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25 juillet 2014 5 25 /07 /juillet /2014 09:00

905a1 église Ste Theodora, Arta

 

905a2 Arta, église Agia Theodora

 

905a3 Arta, église Sainte Theodora

 

J’ai annoncé trois articles sur des églises spécifiques d’Arta. Voici la seconde, Sainte Théodora. Si elle n’est pas laide extérieurement, ce n’est pas cependant son aspect qui justifie un article complet, à moins d’être un architecte, un spécialiste. Ce n’est nullement mon cas. Ce qui m’a intéressé est à l’intérieur.

 

905b1 fresque de Sainte Theodora, à Arta

 

905b2 Arta, fresque de Sainte Theodora

 

905b3 Arta, fresque de Sainte Theodora

 

Dans mon précédent article, j’ai évoqué Michel II Doukas, despote d’Épitre, et sa femme sainte Theodora. Cette Theodora Petraliphaina, née vers 1225, est la fille du sebastocrator (représentant de l’empereur avec la plus haute dignité) de Thessalie et Macédoine. Encore enfant, en 1231, elle a été mariée pour raisons politiques au despote Michel. Quand elle a été enceinte de Nicéphore (né vers 1240), Michel l’a expédiée dans le village de Prinista, dans la montagne à une dizaine de kilomètres au nord d’Arta, sans ressources, parce qu’il préférait vivre avec sa maîtresse. Elle, n’avait pas de toit, dormait à la belle étoile, cueillait dans la nature de quoi se nourrir. C’est dans ces conditions qu’elle a donné naissance à Nicéphore et qu’elle l’a élevé dans ses premières années. Michel, au bout de cinq ans et après avoir eu deux enfants de sa maîtresse (il lui a fallu tout ce temps pour s’amender), l’a reprise auprès de lui et ils ont vécu, semble-t-il, en harmonie. En signe de repentir pour sa mauvaise conduite, il a créé le monastère de Kato Panagia (dont, comme je le disais dans mon article précédent, l’église de la Panagia Parigoritissa deviendra le catholicon quand elle ne pourra plus subvenir à ses besoins) ainsi que celui de Vlacherna –qui sera l’objet de mon prochain article– dans un village de l’autre côté du fleuve. En outre, il a ajouté à l’église son narthex et les deux frontons que l’on distingue sur mes photos de l’extérieur. Plus tard, Theodora a fondé à Arta le couvent de Saint-Georges, auprès de cette église qui était préexistante, remontant au onzième siècle, et qui en est devenue le catholicon. Quand Michel est mort, Theodora s’est retirée dans ce couvent, où elle est restée jusqu’à sa mort. Elle y a été enterrée, et c’est devenu l’église Sainte Theodora que nous visitons. En son honneur, je commence par ces deux fresques la représentant.

 

905c1a Arta, église Ste Theodora

 

905c1b Arta, église Ste Theodora, chapiteau

 

Mais nous reviendrons à la merveilleuse collection de fresques tout à l’heure. Pour l’instant, en entrant dans l’église, on remarque ces chapiteaux de colonnes que, du premier coup d’œil, on identifie comme des matériaux de réemploi. Ce sont en effet des chapiteaux paléochrétiens, du cinquième ou du sixième siècle, provenant d’une basilique de Nicopolis. Trois colonnes apparaissent sur ma photo, mais il y en a bien évidemment une quatrième à droite.

 

905c2 Arta, église Sainte Theodora, sol

 

Au sol, on foule ce merveilleux “tapis” de marbre, dans la nef, qui mène vers l’iconostase. À Rome, les Cosmates ont exercé leur art du douzième au quatorzième siècle. J’ai souvent eu l’occasion de parler de cette corporation de marbriers, mais on peut se reporter par exemple à mon article Rome, San Lorenzo fuori le Mura, du 17 janvier 2010. Il n’est pas impossible que l’architecte, ici, ait eu connaissance de leur travail, car voyant ce qui a été réalisé ici, on ne peut manquer d’y penser.

 

905c3 Arta, église Sainte Theodora

 

905c4 Arta, église Sainte Theodora

 

905c5a Arta, église Agia Theodora

 

905c5b Arta, église Agia Theodora

 

Depuis le sarcophage de sainte Théodora dans le narthex (première photo) qui représente la sainte et son fils Nicéphore entre deux anges, jusqu’au mobilier de l’église, tout est superbe. Lors de notre visite de la Parigoritissa, plus tôt dans la journée, nous avons vu que le despote avait voulu donner un lustre de capitale à son église principale, mais ici dans un bâtiment beaucoup plus petit et moins ambitieux qui lui est antérieur, on trouve un luxe exceptionnel. On ne peut manquer d’admirer aussi l’exceptionnelle châsse en argent qui contient les restes de la sainte. Pour extraire lesdites reliques en 1873, il a fallu briser le couvercle du sarcophage (quelle horreur!), et on a alors trouvé à l’intérieur des fragments de marbre, preuve que des voleurs avaient déjà ouvert le sarcophage pour piller les bijoux. Comme quoi brigands et adorateurs ont les mêmes pratiques. La façade du sarcophage a alors été plaquée sur le mur du narthex. On peut croire en la sainteté de Theodora, on peut croire aux miracles qu’elle réalise, ce que j’écris n’est en rien, strictement rien, une critique, mais ce que je ne comprends pas c’est pourquoi on ne peut pas prier et vénérer sainte Theodora en la laissant reposer dans son cercueil enfermé dans le sarcophage, et pourquoi il a fallu collecter ses ossements pour les transférer dans une châsse en argent dans l’église, si magnifique soit-elle.

 

905d1 Arta, église Ste Theodora, naissance de la Vierge

 

905d2 Arta, église Ste Theodora, Marie au temple

 

J’arrête là, parce que je risque fort d’aller griller en enfer. Venons-en aux fresques, qui m’ont laissé pantois! Elles ont été réalisées en plusieurs étapes, celles de la nef centrale du vivant de Theodora, au milieu du treizième siècle, le narthex qui est du début du quatorzième a été peint en 1653, et tout le reste est de la fin du dix-huitième siècle. C’est essentiellement cette série plus récente de fresques que nous allons voir. Je suivrai l’ordre chronologique des événements de la vie de Jésus, en commençant par la naissance de Marie, sa mère, puis sa présentation au temple. Autant, bébé, elle est représentée toute petite (si elle est censée mesurer environ cinquante centimètres, Anne, sa mère, mesure alors plus de deux mètres), autant, au temple, elle paraît une grande fille car, selon le proto-évangile de Jacques, elle avait alors trois ans. Mais le dessin est touchant, surtout pour la seconde fresque, le grand prêtre accueillant l’enfant, la sollicitude des parents qui la présentent.

 

905d3 Arta, église Ste Theodora, Annonciation

 

L’étape suivante, c’est l’Annonciation. Je la présente coupée en deux images parce que l’ange Gabriel et Marie sont peints de chaque côté d’une ouverture. D’autre part, ils ne sont pas représentés en pied, on ne peut donc voir si Marie est agenouillée ou debout, etc. Mais on voit la colombe du Saint-Esprit qui vole vers elle.

 

905e1 Arta, église Ste Theodora, Transfiguration

 

Il y a tant et tant de scènes représentées dans ces fresques que je suis obligé d’opérer un choix draconien. Passons sur la naissance de Jésus, son enfance. Je ne garde que deux épisodes de sa vie avant la Passion. D’abord, la Transfiguration. On voit Jésus nimbé de lumière entre Moïse et Élie, et les trois apôtres Pierre, Jacques et Jean qui tombent à terre terrifiés quand ils entendent la voix de Dieu le Père.

 

905e2 Arta, église Ste Theodora, miracle de l'aveugle né

 

L’autre scène de la vie de Jésus que je sélectionne est un miracle, la guérison de l’aveugle. Les deux moments de la guérison sont représentés sur la même fresque, d’abord Jésus lui applique sur les yeux un peu de boue faite de sa salive et de la poussière du sol, ensuite il l’envoie se laver le visage à la fontaine de Siloé. Le peintre a soigné son décor, l’arrière-plan avec des colonnes aux chapiteaux originaux, la vasque de la fontaine décorée d’une tête de lion sculptée, etc.

 

905f1 Arta, Ste Theodora, Jésus entre à Jérusalem

 

Puis viennent les événements de la Semaine Sainte, avec l’entrée de Jésus à Jérusalem sur un âne. La foule venue en masse pour la Pâque juive l’accueille en agitant des rameaux, détail pourtant très important puisqu’il fait partie de la liturgie de ce dimanche qui porte le nom de Dimanche des Rameaux, mais qui a été ici oublié ou négligé, les enfants –toujours sous-dimensionnés– placent des vêtements sous les pas de l’âne, il y en a un qui grimpe à l’arbre pour mieux voir Jésus. La foule était enthousiaste, mais ici non seulement elle n’agite pas de palmes mais elle a un air plutôt méfiant, ce qui change complètement ce qu’exprime l’évangile.

 

905f2a Arta, Ste Theodora, fresque de la Cène

 

905f2b Arta, Ste Theodora, la Cène (détail)

 

Vient le Jeudi Saint avec la Cène. Il est curieux de voir que l’artiste, en drapant des étoffes sur les personnages, a voulu respecter les formes de l’époque de Jésus, mais sur la table le couvert comporte des couteaux complètement anachroniques. Quoique le dessin soit très personnel, les traditions sont respectées, Jean dort appuyé sur son coude devant le Seigneur, Judas met la main au plat tout en serrant, dans l’autre main, la bourse contenant les trente talents d’argent, soit… près de huit cents kilos de métal. Voir à ce sujet mon article Prespa (2). Du lundi 9 au jeudi 12 juillet 2012.

 

905f3 Arta, Ste Theodora, Judas livre Jésus

 

905f4 Arta, Ste Theodora, Pilate se lave les mains

 

Puis vient le Vendredi Saint. Judas livre Jésus, il le désigne en l’embrassant. Saint Pierre tranche l’oreille d’un serviteur du grand prêtre. Il y a le regard intense de Jésus, l’air féroce des soldats, surtout de celui du premier plan, Pierre qui a saisi le garçon par ses longs cheveux et qui le maintient, un genou pressé sur son corps tout en regardant ce qui se passe du côté de Jésus.

 

L’autre scène est celle du jugement de Pilate. Là aussi, tout y est. Les gardes emmènent Jésus qui vient d’être condamné. Il y a près de Pilate sa femme, qui lui a dit de ne pas condamner ce juste, parce qu’elle avait eu un rêve qui l’avertissait. Un serviteur verse de l’eau sur les mains de Pilate qui dit “Je me lave les mains du sang de ce juste”. Les membres du sanhédrin, qui viennent d’obtenir satisfaction, sont là aussi devant la porte. Concernant Ponce Pilate, sous son joli mais encombrant chapeau, il porte les cheveux longs, ce qui est fort étonnant pour un citoyen romain de l’époque de Tibère, né sous Auguste. Mais au moment du procès de Jésus il était, si je me souviens bien, depuis sept ans gouverneur de Judée, aussi peut-être s’était-il adapté à la mode locale, mais avec une mise en plis et un brushing parfaits. Bien sûr je plaisante, mais il serait intéressant de savoir si le peintre a seulement commis un anachronisme ou si son choix est volontaire. Pour cela, il faudrait au moins savoir qui il est, ce peintre, or nulle part je n’ai lu si les fresques étaient signées, ou si le nom de l’artiste était connu. Mais la littérature sur Arta ne s’intéresse vraiment qu’à la Parigoritissa et passe très vite sur Sainte Theodora et sur la Vlacherna. C’est dommage.

 

905g1 Arta, Ste Theodora, Thomas reconnaît Jésus

 

Les heures ont tourné, deux jours ont passé. Jésus est mort, puis le soir de ce même jour de Pâques où il est ressuscité il est apparu une première fois aux apôtres en l’absence de Thomas, qui ne veut pas croire au récit de ses collègues: “Si je ne mets pas la main dans son côté, non, je ne croirai pas”. Une semaine plus tard, toutes les portes fermées, Jésus apparaît de nouveau, mais Thomas est là. “Avance ta main, et mets-la dans mon côté”, lui dit Jésus. Alors Thomas lui dit “Mon Seigneur et mon Dieu”. Visiblement, selon l’évangile, saint Thomas n’a pas testé la plaie de Jésus avant de se repentir de n’avoir pas cru, et là encore la fresque ne colle pas au texte, mais cette fois-ci il n’y a pas de doute, c’est volontaire. Comment, en effet, faire comprendre qu’il s’agit de cet épisode si l’on voit seulement douze hommes debout devant Jésus? J’ai en mémoire une toile de Signorelli qui fait de même, une ronde-bosse de la clôture du chœur de Notre-Dame de Paris, et aussi bien sûr cet extraordinaire et terrible Caravage, à Potsdam, où Jésus guide même la main de Thomas, dont l’index soulève la chair de la plaie. Il aurait beaucoup tardé à trouver la foi. C’est donc une convention picturale largement admise par la tradition. En revanche, rien dans l’évangile, absolument rien, ne laisse penser que les apôtres s’étaient réunis en compagnie d’une femme richement vêtue. Certes, le texte ne dit pas, comme parfois, “les Douze” –et d’ailleurs Judas n’en était plus–, mais “les disciples”, ce qui peut être plus large que le cercle des apôtres, et –pourquoi pas– inclure Marie-Madeleine, la fidèle entre les fidèles. Mais si, traditionnellement, elle est représentée avec de longs cheveux, en revanche quoique riche elle n’est jamais décrite comme une coquette soucieuse d’une élégance tapageuse depuis sa conversion dans la maison du Pharisien de Capharnaüm. La présence de cette femme, Marie-Madeleine ou autre, est ici surprenante.

 

905g2 Arta, Ste Theodora, seconde pêche miraculeuse

 

Une première fois, de son vivant, Jésus avait provoqué une pêche miraculeuse. Mais une seconde fois, après sa résurrection, il dit, de la rive, de jeter les filets du côté droit de la barque. Jean le reconnaît, Pierre, qui est nu, se couvre à la hâte et se jette à l’eau pour arriver à lui plus vite. Dans l’évangile, il met sa ceinture, mais ici dans sa hâte il a juste un bout de tissu qui se desserre de ses reins dans l’eau. Quant à Jean, dans sa contemplation du Seigneur, il en oublie d’aider ses compagnons à tirer de l’eau le filet plein de 153 gros poissons (visiblement, la plus grande partie en est encore sous l’eau).

 

905g3 Arta, Ste Theodora, la Sainte Trinité

 

Quarante jours ont passé depuis Pâques, l’Ascension, Jésus est remonté aux cieux, il est assis à la droite du Père. C’est donc ici que je place cette représentation peu courante de la Sainte Trinité. Oui, la colombe du Saint-Esprit est classique, mais le Père au visage de patriarche et le Fils assis côte à côte sur un nuage rouge bordé de blanc et se tendant la main, cela ne me rappelle aucune autre œuvre.

 

905g4a Arta, église Ste Theodora, la Pentecôte

 

905g4b Arta, Ste Theodora, la Pentecôte (détail)

 

Encore dix jours, c’est la Pentecôte. Le Saint-Esprit descend sur les apôtres sous la forme de langues de feu. À vrai dire, ne voyant pas lesdites langues de feu (à moins que ce ne soient les petites marques rouges sur leur auréole), et le personnage en-dessous étant nommé “o Kosmos”, c’est-à-dire “le Monde”, je n’aurais pas su identifier l’événement, si une inscription n’avait pas été là, ne permettant aucun doute. Mais cela ne me dit pas davantage ce que le Monde vient faire là. À moins que, situé sous les pieds des apôtres, il ne soit prêt à recevoir leur parole, puisqu’il est dit que, soudainement, ils se sont mis à parler des langues étrangères. Rude coup financier pour les auteurs de la méthode Assimil, si cela se reproduisait à grande échelle…

 

905h Arta, Ste Theodora, saint Luc peint Marie

 

Dans plusieurs monastères –où la photo est bien sûr interdite– nous avons vu des icônes représentant la Panagia, la Vierge, dont on nous a assurés qu’elles avaient été peintes de la main même de saint Luc. Outre son évangile, il avait donc été un peintre très productif! Alors ici, tel l’arroseur arrosé, c’est le portraitiste portraituré. Il y a près de son auréole une inscription qui le nomme, mais c’est bien inutile, car il ne peut y avoir aucun doute sur l’interprétation de cette fresque. À part toutefois une interrogation. Les traits humains, de l’Antiquité à nos jours, n’ont pas eu le temps d’évoluer comme entre l’homme de Cro-Magnon et Jules César, je n’évoque donc pas une évolution dans le temps, mais une ethnie. Le visage de Luc n’est pas sémite, et il n’est pas non plus très Épirote. Or si, pour des portraits individuels, les peintres usent de modèles, il serait étonnant que pour ces séries de fresques où les personnages sont innombrables, l’artiste ait utilisé des modèles. Alors pour ce saint Luc, dont le visage est en gros plan, beaucoup plus gros que la plupart des visages des autres personnages, et qui en outre est un peintre, je me plais à imaginer que l’artiste anonyme s’est offert le luxe d’un autoportrait en guise de signature. Pur fantasme de ma part, bien entendu. Mais pourquoi pas?

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