul doute qu’il y avait aussi un autre bâtiment, toutes ces pierres qui jonchent le sol n’auraient aucune raison de se trouver là si tel n’était pas le cas. Quel était ce bâtiment, personne n’en parle, mais si proche de l’église il me semble qu’il ne pouvait que faire partie d’un ensemble paroissial.
En dehors des murailles d’enceinte qui sont bien conservées, en dehors aussi de ces deux chapelles, le kastro d’Antimakheia n’offre plus à la visite que des ruines, mais je ne regrette pas notre visite des lieux parce que cet ensemble massif est majestueux et aussi parce que le paysage sévère est très beau et la vue magnifique.