La petite ville de Nikeia, perchée sur un cône de lave qui domine le volcan de Nisyros, s’est dotée d’un musée du volcanisme. Après avoir vu le volcan lui-même, nous nous devions d’aller en visiter le musée, et nous n’avons pas regretté cette visite, qui est très pédagogique. De nombreux panneaux explicatifs très clairs, en grec et en anglais, permettent de bien comprendre le mécanisme du volcanisme, et de voir comment il a fonctionné à Nisyros.
Je pense qu’il est intéressant, puisque nous sommes à Nisyros, de voir quelle a été, dans cette île, l’évolution du volcan au cours des âges. Le musée a reconstitué l’historique de la géologie et la présente étape par étape. Ci-dessus, c’est Nisyros il y a cent mille ans.
Il y a quatre-vingt mille ans, deux petits orifices se sont formés près du sommet.
Il y a soixante mille ans. Ces orifices ont craché de la lave et il semble qu’ils se soient bouchés.
Il y a cinquante mille ans, d’autres laves ont coulé sur un autre versant.
Il y a quarante-cinq mille ans, c’est-à-dire après un temps d’évolution géologique relativement bref, le cratère central s’est formé, et la totalité du pourtour est recouverte de laves.
Il y a trente-cinq mille ans, le cratère central s’est beaucoup agrandi.
Sur la photo ci-dessus, nous voyons l’île aujourd’hui. Mais il faut bien comprendre que ce grand cratère que nous voyons sur ces illustrations n’est pas celui que nous avons visité dans mon précédent article. Celui de mon article, le volcan Stéfanos, se trouve au fond de ce cratère des illustrations, dans sa partie sud-est. Si Stéfanos, avec son diamètre de 330 mètres, était ce grand cratère représenté ici, l’île serait si petite que l’on ne pourrait y tracer de route et que l’on n’y construirait que quelques rares habitations.
D’autre part, on nous montre ce que le volcan a dans ses entrailles. Je suis conscient que ces images, une fois réduites aux dimensions d’un écran d’ordinateur (sans parler d’une tablette ou, pire, d’un smartphone), on ne peut plus rien y lire. Je vais donc transcrire les légendes, en les traduisant puisqu’elles sont en grec et en anglais, pas en français.
Première photo: Ce qui est brûlant, en bas, c’est la chambre du magma en fusion. Au-dessus, en gris, à droite et à gauche, ce sont des roches pré-volcaniques. L’espèce de champignon gris foncé qui s’élève au-dessus du magma, c’est la vapeur post-caldera. Ces petits nuages blancs juste à la droite du champignon, c’est la vapeur surchauffée qui s’échappe sous forme de fumerolles. Tout en haut, ce demi-ovale, est-ce la peine de le dire? c’est le rebord du cratère.
Seconde photo: D’abord, on voit un petit texte sur la gauche. Il dit “Un volcan est un édifice naturel de lave et de cendre qui se forme en des endroits de la surface de la terre quand de la roche en fusion émerge de fissures dans la croûte”. Cette masse marron tout en bas, c’est la chambre du magma, au-dessus de laquelle est représentée en gris la base non volcanique. Du milieu du magma, part une cheminée, le conduit central, qui se termine en haut en forme d’entonnoir, l’ouverture centrale. On voit s’en détacher à gauche, en diagonale, une cheminée d’où, en émergeant, la lave forme un dôme, tandis qu’à droite une autre cheminée, parallèle au conduit central, n’aboutit pas à la surface et sa lave forme un cryptodôme (dôme caché) à l’intérieur du volcan. De la cheminée qui part en diagonale sur la droite du conduit central, s’écoule de la lave à l’extérieur: sans doute plus liquide, elle ne forme pas un dôme mais se répand. Le cône du volcan est ainsi formé de couches de lave et de couches de cendre. Au sommet, est représentée une gerbe de projections; sur la droite, ces projections sont appelées en grec τέφρα (téphra), ce qui veut dire “cendre”. À gauche, c’est σποδός (spodos), mot que je ne connais pas. Dans le dictionnaire, je trouve “cendres”. Cela me donne un doute, je vérifie téphra, que je croyais connaître… “cendres” également. Si le schéma porte deux noms différents, c’est sûrement qu’il y a une différence. J’avoue ignorer laquelle.
Maintenant, le problème de la tectonique des plaques. La plaque africaine se déplace vers le nord-est, et vient bousculer les îles de l’Égée. Je ne traduis pas le schéma affiché par le musée, je crois qu’il est clair, avec les montagnes formées sur un arc de cercle sous la pression, dans le Péloponnèse à l’ouest, au bout dans la mer c’est l’île de Cythère, au sud on trouve la Crète, et à l’est de la Crète deux îles montagneuses, Karpathos et Rhodes. Derrière cet arc de la tranchée grecque montagneuse, au nord, c’est l’arc des îles volcaniques. Sur le schéma, de petits volcans symbolisent les points où des volcans se sont formés, et un texte que je ne reproduis pas les cite, ces îles. Parce que tout le monde n’est pas censé avoir en tête une carte de la Grèce avec la situation de toutes ces îles innombrables (avant de les avoir parcourues, pendant des mois et des années, il y en a bien peu que j’aurais été capable de reconnaître par leur forme, ou de situer avec une précision minimum), j’ai dessiné une carte de la mer Égée sud, et j’y ai coloré en marron les sept îles citées, y compris la microscopique Gyali, ainsi que la presqu’île de Methana au nord du Péloponnèse.
Je trouve ce schéma du musée extrêmement clair, il fait apparaître en évidence les formations montagneuses et les apparitions de volcans sous la pression de la plaque africaine.
À présent, voyons un peu ce que crachent les volcans. Le musée présente toute une riche collection de productions volcaniques, principalement de Nisyros, mais aussi d’autres volcans de l’arc volcanique représenté plus haut pour illustrer aussi ce qui n’a pas été produit sur place. Nous commençons par des morceaux de lave. Ma première photo montre un fragment d’une coulée de rhyolite de Nisyros, tandis que la seconde représente un morceau d’andésite qui s’est pliée et chiffonnée; elle provient de Santorin et le musée la date: quarante mille ans.
Nous avons dit que les volcans vomissaient de la lave, des gaz et des cendres. Sur ma photo ci-dessus, c’est une chute de cendres rhyolitiques de Nisyros.
La lave en fusion, les cendres, les gaz sous haute pression, arrachent des morceaux de roches solides, et les projettent au loin. Ce sont les “bombes”. Lorsque nous sommes allés voir de près, avec un guide, le cratère du Stromboli en activité (voir mon article Stromboli. Mercredi 22 septembre 2010), le guide nous a montré un chemin sur le volcan, disant que là, la semaine précédente, était retombée une bombe de vingt kilogrammes. Si on la reçoit sur la tête, cela risque de faire une grosse bosse!!! Mes deux photos montrent des bombes volcaniques d’andésite, toutes deux de Nisyros.
Parmi les autres résidus des éruptions volcaniques, il y a des scories telles que celle de ma photo ci-dessus. Quand je vois des roches rouges, j’ai tendance à dire “ah, ne serait-ce pas du porphyre?” alors que cela peut fort bien être des scories… Être géologue, c’est un métier hautement spécialisé.
Parmi les produits des volcans, il y a particulièrement les pierres ponces. Sur ma première photo, c’est une pierre ponce telle qu’on en voit couramment en parapharmacie. Celle de ma seconde photo, le musée l’appelle “pierre ponce grise” en anglais, et “pierre ponce cendrée” en grec. Une autre espèce, donc. Quant à ma troisième photo, elle représente une pierre ponce sous-marine, et cela justifie une apparence très différente. Et pour elle, on nous donne un âge, cinquante mille ans, et une origine, Gyali.
Cette pierre volcanique, on la connaît bien et on l’identifie facilement, c’est du granite. Ah oui, granite, avec un E à la fin, parce qu’il s’agit de la pierre volcanique. Lorsqu’il s’agit du bloc que va travailler le marbrier, alors c’est du granit sans E final. La plupart des réformes de l’orthographe, je ne les approuve pas parce qu’elles font disparaître la logique du mot; si l’on supprime l’accent circonflexe du O de hôpital, qui représente un S disparu, alors on ne comprend plus pourquoi l’adjectif hospitalier a un S. Mais là, cette distinction entre granite et granit, avec une prononciation strictement identique dans les deux cas et une étymologie à cent pour cent commune, elle n’a aucun sens, et j’estime que ce serait une réforme orthographique utile et logique.
Une autre pierre volcanique très connue est le basalte, comme le bloc de ma photo. Dans les régions volcaniques, on voit partout des bâtiments faits de pierre noire, ce sont des pierres de basalte. Même si elles n’ont pas cet aspect de ma photo, car celui-ci s’est solidifié en enfermant beaucoup de bulles de gaz, et aussi parce qu’une pierre taillée n’a pas la même apparence qu’une pierre brute.
Les deux pierres ci-dessus sont des obsidiennes, la première de Gyali, la seconde de Milos. Leur apparence est très différente, je ne sais si cela tient à leur lieu d’origine, mais cela tient sûrement, ou sûrement aussi, à leur âge, car celle de Gyali a vingt-cinq mille ans, et celle de Milos un million et cent mille ans. Certes, à cette époque, on ne pensait pas encore à cette jeune Vénus de Milo, qui marchait sur ces obsidiennes et qui n’a aujourd’hui qu’un peu plus de deux mille cent ans… un bébé!
Des milliers d’années, ou même des millions d’années: il y avait déjà de la vie sur terre, et ces rejets volcaniques ont enfermé des êtres vivants. Sous les cendres volcaniques de Pompéi, crachées par le Vésuve il y a moins de 2000 ans (en 79 de notre ère), on a trouvé des corps humains et animaux figés dans la position où ils étaient quand la mort les a saisis. Les millénaires se sont accumulés sur les coquillages de mes photos ci-dessus, et eux ont été fossilisés dans la lave volcanique. On ne nous dit pas de quand ils datent, en revanche il est dit qu’ils proviennent de l’île de Milos.
De la même façon que les coquillages de mes photos précédentes, ces feuilles d’olivier ont été fossilisées dans la cendre volcanique. Pas de datation non plus, mais une provenance, elles sont locales, elles sont de Nisyros. Je trouve leur aspect incroyable, on dirait qu’elles viennent d’être cueillies sur un arbre!
Tout cela a amené le musée à présenter sous forme de tableau synthétique les grandes étapes de la naissance et de l’évolution de la vie sur terre. Même si, réduit, ce tableau devient illisible, je le publie pour montrer comme il est bien fait. En abscisse, on voit sous forme de petits dessins schématiques les différentes formes de vie, depuis les premières bactéries archaïques jusqu’aux plantes, aux champignons et aux animaux, tandis qu’en ordonnée ce sont les millions d’années. Sur la courbe, un point noir permet de voir la date (approximative) d’apparition de cette forme de vie.
Quatre milliards et demi d’années, origine de la terre. Sur l’axe des ordonnées, c’est-à-dire l’axe vertical, avant le début de tracé de la courbe, vers quatre milliards d’années (4000 millions), il est dit “origine de la vie”. Le premier point sur la courbe marque la première évidence chimique d’eucaryotes. Deuxième point, l’oxygène produit par les cyanobactéries commence à apparaître dans l’atmosphère. Au troisième et au quatrième points, les plus anciens fossiles d’eucaryotes et les premiers eucaryotes multicellulaires. Le cinquième point, qui correspond à deux emplacements sur l’axe des abscisses, marque l’apparition des plantes, mais au même niveau sur l’axe des ordonnées on signale les plus anciens fossiles animaux. Au sixième point, cinq cents millions d’années, les sols sont colonisés par les plantes, et les champignons vivant en symbiose avec elles. Au dernier point correspondent l’extinction des dinosaures et les premiers humains.
Concernant la vie, après avoir expliqué son apparition et son développement jusqu’à nos jours, le musée expose cette affiche détaillant la biodiversité de Nisyros, spécifique du fait de la nature de ses sols volcaniques, mais aussi de sa position géographique. Je ne vais pas détailler ici toute cette affiche, mais seulement sa flore riche de quatre cent cinquante espèces, et sa faune de quatre-vingt-cinq espèces d’oiseaux et de sept espèces de reptiles. Sans oublier le monachus monachus, nom latin savant du phoque moine de Méditerranée. Au centre de l’affiche, au moyen de taches de couleur, les aires d’extension de divers végétaux sont représentées. On reconnaît aussi, au nord, nord-est de Nisyros, la forme caractéristique de l’île de Gyali, avec ses deux ailes réunies par un étroit isthme; là se trouvent deux zones de pinus brutia (pin de Calabre). Sur Nisyros, la grande zone à l’est est peuplée de quercus ithaburensis (chêne du mont Thabor), l’autre grande zone qui la prolonge n’est faite que de taillis nains.
Revenons au volcanisme. Le schéma ci-dessus montre le système hydrothermal sur une coupe de la caldera de Nisyros. Lors du creusement de puits géothermiques en 1983 et 1984, on a mis en évidence que la base du volcan repose à une profondeur de trois cents mètres sur le socle mésozoïque. Les gaz des fumerolles proviennent en majorité d’un terrain aquifère situé à une profondeur de 1000 à 2000 mètres à une température de 320 à 360 degrés. Même si le volcan a cessé son activité il y a vingt à vingt-cinq mille ans, il y a encore aujourd’hui à grande profondeur, entre trois mille et huit mille mètres, une grande quantité de magma en fusion et de roches brûlantes, qui ont provoqué en 1873 et 1888 de très violents tremblements de terre et des explosions créant de nouveaux cratères dans l’ancienne caldera. C’est pourquoi il semble inévitable que ce type d’événement se reproduise.
Et puisque l’activité volcanique se poursuit à Nisyros, et bien entendu aussi dans d’autres régions du globe, nous terminons avec ce dessin schématique des risques liés aux éruptions. Généralement, les coulées de lave ne causent pas de dommages directs aux vie humaines parce qu’elles sont très lentes et laissent le temps d’évacuer les lieux. En revanche, elles détruisent complètement tout ce qui se trouve sur leur passage.
Les nuages de cendres incandescentes se déplacent à grande vitesse et détruisent toute trace de vie sur leur passage. Les éruptions sous-marines, comme les tremblements de terre sous-marins ou le contact de flots de lave dans la mer, provoquent des raz de marées (tsunamis), soit une vague gigantesque qui cause de très grands dégâts sur les zones côtières. La chute des cendres dans les environs du volcan provoque des asphyxies (c’est ainsi qu’est mort le naturaliste romain Pline l’Ancien du fait de l’éruption du Vésuve. Au sujet de sa mort, voir mon article Pompéi. Samedi 24 et dimanche 25 avril 2010), et l’effondrement des bâtiments.
Les cendres fines se déplacent dans l’atmosphère sur de grandes distances et causent des dommages à la flore et à la faune. Quant aux coulées de boue, elles entraînent de nouveaux dépôts de cendres et sont aussi la cause de très sérieuses destructions.
Tout cela ne donne qu’un petit aperçu de ce beau musée. Je crois que si l’on a la chance de pouvoir se rendre à Nisyros et si l’on a aimé le spectacle du volcan Stéfanos, de ses eaux bouillonnantes, de ses roches de diverses couleurs, il est indispensable de se rendre au musée du volcan à Nikeia pour mieux comprendre ce que l’on a vu.