Nous sommes revenus à Ségeste. Lors de notre visite à Marsala, nous avons pu acheter des billets pour une représentation de l’Électre d’Euripide au théâtre antique de Ségeste. Natacha connaît un peu la légende, mais elle est surtout attirée par le cadre et la présentation, l’atmosphère. Quant à moi, je sais que je ne comprendrai pas beaucoup plus qu’elle les paroles italiennes des acteurs, mais cette pièce que j’ai lue en grec il y a bien des années, que j’ai traduite, que j’adore (ma préférée d’Euripide, avec Alkestis), je m’en souviens scène par scène et je brûle, moi aussi, de la voir jouée dans ce cadre antique.
On n’a pas le droit de monter à pied au théâtre. Il nous faut faire la queue et attendre, longtemps, les bus qui vont nous hisser là-haut. Puis nous nous installons. Certains ont apporté des coussins. Nous en possédons, que nous mettons sur nos sièges de camping, mais nous avons négligé de les prendre, oubliant que les gradins de la cavea antique sont en pierre, et que la pierre, c’est moins moelleux que le duvet d’oie. Mais le plaisir va nous faire très vite oublier ces viles considérations matérielles.
La représentation va commencer avec une bonne demi-heure de retard. Les acteurs portent des costumes librement inspirés de l’époque, mais le coryphée, celui qui vient au nom de l’auteur nous expliquer les circonstances, résumer ce que la pièce ne montre pas, est en costume contemporain. Je trouve l’idée excellente. À l’époque d’Euripide, on séparait nettement le chœur avec son chef de chœur le coryphée, des acteurs qui représentaient l’action. Dans une mise en scène adaptée au public d’aujourd’hui je pense que cela ne trahit pas les intentions de l’auteur, bien au contraire.
Voici Électre, au début, qui déplore son sort et les événements tragiques qui ont marqué sa famille. Et nous la retrouvons avec le vieillard qui va reconnaître Oreste. Elle vérifiera que c’est bien lui, après tant d’années, en reconnaissant la cicatrice laissée dans son arcade sourcilière.
Et puis voilà la terrible Clytemnestre, celle qui avec l’aide de son amant Égisthe a tué son mari Agamemnon à son retour de Troie, qui règne sur Argos avec Égisthe et qui, pour éviter les revendications de succession ou les vengeances, a donné sa fille Électre en mariage à un paysan, laquelle a pris soin d’éloigner son frère cadet Oreste pour le mettre en sûreté chez un oncle. La pièce se passe des années plus tard, quand Oreste devenu un homme revient à Argos incognito. En tuant leur mère, le frère et la sœur vont venger leur père mais commettre un matricide qui va les faire poursuivre par les Érinyes.
La pièce est finie. C’était prenant, émouvant, merveilleusement joué dans ce cadre exclusif. Nous ne sommes pas déçus. La foule non plus, car les bravos suscitent plusieurs rappels. C’est quand les acteurs se sont retirés que nous ressentons la dureté des sièges…
Il faut redescendre, à présent. Nous restons parmi les derniers à profiter de ce théâtre, mais arrive le moment où l’on ne peut plus rester. Heureusement, pour la descente, il est permis de ne pas emprunter les bus. Nous faisons donc les deux kilomètres dans la fraîcheur de la nuit et avec face à nous l’admirable spectacle du temple éclairé. Mais pour le prendre en photo il aurait fallu nous munir d’un pied… Parfait, j’en garderai jalousement l’image pour moi gravée sur ma rétine et, égoïstement, je n’en ferai profiter personne sur mon blog.