Le train de Pompéi à Naples, le métro, et puis un funiculaire qui nous hisse sur le sommet du mont où se dresse le Castel Sant’Elmo. Au dixième siècle il y avait là une petite chapelle. En 1329, le roi Robert d’Anjou fit construire un fortin. Sur cette éminence, face à la mer, bien dégagé côté terre, dominant la ville, l’endroit est stratégique, aussi le vice-roi Don Pedro de Toledo fait-il renforcer au cours de son mandat (1532-1553) les défenses de la ville avec en particulier des murailles et des fortifications en étoile englobant l’ancien fortin de Robert d’Anjou. Longtemps on y a incarcéré des prisonniers considérés comme dangereux pour l’État, notamment des révolutionnaires, des républicains. Aujourd’hui, et depuis 1980, il s’y est installé des bureaux et une bibliothèque spécialisée. Ce n’est pas fermé, mais on ne visite pas.
En revanche, de là-haut, juste en face du château, on a une vue splendide sur toute la ville. Ci-dessous, on voit en particulier l’église Santa Chiara (où a été célébré San Gennaro le premier mai) avec à l’extrême gauche de ma photo la tour, et de l’autre côté le vaste rectangle de son cloître.
La Certosa di San Martino (la Chartreuse de Saint-Martin) a été fondée par le fils de Robert d’Anjou, Charles l’Illustre, duc de Calabre, en 1325, tout contre le fort. Pour les mêmes raisons topographiques qui font du mont un lieu hautement stratégique, c’est aussi un endroit très propice au recueillement et à la prière. Avec les Français en 1799 et l’instauration d’une république, les ordres religieux sont expulsés. En 1804 des Chartreux reviendront, mais moins nombreux. Et puis c’est Garibaldi, et dans le nouvel État la Chartreuse redevient bien public. On en fera un musée, que nous allons visiter maintenant.
Nous pénétrons dans la cour. Déjà, c’est le calme derrière les hauts murs. L’aspect des lieux est à la fois simple mais tout à fait monumental et beau. Sur cette cour, à notre gauche s’ouvre une chapelle.
C’est la chapelle de Saint Jean Baptiste. Là, changement de décor. L’ambiance joue sur les marbres de couleur, il y a des fresques, des ors, des statues.
La table de communion, elle, qui clôt le chœur, est très chargée, baroque. Comme le chœur et l’autel. On voit que la décoration de la nef et celle du chœur ne sont pas contemporaines l’une de l’autre.
Il y a aussi le cloître. Bien sûr, dans un monastère. Il est vaste, clair, sans aucune décoration susceptible de distraire de la prière, mais pas de fresque non plus représentant des sujets susceptibles de l’inspirer.
Aucune sculpture, à l’exception toutefois de ces crânes qui rappellent que "tu es poussière et tu retourneras en poussière", sans aller toutefois jusqu’aux extrémités des Capucins à Rome (Santa Maria della Concezione) qui créent des sculptures avec les vrais ossements de ceux d’entre eux qui les ont précédés. Et puis ces crânes sont le long d’une allée intérieure, et celui qui se contente de lire son bréviaire en suivant le portique tout autour n’a pas l’occasion de les voir.
Dans le musée, une chose très intéressante à voir, ce sont les crèches. Naples a cette réputation d’avoir des crèches anciennes magnifiques, et plusieurs crèches entières, ainsi que de multiples personnages et animaux séparés, sont présentés dans des vitrines. Le réalisme, le souci du détail le plus petit, les vêtements de vrai tissu, les couleurs, la façon dont les personnages sont disposés, tout concourt à faire de ces crèches de véritables œuvres d’art.
Cette femme qui tient une volaille embrochée porte une robe finement froncée au col, décorée de broderies et de galons dorés, et l’expression de son visage prouve que c’est une pièce unique, et non pas une quelconque poupée habillée.
Quant à ce paysan, réalisé à la fin du dix-huitième siècle ou au tout début du dix-neuvième, en terre cuite polychrome, avec des yeux de verre pour leur donner la transparence et le brillant que ne peut rendre la terre cuite, il n’est pas seulement un merveilleux travail d’artiste, il est aussi un témoignage d’un type d’homme qui vivait dans la campagne napolitaine il y a deux cents ans, les pieds enveloppés de bandes en guise de chaussettes, un gilet lacé, une veste en cuir tanné à la maison. Il joue de la musique, ses vêtements, pour être rustiques, n’en sont pas moins en bon état, le tissu de son gilet est rayé, tout cela nous montre que ce n’est pas un clochard. Mais il est pauvre, comme l’étaient des dizaines de milliers de paysans en Campanie et dans tout le sud de l’Italie, et c’est ce qui explique les vagues d’émigration qui ont touché ces régions. Il y a des centaines de personnages, riches, aristocrates, bourgeois, paysans, gamins, hommes, femmes, vieillards, prêtres, et qui exercent toutes sortes d’activités. C’est merveilleux, mais je ne peux tout montrer…
Au-dessus du portail d’entrée de la Chartreuse, un voit un bas-relief de saint Martin partageant son manteau pour en couvrir un pauvre. Je l’ai pris en photo. Mais ce n’était qu’une copie. L’original, le voilà. Il est au musée. L’écriteau dit qu’il est de Pietro Bernini (1562-1629). Non, non, ce n’est pas ce Bernini que l’on appelle Le Bernin, l’illustre peintre, sculpteur, architecte. Celui-là se prénomme Gian Lorenzo et ses dates sont 1598-1680. Y a-t-il un rapport entre eux, je l’ignore. Mais le premier pourrait à la rigueur être le très jeune père du second car il a 18 ans de plus que lui. Ce serait plus aisément un grand frère. Ou un cousin, un oncle, …une simple coïncidence de nom…
Dans une grande salle qui semble être un passage pour voitures fermé, il y a deux carrosses. C’est surtout le second qui est impressionnant, avec à l’arrière des roues plus hautes que moi. Et une décoration foisonnante démente.
Une section est réservée à des modèles de marine. Ici, une frégate de quarante-quatre canons fin dix-huitième siècle ou début dix-neuvième. L’ingénieur de marine français Jacques Noël Sané a dessiné des modèles de frégates, généralement armées de 28 canons, de 1781 à 1813. Pendant l’occupation française, Napoléon a envoyé l’ingénieur La Fosse diriger les chantiers navals de Castellammare di Stabia (la Stabies de l’Antiquité, où Pline l’Ancien a trouvé la mort dans l’éruption du Vésuve de 79 après Jésus-Christ). Cet ingénieur naval avait construit à Cherbourg, en 1798, une frégate identique à celle-ci.
Dans cette section du musée, il n’y a pas que des maquettes, il y a aussi des tableaux. Ici, c’est le Real Ferdinando en navigation dans les eaux du détroit de Messine. Le peintre est Salvatore Fergola (1799-1874). Du fait que c’est un "steamer" on pouvait deviner que ce navire était du dix-neuvième siècle. On voit aussi que dans le détroit de Messine la mer est agitée. Un de ces jours, pour passer en Sicile, nous affronterons ce détroit de seulement trois kilomètres de large.
Maquettes, tableaux, et aussi vrais bateaux. Hélas ce magnifique bâtiment de très grande longueur ne profite d’aucune explication. Rien, pas le moindre petit panonceau explicatif. C’est hélas sur cette constatation que nous quittons la Certosa San Martino.
Mais nous allons rester un long moment encore sur la place ombragée devant l’entrée, à contempler le paysage, ou plus simplement à goûter la douceur de l’air et à jouir de cette atmosphère calme et agréable. Puis nous ferons fi du funiculaire pour redescendre, préférant cheminer par les petites rues étroites en escaliers qui fleurent bon la province, dans cette ville qui a si longtemps été capitale. Et puis en bas, d’un seul coup, nous voici replongés dans cet enfer de voitures vrombissantes, de scooters qui se faufilent en débouchant on ne sait d’où, de motos qui grillent les feux et accélèrent dès qu’un centimètre s’ouvre devant elles. Ce n’est plus le même monde.