Mussolini et ses "faisceaux rénovés" ont pris le pouvoir en Italie en 1922. En permanence, il était fait référence à la grandeur de Rome qui devait égaler ce qu’elle avait été au temps d’Auguste. Et parce que la Rome impériale avait édifié le mausolée d’Hadrien (le château Saint-Ange) et les thermes de Caracalla, le pouvoir fasciste se devait de construire du grandiose. Si grandiose que je le trouve foncièrement ridicule. En divers endroits, on peut voir les effets de cette architecture. Par exemple dans un immeuble, via Vittorio près de Santa Maria della Concezione, ou surtout via dei Pontifici, à l’ouest du Corso, près du mausolée d’Auguste.
Mais ce style éclate surtout en deux points particuliers, le quartier de l’EUR et le Foro Italico. Nous consacrons donc notre samedi à l’EUR et notre dimanche au Foro Italico.
Envisageant d’organiser une exposition universelle à Rome en 1943, Mussolini a décidé en 1937 de la construction ex nihilo d’un quartier qui serait à la fois une vitrine et le début de l’expansion de Rome vers la mer, vers Ostie, par la via Ostiense. Le quartier a été baptisé ESPOSIZIONE UNIVERSALE di ROMA, soit les initiales E.U.R. mais, stoppé en 1941 par la guerre, il n’a pas été complètement abandonné pour autant, parce que repris pour l’Année Sainte de 1950 puis pour les Jeux Olympiques de 1960. Et pourtant, plus de Mussolini à l'époque.
Il s’organise de part et d’autre du grand axe Christophe Colomb, au milieu duquel est dressé un obélisque qui pourrait prétendre à être digne de l’Antiquité… s’il était taillé dans un seul bloc, et non pas constitué d’un empilement de tranches. Sur le terre-plein, à la droite de l’obélisque, on distingue quelque chose qui est bien plus haut que les voitures.
C'est un géant enterré qui surgit du sol. Rome ressuscitée, je suppose. À la fois terrible et grotesque. Et je ne crois pas être seul de mon avis, à en croire les touristes que j’ai vus le prendre en photo avec des commentaires et un intérêt qui ne doivent pas être ceux qu’attendait le créateur.
Ce taxi qui commence à quitter son emplacement va-t-il se laisser happer par cette main géante prête à se refermer sur ce qui passera à sa portée ?
Mais il faut pénétrer dans le quartier. Ici, c’est le génie du sport qui nous fait le salut fasciste. En fait, le salut romain de l’Antiquité, récupéré par les fascistes.
Sous le portique d’un grand immeuble, une frise verticale en bas-relief représente les diverses étapes de l’existence de Rome. Ici (on est à peu près à mi-hauteur), on voit comment des obélisques ont été dressés dans la ville des papes, par exemple sur la place Saint-Pierre.
Quant au bas de la fresque, le point d’arrivée et point culminant, il représente le Duce à cheval, dans une attitude ô combien martiale. Derrière lui, les travailleurs. Devant, les soldats, les femmes, les enfants. On en pleure d’émotion.
Plus loin, dans un espace jardin, cette statue monumentale. Comme elle n’a pas de légende, j’en ignore la signification mais je peux seulement dire qu’elle me rappelle le style de statues que j’ai vues dans des pays ex-communistes. Je ne suis pas sûr que la comparaison aurait fait plaisir au Duce, mais pour moi elle veut dire que les différences de mentalité entre les dictatures, qu’elles soient de droite ou de gauche, sont finalement très minces. Malgré toutes les imperfections de nos démocraties occidentales, je les préfère encore aux dictatures de tous bords que l’on a vu fleurir au cours des siècles sur tous les continents, et qui n'ont pas encore disparu de la surface de la planète.
En passant, une photo d’une sculpture représentant la force du lion dévorant un centaure.
Nous voici au bâtiment sans doute le plus célèbre de l’EUR, le Palazzo della Civiltà del Lavoro, le Palais de la Civilisation du Travail. Rien que le titre est magnifique. Travail, Famille, Patrie… cela me rappelle quelque chose. Pas à vous ? Énorme, immense, gigantesque, monumental, ce sont toujours les mêmes adjectifs qui me viennent à l’esprit quand je veux décrire ce que je vois ici. Autant la couleur traditionnelle de la Rome ancienne est le rouge, soit de la brique, soit de l’enduit, autant ce quartier est blanc. Et ce cube tout blanc, avec son motif d’arches qui se répète à l’infini sur chaque façade, en impose par sa masse puissante symbolisant la place du Travail dans la société.
Sur le fronton, fièrement, on exalte "un peuple de poètes, d’artistes, de héros, de saints, de penseurs, de savants, de navigateurs et de migrants". Victor Hugo ou Paul Verlaine, Renoir ou Monet, Vercingétorix ou Jean Moulin, saint Louis ou Jeanne d’Arc, Montaigne ou Descartes, Pierre et Marie Curie, Jacques Cartier, les habitants du Québec ou de la Louisiane, les migrants du Maghreb ou d’Afrique Noire… la France aussi répond à cette définition. Je propose –respectueusement– à notre Président Monsieur Sarkozy de la graver sur le panthéon (de Paris) à la place de la phrase actuelle. "Grands hommes", ce n’est pas suffisant et "Patrie reconnaissante", c’est plat et trop court, comparé à cela.
Sur ma photo d’ensemble du bâtiment, on a pu distinguer que les niches du bas contenaient des statues. Il y en a ainsi sur chacun des quatre côtés. Ces statues symbolisent les arts de tous types dans lesquels excelle l’Italie.
Un autre grand monument de l’EUR est le palais des congrès. L’architecture en est intéressante, mais elle se veut si imposante… si immense…
Ce quartier nouveau comporte aussi son église construite de 1939 à 1941. C’est Saints Pierre et Paul (Santi Pietro e Paolo). Elle domine tout le quartier et se situe au sommet de ce vaste escalier.
Sur ma photo de l’église on distingue mal leur masse blanche sur le fond blanc de l’église, mais en haut de l’escalier, de part et d’autre, se dressent les statues monumentales de saint Pierre et de saint Paul.
Les portes de bronze sont, elles, très belles à mon avis. Elles représentent des étapes de la vie de ces deux saints. Ici, la crucifixion tête en bas de saint Pierre et la décapitation de saint Paul.
Il y a encore bien des choses à voir dans ce quartier, en particulier le Palais des Sports, mais nous décidons de rentrer puisque demain nous verrons une réalisation sportive de l’époque. En retournant vers le camping-car nous traversons un quartier animé, avec toutes sortes de boutiques et de restaurants. Parce que nous ne sommes pas, comme on aurait pu le penser, dans un décor de cinéma. Il y a des gens qui vivent ici. J’ignore si le taux de dépression ou de suicide est plus important qu’ailleurs.
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L’EUR est plein sud de Rome. Aujourd’hui, dimanche 14, nous sommes plein nord, au Foro Italico avec son complexe sportif composé d’un stade olympique et d’un stade dit "dei Marmi", c’est-à-dire "des Marbres". La première pierre a été posée le 5 février 1928. Nous sommes donc également à l’époque fasciste de Mussolini, mais dix ans avant l’EUR.
Tout autour du stade des Marbres, 60 statues de sportifs représentent les diverses disciplines, mais sur la base de chacun d’eux figure le nom d’une ville d’Italie, sans oublier, bien sûr, la Sardaigne et la Sicile. C’est une société virile et forte, il n’y a pas une seule sportive parmi les statues.
N’a-t-il pas fière allure, ce représentant de Bergame ?
En revanche, ce skieur de l’Aquila ne doit pas avoir chaud, tout nu dans la neige. Il va se geler les miches. Déjà que le marbre n'est pas chaud...
Ce représentant de Trieste n’est pas prêt à faire des cadeaux à ses adversaires. Comme dans ces civilisations où les guerriers revêtent des masques terrifiants pour effrayer leurs ennemis, il faut montrer même dans le sport que l’on est sûr de sa force et de sa supériorité. De plus, bien des gens font du sport un objet de fierté nationale, et dans les dictatures c’est encore plus vrai parce que plus institutionnalisé.
Au milieu de l’un des grands côtés du stade, se trouve le podium, monumental comme il se doit. Et de part et d’autre il est décoré d’un couple de lutteurs en bronze qui, il faut l’avouer, ont de l’allure. Aïe, quand il va retomber sur le dos, il ne va pas se faire de bien.
Ici, c’est un gros plan sur l’autre couple de lutteurs.
Et pour finir avec ce stade, cette vue en contre-plongée d’un discobole représentant la ville de Sienne. On voit bien dans ces cuisses musculeuses quelle puissance a voulu exprimer le sculpteur.
Du stade olympique, je ne montrerai que cette vue. Quoiqu’immense et pouvant accueillir cent mille spectateurs, il ne présente pas, me semble-t-il, d’autre caractéristique que son gigantisme. Et voilà pour l’architecture mussolinienne. Dans nos prochaines visites nous reviendrons à du plus classique, mais il nous a semblé intéressant de savoir à quoi ressemblaient ces projets.