Hier, nous étions dans la citadelle du sud-est, où se trouvent la tombe d’Ali Pacha et le musée byzantin. Aujourd’hui, nous avons jeté notre dévolu sur l’autre citadelle, celle du nord-est, qui a été créée par le Normand Bohémond mais dont pratiquement plus rien ne date de lui. Il y avait ici autrefois des églises, mais en 1611 Denis le Philosophe a mené une révolte des chrétiens contre le pouvoir turc, comme je le disais dans mon article du 22 décembre, et une fois les insurgés mis en échec, les chrétiens ont été interdits de séjour intra-muros et tous les lieux de culte chrétiens rasés. Puis Aslan Pacha, qui gouvernait l’Épire à cette époque, a construit en 1618 une mosquée là où précédemment il y avait eu une église.
C’est la mosquée dite –c’est logique– Mosquée d’Aslan Pacha. Aujourd’hui, ce n’est pas en tant que lieu de culte de l’Islam qu’elle est ouverte au public, mais en tant que musée. Cela n’empêche pas le visiteur d’apprécier son architecture et sa décoration.
Ce musée est le Musée Municipal Populaire. Ce qu’il faut interpréter comme devant permettre de mieux comprendre les us et coutumes de la ville et de la région, une sorte de musée des arts et traditions populaires. Et à ce titre, le bâtiment lui-même est intéressant, indépendamment même de sa beauté sur un plan esthétique.
Ce tableau ne représente pas Aslan, mais Ali Pacha. Je ne choisis donc de montrer cette photo que pour constater l’air cruel de cet homme, car le tableau n’est ni un témoignage de l’époque de construction de la mosquée, ni un objet usuel permettant de se représenter la vie en Épire. Il est donc hors sujet.
Les objets qui se trouvent dans la grande salle de la mosquée sont essentiellement du mobilier de la communauté turque. Ces sièges et ce guéridon sont en bois de noyer, avec des incrustations de nacre.
De nombreuses armes sont présentées dans plusieurs vitrines, armes à feu ou armes blanches. De la fin du dix-huitième siècle à la fin du dix-neuvième, sentant et voyant le déclin de l’Empire Ottoman, les populations soumises à l’oppression des Turcs sont prêtes à réclamer, par la force si nécessaire, leur liberté de culte, liberté sociale, indépendance politique, car si la Grèce est indépendante en 1826, l’Épire attendra encore longtemps sa liberté. Un peu partout, on développe la fabrication et le commerce des armes, et Ioannina se fait une spécialité du travail de l’argent pour décorer crosses de pistolets ou poignées, gardes et fourreaux d’épées ou de sabres.
Plusieurs vitrines présentent des vêtements traditionnels. À gauche, cette tenue noire était portée par les femmes de Zagori, la région dans les montagnes du Pinde, au nord de Ioannina. Cette région est toujours restée à l’abri des Turcs parce que difficilement accessible et aussi du fait d'un contrat spécial avec eux, et elle a donc conservé ses caractères proprement grecs et albanais. À droite, ce vêtement brodé d’or est une tenue de cérémonie des femmes du nord de l’Épire, mais ici on sent l’influence de la décoration de style ottoman.
Le musée présente aussi toute une section consacrée aux chrétiens sous le régime ottoman. Voici deux éléments d’habits sacerdotaux, représentant à droite un Christ Pantocrator et à gauche (détail de la seconde photo) le baptême de Jésus par saint Jean Baptiste. On note la richesse des tissus, caractéristique du rite grec.
Concernant la vie quotidienne des familles aisées, voici un service (dont la date n’est pas mentionnée) ayant appartenu à un ancien député et ancien maire de Ioannina qui en a fait don au musée. S’il en a fait don, c’est qu’il était contemporain de ce musée, créé après la déposition du roi à l’époque des colonels, c’est donc un Grec, et ces objets de famille sont les témoins de la communauté grecque.
La légende dit simplement que dans cette vitrine on peut voir des articles de bijouterie traditionnelle des ateliers locaux, sans préciser leur usage. En regardant la tenue de la femme de Zagori, j’ai l’impression qu’il s’agit d’un devant de ceinture, mais alors je ne comprends pas l’usage de la chaîne que l’on voit au dos, trop courte pour être la ceinture, et à l’intérieur de la pièce d’orfèvrerie on distingue un passant par où cette plaque est fixée sur une large ceinture de cuir. Peut-être la chaîne est-elle un élément décoratif.
Cet accessoire, en revanche, ne laisse aucun doute sur son usage. La même femme de Zagori le porte sur la poitrine. On sait que l’usage habituel du soutien-gorge est très récent, quel que soit le pays considéré. Nous avons vu, le premier septembre 2010 à la Villa del Casale, dans le centre de la Sicile, de très amusantes mosaïques montrant de jeunes sportives de culture romaine impériale vêtues d’un maillot deux pièces, prouvant que pour des exercices violents les femmes de cette époque pouvaient trouver utile de se soutenir la poitrine et faisaient donc usage de cet accessoire, mais il ne s’agissait là que de circonstance particulière. Mais dans la région montagneuse du Pinde où aucune grande ville ne s’est développée, le travail de la campagne demandait de gros efforts physiques, des mouvements, et il est intéressant de noter que les femmes, sans utiliser de soutien-gorge comme sous-vêtement, portaient comme un double pectoral décoratif par-dessus leur robe des coques en argent qui, ajustées sur leur poitrine, en tenaient lieu.
Pour terminer, je choisis ces trois photos de livres. La légende dit qu’il s’agit de livres hiératiques musulmans. Ce sont donc des ouvrages religieux. Hélas, il n’existe aucune indication de date ni de provenance, pas non plus de précisions sur leur titre. Or ces livres n’en prendraient que plus d’intérêt.
À ce propos, je voudrais dire un mot de la muséographie en général. Ce musée, dont l’accès est très bon marché, ce qui le rend accessible à tous, dont l’accueil est assuré (ou du moins, était assuré le jour de notre visite) par une dame souriante, aimable, serviable, où la photo est autorisée, où l’on n’a pas l’air à chaque pas d’être soupçonné d’être un voleur ou un vandale en puissance parce que l’on n’est pas surveillé, possède de très belles et très intéressantes collections. De plus, le cadre de cette mosquée d’Aslan Pacha est beau, intéressant en lui-même, et les collections y sont présentées avec goût, de façon claire, aérée, plaisante. En outre, de grands panneaux explicatifs en grec et en anglais parlent de la mosquée, des armes, des vêtements, etc. Et c’est parce que j’ai beaucoup aimé ce musée, parce que j’en recommande vivement la visite qui est de nature à plaire autant à des adultes qu’à des enfants, que je me permets une petite critique. Elle concerne les légendes des objets. D’abord, à la différence des panneaux, elles ne sont qu’en grec. Ayant étudié le grec ancien, je n’ai évidemment aucun mal à déchiffrer l’écriture, ce qui n’est pas le cas de tout le monde. Par ailleurs, j’arrive à deviner, par rapprochement avec des mots ou des racines de mots de la langue ancienne, un certain nombre de choses, mais pas tout, loin de là. Des légendes bilingues grec et anglais, seraient les bienvenues (si, en outre, il y avait de l’italien et de l’allemand, langues de la majorité des étrangers ici, ce serait l’idéal ; je n’ose pas réclamer du français !). Et par ailleurs ces légendes, même lorsque je les comprends en grec, ne sont pas toujours suffisantes ; par exemple, dans cet article, deux fois j’ai déploré une absence de date. Mais que l’on ne s’y trompe pas, ces remarques ne sont là que du fait de la sympathie que j’ai pour ce lieu.