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7 février 2011 1 07 /02 /février /2011 20:01

639a1 Matera, le site

 

639a2 Matera, le site 

 

 

639a3 Matera, les grottes

 

En 1973, l’UNESCO inscrit Matera à l’inventaire du patrimoine de l’humanité "en tant qu’exemple intact et notable d’habitations troglodytiques dans la région méditerranéenne, parfaitement adaptée au terrain et à l’écosystème local". Ces habitats troglodytiques que l’UNESCO qualifie ainsi, organisés et urbanisés, constituent ce que l’on appelle les sassi (les roches, les pierres). Mes photos ci-dessus montrent un ravin (une gravina, en italien) et des grottes naturelles qui ont été habitées mais qui n’ont pas donné lieu au développement d’un sasso, comme cela a été le cas dans la vallée voisine.

 

En 726, l’empereur de Byzance Léon III l’Isaurien promulgue un décret ordonnant la destruction de toutes les icônes, images et statues sacrées, dans toutes les provinces de l’empire. C’est ce que l’on appelle la lutte iconoclaste. Des milliers de moines basiliens (sectateurs de saint Basile le Grand, qui a fondé l’église grecque au quatrième siècle) s’enfuient en emportant leurs icônes. Pour beaucoup d’entre eux, les grottes de Matera paraissent un refuge sûr et ils s’y installent, créant environ cent trente (oui, 130) églises rupestres. Les Lombards, plus tard, fortifient la ville, que les Normands, avec Onfroi de Hauteville (un frère de Robert Guiscard), vont conquérir en 1042.

 

639a4 Matera, implantation 

639a5 Matera, implantation 

639a6 Matera, implantation 

Sur ces photos, on voit comment la ville plus riche s’est développée au sommet entre les deux ravins, les maisons, la route, le vide. De même pour cette église. La troisième photo représente le panorama, à gauche le sasso dégringolant le long du flanc du ravin, à droite l’église qui lui fait face au sommet de l’autre falaise. Car si les quartiers plus aisés se sont développés en haut de la falaise, les plus pauvres ont aménagé les grottes naturelles, puis ont creusé dans la roche tendre pour créer des pièces supplémentaires, et les deux sassi de cette vallée se sont ainsi développés de façon anarchique. À partir du dix-septième siècle, les problèmes de surpopulation, d’extrême misère, de constructions si imbriquées que la circulation devient impossible, de logements insalubres, ainsi que les épidémies de malaria ne cessent de s’aggraver.

 

639b1 Matera 

639b2 Matera 

Relégué là en résidence surveillée par le régime fasciste de Mussolini en raison de ses opinions politiques, Carlo Levi, dans Le Christ s’est arrêté à Eboli (1945), fait connaître le problème au grand public. Dans les années 50, on transfère la population, entre seize et vingt mille personnes, dans les zones modernes de la ville.

 

639b3 Matera 

639b4 Matera 

639b5a Matera 

639b5b Matera

 

À partir des années 80, suite notamment au classement par l’UNESCO, on va assainir ces quartiers, réaménager et moderniser les sassi, qui se repeuplent progressivement. Comme on peut le voir sur ces photos, l’entassement des habitations est impressionnant, l’impression est forte, mais des ruelles, des escaliers, permettent de se déplacer (à pied) sans aucun problème. Par ailleurs, même si par sa nature, par sa beauté, par sa rareté, Matera est très touristique (moins sans doute en ce début de novembre), on n’a pas l’impression de se promener dans Disneyland, dans un décor artificiel, on sent que les gens vivent là leur vie de tous les jours. Du moins dans les quartiers rénovés, car d’autres sont encore dans un état de délabrement sordide, et personne n’y habite.

 

639c1 Matera

 

639c2 Matera 

639c3 Matera

 

Voici quelques exemples de ce que l’on rencontre. La première photo montre l’entrée d’une maison troglodyte. La seconde, l’une de ces innombrables ruelles en escaliers et en zigzags qui desservent les habitations troglodytes. Quant à la troisième, elle montre un bâtiment qui n’a pas encore été rénové. Mais voyons un peu, maintenant, des monuments. Ici, ce sont principalement des églises.

 

639d1 Matera, Sant'Agostino (16e-18e s.)

 

639d2 Matera, Sant'Agostino (16e-18e s.)

 

639d3 Matera, Sant'Agostino (16e-18e s.) 

Le couvent et l’église de Sant’Agostino (16e-18e siècles) constituent un bel ensemble construit au sommet de la ville, en bordure du ravin. Comme on le voit, la route passe à proximité, on n’est pas dans cette partie autrefois pauvre qui s’accroche aux flancs du ravin et se développe en troglodyte.

 

639e1 Matera, cathédrale 

639e2 Matera, cathédrale 

639e3 Matera, cathédrale 

639e4 Matera, cathédrale 

Tel est le cas, d’ailleurs, de toutes les églises de quelque importance, comme la cathédrale. Nous ne pourrons pas y pénétrer, ni même nous en approcher, parce que des palissades de travaux la cernent. On peut néanmoins apprécier le style roman des Pouilles de cette église du treizième siècle (1230-1270). On a également une belle vue sur son beffroi haut de cinquante mètres environ. J’ajoute deux photos de détails que j’ai pu prendre au téléobjectif, c’est cette Vierge dite Madonna della Bruna, dans la lunette du tympan sur la façade et, au-dessus du linteau du portail latéral, cet amusant alignement de têtes.

 

639f1 Matera, San Domenico 

639f2 Matera, San Domenico 

Notre promenade va nous mener vers une autre église originale, c’est San Domenico. C’est une belle église romane du treizième siècle qui surprend, encastrée qu’elle est entre sa grosse rotonde sur le flanc et sa façade coincée contre le bâtiment voisin. Ce lien entre les deux bâtiments s’explique par le fait qu’il s’agissait du couvent dont dépendait l’église. Mais on sait que lorsque l’Italie a été unifiée, les congrégations ont été dispersées et leurs biens nationalisés. Aujourd’hui, cet ancien couvent héberge la préfecture.

 

639f3 Matera, San Domenico

 

639f4 Matera, San Domenico 

639f5 Matera, San Domenico 

Mais ce qui est intéressant dans la façade, c’est cette rosace avec ses ornements. En effet, elle est surmontée d’un amusant saint Michel, mais surtout, encore plus amusant, pour assurer la symétrie, elle est supportée et maintenue de chaque côté par des petits personnages en costumes de leur époque, le Moyen-Âge, dans des postures curieuses.

 

639g1 Matera, église du Purgatoire 

639g2 Matera, église du Purgatoire 

Nous voici devant l’église du Purgatoire. Ici encore, pour montrer ce qui nous attend, des squelettes surmontent le portail, l’un d’entre eux brandissant une faux. Comme on peut le voir sur la seconde photo, cette église date de 1747.

 

639h1 Matera, San Francesco d'Assisi 

639h2 Matera, église Saint François d'Assise 

Sur une très grande esplanade l’église San Francesco d’Assisi se dresse fièrement en haut de ses marches. Elle a été construite au treizième siècle par les Frères Mineurs de saint François d’Assise, et consacrée en 1248. Elle repose sur l’église souterraine de Saints Pierre et Paul.

 

639h3 Matera, San Francesco d'Assisi 

639h4 Matera, San Francesco d'Assisi 

639h5 Matera, église Saint François d'Assise 

L’intérieur est à une seule nef. En effet les arches que l’on voit sur les côtés ne donnent pas sur des nefs secondaires, mais ouvrent sur des chapelles latérales. Des rénovations lourdes au dix-septième puis au dix-huitième siècles ont complètement changé son aspect ancien. Des stucs sont venus s’appliquer sur les murs, des ornements baroques ont fleuri ici et là.

 

639h6a Matera, église St François d'Assise, st Eustache

 

639h6b Matera, église St François d'Assise, st Eustache 

En voyant ce guerrier équipé de pied en cap, sa lance à la main, j’ai d’abord cru qu’il s’agissait de saint Michel. Et puis j’ai vu qu’il n’avait pas d’ailes, qu’il ne terrassait nul dragon. Le panonceau, à ses pieds, m’épargne la devinette (dont je n’aurais pas été capable de trouver la solution) , puis la recherche sur Internet parce qu’il est très explicatif. Ce monsieur est saint Eustache, un patricien romain, valeureux général de l’empereur Trajan. Ce qui veut dire que nous sommes au début du deuxième siècle de notre ère. Également chasseur, un jour qu’il courait un cerf de taille exceptionnelle, Jésus crucifié apparut entre les cornes de l’animal, entouré d’une lumière éblouissante. Du coup, Eustache, sa femme Theopista et ses deux fils encore tout petits, Théopistus et Agapit, se convertirent au christianisme. Évidemment, cela n’a pas été du goût de Trajan, qui lui confisqua tous ses biens et expédia la famille en exil. Alors qu’ils étaient sur le bateau qui les emmenait loin de chez eux, le commandant du bateau enleva Théopista. Débarqués ensuite dans l’embouchure d’un grand fleuve, Eustache vit ses fils emportés, l’un par un lion, l’autre par un loup. Lui, pour survivre, loue ses bras pour travailler la terre. Cette vie d’ouvrier agricole dure quinze ans, puis parce que les Parthes menaçaient d’envahir l’Empire Romain d’Orient, Trajan se souvint de ses qualités militaires et le rappela pour les combattre. Son courage, son ardeur, sa science militaire lui permirent de remporter maintes victoires et, miraculeusement, sa femme et ses fils lui furent rendus.

 

"Voilà nos gens rejoints. Et je laisse à penser

De combien de plaisirs ils payèrent leurs peines"

 

comme dit La Fontaine. Toute l’armée rentre à Rome et l’empereur Hadrien qui a succédé à Trajan invite tout le monde à rendre grâces aux dieux, à les adorer et à leur offrir des sacrifices, ce à quoi, comme on pouvait s’y attendre, cette famille chrétienne convaincue se refuse catégoriquement. Indigne offense pour l’empereur, dieu lui-même, qui fait jeter dans la fosse aux lions les quatre coupables de lèse-majesté. Mais les lions débonnaires, quoiqu’affamés, viennent se coucher à leurs pieds. Cela a le don de rendre fou de rage Hadrien qui ordonne aux bourreaux de les enfermer dans un taureau de bronze rougi au feu. Lorsque, trois jours plus tard, on voulut extraire les restes carbonisés, les corps des quatre martyrs étaient intacts, comme doucement endormis. Nuitamment, des chrétiens dérobent les corps pour leur donner une sépulture dans un lieu sûr. Plus tard, lorsque la religion est devenue libre, une église a été érigée à cet endroit.. Plusieurs siècles passent. En 994, les Sarrasins assiègent la ville. Le siège dure, Matera est sur le point de succomber, mais elle en appelle à l’intercession de saint Eustache et, le 20 mai, Matera est libérée. Depuis, saint Eustache a été déclaré patron de la cité et il est célébré le 20 mai.

 

639i1 Matera, San Giovanni Battista 

639i2 Matera, Saint Jean Baptiste 

L’église San Giovanni Battista date de 1233 et comme on le voit elle est elle aussi, comme la cathédrale, en style roman des Pouilles. De façon très curieuse, l’église ne comporte que cette entrée latérale, sans portail sur le petit côté que je n’ose, en conséquence, appeler façade et qui d’ailleurs correspond à l’abside. On se rend compte, alors, que l’édifice est encastré dans ce qui fut le couvent des Augustiniennes et qui, après leur expulsion et la nationalisation, est devenu successivement hôpital, prison, et actuellement siège de la Croix Rouge. Surplombant le portail c’est saint Jean Baptiste, le saint patron, qui est représenté. Mais au-dessus de sa tête on peut déchiffrer une date, 1503, qui correspond à une rénovation de l’édifice.

 

639i3 Matera, Saint Jean Baptiste 

Que la situation latérale de ce splendide portail ne nous empêche pas d’admirer à quel point sa pierre est ouvragée, ni de le franchir puisque cette église est ouverte.

 

639i4 Matera, Saint Jean Baptiste 

639i5 Matera, Saint Jean Baptiste 

639i6 Matera, San Giovanni Battista

 

De l’extérieur, on ne peut pas se douter que l’édifice est si imposant, si haut, avec ses magnifiques voûtes de pierre, ici à la croisée du transept. On voit aussi les voûtes avec les nervures de part et d’autre.

 

639i7a Matera, San Giovanni Battista 

639i7b Matera, Saint Jean Baptiste 

639i8 Matera, église Saint Jean Baptiste

 

La sculpture aussi est admirable. Voici deux exemples de chapiteaux, l'un avec des personnages enchaînés romans, et l'autre avec des monstres typiquement médiévaux, autour desquels s’enroule un serpent. Toute différente est cette Annonciation, dans une chapelle, avec son Dieu le Père, grande barbe blanche et cheveux longs, main levée, et Marie la main tenant son livre sur la poitrine et accueillant l’archange Gabriel et ses paroles. C’est une scène pleine d’expressivité que j’aime beaucoup.

 

639j1a Matera, église Santa Chiara 

639j1b Matera, couvent Santa Chiara (Clarisses) 

639j2 Matera, Sainte Claire

 

Pour des raisons de présentation, je ne suis pas l’ordre chronologique de notre promenade, ce qui entraîne un certain désordre géographique, ainsi que pour l’éclairement. En effet, la journée a été longue, nous avons vu des tas de choses, nous avons parcouru une bonne distance impossible à évaluer du fait de zigzags, des arrêts, des changements de rythme, ce qui fait que certaines de mes photos sont en plein soleil, celles-ci de nuit, mais que l’on va revoir le jour par la suite (ma photo prise dans la cour du MUSMA). Cette église est Santa Chiara, avec l'éponyme sainte Claire à la droite du portail. Attenant à la façade de l’église sur la gauche, dans cette même rue, se trouve le couvent des Clarisses qui, après leur expulsion, a été récupéré par l’État et qui héberge aujourd’hui, depuis 1911, le musée archéologique dont je parlerai plus loin. Cette église est beaucoup plus tardive que celles que nous avons vues précédemment puisqu’elle a été construite entre 1668 et 1702 en même temps que le bâtiment voisin qui devait être un hôpital à l’origine, avant d’être donné dès 1714 aux Clarisses.

 

639j3 Matera, Santa Chiara 

C’est une église à nef unique, relativement basse, avec des autels latéraux sans chapelles, mais dont l’arc triomphal ogival est de toute beauté, donnant au chœur tout son relief.

 

639j4 Matera, église Sainte Claire 

Je suis tombé en arrêt devant ce Petit Jésus bien joufflu, avec ses cheveux naturels, son grand manteau de velours brodé et cette énorme couronne sur sa tête. Non que je lui attribue une quelconque valeur artistique, mais parce que je le trouve amusant.

 

639j5 Matera, Santa Chiara 

Cette toile (dont je suis obligé de couper le bas, éclairé d’une lumière si violente que sur la photo il est blanc si l’on voit le haut et que le haut est noir si l’on règle sur le bas du tableau) est, paraît-il, très beau. Ah bon. Alors je le montre pour la joie des connaisseurs, dont je ne suis pas. Parce que ce saint François d’Assise qui se tortille aux pieds de Marie et de Jésus, cette sainte Claire brandissant l’ostensoir en penchant la tête d’un air niais, non, je ne vois pas ce qu’ils ont de merveilleux. En revanche, il est vrai que le reste du sujet, dans la partie supérieure, la Vierge, Jésus, les anges, sont d’une facture délicate et jolie.

 

639k1 Matera, MUSMA

 

639k2 Matera, MUSMA 

Mais j’ai montré assez d’églises. Venons-en aux musées. Nous sommes ici dans la cour d’un musée d’art moderne, le MUSMA, MUseo della Scultura contemporanea di MAtera. C’est un bâtiment ancien, le palazzo Pomarici du dix-septième siècle, partiellement troglodyte, dans un sasso. L’opposition des œuvres d’art contemporaines et d’un bâtiment de ce type est déjà, par soi-même, quelque chose d’intéressant. Il y a même une salle décorée de fresques représentant des scènes de chasse. Je vais montrer quatre des œuvres que nous avons vues, dans des genres divers, pour donner une petite idée de ce qu’est ce musée.

 

639k3 Matera, MUSMA, Narcisse (Andrea Cascella 1966) 

Cette sculpture d’Andrea Cascella datée 1966 représente Narcisse. Narcisse voudrait s’embrasser lui-même mais la surface de l’eau se trouble aussitôt qu’il la touche. L’artiste –si j’interprète correctement ce que je vois– a voulu montrer la surface plate de l’eau qui s’oppose à la tête ronde de Narcisse, car le miroir sépare par son plan les deux formes semblables, la réelle et la virtuelle.

 

639k4 Matera, MUSMA, L'Annonciation (Mario Raimondi 1934) 

Non seulement à Matera, mais partout en Italie (et ailleurs) nous avons vu des Annonciations des siècles passés, plus ou moins lointains. J’ai trouvé intéressant de leur opposer une œuvre de 1934 traitant du même sujet. Elle est de Mario Raimondi. Mais pour être moderne elle n’en est pas moins classique en ce sens qu’elle est directement figurative. Et en cela je la trouve un peu décevante. Formellement belle, mais sans grande originalité. Par ailleurs j'aime bien, selon l'attitude de Marie et l'expression de son visage, me demander comment l'artiste, peintre ou sculpteur, imagine qu'elle a accueilli l'annonce incroyable qui lui est faite, mais ici je ne vois rien du tout, je trouve qu'elle n'exprime rien.

 

639k5 Matera, MUSMA, Autoportrait (Carlo Guarienti 2004)

 

Non, ce n’est pas un autre Narcisse. L’auteur, Carlo Guarienti, a intitulé son œuvre, de 2004, Autoportrait. Et je trouve très intéressante cette idée de se représenter des deux côtés, se reflétant dans le miroir en face de soi-même se reproduisant. C’est –quand même– une sorte de Narcisse, car l’autoportrait est, en lui-même, narcissique.

 

639k6 Matera, MUSMA, Adam et Ève (Saverio Todaro 2006) 

Pour Saverio Todaro, cette œuvre de 2006 représente Adam et Ève. Dans le musée, nous nous trouvons dans un hypogée. Le garçon est assis sur une pierre située un peu plus haut que la tête du visiteur, tandis que la fille est au sol un peu plus loin. Il est intéressant de les voir dans leur contexte, mais la photo que j’en ai faite où je les cadre tous deux sur le même cliché ne serait plus lisible une fois réduite aux dimension de ce blog, aussi me suis-je résolu à publier deux autres photos séparées en les juxtaposant ce qui, j’en suis conscient, leur retire de la force. Le sujet est traité de façon originale et nouvelle. Non seulement l’artiste joue sur l’opposition des matières, le plâtre et l’aluminium, choisissant le métal pour les éléments clés de la scène, le serpent tentateur et la pomme, mais aussi il confie les rôles à des enfants, car ce premier homme et cette première femme représentent l’enfance de l’humanité. Et puis c’est bien Ève qui tend la pomme à Adam, mais c’est Adam qui est aux prises avec le démon, c’est lui qui mangera le fruit défendu. Pas d’arbre fruitier, pas d’animaux dans une végétation luxuriante de jardin d’Éden, aucun décor, rien que les deux enfants incolores aux prises avec la tentation du péché, je trouve cette sculpture très forte et très belle. C’est pourquoi j’ai choisi de la placer en dernier lieu.

 

639L1 Matera, reconstitution intérieur rupestre 

639L2 Matera, reconstitution intérieur rupestre 

639L3 Matera, reconstitution intérieur rupestre 

639L4 Matera, reconstitution intérieur rupestre

 

Lorsqu’un famille de paysans qui avait habité dans cette maison troglodyte depuis plusieurs générations s’en est allée vivre ailleurs, elle l’a donnée pour en faire un modèle d’habitat rupestre. Ce n’est pas à proprement parler un musée puisqu’il n’y a ni vitrines, ni textes explicatifs et que les accessoires du quotidien sont en situation, avec des mannequins en plâtre pour donner l’impression de la vie. Un commentaire enregistré diffusé par haut-parleurs donne des explications. On apprend ainsi que la maison ne comportait à l’intérieur ni cloisons ni portes, mais des alvéoles ce qui fait que l’âne occupe une pièce non fermée comportant un lit (qui ne lui est pas destiné…), que les espaces de travail, de cuisine, de repas généralement pas pris en famille autour de la table, mais individuellement, ne font qu’un. Pour le pittoresque, quoique cela corresponde paraît-il à la réalité, on nous présente même un homme sur le pot. Et son alvéole, bien sûr, n’a pas plus de séparation ni de porte que les autres.

 

639m1 Matera, musée Ridola, Atalante 

J’ai parlé tout à l’heure du musée archéologique qui s’est installé dans ce qui fut le couvent de Santa Chiara. Il porte le nom d’un célèbre archéologue originaire de Matera, Domenico Ridola. On peut y voir des antiquités depuis la préhistoire et jusqu’à l’époque grecque, mais c’est cette dernière période qui a offert au musée ses pièces les plus intéressantes à mes yeux, et notamment des poteries. Je vais en présenter cinq avant de clore (enfin) cet article.

 

Celle-ci représente Atalante tenant en main une dépouille de sanglier et deux lances. Derrière elle, ce guerrier nu est Méléagre. Devant elle, Aphrodite assise et Éros volant. Parce que le père d’Atalante ne voulait que des garçons, ce sale machiste exposa Atalante dans la montagne à sa naissance. Cette pratique était assez courante pour se débarrasser des enfants non désirés sans se salir les mains en les tuant. Exposés dans la forêt ou la montagne, ils étaient dévorés par un animal ou mouraient de faim et de soif, mais on n’encourait pas ainsi la colère des dieux en commettant un meurtre. C’est ainsi également qu’Œdipe a été abandonné mais recueilli par un berger. Atalante, donc, a été prise en pitié par la déesse chasseresse Artémis qui lui envoya une ourse pour l’allaiter et l’élever. Devenue adulte, Atalante fit vœu de chasteté pour rester vierge comme Artémis et devint chasseresse comme elle. Or il arriva qu’un roi ayant offert un sacrifice à toutes les divinités avait oublié Artémis qui, furieuse, avait envoyé un sanglier énorme qui ravageait la région. Pour en venir à bout, Méléagre, le fils du roi, fit appel à tous les meilleurs chasseurs, et Atalante en était. Certains de ces héros voulurent s’opposer à compter une femme parmi eux –encore des machistes– mais Méléagre tint bon et la conserva car il était tombé amoureux d’elle et, quoiqu’il fût marié à une autre, il voulait un enfant d’elle (le vilain). Après neuf jours de festin on se mit en chasse. Le sanglier tua plusieurs hommes, mais Atalante fut la première à l’atteindre d’une flèche et Méléagre l’acheva avec son couteau. À ce titre, les dépouilles lui revenaient, mais il en fit don à Atalante. Ses oncles s’indignèrent, disant que s’il n’en voulait pas il devait les leur donner à eux, ses plus proches parents. Qu’à cela ne tienne, Méléagre tua ses oncles et confirma à Atalante les dépouilles. Voilà ce que représente cette urne de 330 avant Jésus-Christ trouvée dans une tombe de Matera.

 

639m2 Matera, musée Ridola, quadrige 

J’ai choisi ce cratère de 320-310 avant Jésus-Christ parce que je trouve splendides les chevaux attelés à ce quadrige. Sur le char, les grandes ailes déployées de cette victoire ne sont pas laides non plus.

 

639m3 Matera, musée Ridola, assiette décorée 

Cette assiette représentant des poissons est très moderne. Pourtant, elle date de 310-300 avant Jésus-Christ. Je ne m’y connais pas suffisamment pour mettre un nom sur chacun de ces poissons mais ils sont très réalistes, je suis sûr qu’un poissonnier n’aurait aucun mal à les identifier. Celui de droite en haut est un poisson plat, qui nage au fond de la mer, genre sole, plie, carrelet, turbot.

 

639m4 Matera, musée Ridola, ménade

 

Sur ce cratère un peu plus ancien (360-350 avant Jésus-Christ), nous voyons une ménade en train de danser. La grâce du geste, le mouvement de sa robe légère qui vole, tout cela est admirable.

 

639m5 Matera, musée Ridola, toilette

 

Loutrophore de 325-320 avant Jésus-Christ. Il s’agit d’un récipient pour apporter l’eau du bain de la jeune mariée avant les noces. Le fait qu’il ait été retrouvé dans une tombe souligne le parallélisme entre les rites de mariage et les rites funèbres, les uns et les autres marquant le passage d’une vie à une autre, d’une condition à une autre. Il y a mort à une condition et naissance à une autre. Les objets utilisés et les rites sur le corps sont les mêmes : bain, parfum, onction. Ici, ce loutrophore est destiné à la femme ensevelie. Il la représente assise entre deux femmes lui apportant les accessoires nécessaires à sa toilette funèbre.

 

Il y a aussi à Matera une passionnante pinacothèque… où la photo est interdite, installée dans un palais du dix-septième siècle (1668-1672), le palazzo Lanfranchi commandé par l’archevêque pour en faire un séminaire, devenu lycée à l’époque du gouvernement piémontais, et aujourd’hui musée. On peut y voir beaucoup de tableaux de peintres locaux. On sait que Carlo Levi a écrit Le Christ s’est arrêté à Eboli pour raconter ses souvenirs de résidence forcée, pour dire le bien qu’il pensait des gens simples qu’il avait rencontrés, pour dénoncer la pauvreté, l’insalubrité et l’état de délaissement de la région, devenant ainsi un écrivain célèbre. Mais à la base il n’est pas écrivain, il est peintre, et durant les années de sa relégation il se consacre à la peinture, comme il le raconte dans son livre. La pinacothèque de Matera possède ainsi un grand nombre de ses toiles, et une immense fresque présentant nombre des personnages dont il parle dans son livre. C’est merveilleux, et je suis terriblement frustré de n’en pouvoir rien montrer et de n’en même pas rapporter une image pour moi-même. Je termine donc là, bien triste, mon article sur Matera.

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