7 mai 2012
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Nous avons déjà visité le musée d’Art Cycladique d’Athènes le 27 mars 2011. Et nous avions vu, au troisième étage, l’art chypriote. Mais lorsque, l’autre jour, nous sommes allés voir notre amie Evgenia qui y travaille et que nous sommes allés prendre un pot avec elle, nous avons appris que la section chypriote du musée avait été transférée dans un nouveau bâtiment, qu’elle bénéficiait de plus d’espace et d’une muséographie toute nouvelle et moderne, et que l’inauguration aurait lieu cette semaine. Aussi sommes-nous venus aujourd’hui revoir les mêmes objets mais dans un nouveau cadre. Et il est vrai que c’est très beau, très aéré, les objets sont bien mis en valeur, et plutôt que des numéros se rapportant à des légendes, chaque légende est accompagnée de la photo de l’objet qu’elle décrit. C’est très agréable. Par ailleurs, de grands panneaux explicatifs bilingues donnent des explications générales. Un seul reproche, auprès de chaque objet les commentaires ne sont pas toujours très développés. Nature de l’objet, date, et c’est tout.
Si nous suivons grosso modo l’ordre chronologique, nous commençons très loin dans le passé avec ces figurines cruciformes, double ou simple, en picrolite que l’on situe dans une fourchette de 3900 à 2500 avant Jésus-Christ. Pour les spécialistes, disons que la picrolite, qui est une variété fibreuse d’antigorite principalement composée de lizardite et de chrysotile, ne se trouve à Chypre que sur le mont Olympe qui, avec ses 1951 mètres, est le point le plus élevé de l’île. Si je donne ces précisions c’est parce que, quoique je n’aie trouvé nulle part de commentaire à ce sujet, je me demande si dans ce choix d’une pierre rare qui ne se trouve que sur un mont très élevé, il n’y a pas une signification religieuse.
Il paraît que cette figurine, également en picrolite, également de 3900-2500 avant Jésus-Christ, représente une femme accroupie au travail. Une femme, c’est sûr, car même si les excroissances au niveau de son torse sont ses bras et non des seins, son sexe est nettement dessiné. Mais pour ma part je la vois plutôt agenouillée ou même debout puisque les membres ne sont, volontairement, qu'esquissés, et je ne sais pas ce qui permet de dire qu’elle travaille.
Toujours dans la fourchette de 3900-2500 avant Jésus-Christ, cette statuette-ci est en calcaire tendre. Elle est superbe, c’est ma préférée. Les archéologues l’appellent l’Idole de Zintilis. Encore un point sur lequel j’aurais aimé quelques détails supplémentaires de la part du musée. Sur Internet j’ai pu trouver que Thanos Zintilis était un collectionneur passionné par l’archéologie chypriote. Cela ne me renseigne pas beaucoup sur cette statuette. Ailleurs, un site en anglais dit que la statuette fait partie d’un groupe de sculptures dont toutes ont la tête légèrement inclinée en arrière, des orbites profondes dans lesquelles il a pu y avoir un insert de pierre ou de coquillage, des seins en relief, les bras repliés sous la poitrine, des incisions superficielles pour marquer le pubis et pour séparer les jambes (détail pas très évident sur celle-ci), mais que le contexte archéologique de leur découverte, le village de Kidasi dans la région de Paphos, ne permet pas d’en donner une interprétation.
Quoiqu’appartenant à la période suivante, 2500-2075 avant Jésus-Christ, cette cruche composite n’en est pas moins très ancienne pour un objet aussi élaboré et esthétique.
Nous avançons encore dans le temps, 2000-1800 avant Jésus-Christ, pour cette cruche portant sur son ventre des reliefs représentant une stylisation d’hommes et de bucranes.
Ces petits objets zoomorphes en terre cuite sont des rhytons, c’est-à-dire des vases à libations. C’est pourquoi on remarque sur le cou des animaux un trou rond qui permet le remplissage, une poignée qui permet la manipulation, et un petit trou au bout du mufle qui permet de verser la libation. Ils sont contemporains des Mycéniens du Péloponnèse et de Crète (1450-1200 avant Jésus-Christ).
Ici je n’ai pas tout à fait respecté la chronologie, je reviens un peu en arrière (2000-1600 avant Jésus-Christ) parce que je n’ai pas voulu interrompre ma série de trois poteries. Ces outils sont en cuivre. On sait que c’est à Chypre que, pour la première fois au monde, on a exploité le cuivre (d’ailleurs, le nom du cuivre, kupros, est tiré du nom de l’île, et non l’inverse), et que c’est le cuivre chypriote qui a permis aux civilisations phénicienne, minoenne puis mycénienne d’asseoir leur puissance et leur richesse. On peut identifier ci-dessus un rasoir et une garde de poignard, plusieurs types de pinces, une sonde, une épingle, des clous.
Ces trois objets de terre cuite s’inscrivent dans la fourchette de 600-480 avant Jésus-Christ. Le premier, en forme de porc ou de sanglier, renferme paraît-il une bille et sert de hochet. Le second est un scribe assis qui déplie sur ses genoux un rouleau de parchemin. Quant au troisième objet, cette figurine féminine en robe hiératique et couverte de bijoux, on suppose qu’il peut s’agir d’une prêtresse de la Grande Déesse.
Ces deux figurines sont datées de la fin du sixième siècle. La première représente une femme parée de deux colliers et portant chapeau. Je trouve que son sourire rappelle celui des sculptures grecques archaïques. La seconde statuette de femme, ornée d’un seul collier mais à la coiffure très élaborée, joue du tambourin. Là encore, aucune explication supplémentaire. Je pense que s’il s’agissait d’une musicienne, ce serait une esclave, elle ne serait pas ainsi parée et serait nue ou vêtue d’une simple tunique. Je suppose donc que cette femme prend part à une cérémonie religieuse.
Cette lampe à huile d’époque classique (480-400 avant Jésus-Christ) adopte une forme très originale, ouverte, comme une petite assiette ou une soucoupe dont on aurait replié le bord avant séchage et cuisson. Cela lui donne une apparence de coquillage.
Je regroupe ces deux objets de terre cuite parce que tous deux sont situés dans la même fourchette de 480-310 avant Jésus-Christ, mais aussi parce qu’il s’agit de deux cruches de même inspiration mais de réalisation opposée. Pour être plus clair, la première est une statuette de femme portant une cruche. La décoration est plus grande que l’objet utilitaire, qui en devient l’accessoire. La seconde serait au contraire une cruche classique, si au-dessus de son bec n’était représentée en ronde bosse une femme faisant le geste de verser. Ici, l’objet utilitaire reste le principal, et la décoration l’accessoire.
Ce monument funéraire en terre cuite de 400-310 avant Jésus-Christ représente le défunt allongé dans la position d’un convive à table. Il prend part à son repas funèbre.
J’ai choisi de montrer également cette figurine vêtue d’un vaste manteau (himation) et le visage recouvert d’un masque parce que je la trouve amusante et originale. Elle date de 480-310 avant Jésus-Christ et la notice dit qu’il s’agit probablement d’un acteur. “Probablement"... mais si ce n'est pas le cas, je ne vois pas quelle pourrait être la signification de ce masque.
Pour consacrer la plus grande part de sa surface et de ses vitrines à l’art chypriote antique, le musée ne s’y limite pourtant pas et poursuit sur l’art de Chypre aux siècles et millénaires suivants. Ainsi, nous sommes maintenant à l’époque paléochrétienne (cinquième ou sixième siècle de notre ère) avec ce pendentif de pèlerin en pierre représentant deux personnages qui semblent avoir été dessinés par des enfants avec leurs membres filiformes, leur corps circulaire, deux points pour les yeux, un trait souriant pour la bouche… Le musée n’aide pas à déchiffrer le texte, et dit seulement que les personnages sont accompagnés de symboles. Je pense que l’un de ces symboles, un soleil rayonnant qu’ils tiennent en main, doit être le Christ. Je n’ose pas dire une hostie, parce qu’à cette époque on doit encore utiliser pour l’Eucharistie du pain non moulé en forme circulaire.
En revanche, cette pierre calcaire gravée sert de timbre pour imprimer sa marque dans le pain eucharistique avant cuisson, car nous avons atteint la période byzantine, entre le milieu du septième siècle et l’an 1191. Le musée donne cette date butoir de 1191 sans autre explication, ce qui est curieusement précis, à la fois par comparaison à la date de début, le septième siècle, ce qui est vague, et pour la datation d’une pierre. En fait, depuis 1184 Isaac Comnène s’était déclaré gouverneur byzantin de Chypre. En mars 1191, Richard Cœur de Lion en route pour la troisième Croisade se trouvant pris dans une tempête dut s’abriter à Chypre, ce qui n’eut pas l’heur de plaire à Isaac Comnène, lequel voulut s’y opposer par les armes. Et c’est Richard Cœur de Lion qui, sans mal, est venu a bout du Byzantin, a pris possession de l’île puis, ne sachant qu’en faire, l’a vendue aux Templiers. Voilà pourquoi on peut penser que ce timbre byzantin n’a pu être postérieur à l’arrivée des Templiers.
Encore deux objets pour nous rapprocher de l’époque contemporaine. Nous en sommes encore assez loin avec cette belle coupe à motifs floraux du quatorzième siècle.
Pour terminer, nous en arrivons au dix-huitième siècle. Ceci est une boucle de ceinture en argent sertie de nacre, et portant gravée une image de Vierge à l’Enfant, et un ange sur le côté, peut-être l’archange Gabriel puisque c’est lui qui avait annoncé la naissance. Initialement, puisque notre voyage n’était pas prévu aussi long et détaillé, nous ne pensions pas nous rendre à Chypre, mais cette exposition nous en donne une furieuse envie. Toutefois, ce n’est pas encore décidé. Nous verrons…