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11 octobre 2016 2 11 /10 /octobre /2016 23:55

Le château de Prague, le Hradčany, n’est pas un château au sens du château de Chambord ou du palais de Versailles. C’est un quartier de Prague, tout un ensemble de bâtiments, de rues, comprenant entre autres le château proprement dit et la cathédrale. Je ferai, plus tard, un article sur le Hradčany, mais il me semble que la cathédrale mérite, à elle seule, un article à part.

La cathédrale Saint-Guy de Prague. Du 11 au 18 septembre 2013
La cathédrale Saint-Guy de Prague. Du 11 au 18 septembre 2013

Même si je semble m’éloigner du sujet en abordant une racine indo-européenne, ce n’est qu’une apparence, on va le voir. C’est vrai, la philologie est ma marotte –l’une de mes marottes–, mais je n’en oublie pas pour autant mon sujet. Il y a une racine indo-européenne *gwiw- qui exprime l’idée de vie. En séparant la racine de la terminaison, “je vis” se dit en latin “viv-o” et en russe “жив-у” (jiv-ou). On voit que les deux mots ont la même étymologie, malgré une évolution au cours des millénaires. Il existait une déesse slave nommée Jiva, déesse de la vie, de l’amour, de la fécondité. Une sorte de Vénus ou d’Aphrodite, en somme. Et cette déesse avait sur cette colline (vous voyez, nous y voilà revenus!) un temple. Quand, dans le premier quart du dixième siècle, Venceslas Premier reçoit de Henri, duc de Saxe, roi de Francie orientale (et grand-père de Hugues Capet, l’ancêtre de nos rois capétiens), un morceau d’épaule, relique de saint Guy, un fils de paysan sicilien du quatrième siècle, martyrisé pour avoir voulu convertir le fils du gouverneur romain, Venceslas choisit ce lieu pour bâtir une petite église circulaire qui recevra la relique. En effet, dérivé du verbe latin “vivo”, la vie se dit “vita”, et précisément le nom de Guy se dit Vit en tchèque. Le saint de la vie, pour un chrétien, remplace la déesse de la vie, pour un païen slave. Un jeu de mots qui permet la substitution d’une religion à la précédente.

 

En 973, Prague devient évêché, et l’église Saint-Guy est choisie pour siège épiscopal. Sans doute est-elle un peu trop modeste pour cette fonction, aussi moins d’un siècle plus tard, en 1060, la remplace-t-on par une grande basilique romane à trois nefs. Quand, en 1344, l’évêché est promu archevêché, le roi Jean de Bohême, père du grand Charles IV, décide d’un nouveau remplacement. Cela va être la cathédrale que nous allons visiter.

La cathédrale Saint-Guy de Prague. Du 11 au 18 septembre 2013
La cathédrale Saint-Guy de Prague. Du 11 au 18 septembre 2013

Nous devons donc nous rendre sur cette colline qui domine le quartier de Malá Strana, de l’autre côté du fleuve par rapport à la Vieille Ville. Sur sa hauteur, on repère de loin la cathédrale.

 

La construction de la cathédrale St-Guy (chrám Sv. Vita) a commencé, disais-je, en 1344. Elle s’est poursuivie peu à peu, interrompue, reprise, et n’a été achevée qu’en… 1929. Là ne s’arrête pas l’histoire, parce qu’au terme de la conférence de Yalta la Tchécoslovaquie tombe aux mains des communistes qui, on le sait, n’aiment pas les religions. Les siècles passent, mais les réactions humaines restent les mêmes: divinisés, les empereurs romains asseyaient leur pouvoir sur le culte qui devait leur être rendu, aussi toute autre religion leur faisait de l’ombre et semblait menacer leur pouvoir, d’où les persécutions des Chrétiens. De même, les Bolchéviques avaient voulu répandre la foi dans l’idéologie marxiste et dans les fondements de la Révolution d’Octobre, et qui dit foi dit religion. Toute autre religion doit être rejetée, pourchassée, interdite. En 1954, le pouvoir communiste confisque la cathédrale qui, de ce fait, devient un bien national. La Révolution de Velours de 1989 n’a pas empêché le nouvel État démocratique de se considérer propriétaire du bâtiment. Dès 1992, l’Église catholique et l’administration du Hradčany attaquent l’État en justice pour obtenir la restitution. Passons sur tous les épisodes judiciaires et sur les querelles juridiques qui ont duré des années, mais enfin en 2006 la cathédrale est rendue à l’Église catholique. Point final? Que nenni! En 2007, le jugement est annulé par la Cour suprême, le bâtiment revient dans le giron de l’État. À ma connaissance, à ce jour un compromis n’a pas encore été trouvé, mais chacune des deux parties reste campée sur ses positions. Ce que nous visitons est par conséquent un bâtiment public.

 

Sur mes photos, on voit la tour campanile de 96,50 mètres de haut, coiffée d’un bulbe, dont la construction a commencé vers 1396. Elle n’était pas achevée lors de la révolution hussite (après l’exécution de Jan Hus sur le bûcher), et ces événements ont interrompu sa construction en 1419. Un peu plus d’un siècle passe, et voilà qu’en 1541 un incendie se déclare, qui endommage gravement la construction. Lors de la reconstruction de 1560-1562, a été montée une galerie renaissance sur ce qui avait pu être conservé de la tour gothique. Mais de 1879 à 1899 on procède à une complète reconstruction.

 

Et le campanile abrite, là-haut, la plus grosse cloche de la République Tchèque. Elle date de 1549, est couverte de décorations en relief, pèse environ 15 tonnes, si bien que quatre hommes doivent conjuguer leurs forces pour la mettre en mouvement tandis que deux autres manipulent le battant. Selon la tradition, s’il arrive que le battant se brise, cela annonce une catastrophe. Or le 15 juin 2002, le battant s’est brisé. À Prague, on s’attendait au pire, et le pire est arrivé sous la forme des inondations d’août (voir mon article Événements à Prague).

La cathédrale Saint-Guy de Prague. Du 11 au 18 septembre 2013
La cathédrale Saint-Guy de Prague. Du 11 au 18 septembre 2013

Nous n’avons pas eu accès (c’est un comble!) au si réputé flanc sud de la cathédrale. À défaut, ces deux portails du flanc nord, et ce beau heurtoir, viennent un peu nous consoler.

La cathédrale Saint-Guy de Prague. Du 11 au 18 septembre 2013
La cathédrale Saint-Guy de Prague. Du 11 au 18 septembre 2013

Lorsqu’on arrive, après avoir traversé la cour, on passe sous un porche, et l’on découvre la façade ouest de la cathédrale. Lors de ma première visite, il pleuvait, je suis resté un moment sous le porche pour prendre des photos des portails, de leurs tympans, des lourds portails de bronze. Je l’ai dit, cette cathédrale n’a été achevée qu’en 1929, et c’est par cette façade que la construction s’est terminée lors des travaux de 1861 à 1929. Ainsi, cette apparence gothique date de la fin du dix-neuvième siècle et du début du vingtième. Sur le détail de bas-relief que je montre, les soldats, en se bagarrant, jouent aux dés le vêtement du Christ.

La cathédrale Saint-Guy de Prague. Du 11 au 18 septembre 2013
La cathédrale Saint-Guy de Prague. Du 11 au 18 septembre 2013
La cathédrale Saint-Guy de Prague. Du 11 au 18 septembre 2013
La cathédrale Saint-Guy de Prague. Du 11 au 18 septembre 2013

Quelques images montrant les sculptures en haut-relief des portails de bronze de la façade ouest. Ce sont des œuvres du vingtième siècle. Entre les panneaux, sur les montants, sont représentées des têtes comme celle de ma quatrième photo.

La cathédrale Saint-Guy de Prague. Du 11 au 18 septembre 2013
La cathédrale Saint-Guy de Prague. Du 11 au 18 septembre 2013

Sur ce genre de bâtiment, il y a toujours des gargouilles, et il est de tradition d’en montrer, parce qu’elles représentent des animaux fabuleux, des personnages grotesques, des diables, etc. Mais on préfère lever le nez quand il fait sec, et elles se détachent alors sur un beau ciel bleu alors que leur fonction est de cracher l’eau de pluie. Eh bien j’ai eu la “chance” de venir un jour de pluie, et d’en voir une en action!

La cathédrale Saint-Guy de Prague. Du 11 au 18 septembre 2013
La cathédrale Saint-Guy de Prague. Du 11 au 18 septembre 2013

Pénétrons à présent dans la cathédrale. Considérée comme immense à son époque, la cathédrale romane faisait soixante-dix mètres de long. L’actuelle cathédrale gothique qui la remplace mesure cent-vingt-quatre mètres sur soixante. Pas étonnant que l’on ressente une telle impression de grandeur. Au fond de la nef, le chœur est décoré de beaux vitraux.

La cathédrale Saint-Guy de Prague. Du 11 au 18 septembre 2013
La cathédrale Saint-Guy de Prague. Du 11 au 18 septembre 2013

En regardant la nef dans l’autre sens, depuis le transept, on peut admirer la grande rosace du côté ouest (puisque le chœur est, comme c’est la tradition, tourné vers l’est). Puisqu’elle décore la façade, elle a été posée à la fin de la construction, en 1929. Pour réaliser cette œuvre d’art multicolore, il a fallu pas moins de vingt-cinq mille pièces de verre.

La cathédrale Saint-Guy de Prague. Du 11 au 18 septembre 2013

Levons les yeux. Les fines nervures sur lesquelles repose la voûte de la grande nef contribuent à l’impression de légèreté de la construction.

La cathédrale Saint-Guy de Prague. Du 11 au 18 septembre 2013

Arrêtons-nous un instant pour admirer cet escalier gothique de 1493. Il mène à la tribune royale.

La cathédrale Saint-Guy de Prague. Du 11 au 18 septembre 2013
La cathédrale Saint-Guy de Prague. Du 11 au 18 septembre 2013
La cathédrale Saint-Guy de Prague. Du 11 au 18 septembre 2013
La cathédrale Saint-Guy de Prague. Du 11 au 18 septembre 2013

Les évêques de Prague ont été enterrés dans leur cathédrale. Au sol, on voit par exemple la dalle de l’évêque Šebíř (Sévère), mort en 1066. Tiens, c’est justement l’année de la bataille d’Hastings, quand Guillaume de Normandie vainc Harold et se fait sacrer roi d’Angleterre, qui a donné lieu à la tapisserie de Bayeux. Mais cette fois-ci, je suis complètement hors sujet.

 

La seconde dalle que je montre est celle de l’évêque Vališ (Valentin) mort en 1182. La troisième recouvre l’évêque Jan II, mort en 1236. Et la quatrième marque la tombe de l’évêque Bernard, mort en 1240.

La cathédrale Saint-Guy de Prague. Du 11 au 18 septembre 2013

Les tombes ne sont pas toutes signalées par une simple dalle, très loin de là. Par exemple, ci-dessus ce sarcophage est surmonté du gisant en marbre du cardinal Jan Očko z Vlašimi, intronisé en 1364 et mort en 1378.

La cathédrale Saint-Guy de Prague. Du 11 au 18 septembre 2013
La cathédrale Saint-Guy de Prague. Du 11 au 18 septembre 2013

Mais le plus riche est un tombeau baroque en argent massif achevé en 1736, œuvre d’Ignác Platzer. Il a été réalisé pour honorer saint Jean Népomucène. La décoration en est tellement chargée que j’ai du mal à l’admirer… Je préfère n’en montrer que ces deux détails. Si on veut le voir en entier, il a été tellement photographié par les touristes –ce qui prouve qu’il correspond au goût d’un grand nombre– qu’il suffit de regarder sur Internet, il s’y répète à l’infini.

La cathédrale Saint-Guy de Prague. Du 11 au 18 septembre 2013

Ce monument, en revanche, ne semble intéresser personne, les touristes passent devant lui sans s’arrêter, et même sans y jeter un coup d’œil. Intrigué, j’ai regardé sur Internet: on ne l’y trouve presque jamais. C’est le tombeau, sculpté par Mathias Bernard Braun, du haut chancelier du royaume de Bohême et feld-maréchal comte Léopold Šlik (1663-1723), un Autrichien dont le nom s’écrit en langue allemande Schlik.

La cathédrale Saint-Guy de Prague. Du 11 au 18 septembre 2013

Il y a encore bien d’autres pierres tombales ou monuments, dont je n’ai pas toujours trouvé le nom du titulaire. D’autant plus que beaucoup, quand je les trouve, me sont inconnus. Mais celui-ci a fière allure dans sa cuirasse.

La cathédrale Saint-Guy de Prague. Du 11 au 18 septembre 2013

Laissons donc les tombeaux. Mais hélas je ne sais pas non plus qui sont ces deux personnages, à droite et à gauche. Une chose est sûre, au centre c’est sainte Anne apprenant à lire à Marie.

La cathédrale Saint-Guy de Prague. Du 11 au 18 septembre 2013

Le premier de ces hommes porte une croix, et les deux autres une mitre sur la tête et une crosse à la main. Le premier, donc, n’est pas un évêque. Saint Jean Népomucène, peut-être? L’un des deux évêques est sans doute saint Adalbert, en tchèque saint Vojtěch, titulaire de 982 à 996. Car on appelle cette cathédrale Saint-Guy, pour faire court, mais en réalité elle est dédiée aux saints Guy, Venceslas et Adalbert.

La cathédrale Saint-Guy de Prague. Du 11 au 18 septembre 2013

Chacune des chapelles recèle des trésors, comme ce triptyque représentant la Visitation où Élisabeth accueille sa cousine Marie, dans la Chapelle Impériale dédiée à Notre-Dame.

La cathédrale Saint-Guy de Prague. Du 11 au 18 septembre 2013

Encore une belle statue, ce saint Michel terrassant non un dragon, comme est généralement représenté le diable, mais un être humain avec les cornes et les ailes de Satan, et un serpent qui s’enroule sur son ventre.

La cathédrale Saint-Guy de Prague. Du 11 au 18 septembre 2013
La cathédrale Saint-Guy de Prague. Du 11 au 18 septembre 2013
La cathédrale Saint-Guy de Prague. Du 11 au 18 septembre 2013

L’auteur de ce vitrail réalisé probablement en 1928, est Josef Cibulka (1886-1968). L’ensemble des panneaux est intitulé Attestation des actes de miséricorde.

La cathédrale Saint-Guy de Prague. Du 11 au 18 septembre 2013

Ce vitrail représente, de gauche à droite, l’évangéliste saint Luc en train d’écrire son évangile, tenant le livre et la plume; saint Joseph portant l’Enfant Jésus dans ses bras; le roi saint Sigismond, couronne en tête et glaive en main; et saint… le nom du quatrième, qui porte une robe brune de moine, est caché par je ne sais quoi. Il commence par Gu- et finit par -ius ou -nus ou -mus, aussi je propose Gulielmus, c’est-à-dire saint Guillaume, un moine bénédictin de l’abbaye de Cluny, mort en 1031. Sous toutes réserves.

La cathédrale Saint-Guy de Prague. Du 11 au 18 septembre 2013
La cathédrale Saint-Guy de Prague. Du 11 au 18 septembre 2013
La cathédrale Saint-Guy de Prague. Du 11 au 18 septembre 2013
La cathédrale Saint-Guy de Prague. Du 11 au 18 septembre 2013

Ici nous sommes dans la “chapelle du Nouvel Archevêque”, où nous contemplons de merveilleux vitraux peints à l’huile sur verre, ce qui n’est pas banal. Offerts par la banque Slavia, ils datent de 1931 et sont l’œuvre, en style Sécession, de l’un des initiateurs –et non des moindres– de l’Art Nouveau, le grand Alfons Mucha (1860-1939). Natif de Moravie, il étudie à Brno puis, refusé à l’académie des Beaux-Arts de Prague, il va travailler à Vienne. En 1887, on le retrouve à Paris où il réalise des illustrations, des affiches, travaille pour Sarah Bernhardt. En 1906, il part pour les États-Unis, New-York, Chicago, Philadelphie, puis en 1910 il retourne dans son pays et s’établit à Prague. Cet artiste, parce qu’il était franc-maçon, a été interrogé par la Gestapo en 1939 avec les méthodes qu’il n’est pas nécessaire de décrire et, quelques jours plus tard, la pneumonie qu’il a contractée l’emporte. On jette son corps à la fosse commune.

 

Le sujet représenté sur ces vitraux est celui du baptême du prince Bořivoj par saint Méthode. Auprès de lui, sa femme sainte Ludmila et son fils saint Venceslas. Cette œuvre me plaît beaucoup, mais j’avoue ne pas être capable de détailler qui est où. Je me contente donc de répéter bêtement ce que j’ai lu.

La cathédrale Saint-Guy de Prague. Du 11 au 18 septembre 2013
La cathédrale Saint-Guy de Prague. Du 11 au 18 septembre 2013

Laissons là les vitraux. Je m’arrête un instant en passant devant cette porte en bois, finement sculptée en bas-relief. Ici je n’ai pas de difficultés pour identifier les personnages représentés, parce que leurs noms sont inscrits au-dessus de leurs têtes. À gauche c’est saint Procope, et à droite, avec autour du cou l’écharpe qui a servi à l’étrangler, c’est sainte Ludmila.

La cathédrale Saint-Guy de Prague. Du 11 au 18 septembre 2013
La cathédrale Saint-Guy de Prague. Du 11 au 18 septembre 2013

Surprenante, est la Chapelle Saint-Venceslas, datée de 1365 et construite autour du tombeau (à droite sur ma photo) du saint roi dont elle porte le nom. Ce tombeau, en fait, est un cénotaphe, parce que les restes de Venceslas sont sous le sol. On est d’abord frappé par l’incrustation, dans le bas des murs, d’une multitude de pierres semi-précieuses, environ mille trois cents, qui sont originaires de Bohême. Et puis, au-dessus, il y a les fresques sur les murs, les unes du quatorzième siècle, d’autres du seizième, et il y a cette statue.

La cathédrale Saint-Guy de Prague. Du 11 au 18 septembre 2013

Notons ce blason de Prague, qui porte l’inscription PRAHA MATKA MEST, “Prague, mère des villes”. Il est vrai que Prague est un joyau, mais la dire mère des villes c’est un peu prétentieux, parce que d’autres avant elle, Athènes, Rome, pour s’en tenir à l’Europe, et puis Paris, Venise, Florence, des villes de Flandre, l’ont précédée. Quand on construit la cathédrale Saint-Guy, on fait appel à un architecte français, quand Charles IV embellit et développe sa capitale, il fait appel à des étrangers ou copie des monuments d’autres pays. Prague aujourd’hui vaut certes bien des villes, mais elle en est la fille, non la mère.

La cathédrale Saint-Guy de Prague. Du 11 au 18 septembre 2013
La cathédrale Saint-Guy de Prague. Du 11 au 18 septembre 2013

Parfois, on a l’impression que sainte Ludmila est plus vénérée que saint Venceslas. Et ses représentations sont plus ou moins réussies. Celle de ma seconde photo ci-dessus, dans son réalisme, est assez émouvante.

La cathédrale Saint-Guy de Prague. Du 11 au 18 septembre 2013

Et enfin cette Vierge à l’Enfant. Jésus n’est vraiment pas un joli bébé, mais Marie est plutôt agréable à regarder, quoiqu’elle ait le visage légèrement empâté. Mais pourquoi, sous le prétexte qu’elle est la mère de Dieu, pourquoi, sous le prétexte qu’il est Dieu incarné, faudrait-il que ce soient des modèles de beauté? La société moderne tente de lutter (avec plus ou moins de succès, avouons-le) contre le “sois belle et tais-toi”, il serait temps qu’elle s’attaque également au même problème concernant la sainteté! Et en ce sens, cette statue me plaît bien.

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9 octobre 2016 7 09 /10 /octobre /2016 23:55
Événements à Prague. Du 11 au 18 septembre 2013

Ce que j’intitule ici “événements”, ce sont quelques activités, spectacles, sorties, observations qui ne sont pas des visites de musées, églises, châteaux, lieux historiques, ni de simples balades en ville. Par exemple, ce sera de venir au pied de la tour de l’hôtel de ville de Prague quelques instants avant que la grande aiguille atteigne le 12.

Événements à Prague. Du 11 au 18 septembre 2013
Événements à Prague. Du 11 au 18 septembre 2013

D’abord, on peut admirer le cadran inférieur et les statues qui l’entourent. Mais cela peut se voir à n’importe quelle heure du jour.

Événements à Prague. Du 11 au 18 septembre 2013

Non, ce qui est plus remarquable, et disons: plus touristique, c’est le cadran astronomique. Il y a quelques jours, nous étions dans la cathédrale de Strasbourg, et nous en admirions l’horloge astronomique. Et aujourd’hui, à Prague, en voici une autre, tout aussi célèbre.

Événements à Prague. Du 11 au 18 septembre 2013

Le moment où l’horloge se met en marche attire bien du monde. Si l’on considère que dans la plupart des pays d’Europe la rentrée des classes a lieu entre le quinze août et le début septembre, que la reprise des adultes se coordonne bien souvent avec la rentrée des classes, et que nous sommes, au moment de ma photo, le quatorze septembre, on a du mal à imaginer ce que cela doit être en pleine saison!

Événements à Prague. Du 11 au 18 septembre 2013
Événements à Prague. Du 11 au 18 septembre 2013
Événements à Prague. Du 11 au 18 septembre 2013

La présentation, ici, est différente de celle de Strasbourg, les personnages apparaissent dans deux fenêtres. Reste à les identifier. Sur mes photos, je ne sais pas qui sont ceux qui apparaissent dans la fenêtre de gauche, mais à droite, avec son énorme clé du Paradis, c’est saint Pierre, et je crois que ce que l’autre, à droite sur ma seconde photo, tient en main c’est une épée, il s’agit donc de saint Paul. Mais je ne m’attarderai pas davantage ici, parce qu’il faut le voir en mouvement, et que mes photos statiques manquent d’intérêt.

Événements à Prague. Du 11 au 18 septembre 2013
Événements à Prague. Du 11 au 18 septembre 2013
Événements à Prague. Du 11 au 18 septembre 2013

Autre curiosité de Prague, le mur Lennon. En face, l’ambassade de France. Derrière le mur, les jardins des chevaliers de l’Ordre de Malte, dont il est la clôture. Il est inutile, je pense, que je parle de l’engagement pacifiste du Beatle John Lennon, de sa critique de la guerre du Vietnam, qui lui vaut pendant un temps l’interdiction de retour sur le territoire des États-Unis, etc. À l’époque, la Tchécoslovaquie subit un régime communiste dictatorial, toute expression dissidente est immédiatement réprimée de façon musclée. La population, et en particulier la jeunesse, a été traumatisée par l’intervention des chars russes au printemps 1968 pour écraser brutalement le mouvement de pourtant bien timide émancipation initié. Dans ce contexte, John Lennon est symbole de liberté et de paix. Chez les étudiants, qui sont dans leur immense majorité favorables à un changement de régime, ou tout au moins à un assouplissement, John Lennon est considéré comme un modèle, voire une idole. Mais le 8 décembre 1980, il s’écroule, frappé de quatre balles à la sortie du studio d’enregistrement. Dans ces conditions, on imagine le choc que produit cet assassinat dans le milieu estudiantin. Clandestinement, un inconnu dessine sur ce mur le visage de Lennon. Très vite, le mur devient un lieu d’expression du mécontentement et des aspirations à la liberté. Les autorités communistes, dès qu’apparaissent des graffiti qui leur déplaisent, les font effacer. De temps à autre, c’est même l’ensemble du mur qui est intégralement passé à la peinture. Mais les graffiti reviennent, dessins, slogans, jusqu’à 1989, la chute du mur de Berlin et l’émancipation des pays du Pacte de Varsovie. Depuis, le mur a toujours gardé sa vocation de surface d’expression, même si, avec les années, la politique, le pacifisme, laissent bien souvent la place à des inscriptions et des dessins qui s’éloignent de l’esprit de décembre 1980. Il n’empêche, il vaut la peine d’aller le voir.

Événements à Prague. Du 11 au 18 septembre 2013
Événements à Prague. Du 11 au 18 septembre 2013

Sur le mur de ce bistro, à gauche de l’arche de la porte, on distingue une inscription. Je la montre ensuite en gros plan. Elle indique le niveau atteint par l’eau le 14 août 2002 lors de la dramatique crue de la Vltava (Moldau). À l’époque, nous étions allés par la route en vacances chez mes beaux-parents en Biélorussie et je devais justement à ce moment-là rentrer dans la banlieue parisienne où j’étais en poste, pour préparer la rentrée. La République Tchèque n’était pas seule touchée, l’Allemagne aussi, que nous devions traverser. Les informations étaient alarmantes, le Pont Charles risquait d’être emporté, nombre de routes et d’autoroutes d’Allemagne étaient coupées. Heureusement, le Pont Charles a résisté, nous avons pu rentrer, mais je plains vraiment les riverains de ce fleuve, car j’imagine les terribles dégâts qu’ils ont dû subir, avec des rez-de-chaussée inondés jusqu’au plafond!

Événements à Prague. Du 11 au 18 septembre 2013

Puisque nous parlons d’eau, justement voici une citerne qui porte un nom bien connu chez nous, Veolia. Je lis “Pitná voda”, et là, merveille, je comprends sans dictionnaire. “Eau potable”. L’étymologie de pit-/pot- en latin, en grec, en sanscrit exprime l’idée de boire. Et comme tchèque et russe sont deux langues slaves, on peut faire le rapprochement avec le russe voda=eau (la vodka, avec le diminutif –ka, est de la “petite eau”). Prague est une grande ville très développée, mais il faut peut-être comprendre que l’eau du robinet n’est pas potable, s’il est nécessaire de délivrer de l’eau potable par citerne roulante.

Événements à Prague. Du 11 au 18 septembre 2013
Événements à Prague. Du 11 au 18 septembre 2013

Les marionnettes tchèques sont mondialement réputées. Trois ou quatre fois déjà je suis venu à Prague, et jamais je n’y ai assisté à un spectacle de marionnettes. Cette fois-ci, nous allons combler cette lacune. Dans mon dernier article, nous avons vu que c’est à Prague que Mozart a donné la première de son opéra Don Giovanni, ou Don Juan, le 29 octobre 1787, et pour cette raison le Théâtre National des Marionnettes donne, presque chaque jour nous dit-on, une adaptation du Don Juan de Mozart. Nous avons assisté à la cinq mille quatre vingt-troisième. Une autre plaque signale que dans ce théâtre a été créée le 20 mai 1929 l’Union internationale de la marionnette (titre rédigé en français d’abord, puis en tchèque).

Événements à Prague. Du 11 au 18 septembre 2013

Nous nous installons dans la salle. Il est dit qu’elle a été construite en 1928 en style art déco. Le spectacle que nous allons voir n’est pas donné qu’ici dans cette salle, il a été présenté dans divers pays d’Europe, d’Afrique, d’Asie, entre autres en 2010 à l’Exposition universelle de Shanghai.

Événements à Prague. Du 11 au 18 septembre 2013
Événements à Prague. Du 11 au 18 septembre 2013
Événements à Prague. Du 11 au 18 septembre 2013
Événements à Prague. Du 11 au 18 septembre 2013

Ci-dessus, je montre quelques images prises pendant le spectacle. Il est évident qu’il n’est pas question d’utiliser un flash, aussi les éclairages sont-ils peu satisfaisants pour la photo. Et comme, de plus, je ne peux joindre la merveilleuse musique de Mozart, je suis conscient que ces images sont peu significatives de ce qui se passe réellement dans le théâtre. Mais on peut constater, surtout sur la dernière de ces photos, que les manipulateurs ne cherchent pas à cacher leurs mains lorsqu’ils actionnent les marionnettes, car le spectacle, dans lequel des éléments comiques ont été introduits, n’est pourtant pas fait pour les enfants, il ne cherche pas à créer un monde d’illusion.

Événements à Prague. Du 11 au 18 septembre 2013
Événements à Prague. Du 11 au 18 septembre 2013

D’ailleurs, le Commandeur n’est pas une marionnette, mais un acteur en chair et en os qui, pour cette raison, apparaît beaucoup plus grand que les autres personnages. Il a aussi, par la force des choses, une autre façon de bouger et de se déplacer. Parce qu’il vient de l’au-delà, il ne peut être de même nature que les vivants. D’autre part, pour le final, nous voyons se dresser dans la fosse le chef d’orchestre, qui dirige la musique. Pendant toute la représentation, c’est la musique d’un CD que nous avons entendue, et c’est donc la preuve d’une remarquable virtuosité de la part du manipulateur que la marionnette soit exactement en phase avec la musique enregistrée, et fasse les gestes adéquats, même s’ils sont exagérés de façon burlesque.

Événements à Prague. Du 11 au 18 septembre 2013

Eh bien le moment est venu d’applaudir les marionnettistes. Ils sont nombreux, car à certains moments les personnages en scène sont plusieurs et, à l’évidence, une seule personne ne peut en animer plus d’un à la fois. Voilà, nous allons quitter cette salle.

Événements à Prague. Du 11 au 18 septembre 2013

Le 11 septembre, alors que Natacha est à son congrès, je me promène seul dans Prague. Et, sous le Pont Charles, je suis intrigué par un rassemblement qui paraît officiel, auprès d’une Jeep militaire.

Événements à Prague. Du 11 au 18 septembre 2013
Événements à Prague. Du 11 au 18 septembre 2013
Événements à Prague. Du 11 au 18 septembre 2013

Oui, en effet, c’est bien une cérémonie officielle, où un drapeau américain est brandi à côté du drapeau tchèque. Un groupe d’enfants en uniforme est appelé à y participer. Je ne comprends pas un mot de ce qui est dit, mais quand tout est terminé, je peux aller voir la plaque devant laquelle cela se passait. Le 11 septembre… bien sûr… c’est la commémoration du terrible acte terroriste qui a fait s’écraser sur les Twin Towers de New-York des avions de ligne en 2001. Il y est dit, en tchèque et en anglais “Un pompier est une personne qui vit deux vies, l’une pour lui-même et une pour les autres. Par conséquent la vie d’un pompier comporte une vraie compréhension de tout ce qui est humain. Dédié à la mémoire des 343 pompiers de New-York qui ont perdu la vie le 11 septembre 2001. Nous n’oublierons jamais”. Quant à la Jeep, sa plaque indique qu’elle appartient à l’ambassade des USA et qu’elle est immatriculée comme véhicule historique (libération de 1944). Un petit panonceau dit, à côté du drapeau étoilé et en anglais “Notre perte ne sera pas oubliée”.

Événements à Prague. Du 11 au 18 septembre 2013

Comme Vienne, Prague est réputée pour ses cafés. Et dans ce pays qui n’est pas passé à l’Euro, le change fait que les prix y sont très raisonnables. Nous ne nous sommes donc pas privés des meilleurs établissements. Parmi eux, le café Slavia. J’ai flouté deux visages de consommateurs, je pense que les autres ne sont pas reconnaissables.

Événements à Prague. Du 11 au 18 septembre 2013
Événements à Prague. Du 11 au 18 septembre 2013

Un autre café célèbre et réputé, le café Louvre, créé en 1902 et nommé en référence au grand musée parisien. Albert Einstein, qui a enseigné à l’université allemande de Prague en 1911-1912, était un fidèle du lieu, il y avait ses “mardis”, il y rencontrait George Pick et le futur professeur d’astronomie Vladimir Heinrich. La notice –en anglais– que j’ai photographiée au foyer du café, que je lis tout en rédigeant mon article et d’où je tire ces informations, cite d’autres noms que parfois je ne connais pas, d’autres que je connais un peu ou très bien, parmi les habitués du café Louvre. Dès 1902, il a été choisi pour la tenue des réunions du Cercle philosophique allemand de Franz Brentan (1838-1917) qui comptait parmi ses membres le psychologue expérimental Josef Eisenmeyer, le futur professeur d’esthétique Emil Utitz (1883-1956), les philosophes Oskar Kraus (1872-1942) et Hugo Bergmann (1883-1975), et des étudiants en droit parmi lesquels Felix Weltsch, Max Brod, Franz Kafka. L’acteur tchèque Eduard Vojan (1853-1920) y avait sa table. En 1913, Otto Pick et Franz Werfel l’ont rejoint. Souvent aussi, des écrivains sont venus y rédiger leurs œuvres. Je n’ai cité que des hommes, parce qu’il était mal vu, pour une femme, de fréquenter un café sans son père, son frère ou son mari, mais précisément c’est là que des féministes des classes sociales supérieures sont venues tenir leurs réunions. Le 15 février 1925, trente-huit écrivains se sont réunis au café Louvre pour l’assemblée générale constituante du centre tchèque du Pen Club, et le premier dîner du Pen Club, au café Louvre, a été honoré de la présence du président Masaryk. Et c’est dans ce lieu qui a vu défiler tant de célébrités que plusieurs fois nous sommes allés prendre un café, déguster un gâteau, ou prendre un repas, comme le montre l’assiette de ma photo. Oui, une excellente adresse.

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7 octobre 2016 5 07 /10 /octobre /2016 23:55
Promenades dans Prague. Du 11 au 18 septembre 2013
Promenades dans Prague. Du 11 au 18 septembre 2013

On dit que Prague est la ville aux mille tours et mille clochers. Pour nous en rendre compte, nous sommes montés sur la colline de Petřín, qui domine la cité et permet d’en apprécier le cadre. Mais regarder vers le bas, cela peut même se faire en centre-ville, pour voir entre autres les plaques d’égout fondues aux armes de Prague.

Promenades dans Prague. Du 11 au 18 septembre 2013

Nous reviendrons là-haut tout à l’heure. Pour l’instant voyons quelques grands Pragois. Celui-ci, c’est le Commandeur de Don Juan, par Anna Chromy, une Tchèque qui a grandi en Australie. S’il n’a pas vraiment existé, et si avant d’être repris par Mozart, il a d’abord été espagnol avec Tirso de Molina, puis français avec Molière, il n’en est pas moins un personnage incontournable de l’opéra à Prague puisque c’est dans cette ville qu’en 1787 Mozart a donné la première représentation de son Don Juan.

Promenades dans Prague. Du 11 au 18 septembre 2013

Si l’on souhaite plutôt des personnages ayant existé, voici Rastislav Štefánik. L’évolution des empires, les mouvements des frontières, ont fait naître ce fils de pasteur en Hongrie, mais c’était au nord de Bratislava, aujourd’hui en Slovaquie. Et c’est également non loin de Bratislava, dans la Slovaquie actuelle mais en Tchécoslovaquie de l’époque, qu’en 1919 il est mort. Après des études, entre autres, au lycée évangélique de Presbourg (ancien nom de Bratislava), il choisit, à dix-huit ans, d’entrer à l’université à Prague plutôt qu’à Budapest, en raison de ses sentiments fortement slavophiles. Là il va étudier l’astronomie et les mathématiques. Tout en préparant son doctorat, il publie des articles destinés à faire connaître la Slovaquie, à montrer les liens entre les peuples tchèque et slovaque, à lutter contre la politique de magyarisation menée par la Hongrie dans ces régions slaves. Sa rencontre avec Tomáš Masaryk qui, on le sait, sera le premier président de la République Tchécoslovaque, lui fait ressentir ces deux peuples comme frères et complémentaires.

 

Une fois obtenu son doctorat, il part pour l’observatoire de Meudon, près de Paris, pour se perfectionner en astronomie auprès du professeur Jules Janssen dont il devient l’assistant. Il publie de nombreux articles dans des revues scientifiques, et ses observations astronomiques l’amènent à voyager de par le monde, un peu partout en Europe, au Maghreb, en Afrique Noire, en Amérique du nord et du sud, en Australie, en Nouvelle-Zélande, aux îles Fidji, et jusqu’à Tahiti pour observer la comète de Haley. Installé définitivement à Paris, il devient citoyen français, et il est décoré de la Légion d’Honneur. Ses travaux, ses connaissances, son niveau scientifique, en font aux yeux de la commission parlementaire chargée du projet l’homme adéquat pour une mission qui est autant scientifique que diplomatique au service de la France: l’établissement d'une chaîne de stations radiotélégraphiques reliant la métropole et toutes les colonies, ainsi que les colonies entre elles.

 

Survient la Première Guerre Mondiale. Il sollicite son incorporation dans l’aviation, obtient son brevet de pilote à l’école militaire de Chartres, et participe tout de suite après aux combats aériens (ce qui explique sa tenue d’aviateur sur cette statue), tout en étant chargé de créer le service météorologique pour la France. Il est blessé en 1915. Avec des volontaires tchèques et slovaques, il crée une escadrille mais, très malade (deux fois déjà on l’a opéré de l’estomac), il doit être transporté à Rome. À peine se sent-il un peu mieux qu’il retourne à Paris, où il rencontre Masaryk, une connaissance du temps de ses études, et Edvard Beneš, futur président de la République Tchécoslovaque de 1935 à 1948. De ce trio, on a dit “Ce que Masaryk pense, Beneš le dit et Štefánik le fait”. Il veut, plus que jamais, créer un État indépendant. Auprès du Gouvernement français, il soutient son projet, plaide sa cause, et obtient l’armement pour ses unités. Il va alors recruter des volontaires. Il en trouve dans les camps de prisonniers roumains, mais surtout il en recrute trois mille aux USA, tout en récoltant des dons très importants. En 1919, l’Armée Rouge hongroise marche sur Bratislava. Il prend immédiatement l’avion, mais, en raison prétend-on d’une panne de moteur, il s’écrase peu avant l’atterrissage. Je ne suis pas spécialiste, très loin de là, mais quand j’ai pris des leçons de pilotage, on m’a fait bien souvent couper le moteur pour simuler une panne, et j’ai pu, sans problèmes, atterrir car l’avion plane fort bien Et même, un jour, lors d’un concours d’atterrissage de précision sans moteur, j’ai touché exactement la ligne, mais… un peu brutalement, l’avion a rebondi, et je suis retombé quelques mètres plus loin: perdu! Revenons à nos moutons.

 

Accident ou fait de guerre, Rastislav Štefánik meurt en 1919. La naissance de la Tchécoslovaquie lui doit beaucoup. Et, on l’a vu, la France aussi. Cette statue est située devant un observatoire qui porte son nom, sur la colline de Petřín.

Promenades dans Prague. Du 11 au 18 septembre 2013
Promenades dans Prague. Du 11 au 18 septembre 2013

Cette plaque, où bien sûr on reconnaît Beethoven, on la distingue sur la façade de ce bâtiment rouge. Il y est dit en tchèque “À l'auberge de la Licorne d'or est descendu en février 1796 le célèbre compositeur Ludwig van Beethoven”.

Promenades dans Prague. Du 11 au 18 septembre 2013

Encore une célébrité avec ce buste sur une façade. Il représente Ernest Denis, slaviste et historien français (1849-1921), qui a vécu à Prague en 1872-1874.

Promenades dans Prague. Du 11 au 18 septembre 2013

On aperçoit vaguement, au premier étage de cet immeuble, une plaque commémorative. Elle dit que le peintre Adólf Kašpar (1877-1934) a vécu dans cette maison de 1903 à 1934, et qu’il y est mort.

Promenades dans Prague. Du 11 au 18 septembre 2013

Cette très curieuse statue de Jaroslav Rona est censée représenter Kafka sur les épaules d’un homme sans tête. L’idée en est tirée de la première œuvre que nous ayons de Kafka, écrite en 1904: Description d’un combat. Ce thème du combat qui marque toute sa vie et toute son œuvre, le combat contre tous les pouvoirs.

Promenades dans Prague. Du 11 au 18 septembre 2013

Une sculpture d’un goût charmant, délicat, élégant. Deux hommes urinant face à face. Je veux bien le petit garçon qu’est le Manneken Pis (quoique je n’en raffole pas), mais cela! C’est à David Cerny que nous les devons. C’est même un peu choquant pour une autre raison, à savoir que c’est sur leur pays qu’ils urinent, car la vasque a la forme de la République Tchèque. Un détail que j’ai lu par la suite sur Internet et que je n’avais pas remarqué sur place, il y a un numéro de téléphone auquel on peut envoyer un texto, et cela agit sur le jet des messieurs urinant. De mieux en mieux.

Promenades dans Prague. Du 11 au 18 septembre 2013

Ce monument a été inauguré en 1915 à l’occasion du cinq centième anniversaire de la mort de Jan Hus. Rien ne prédisposait Jan Hus, fils de paysans pauvres, à avoir tant marqué son siècle. Il naît et grandit dans un contexte politique et religieux très troublé. En 1393, l’assassinat de Jean Népomucène par le roi (voir mon article au sujet de sa statue sur le Pont Charles) a provoqué une révolte des nobles qui ont emprisonné le roi. Licencié, maître ès arts, Jan devient professeur, puis est ordonné prêtre. On le retrouve, en 1401, doyen de la faculté de philosophie de Prague, puis recteur de l’université en 1409. Linguiste, il adapte l’alphabet latin aux sons de la langue tchèque, inventant tous les petits signes ajoutés au sommet des voyelles (ů, á, ě, í, ý) et des consonnes (š, č, ř, ž…).

 

Dans cette université pragoise, chacun des quatre départements, tchèque, bavarois, polonais, saxon, dispose d’une voix pour les décisions administratives. Le recteur Hus décide que les Tchèques auront trois voix, contrebalançant à eux seuls les voix des trois autres départements. Furieux, les professeurs allemands démissionnent. Et une large majorité d’étudiants les suivent, ce qui cause le déclin de l’université de Prague.

 

En tant que prédicateur, Jan Hus professe que l’Église doit être pauvre, qu’elle doit se consacrer au spirituel en délaissant le temporel et le politique, il s’élève contre ce qu’il appelle “les erreurs du catholicisme”. Quand le pape, qui a besoin de fonds à cette époque de luttes entre papes et antipapes, refait ses finances grâce à la vente d’indulgences, Jan Hus s’insurge contre ce procédé, et contre l’utilisation des armes par l’Église. Une grande partie du peuple et des étudiants adhèrent à ses thèses, il y a une émeute, qui est réprimée dans le sang, et Jan Hus est accusé d’hérésie. Il est excommunié en 1411. Parce que le roi Venceslas IV a donné son accord pour que des représentants du pape, qui souhaite financer une guerre contre le roi de Naples, vendent des indulgences, Hus prêche contre le roi et contre le pape. Il est alors contraint de quitter Prague pour le sud de la Bohême.

 

En 1414, un grand concile du christianisme réunissant catholiques, orthodoxes, coptes se réunit à Constance. Il s’agit de régler un grave conflit, car il y a alors un pape à Rome, un à Pise, un à Avignon. Jan Hus se rend au concile, avec l’intention de faire valoir ses thèses, mais à son arrivée on l’emprisonne. Le 27 juin 1415, le concile déclare ses écrits hérétiques. Sa condamnation fait craindre troubles et émeutes à Prague, aussi lui est-il demandé “simplement” de renier publiquement trente points de sa doctrine, ce qui la dénature. Il refuse catégoriquement. Le 6 juillet 1415, on lui plante sur la tête une mitre de carton représentant des diables, on le déshabille, et on le brûle vif sur le bûcher. Puis ce qui reste de lui est jeté dans le Rhin.

Promenades dans Prague. Du 11 au 18 septembre 2013

En bas du pont Charles, près de la Vltava, on peut voir cette statue de Bruncvik (le U se prononce OU et le C se prononce TS). L’histoire russe a été adaptée par les Tchèques à leur usage.

 

Il était une fois, à Prague, un jeune homme plein de fougue appelé Bruncvik, qui voulait partir à l’aventure pour orner son blason de ses hauts faits. La jeune et charmante Néoménia, qui en était amoureuse, le supplia de rester, mais poussé par son ambition il résolut de mener à bien son projet, et lui promit qu’il serait de retour avant la septième année accomplie, et qu’alors il l’épouserait. Bruncvik et ses compagnons s’embarquent, descendent la Vltava et ensuite jusqu’à l’océan, et voilà qu’une terrible tempête entraîne leur navire et le brise sur les écueils de la redoutée île d’Ambre, dont nul n’est jamais revenu. Deux ans passent. Tous les compagnons de Bruncvik, minés par le désespoir, sont morts. Seul Bruncvik survit, soutenu par son amour pour Néoménia. Ayant remarqué que chaque année un grand oiseau survolait l’île à la recherche de quelque proie à emporter dans ses serres, il se couvrit de la peau d’un cheval mort, grimpa au sommet de la plus haute colline et attendit. Et l’oiseau vint, et l’enleva dans ses serres, et l’emporta très loin, et le jeta dans son nid, auprès de trois oisillons. Les oisillons affamés commencèrent à becqueter la peau de cheval, alors Bruncvik en sortit et, de son épée, tua les oiseaux et sauta hors du nid. Comme il cheminait, il vit un lion aux prises avec un monstre aux multiples têtes. Comme le lion commençait à avoir le dessous, Bruncvik se joignit à lui contre le monstre, et ils le tuèrent. Reconnaissant, le lion ne quitta plus son sauveur, et se joignit à lui dans ses combats. Sur leur route, ils rencontrèrent la reine du pays, et elle voulut épouser Bruncvik. Mais lui gardait dans son cœur la belle Néoménia, et non seulement il parvint à échapper à cette union dont il ne voulait pas, mais en outre il réussit à voler à la reine une épée magique. Il suffisait de lui dire “épée, décapite !”, et toute seule elle bondissait pour aller faire tomber la tête désignée. Ainsi Bruncvik devint un illustre guerrier. Les années passèrent ainsi, dans les batailles victorieuses. Mais un jour vint où Bruncvik ne trouva plus en lui l’ardeur nécessaire pour continuer, parce que l’amour de Néoménia le rendait songeur. Il prit la route du retour vers Prague, accompagné de son fidèle lion. Les sept années étaient écoulées depuis longtemps, et il arriva juste la veille du jour où Néoménia allait épouser sans amour une autre homme. Mais voyant arriver le seul être qui occupait son cœur, elle repoussa son mariage et courut vers lui. Fou de rage et de jalousie, le fiancé délaissé réunit ses amis, et ils attaquèrent Bruncvik. Lui, avec sa maîtrise des combats et avec son épée magique n’eut pas de peine à les défaire, et tous furent décapités. Le chevalier et la princesse se marièrent, ils vécurent longtemps, ils furent heureux et eurent beaucoup d’enfants, toujours accompagnés du lion. Quant à l’épée magique, elle a été murée quelque part dans les pierres du pont Charles. Peut-être bien non loin de la statue de Bruncvik, nul ne le sait.

 

Sur le pont, on s’en souvient, il y a une statue du roi saint Venceslas. Un jour, hélas, il est dit que Prague connaîtra de sombres jours, des jours où un ennemi sera sur le point de la prendre. Alors ce jour-là la pierre de la statue se mettra à brûler, elle tombera en cendres, et de ses cendres surgira saint Venceslas en chair et en os, sur son cheval, et il criera “Armée endormie de Blanik, relève-toi de ton sommeil!” (Blanik est une montagne de République Tchèque). Et dans un bruit de tonnerre l’armée de Blanik sortira de la montagne et se ralliera à l’appel de son maître vénéré. Galopant sur le pont Charles, Venceslas frappera une pierre que lui seul aura pu reconnaître, la pierre se fendra et l’épée magique de Bruncvik apparaîtra. Ainsi le saint roi et sa vaillante armée auront raison de l’ennemi et Prague sera sauvée.

 

En 1945, les Pragois croyaient que les jours les plus sombres de leur ville étaient arrivés, ils se révoltèrent contre les Nazis, les Nazis quittèrent la ville, mais saint Venceslas est resté une statue de pierre. En 1968, quand les chars russes ont écrasé la ville, les Pragois croyaient que les jours les plus sombres de leur ville étaient arrivés, ils se révoltèrent contre les communistes russes en 1989, et les Russes quittèrent la ville, mais saint Venceslas est resté une statue de pierre. Parfois, les habitants se demandent avec angoisse ce que seront ces jours les plus sombres, mais ils gardent confiance, parce qu’ils savent que lorsque tout espoir d’être sauvés sera perdu, ce jour-là saint Venceslas viendra à leur secours avec la vaillante armée de Blanik et avec l’épée magique de Bruncvik.

Promenades dans Prague. Du 11 au 18 septembre 2013
Promenades dans Prague. Du 11 au 18 septembre 2013
Promenades dans Prague. Du 11 au 18 septembre 2013

Réels ou fictifs, célèbres ou anonymes, assez de personnages. Des animaux. Du côté de la Vieille Ville, une colonie de cygnes a pris possession de la rive de la Vltava (Moldau).

Promenades dans Prague. Du 11 au 18 septembre 2013
Promenades dans Prague. Du 11 au 18 septembre 2013
Promenades dans Prague. Du 11 au 18 septembre 2013

La Vltava, près du Pont Charles, développe un petit bras romantique, sur lequel subsiste une vieille roue de moulin. Et un amusant bonhomme sculpté chevauche une poutre.

Promenades dans Prague. Du 11 au 18 septembre 2013
Promenades dans Prague. Du 11 au 18 septembre 2013

Dans une grande ville, la promenade passe nécessairement par les transports en commun si l’on souhaite visiter plusieurs quartiers. Faisons donc un petit tour dans le métro, avec ce couloir décoré de mosaïques, et plongeons très, très profond sous le sol avec cet escalator.

Promenades dans Prague. Du 11 au 18 septembre 2013
Promenades dans Prague. Du 11 au 18 septembre 2013

Nous voici sur le quai, voici un métro qui arrive. Voilà, c’est vu, considérons que nous sommes arrivés à destination, et ressortons à l’air libre.

Promenades dans Prague. Du 11 au 18 septembre 2013
Promenades dans Prague. Du 11 au 18 septembre 2013
Promenades dans Prague. Du 11 au 18 septembre 2013
Promenades dans Prague. Du 11 au 18 septembre 2013

Pour monter sur la colline, autre moyen de transport, si l’on ne souhaite pas y accéder à pied: le funiculaire. On le voit (première photo), la ligne est à voie unique. Il faut donc prévoir une zone de croisement à mi-route (seconde photo), quand la longueur de câble déroulée par l’un est égale à la longueur enroulée par l’autre. Et puis il y a une gare intermédiaire qui suppose un petit arrêt (troisième photo). Enfin, le miroir de surveillance de cette station (quatrième photo) me permet de saisir la physionomie du véhicule.

Promenades dans Prague. Du 11 au 18 septembre 2013
Promenades dans Prague. Du 11 au 18 septembre 2013
Promenades dans Prague. Du 11 au 18 septembre 2013

Puisque le funiculaire nous a menés de nouveau sur le colline de Petřín, restons-y et promenons-nous dans la roseraie. En cette mi-septembre, bien des roses sont sur leur déclin. Beaucoup cependant sont encore magnifiques. Formes, couleurs, parfums… c’est une bien agréable balade.

Promenades dans Prague. Du 11 au 18 septembre 2013
Promenades dans Prague. Du 11 au 18 septembre 2013
Promenades dans Prague. Du 11 au 18 septembre 2013
Promenades dans Prague. Du 11 au 18 septembre 2013
Promenades dans Prague. Du 11 au 18 septembre 2013

Prague est une ville qui a pu conserver quasiment toutes ses constructions anciennes, malgré les guerres et malgré l’ère communiste. Cela en fait une cité de style baroque sans fausses notes. Ces quelques photos se passent de commentaires, elles montrent divers aspects de la ville. Et pour faire passer le tramway là où une arche barre la route (troisième photo ci-dessus), eh bien on n’a pas, comme dans d’autres pays (dont la France), abattu le bâtiment qui barre le passage, on a pour franchir ce passage étroit réduit le tracé à une voie unique, comme on le constate en regardant les rails au sol. Les voitures passent sous l’autre arche, encore plus basse, mais sous laquelle ne courent pas les caténaires qu’il serait mortel de toucher.

Promenades dans Prague. Du 11 au 18 septembre 2013
Promenades dans Prague. Du 11 au 18 septembre 2013

Deux théâtres. Le premier, que j’ai photographié en noir et blanc parce que l’éclairage artificiel dont il est doté ne me satisfaisait pas, est le Národní Divadlo, ce qui signifie Théâtre National.

 

Sur le second, le Théâtre des États (Stavovské Divadlo), une plaque en langue tchèque dit (merci traducteur Google): “W. A. Mozart (1756-1791) était, dans ce théâtre, témoin du succès triomphal de son opéra Les Noces de Figaro en Janvier 1787 et a conduit ici en première mondiale ses opéras Don Giovanni le 29 octobre 1787 et La Clemenza di Tito le 6 septembre 1791, composé pour Prague”. Il est dit également que le théâtre est resté pratiquement intact depuis cette époque.

Promenades dans Prague. Du 11 au 18 septembre 2013
Promenades dans Prague. Du 11 au 18 septembre 2013

En prenant ces photos j’ai, sur ma droite, l’hôtel de ville et son horloge astronomique. Mais ce que je veux montrer, c’est cette maison au fond de la place à droite avec sa façade décorée. Pendant sept ans, la famille Kafka l’a habitée (1889-1896), Franz a six ans quand il y entre, ses sœurs y sont nées. C’est le Dům U Minuty, la Maison à la Minute, construite en 1611. Un mortier teinté en noir dans la masse a ensuite été gravé pour faire apparaître le mortier clair sous-jacent, représentant des scènes mythologiques et des scènes de la Bible. Cette technique de décoration de façade s’appelle le sgraffite. Ici, cette décoration a été effectuée au début du dix-septième siècle, juste après la construction.

Promenades dans Prague. Du 11 au 18 septembre 2013

Cette façade a retenu mon attention parce qu’une statue de la Vierge veille sur la compagnie aérienne russe Aeroflot. J’aurais aimé trouver quelqu’un qui puisse se rappeler si elle a été enlevée pendant les années du régime communiste et replacée ensuite, ou si elle a toujours été là. Il serait amusant que, lorsque le régime était directement soumis à Moscou, et d’autant plus après 1968, une Vierge ait veillé sur les avions russes d’un pouvoir qui, à la suite de Nietzsche, déclarait que Dieu est mort.

Promenades dans Prague. Du 11 au 18 septembre 2013
Promenades dans Prague. Du 11 au 18 septembre 2013

Encore deux bâtiments particuliers, le premier est occupé par l’ambassade de France, juste face au “Mur John Lennon” dont je parlerai dans mon prochain article, et le second abrite l’Ordre de Malte.

Promenades dans Prague. Du 11 au 18 septembre 2013

Pour respecter le droit à l’image et l’anonymat de ce monsieur, je lui cache les yeux, mais je souhaitais prendre ma photo au moment où quelqu’un déboucherait de cette ruelle, pour donner l’échelle. En effet, c’est la rue la plus étroite de Prague, où il est impossible de se croiser. Aussi les piétons disposent-ils d’un feu rouge montrant un personnage à l’arrêt, ou vert montrant un personnage qui marche, pour réguler la circulation. Nous pouvons constater que l’homme de ma photo est en tort, puisqu’il arrive alors que la circulation est donnée dans l’autre sens. Par ailleurs, il est dangereux, si l’on est un peu enrobé et d’une largeur en conséquence, de tenter de forcer le passage. Mésaventure dont se souviendra longtemps une touriste allemande à la corpulence généreuse qui a voulu essayer de passer: elle a forcé, s’est un peu avancée, et est restée coincée. Impossible de progresser ou de reculer. Ce n’est qu’après avoir été copieusement enduite de savon qu’à la fin elle s’est trouvée libérée. Précision en ce qui me concerne: j’aime bien le chocolat, les viandes en sauce, le pâté, les gâteaux, mais j’ai, sans difficulté, parcouru cette rue dans les deux sens (en respectant les signaux lumineux!).

Promenades dans Prague. Du 11 au 18 septembre 2013
Promenades dans Prague. Du 11 au 18 septembre 2013

C’est dans mon prochain article que je parlerai de l’horloge astronomique de l’hôtel de ville, lorsqu’elle s’anime. Aujourd’hui, au cours des simples promenades, je me contente de regarder son cadran principal et les statues qui ornent le côté droit de son cadran inférieur. Il serait dommage que des fientes de pigeon tachent les vêtements des statues, et pour éviter que ces volatiles ne viennent se poser sur leurs têtes, elles sont revêtues d’un filet protecteur. D’en bas, il ne se remarque pas trop; en revanche, il n’échappe pas à l’œil aiguisé du téléobjectif.

Promenades dans Prague. Du 11 au 18 septembre 2013

Évidemment, Prague n’a pas résisté à la mode des galeries marchandes. Où que l’on aille, les grandes marques internationales, non contentes de dévorer tout crus les indépendants dans le centre des villes, participent à la création, entre elles, de ces rues couvertes et sans véhicules que sont les galeries marchandes. La présentation de celle-ci est particulièrement soignée.

Promenades dans Prague. Du 11 au 18 septembre 2013
Promenades dans Prague. Du 11 au 18 septembre 2013
Promenades dans Prague. Du 11 au 18 septembre 2013
Promenades dans Prague. Du 11 au 18 septembre 2013

Ici c’est un peu différent parce que, quoique les boutiques soient fermées (il est 21h40), la galerie reste ouverte. Cela ressemble plutôt à ces passages couverts que nous avons à Paris et dans quelques villes de province, et qui datent du dix-neuvième siècle, même si le passage de ma photo semble dater, si j’en crois le style des sculptures en bas-relief (troisième photo), de l’entre-deux-guerres. Ces sculptures, on peut les situer en regardant ma première photo: elles ornent le mur de la rotonde, un étage en-dessous de la coupole.

Promenades dans Prague. Du 11 au 18 septembre 2013
Promenades dans Prague. Du 11 au 18 septembre 2013

La dernière des promenades dont le parlerai aujourd’hui nous fait passer devant un restaurant nommé At The Blue Duck Line. Nous ne nous y sommes pas attablés, aussi ne puis-je commenter ce que l’on y mange, ni le cadre de la salle, mais j’ai pris cette photo parce que j’ai été intrigué qu’un établissement qui est peut-être excellent mais a un aspect très modeste puisse peindre sur sa porte “our guests”, c’est-à-dire “nos hôtes”, suivi d’une liste impressionnante: Václav Havel, Helmut Kohl, Roger Taylor, Pink Floyd, Andy Mc Dowell, Tom Cruise, Mia Farrow, Peter Fonda, Sir Sean Connery, Ungaro, Milos Forman, Arthur Miller… Sûr, ils auraient été fiers de m’ajouter à leur liste!!!

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5 octobre 2016 3 05 /10 /octobre /2016 23:55
Prague, le Pont Charles. Du 11 au 18 septembre 2013
Prague, le Pont Charles. Du 11 au 18 septembre 2013

Notre destination était Prague. En effet, comme chaque année dans une ville d’Europe de l’Est, Natacha y a un congrès auquel elle participe dès lors que le déplacement ne lui cause pas trop de problèmes à partir du lieu où nous nous trouvons à ce moment-là. Or précisément, cela tombe au moment où nous repartons de France vers la Grèce. Nous allons donc nous embarquer sur le ferry à Trieste ou à Ancône, via Strasbourg, Prague et Ljubljana. C’est le pourquoi de mes deux articles précédents (sur Strasbourg). Nous avons poursuivi notre route sans visiter d’autre ville et nous voilà arrivés. Le congrès, ce ne sont que trois jours pendant lesquels je me baladerai en solitaire, mais Natacha a une amie –une autre Natacha– qui est chercheuse en littérature à Kiev, en Ukraine (alors qu’en France les professeurs d’université sont “enseignants chercheurs”, en Ukraine on est soit enseignant, soit chercheur), qui participe également au congrès, et qui en profite pour prendre quelques jours de congé, pour le double plaisir d’être avec son amie et de séjourner un peu plus longtemps dans cette ville de rêve.

 

Prague, dans les guides touristiques, c’est avant tout une construction extrêmement célèbre, le Karlův Most, autrement dit le Pont Charles. C’est comme Big Ben à Londres, la Tour Eiffel à Paris ou le Colisée à Rome. Un passage obligé. Avec l’attrait supplémentaire de ce drôle de ů avec un petit rond dessus qui en change la sonorité, spécificité de l’alphabet tchèque.

Prague, le Pont Charles. Du 11 au 18 septembre 2013
Prague, le Pont Charles. Du 11 au 18 septembre 2013
Prague, le Pont Charles. Du 11 au 18 septembre 2013

Une partie de mes photos du pont sont prises de nuit et j’aime bien alors faire du noir et blanc. Les deux amies adorent le Pont Charles et, comme elles ne cessent de bavarder un seul instant, c’est la promenade obligée du soir après le dîner. Dans un sens, dans l’autre, dix fois… Leur conversation étant en russe et ma connaissance de la langue se limitant à quelques mots, je les suis en prenant des photos. Ou je les quitte, je vais prendre mes photos de loin, puis je reviens sur le pont et, en le parcourant d’un bout à l’autre, je suis sûr de ne pas les manquer.

Prague, le Pont Charles. Du 11 au 18 septembre 2013
Prague, le Pont Charles. Du 11 au 18 septembre 2013
Prague, le Pont Charles. Du 11 au 18 septembre 2013

De jour comme de nuit, le charme de ce pont opère toujours, mais en cette saison (d’ailleurs, est-ce différent à d’autres saisons? J’en doute) la foule des touristes s’y presse, si dense que l’on a parfois du mal à y progresser. Bon, j’y suis allé le premier jour, quand j’étais seul, et j’y ai renoncé par la suite, c’est plus calme la nuit. Mais il est arrivé que les deux Natacha, après la fin du congrès, ne résistent pas en plein jour à l’attrait du fameux pont. Le pont, qui est long de plus de cinq cents mètres, franchit la Vltava, en français la Moldau. Le nom de ce fleuve, d’ailleurs, est bien connu du fait que c’est le titre d’une très célèbre symphonie de Smetana (parce que je sais qu’en russe, le mot сметана, en caractères latins smetana, veut dire crème fraîche, je consulte le traducteur Google: c’est la même chose en tchèque. Joli nom pour un musicien, Monsieur Crème Fraîche…). La première pierre en a été posée en 1357 pour remplacer un pont de bois emporté par une crue en 1342. Il est protégé à chaque extrémité par une tour gothique. Sur les deux premières photos ci-dessus, on est du côté de Malá Strana (“le Petit Quartier”). Du côté de Staré Město (“la Vieille Ville”), c’est la tour que l’on voit sur ma troisième photo ci-dessus.

Prague, le Pont Charles. Du 11 au 18 septembre 2013
Prague, le Pont Charles. Du 11 au 18 septembre 2013

Quand je parle de la foule… le soir, les nombreux musiciens, chanteurs, vendeurs de colifichets, jongleurs disparaissent, mais les touristes sont encore nombreux, comme sur la première de ces photos prise (je consulte les “propriétés” indiquées par l’appareil) à 20h57. Quant à l’autre photo, où enfin il n’apparaît plus que quelques personnes, il m’a quand même fallu attendre jusqu’à 2h22 du matin pour la prendre!

Prague, le Pont Charles. Du 11 au 18 septembre 2013

Avant de regarder quelques-unes des nombreuses statues qui bordent le pont, une dernière vue, prise du haut du château, le Hradcany (de la visite duquel je rendrai compte dans un prochain article), où l’on peut voir encore une fois le Pont Charles.

Prague, le Pont Charles. Du 11 au 18 septembre 2013

Mais ce Karlův Most, ce Pont Charles, à quel personnage son nom se réfère-t-il? Juste avant de pénétrer sur le pont, sur la petite place avant la tour, une grande statue le représente, ce personnage. C’est l’empereur Charles IV, né en 1316, roi de Bohême à la mort de son père en 1346, élu empereur du Saint-Empire Romain Germanique en 1355, mort en 1378. C’est sa charge de roi de Bohême qui est au centre de son identité, c’est à Prague qu’il réside, c’est essentiellement Prague qu’il embellit, et son règne est considéré comme l’âge d’or de la Bohême. On lui doit la cathédrale Saint-Guy (objet, également, d’un prochain article de mon blog), la ville étant devenue archevêché deux ans avant qu’il devienne roi; c’est lui aussi qui, en 1348, crée l’université de Prague, et entre autres (nombreuses) œuvres c’est lui qui a décidé de la construction de ce pont qui, comme l’université, porte son nom.

Prague, le Pont Charles. Du 11 au 18 septembre 2013

Difficile, en se promenant sur le pont, de ne pas évoquer le Pont Sant’Angelo à Rome. En effet, à Prague comme à Rome on se déplace entre deux rangées de statues. Toutefois, entre les sculptures des deux villes le style est fort différent. Certaines d’entre elles souffraient de leur exposition aux intempéries et ont été transportées au musée, de sorte que parmi celles que l’on voit aujourd’hui, les unes sont originales, les autres (en pierre plus claire) ne sont que des copies. La mise en place de trente statues entre 1683 et 1714 commence avec celle de Jean de Nepomuk, voulue par les Jésuites pour faire pièce aux Protestants. Mais cela, j’en parlerai tout à l’heure. Pour l’instant, ma photo ci-dessus représente saint François d’Assise entre deux anges, sur le flanc sud du pont. En-dessous, un texte en latin dit “SANCTO FRANCISCO SERAPHICO OB FRANCISCUM IOSEPHVM IMPERATOREM AVGUSTVM MDCCCLIII DIVINITVS SERVATVM D. D. FRANCISCVS ANTONIVS COMES KOLOWRAT LIEBSTEINSKY EQVES AVREI VELLERIS MDCCCLV”, c’est-à-dire “À saint François Séraphique, pour avoir miraculeusement sauvé l’auguste empereur François-Joseph en 1853, François-Antoine comte Kolowrat Liebsteinsky, chevalier de la Toison d'or, 1855”. Ce comte Kolowrat (1778-1861) était un général autrichien d'origine tchèque qui participa à la bataille d'Austerlitz et fut le premier ministre-président de l'empire d'Autriche en 1848.

 

Cela nécessite peut-être quelques explications. À peine devenu empereur d’Autriche en 1848 à l’âge de dix-huit ans, François-Joseph doit mâter une révolution hongroise. Après la victoire, en 1849, il y a une cruelle répression, et la Hongrie disparaît de la carte, absorbée par l’Autriche dont elle ne constitue plus que cinq régions. D’où la haine de nationalistes hongrois à l’égard de l’empereur. Le 18 février 1853, les soldats autrichiens sont à l’exercice sous les murs de Vienne, murs que François-Joseph fera abattre quelques années plus tard pour donner à sa capitale un lustre qui la mette à la hauteur de Londres ou de Paris. Avec son aide de camp O’Donell, l’empereur se promène là-haut, sur les remparts, et se penche en avant pour regarder l’entraînement des soldats. Janos Libenyi, un Hongrois nationaliste, compagnon tailleur de son état, surgit par-derrière, armé d’un couteau. Ni François-Joseph, ni O’Donell, ne le voient arriver derrière eux, trop occupés par le spectacle qui les intéresse. Au moment où Libenyi va frapper l’empereur dans le dos, pour toucher le poumon et peut-être le cœur, une femme voit cela et pousse un cri de frayeur. Si l’on entend un cri derrière soi, que fait-on naturellement? On se retourne et c’est ce qui fait que la lame, déviée en outre par le manteau de l’empereur car à Vienne en février on se vêt chaudement, ne fait que le blesser à la nuque. Il saigne beaucoup, mais ses jours ne sont pas en danger. O’Donell a le réflexe prompt et efficace, il ceinture immédiatement Libenyi, parvenant à l’empêcher de frapper de nouveau. C’est ce cri de femme subit qui a “miraculeusement sauvé l’auguste empereur”, comme dit la plaque sous la statue de saint François d’Assise, saint patron de François-Joseph. L’agresseur, quant à lui, sera jugé et pendu.

Prague, le Pont Charles. Du 11 au 18 septembre 2013

Ce groupe se trouve sur le flanc nord du pont. Il représente les saints Norbert, Venceslas et Sigismond. Norbert, né en Rhénanie du nord vers 1080 dans une famille noble, a des liens de parenté avec la famille impériale. À neuf ans, il est destiné à la prêtrise et soumis à une discipline de fer, mais lorsqu’il atteint ses dix-huit ans et alors qu’il n’a pas été ordonné prêtre l’empereur Henri V, son cousin, le fait chapelain. Il est chargé de missions diplomatiques ou administratives et mène une joyeuse vie de cour. Il tombe amoureux d’une jeune fille mais lorsque celle-ci meurt en même temps que l’enfant qu’elle met au monde Norbert renonce à cette vie de dissipation et de luxe. De plus, alors qu’il se déplace à cheval, il est frappé par la foudre et reste au sol un long moment inanimé (cela rappelle l’épisode de saint Paul sur le chemin de Damas). Il va interpréter cela comme un signe. Il est alors âgé d’environ trente ans. Il se fait ordonner prêtre et au prix de nombreuses difficultés qu’il serait trop long de détailler il crée l’ordre des Prémontrés, qui va rapidement faire de nombreux adeptes, mais aussi suscitera l’hostilité de nombreux évêques mécontents de cette lutte contre le luxe et l’aisance. Mais le pape le soutient et, en 1126, le fait archevêque de Magdebourg. À son tour, c’est Norbert qui, avec Bernard de Clairvaux, soutiendra le pape Innocent II contre l’antipape Anaclet. Épuisé et souffrant de la malaria, il meurt à Magdebourg en 1134. Il sera canonisé en 1582. Au début du dix-septième siècle, les Catholiques craignent que ses restes soient profanés dans ce bastion du protestantisme, alors ils parviennent à les voler pour les transporter à Prague dans l’église du monastère de Strahov.

 

Vratislas, duc de Bohème, et sa femme Dragomir, fille d’un prince slave, sont païens. Ils ont deux fils, Venceslas et Boleslas. Quand meurt Vratislas en 921, son fils aîné Venceslas a environ treize ans (son année de naissance n’est pas exactement connue), c’est sa mère Dragomir qui est régente. Elle persécute les Chrétiens. Mais Venceslas, élevé par sa grand-mère Ludmila qui est chrétienne –future sainte Ludmila dont je parlerai tout à l’heure– se convertit en cachette, est baptisé par un disciple de saint Méthode (on se rappelle que ce sont les deux frères –grecs– Cyrille et Méthode qui ont évangélisé les Slaves et ont créé pour eux l’alphabet dit cyrillique) et quand, à dix-huit ans, il assume personnellement le pouvoir, tout change en Bohême, le christianisme est réhabilité, il fait construire des églises, il favorise la création de monastères et, sur le marché de Prague, il rachète un grand nombre d’esclaves de païens. Cela rend furieux son frère Boleslas, resté païen, et alors que Venceslas se rend à une cérémonie religieuse à Stará Boleslav, une ville proche de Prague, bien entendu sans armes vu les circonstances, son frère Boleslas et quelques-uns de ses affidés attaquent Venceslas et le tuent. Boleslas devient le nouveau duc de Bohême. Cela se passe, selon les historiens, soit en 929, soit en 935. Considéré comme martyr de sa foi, Venceslas a été canonisé. Il est le patron de la République Tchèque, mais il est aussi revendiqué comme patron des prisonniers.

 

Dans mon article La cathédrale de Rimini daté du 29 avril 2013, j’ai montré une fresque de Piero de la Francesca représentant Sigismond Malatesta en prière devant saint Sigismond, mais je n’ai pas détaillé qui était ce saint Sigismond. Il est né à la fin du cinquième siècle, on ne sait pas trop en quelle année. Pour comprendre les événements qui suivent, je dois donner quelques détails. Il est l’arrière-petit-fils du fondateur du royaume des Burgondes, et le fils du roi Gondebaud. Gondebaud a fait assassiner deux de ses frères avec qui il partageait le pouvoir, dont Chilpéric, qui est le père de Clotilde. Clotilde et Sigismond sont donc cousins germains. En 492, Gondebaud attaque et vainc les Ostrogoths de Théodoric, et pour sceller la paix Théodoric donne sa fille Ostrogotha en mariage à Sigismond, le fils de son ennemi. Clotilde, elle, épouse le roi des Francs Clovis. En 496 (ou, selon certains historiens, en 506), à la bataille de Tolbiac contre les Alamans, le païen Clovis fait le vœu “Dieu de Clotilde, si tu me donnes la victoire, je me ferai chrétien”. Il gagne, et il se fait baptiser à Reims. Non pas arien, comme les Burgondes et la famille de Clotilde, mais catholique, comme les gallo-romains qu’il a conquis et sur qui il règne. Or en parallèle, au début du sixième siècle, 502 ou 506, Sigismond abjure l’arianisme et se fait catholique et, quand meurt Gondebaud en 516, il devient roi des Burgondes. Il fonde de nombreux monastères et s’efforce de convertir son peuple. À la mort de sa femme Ostrogotha avec qui il a eu trois enfants, dont une fille mariée à Thierry, fils de Clovis (avant son mariage avec Clotilde: pas de consanguinité!), il se remarie en 518 avec la servante de cette dernière. Mais le fils aîné de Sigismond ne s’entend pas avec sa belle-mère, elle se venge en racontant à Sigismond que son fils envisage de le tuer. Sigismond, alors, fait étrangler son fils. N’oublions pas que le père de Clotilde, Chilpéric, a été assassiné par le roi des Burgondes, père de Sigismond: Clotilde pousse son mari Clovis à attaquer les Burgondes pour venger Chilpéric. Clovis y envoie ses fils. Sigismond vaincu se réfugie dans un monastère où, précédemment, il était allé expier le meurtre commis sur son fils, mais les grands de son royaume lui reprochant sa lutte contre l’arianisme, le livrent à Clodomir, l’un des fils de Clovis, qui le fait décapiter ainsi que sa femme, et les corps sont jetés dans un puits. Cela, c’est en 524, près de Patay dans le Loiret, en un lieu désormais appelé Saint-Sigismond. À son actif, il a répandu le catholicisme dans son royaume, après le meurtre de son fils il a fait pénitence, il est mort en martyr, cela suffit pour qu’il soit canonisé. Et voilà pour saint Sigismond. Nous avons vu tout à l’heure la statue de Charles IV, l’empereur qui a fait construire le pont Charles. Un jour de 1365 il a rapporté de France le crâne de saint Sigismond et quelques autres reliques. Désormais, saint Sigismond veille sur la République Tchèque conjointement avec saint Venceslas.

 

Ces trois saints, qui ont œuvré pour le catholicisme contre le paganisme ou l’arianisme, qui ont fait construire des monastères, et dont les restes reposent –en partie du moins– à Prague, sont donc ainsi regroupés dans cette sculpture, quoiqu’ils soient loin d’être contemporains les uns des autres, sixième siècle, dixième siècle, douzième siècle.

Prague, le Pont Charles. Du 11 au 18 septembre 2013

Sur le côté sud du pont, une grand-mère et son petit-fils, Ludmila et Sigismond. J’ai évoqué il y a un instant l’éducation chrétienne donnée par Ludmila à Sigismond, dont la mère Dragomir est païenne et violemment opposée au christianisme. Mais revenons à Ludmila. Elle est élevée dans la religion païenne polythéiste slave, et épouse en 874 le roi de Bohême Bořivoj, lui aussi païen. Mais les grandes puissances de l’époque, l’Empire Carolingien et l’Empire Byzantin, sont chrétiennes, et pour frayer avec elles mieux vaut être de même obédience, surtout si l’on envisage de sceller des alliances. Difficile, dans ces conditions, de savoir si saint Méthode qui baptise Bořivoj l’a réellement convaincu ou s’il ne s’agit que d’une conversion diplomatique, mais lorsque, plus tard, il baptise Ludmila, il semble bien qu’elle soit sincère dans sa nouvelle foi. C’est pourquoi elle initie ses deux petits-fils Venceslas et Boleslas au christianisme. Le premier est convaincu et se fera baptiser, le second préférera rester dans le paganisme de sa mère. Et la discorde s’installe entre Dragomir et sa belle-mère. À la fin, en 921 Dragomir rétribue deux Varègues (c’est-à-dire ces Vikings qui ont fondé la Rus’ de Kiev) chargés de l’assassiner, ce qu’ils font en l’étranglant avec son châle. Certes, elle n’est pas morte en martyre proclamant sa foi, mais l’essentiel du différend portait probablement sur l’orientation chrétienne de Venceslas et c’est donc à cause de son action chrétienne qu’elle a subi cette mort violente. Cela lui a valu la canonisation. Voilà le pourquoi de sa représentation ici tenant un châle dans sa main gauche, protégeant contre elle Venceslas enfant, avec cet angelot à ses pieds.

Prague, le Pont Charles. Du 11 au 18 septembre 2013
Prague, le Pont Charles. Du 11 au 18 septembre 2013
Prague, le Pont Charles. Du 11 au 18 septembre 2013
Prague, le Pont Charles. Du 11 au 18 septembre 2013

Encore un groupe composé de personnages étonnants, sur le flanc sud du pont. Il y a des hommes enfermés derrière une grille, près d’eux un homme en costume oriental, turc peut-être, un cimeterre pendu à la ceinture, et au-dessus d’eux trois hommes. Voyons qui sont ces trois hommes, et le reste s’éclairera.

 

Le premier est saint Jean de Matha (1160-1213). Il est fils d’un seigneur espagnol installé dans ce qui est aujourd’hui le département des Alpes de Haute-Provence (Comtat de Barcelone et de Provence). Il passera son enfance à Marseille où sa mère, très pieuse, lui fait visiter prisons, hospices et hôpitaux pour lui enseigner la compassion. Puis il étudie à Aix-en-Provence, devient docteur en théologie à Paris, se fait ordonner prêtre. Et voilà que, célébrant sa première messe, il a une vision: un homme vêtu de blanc, avec une croix rouge et bleue sur la poitrine, pose les mains sur un prisonnier blanc et sur un prisonnier maure. Le lendemain, il se retire en forêt avec un ami ermite pour méditer. Or le pape a eu exactement la même vision. Aucun doute, c’est un signe. La décision est prise de créer un ordre religieux chargé de racheter les Chrétiens prisonniers des Musulmans. Ce sera l’Ordre de la Très Sainte Trinité pour la Rédemption des Captifs, qui voit le jour en 1198. Avec son ami ermite, il fonde trois monastères puis, avec l’aide du roi Philippe-Auguste, ils en fondent un quatrième à Paris. Ce sont plusieurs milliers de Chrétiens devenus esclaves des Sarrasins d’Algérie, de Tunisie, du Maroc, qui retrouvent grâce à eux leur liberté. Il a été canonisé en 1666. Dans le groupe de la sculpture, c’est lui qui est en haut à gauche, tenant une chaîne d’esclave brisée.

 

Du second, on ne sait pas grand-chose, à part qu’il est né en 1127 et qu’il est mort en 1212, qu’il était moine cistercien et qu’il s’était retiré en forêt pour vivre en ermite une vie de pauvreté et de pénitence. Même son nom a probablement été inventé après coup. On l’appelle Félix de Valois, et c’est lui l’ami ermite de Jean de Matha qui a participé à la création de l’ordre et à la fondation des monastères. On l’a supposé cousin du roi Louis VII, d’où ce nom de “Valois”, et on l’appelle saint Félix, mais il est très probable qu’il n’avait nullement de liens de parenté avec la famille des rois de France, et l’Église n’a retrouvé nulle part trace de sa canonisation, en conséquence de quoi il a été rayé du calendrier liturgique en 1970. Saint Félix de Valois n’est donc ni saint, ni Valois… Mais, quelle que soit sa famille et quel que soit son nom, il a bien existé un ermite qui a œuvré aux côtés de Jean de Matha. Dans la sculpture, il est plus bas, avec un esclave à moitié nu à ses pieds.

 

Le troisième, en haut à droite, est présenté comme saint Ivan. J’ai cherché qui pouvait être ce saint Ivan. J’ai trouvé un Russe, “fou de Dieu” qui tout jeune, pour faire pénitence, est allé travailler dans les salines sans être payé, puis a passé toute sa vie en s’enchaînant, et avec un lourd casque de fer sur la tête, pour faire pénitence. Un autre, Ivan de Rila (saint Jean de Rila), moine ermite bulgare qui a construit le premier monastère de Bulgarie et est devenu le saint patron du pays. Ni l’un ni l’autre ne convenant, j’ai poursuivi mes recherches, et suis tombé sur un site qui affirme que jusqu’à présent personne ne s’explique clairement la raison de la présence de Jean de Rila auprès des deux saints français. C’est donc bien cet Ivan bulgare…

 

Restons-en donc aux deux autres saints. Au-dessous d’eux, on voit des détenus enfermés dans une sorte de grotte derrière des barreaux pour évoquer ces esclaves chrétiens razziés par les Ottomans et rachetés par les moines Trinitaires. Mais en outre, ces deux personnages sont français, et ce n’est pas un hasard, car une inscription en latin est gravée, qui dit “LIBERATA A CONTAGIONE PATRIA ET CONCLVSA CVM GALLIS PACE”, soit “Parce que la patrie a été délivrée de l’épidémie et que la paix a été conclue avec les Français”. Cette sculpture, une autre inscription nous le dit, a été offerte par František Josef, comte Thun, en 1714. Et en effet, une terrible épidémie de peste venue de Hongrie via l’Autriche en 1713 avait frappé la Bohême avant de s’étendre à la Moravie et, à Prague, on avait déploré douze à treize mille morts, soit le quart de la population de l’époque. Le 6 mars de la même année 1714, le traité de Rastatt mettait fin à la Guerre de Succession d’Espagne entre la France et l’Autriche (à cette époque, on s’en souvient, l’empire des Habsbourg s’étend de la Bohême à la Transylvanie. Prague est donc concernée).

Prague, le Pont Charles. Du 11 au 18 septembre 2013

Et pour terminer –puisqu’il n’est pas question pour moi de disserter sur chacune des trente statues du pont– je reviens à la plus ancienne, celle à laquelle j’ai fait allusion au début.

 

Nepomuk, ouest de l’actuelle République Tchèque, an de grâce 1340. Naissance d’un petit garçon, fils d’un berger. Il est baptisé Jean. Ce Jean de Nepomuk, en français, on l’appelle Jean Népomucène. Il est pieux, il se destine au sacerdoce, il est ordonné prêtre en 1373. L’archevêque le remarque, il est archidiacre, puis chanoine de la cathédrale de Prague. En 1393, le voilà vicaire général de l’archevêque.

 

En ce temps-là règne Venceslas, dit “l’Ivrogne”, car c’est un amateur de la dive bouteille. Rien à voir avec ce saint Venceslas dont je parlais tout à l’heure, et qui l’a précédé sur le trône au dixième siècle. Comme, dans la région, le prénom Venceslas (Václav en tchèque) est courant, il se retrouve chez des monarques de divers lieux. Ainsi, notre ivrogne va être le premier du nom quand, en 1376 (de 1376 à 1400) il devient roi de Germanie. En 1378, il devient roi de Bohême en tant que Venceslas IV (jusqu’à sa mort à Prague en 1419). Et, comme duc de Luxembourg, de 1383 à 1390, il est Venceslas II. En 1389, il épouse Sophie de Bavière (1376-1425). La toute jeune reine choisira Jean pour confesseur. En 1393, Venceslas a des doutes sur la fidélité de sa femme, il craint d’être trompé, il convoque Jean et lui ordonne de dire ce que Sophie lui a confié en confession. Bien évidemment, Jean refuse de parler, il ne peut trahir le secret de la confession, qu’il s’agisse d’accuser la reine ou même de l’innocenter. Venceslas le fait torturer par le feu, sans succès. Alors il le fait jeter dans la Vltava du haut du pont Charles. Cela, c’est l’histoire authentique.

 

Pour la suite, on y croit ou pas selon les convictions de chacun: une auréole dorée, de saint, aurait apparu au-dessus de l’eau, à l’endroit où Jean Népomucène se serait noyé. Voilà pourquoi ce martyr est représenté avec cette auréole dorée sur la tête. Sur le pont, un peu plus loin, une croix marque l’endroit d’où il a été précipité dans le fleuve. Canonisé longtemps après , en 1729, il n’est donc pas encore saint quand, à la demande des Jésuites, sa statue est placée sur le pont en 1683.

Prague, le Pont Charles. Du 11 au 18 septembre 2013
Prague, le Pont Charles. Du 11 au 18 septembre 2013
Prague, le Pont Charles. Du 11 au 18 septembre 2013

Sous la statue de saint Jean Népomucène, deux plaques de bronze attirent les touristes comme des mouches sur du miel. Il leur faut toucher ces plaques, ce dont témoigne leur poli au milieu. Elles porteraient bonheur. Je suis resté un petit moment à regarder, j’ai demandé à plusieurs personnes ce qu’elles représentent et pourquoi il convient de les toucher. Sur le pourquoi, tout le monde s’accorde. Mais ce qu’elles représentent, là, aucun de mes “interviewés” ne le savait. J’avise un guide qui amène son troupeau de touristes. Il dit les amener là parce que ça porte bonheur, mais les plaques… eh bien… euh… elles doivent faire allusion à des événements de la vie de saint Jean Népomucène, non?

 

J’aurais paru prétentieux si j’avais donné la réponse. La première représente le chien du couple royal, qui symbolise la fidélité. À l’arrière-plan, on voit Jean confessant la reine Sophie derrière la grille d’un confessionnal. De la même façon, c’est en arrière-plan que se situe la scène principale de la seconde plaque, Jean basculé par-dessus le parapet du pont, tandis qu’avec le soldat la reine est sur la berge en premier plan. Il “faut” donc toucher le chien et la reine.

 

Il m’a fallu choisir, j’ai choisi. Mon choix de sculptures n’est sûrement pas celui de tel ou tel de mes lecteurs. À vous de le compléter!

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2 octobre 2016 7 02 /10 /octobre /2016 23:55
La cathédrale de Strasbourg. Dimanche 8 septembre 2013
La cathédrale de Strasbourg. Dimanche 8 septembre 2013

La cathédrale Notre-Dame de Strasbourg… un joyau d’architecture, de sculpture, d’harmonie… malgré son unique campanile. Ici, à l’époque gallo-romaine, se trouvait un temple de Mars, le guerrier. Avec l’arrivée du christianisme, l’endroit a été dédié à la Vierge. À partir du septième siècle, les choses deviennent plus précises: on sait qu’un évêque du nom d’Arbogast remplace l’église primitive par une cathédrale. Cette cathédrale sera très vite remplacée par une autre, plus vaste, au temps de Charlemagne, mais à coup sûr à la fin du huitième siècle, avant qu’il soit couronné empereur le 25 décembre 800. Suivent plusieurs incendies, plusieurs reconstructions plus ou moins partielles. C’est aux alentours de 1180 que commence l’édification de la cathédrale que nous voyons. Les travaux débutent par le chœur et un bras du transept, le style est encore roman. Mais la construction s’étire sur un temps très long, les architectes se succèdent, et quand arrive vers 1220 un architecte français ayant travaillé pour les cathédrales de Reims et de Chartres, il infléchit le style vers le gothique. Les travaux durent des siècles, la construction ne s’achève qu’en 1439.

 

Mais voilà qu’en 1518 les thèses de Luther sont placardées sur la cathédrale, cette typographie aux caractères mobiles inventée trois-quarts de siècle auparavant par Gutenberg en permet une diffusion rapide et large, et très vite la cathédrale devient luthérienne. Mais quand Louis XIV prend possession de la ville en 1681 le culte catholique y est rétabli. “Rétabli”, d’ailleurs, est ici impropre. En effet, avant Luther, le christianisme était déjà depuis longtemps séparé entre Orthodoxes et Catholiques, mais les Luthériens étaient des Catholiques “protestant” contre des actes et des prises de position du pape de Rome et des évêques qui lui obéissaient (plus ou moins d’ailleurs). Ce qui a été rétabli, c’est donc plus le culte fidèle au pape et antérieur à la Réforme que le culte catholique à proprement parler. De tout cela, l’église a lourdement pâti. En effet, les Protestants, hostiles à la figuration de Dieu et des saints, ont détruit nombre d’œuvres d’art et une quarantaine d’autels. Et les Catholiques, en reprenant possession de l’église, en détruisent, en 1682, le jubé du treizième siècle. Après les luttes inter-cultuelles vient l’ère révolutionnaire, qui fait de la cathédrale le temple de la Raison et de l’Être Suprême, ce qui coûte à l’édifice la suppression de pas moins de deux cent trente-cinq statues! Heureusement, le directeur du jardin botanique, outré, réussira à en sauver, qu’il enterre dans le jardin dont il a la charge.

 

Culminant à 142,11 mètres, sa flèche est alors la plus haute du monde (le plus haut des deux clochers de Chartres n’atteint “que” 115 mètres). C’est une insulte à l’égalité, estime un membre de la Convention. Il faut impérativement la détruire jusqu’au niveau de la plateforme. Par chance un Strasbourgeois, ferronnier de son état, est ami de l’accusateur public et lui souffle que si, à une telle hauteur, on arborait un bonnet phrygien, ce serait au contraire un symbole de la Révolution Française. C’est la solution qui est adoptée, la flèche de la cathédrale est coiffée d’un énorme bonnet phrygien de tôle peinte en rouge. Quand la situation devient plus calme, en 1801 le bâtiment n’est plus temple de la Raison mais de nouveau cathédrale Notre-Dame et en 1802 son chapeau phrygien est enlevé.

 

1870. C’est la guerre. Les Prussiens attaquent Strasbourg, la cathédrale est bombardée, la toiture flambe sans que les voûtes cèdent, à treize reprises la flèche est touchée et subit de gros dégâts, tout le pourtour des bâtiments reçoit également des obus. L’Alsace devient allemande, et c’est donc aux Allemands d’effectuer les réparations, jusqu’à ce qu’en 1918 l’Alsace redevienne française. Protestants, Catholiques, Révolutionnaires, tous ont contribué à faire souffrir cette superbe cathédrale. Mais les ingénieurs aussi car ils ont canalisé le Rhin pour en régulariser le cours, ce qui a fait baisser le niveau de la nappe phréatique. Or la cathédrale, au Moyen-Âge, avait été construite sur un sol meuble, humide, et la technique mise en œuvre à l’époque, qui consistait à faire reposer la structure de l’édifice sur des pieux de bois solidement plantés en terre sous la nappe phréatique, a résisté à l’épreuve des siècles, mais le bois désormais hors de l’eau s’est mis à pourrir, la cathédrale s’est inclinée et le campanile menaçait de s’effondrer. Les travaux n’ont donc pas seulement consisté à réparer les dégâts de la guerre, mais aussi à injecter un énorme volume de béton pour faire reposer l’édifice sur un soubassement solide.

 

Tout ce temps, la cathédrale est restée catholique, mais les tiraillements entre Catholiques et Protestants n’ont jamais cessé, comme je le disais pour le dix-neuvième siècle dans mon article précédent au sujet du socle de la statue de Gutenberg. Reprenant Strasbourg en 1940, Hitler aurait eu l’intention de retirer à la cathédrale son statut d’édifice religieux pour mettre fin à cette rivalité. Après tout, c’est ce que venait de faire Atatürk avec Sainte-Sophie de Constantinople, église chrétienne devenue mosquée en 1452 et toujours revendiquée par les Chrétiens (orthodoxes), en la transformant en musée national. Occupé ailleurs avec la guerre, il n’a pas mené son projet à son terme. En 1944 ce sont des bombes américaines qui touchent et endommagent la cathédrale, avant que la ville soit libérée. Et les vitraux ont disparu. Ils n’ont pas été brisés par les bombes, ils ont été volés par les troupes des Nazis. L’armée américaine, poursuivant sa marche en Allemagne, les découvre à Heilbronn, dissimulés au fond d’une mine de sel.

La cathédrale de Strasbourg. Dimanche 8 septembre 2013

Bon, j’ai été trop long sur mon historique de la cathédrale, il est temps de la regarder un peu. Et d’abord son flanc nord, certes plus modeste que la façade principale, à l’ouest, mais sa décoration est fine, légère, élégante. C’est ce côté notamment qui avait souffert du bombardement de 1944.

La cathédrale de Strasbourg. Dimanche 8 septembre 2013

Les sculptures sont innombrables. Sachant que lors de la Révolution beaucoup n’ont pu être sauvées par le directeur du jardin botanique, soit parce que c’était trop risqué pour lui, soit parce que, jetées au sol de plusieurs dizaines de mètres de haut elles avaient atterri en miettes, on a peine à imaginer ce que cela pouvait être avant cette catastrophe. Ici, c’est le tympan du portail central, qui représente la Passion et la Résurrection du Christ.

La cathédrale de Strasbourg. Dimanche 8 septembre 2013

Mais, depuis que le christianisme a pris la place du temple païen de Mars, tous les édifices successifs ont été voués à la Vierge Marie (sauf à l’époque de la Révolution). C’est pourquoi, au centre du portail central, on peut voir cette très belle statue de Notre-Dame, puisque tel est le nom de la cathédrale.

La cathédrale de Strasbourg. Dimanche 8 septembre 2013

Sur les côtés du portail, de grandes statues représentent les prophètes. N’étant pas capable d’identifier chacun d’eux, j’ai effectué quelques recherches, mais les livres, les sites Internet, parlent de prophètes, sans détailler qui est le premier, le second…

La cathédrale de Strasbourg. Dimanche 8 septembre 2013

Si nous passons au portail latéral droit (sur le côté sud de la façade ouest), la représentation est très intéressante. Elle illustre la parabole des vierges folles et des vierges sages. Un petit rappel? Je me contenterai de citer l’évangile de saint Matthieu, chapitre 25: “Alors le royaume des cieux sera semblable à dix vierges qui, ayant pris leurs lampes, sortirent au-devant de l'époux. Or, cinq d'entre elles étaient folles, et cinq sages. Car les folles, en prenant leurs lampes, ne prirent point d'huile avec elles, mais les sages prirent, avec leurs lampes, de l'huile dans des vases. Mais comme l'époux tardait, elles s'assoupirent toutes et s'endormirent. Or, au milieu de la nuit, il y eut un cri: Voici l'époux! sortez au-devant de lui. Alors toutes ces vierges se réveillèrent et préparèrent leurs lampes. Et les folles dirent aux sages: Donnez-nous de votre huile, car nos lampes s'éteignent. Mais les sages répondirent: Non, de peur qu'il n'y en ait pas assez pour nous et pour vous. Allez plutôt vers ceux qui en vendent, et en achetez pour vous. Mais pendant qu'elles allaient en acheter, l'époux vint, et celles qui étaient prêtes entrèrent avec lui aux noces, et la porte fut fermée. Mais plus tard viennent aussi les autres vierges, disant: Seigneur, Seigneur, ouvre-nous! Mais il leur répondit: En vérité, je vous le dis, je ne vous connais point. Veillez donc, parce que vous ne savez ni le jour ni l'heure”.

 

Pour les Chrétiens, la morale est qu’il ne faut jamais rester en état de péché, parce que la mort, et la comparution devant le tribunal divin, peut survenir à tout moment et qu’il convient d’être toujours prêt à subir ce jugement. De ce côté-ci du portail, on voit le tentateur qui tient une pomme à la main, allusion à la pomme que le serpent a tendue à Ève, il est vêtu élégamment, il porte une couronne, il semble être le prince charmant, mais on aperçoit (assez mal sur ma photo, parce que la statue est bien près du mur) sur son dos des choses bizarres. Si l’on pouvait voir mieux, on se rendrait compte que ce sont des animaux symbolisant l’enfer, des serpents, des crapauds. Quant aux femmes, on en voit une qui rit, insouciante, la seconde porte le rouleau de la Loi mais ne s’en soucie guère, la troisième tient sa lampe à l’envers, puisqu’il ne s’y trouve plus d’huile.

La cathédrale de Strasbourg. Dimanche 8 septembre 2013
La cathédrale de Strasbourg. Dimanche 8 septembre 2013
La cathédrale de Strasbourg. Dimanche 8 septembre 2013

Revenons au grand portail, pour en regarder quelques détails. Je ne parviens pas à identifier toutes les scènes, mais il me semble que le côté gauche illustre le Nouveau Testament, tandis que le côté droit se réfère à l’Ancien Testament. Sur ma première photo, il n’y a pas de doute, un homme crucifié la tête en bas, c’est saint Pierre.

 

Sur ma seconde photo, on voit trois scènes. À gauche, il semble que ce soit l’arche de Noé, et donc… l’Ancien Testament, pour me démentir. À droite, un homme qui écrit. Ce peut être l’un des quatre évangélistes, quoiqu’il soit privé de son emblème, l’aigle de saint Jean, le lion de saint Marc, etc. S’agirait-il alors de saint Jérôme, le traducteur de la Bible? Mais lui aussi, en général, est représenté avec un lion, ou un crâne. Saint Augustin, alors? Je ne sais. En revanche, cet homme que cruellement on est en train d’écorcher vif, c’est très probablement l’apôtre saint Barthélémy.

 

Sur ma troisième photo, prise de l’autre côté, on voit deux scènes. Pour les expliquer, je préfère citer le texte de la Bible. Ce sont d’abord les chapitres 1 et 2 du Livre de Jonas. “Jonas se leva […]. Descendu à Jaffa, il trouva un navire en partance pour Tarsis. Il paya son passage et s’embarqua pour s’y rendre, loin de la face du Seigneur. Mais le Seigneur lança sur la mer un vent violent, et il s’éleva une grande tempête, au point que le navire menaçait de se briser. […] Jonas était descendu dans la cale du navire, il s’était couché et dormait d’un sommeil mystérieux. […] Et les matelots se disaient entre eux: Tirons au sort pour savoir à qui nous devons ce malheur. Ils tirèrent au sort, et le sort tomba sur Jonas. Ils lui demandèrent: Dis-nous donc d’où nous vient ce malheur. Quel est ton métier? D’où viens-tu? Quel est ton pays? De quel peuple es-tu? Jonas leur répondit: Je suis Hébreu, moi, je crains le Seigneur, le Dieu du ciel, qui a fait la mer et la terre ferme. Ils lui demandèrent: Qu’est-ce que nous devons faire de toi, pour que la mer se calme autour de nous? Car la mer était de plus en plus furieuse. Il leur répondit: Prenez-moi, jetez-moi à la mer, pour que la mer se calme autour de vous. […] Ils prirent Jonas et le jetèrent à la mer. Alors la fureur de la mer tomba. […] Le Seigneur donna l’ordre à un grand poisson d’engloutir Jonas. Jonas demeura dans les entrailles du poisson trois jours et trois nuits. Depuis les entrailles du poisson, il pria le Seigneur son Dieu […]. Alors le Seigneur parla au poisson, et celui-ci rejeta Jonas sur la terre ferme”.

 

En-dessous, nous voyons un homme attaquer un lion à mains nues. On sait que Samson était doué d’une force surnaturelle, mais qui tenait à ses cheveux (que Dalila lui a coupés dans son sommeil). Ici, c’est le chapitre 14 du Livre des Juges. “Samson descendit avec son père et sa mère à Thimna. Lorsqu’ils arrivèrent aux vignes de Thimna, voici, un jeune lion rugissant vint à sa rencontre. L’esprit de l’Éternel saisit Samson et, sans avoir rien à la main, Samson déchira le lion comme on déchire un chevreau”.

La cathédrale de Strasbourg. Dimanche 8 septembre 2013
La cathédrale de Strasbourg. Dimanche 8 septembre 2013

Au-dessus du portail il y a la grande rosace. Et parce qu’une rosace est l’un des seuls éléments de l’architecture à voir de l’extérieur aussi bien que de l’intérieur, je suis amené à placer ces deux images l’une à la suite de l’autre. En effet, de l’extérieur c’est une dentelle de pierre extrêmement fine que vient barrer une flèche au-dessus du tympan. Mais on ne voit pas le vitrail, il faut pour cela être à l’intérieur, et qu’il fasse suffisamment jour dehors. Généralement, les vitraux des églises, et plus particulièrement ceux des rosaces des cathédrales, représentent des saints. Par exemple, la rosace de Notre-Dame de Paris est composée d’une multitude de petits cercles dont chacun est consacré à la représentation d’un saint personnage. À Strasbourg, on ne trouve rien de tel. La rosace représente, comme sujet principal, des épis de blé, pour démontrer la richesse des plaines appartenant à la ville et la richesse de son commerce. Cette rosace, comme les portails, est à dater de la fin du treizième siècle ou du début du quatorzième.

La cathédrale de Strasbourg. Dimanche 8 septembre 2013
La cathédrale de Strasbourg. Dimanche 8 septembre 2013

Mais revenons à l’extérieur. Juste au pied de la rosace, de part et d’autre, deux cavaliers se font face (on les distingue vaguement au bas de ma photo de la rosace). Ils sont, à gauche, Louis XIV et à droite –celui que montre ma photo ci-dessus– Rodolphe de Habsbourg (1218-1291), premier Habsbourg à régner sur l’Empire germanique. Dès le début du treizième siècle, Strasbourg était devenue ville libre ; aussi quand, en 1260, l’évêque élu veut s’arroger les pleins pouvoirs, la ville entre-t-elle en conflit. Un conflit armé qui voit, en 1262, la victoire de la population de Strasbourg aidée par Rodolphe de Habsbourg, sur l’armée de l’évêque. D’où la justification de ces deux souverains, Rodolphe qui a rendu à Strasbourg sa liberté, et Louis XIV qui l’a rattachée à la France. Il me revient à la mémoire un petit détail: c’est en l’honneur de ce Rodolphe, premier empereur de la dynastie Habsbourg, que François-Joseph d’Autriche et Sissi nommeront Rodolphe leur premier fils.

 

Je ne peux, je l’ai dit, montrer la profusion de sculptures qui recouvrent toutes les façades de l’édifice. Je terminerai donc ce petit tour avec une seconde Vierge, puisque c’est à elle que la cathédrale est dédiée.

La cathédrale de Strasbourg. Dimanche 8 septembre 2013
La cathédrale de Strasbourg. Dimanche 8 septembre 2013

Mais avant de pénétrer à l’intérieur, j’ajouterai cependant deux détails de la décoration. Une gargouille, car c’est l’un des éléments architecturaux inévitables sur tout bâtiment gothique.

 

Et aussi cette curieuse tête de griffon de fonte fixée sur le mur. J’ai lu quelque part que ce seraient (il y en a deux) des gargouilles. Je n’en crois rien, car d’une part il n’y a nulle part de gouttière y arrivant, et l’on imagine mal qu’une gouttière ait été creusée à l’intérieur même du mur et débouche dans un angle, d’autre part le bec est fermé, et ce n’est que sur chaque côté du bec que l’on voit de petites ouvertures, ce qui freinerait dangereusement l’écoulement de l’eau en cas de forte pluie. Je me demande plutôt si, dans ce bec, ne passait pas autrefois un anneau destiné à attacher les chevaux lorsque l’on entrait dans l’église, parce que ces têtes sont placées près du portail latéral, et assez bas.

La cathédrale de Strasbourg. Dimanche 8 septembre 2013
La cathédrale de Strasbourg. Dimanche 8 septembre 2013

Dans la cathédrale, on est immédiatement frappé par les dimensions imposantes de l’édifice. La nef fait 62,50 mètres de long sur 16,60 mètres de large (à titre de comparaison, à Chartres 44x16,40 et à Paris 60x12) et, au-delà du transept, la nef est prolongée par le chœur, non moins vaste et non moins splendide.

La cathédrale de Strasbourg. Dimanche 8 septembre 2013

Là encore, les merveilles abondent. Je me limiterai à très peu d’exemples, comme les sculptures de cette chaire en ronde-bosse avec cette représentation du Christ en croix.

La cathédrale de Strasbourg. Dimanche 8 septembre 2013
La cathédrale de Strasbourg. Dimanche 8 septembre 2013

Ou encore au bout du bas-côté droit, dans la chapelle Sainte-Catherine l’autel du Sacré-Cœur avec son double retable en polyptyque, celui du haut peint, celui du registre inférieur en bas-relief dont je montre un détail.

La cathédrale de Strasbourg. Dimanche 8 septembre 2013
La cathédrale de Strasbourg. Dimanche 8 septembre 2013

Cet orgue, fixé sur le flanc nord (gauche) de la nef, a une longue histoire. En 1298, un terrible incendie ravage la cathédrale et s’étend à trois cent cinquante-cinq maisons avoisinantes. L’orgue est détruit, on va en construire un nouveau. Un certain Klaus Karlé va s’en charger, de 1324 à 1327. Il place, de part et d’autre, les deux automates que nous voyons, les “Rohraffes”, c’est-à-dire en français les “Singes des tuyaux”, à gauche le héraut de la ville, qui peut emboucher sa trompette, à droite le Bretzelmann, ou vendeur de bretzels, car lorsque les pèlerins arrivaient, épuisés, affamés, il y avait affluence de ces vendeurs pour leur proposer leur marchandise. Lui, il peut bouger le bras droit et la bouche. Des volets permettaient de fermer l’orgue durant le carême. En 1384, nouvel incendie, l’orgue est détruit, mais pas ses Rohraffes, heureusement. On en construit un nouveau, plus beau, plus grand, et on lui adjoint, au-dessous, ce Samson attaquant le lion, dont la gueule est mobile. Il y a eu des orgues postérieures, mais on a toujours gardé le buffet tel que nous le voyons. Puisque sur mon blog on ne peut en écouter le jeu, il n’est pas nécessaire que j’en donne les détails. Restons donc au buffet d’orgue de 1385.

 

Or voilà qu’un siècle plus tard, à la Pentecôte, en 1490 et les années suivantes, au moment où la procession entre dans la cathédrale avec les reliques des saints, suivie de toute la foule des fidèles, un plaisantin pénètre par une trappe dans le pendentif et fait bouger les automates en chantant à tue-tête des chansons plus que profanes, et continue durant la messe, faisant rire tout le monde, sauf l’évêque et les prêtres, furieux. Le coupable peut bien se faire rudement admonester du haut de la chaire, ce n’est probablement que lorsque la cathédrale devient luthérienne que ce satané Bretzelmann se taira à la Pentecôte. En fait, il semblerait bien que le farceur en question ait été un ouvrier de la cathédrale, dûment rétribué par l’Œuvre Notre-Dame.

La cathédrale de Strasbourg. Dimanche 8 septembre 2013

Juste un petit détail en passant, parce que les bases de colonnes sont travaillées de façon esthétique, avec ces volutes qui ressemblent à des têtes d’animaux avec d’énormes yeux.

La cathédrale de Strasbourg. Dimanche 8 septembre 2013
La cathédrale de Strasbourg. Dimanche 8 septembre 2013
La cathédrale de Strasbourg. Dimanche 8 septembre 2013
La cathédrale de Strasbourg. Dimanche 8 septembre 2013
La cathédrale de Strasbourg. Dimanche 8 septembre 2013
La cathédrale de Strasbourg. Dimanche 8 septembre 2013

Et puis il y a, outre la grande rosace, de splendides vitraux. Je devrais être capable de me limiter à une ou deux photos, mais je ne peux pas. Notamment il me faut montrer certains détails, au dessin suggestif, aux couleurs magnifiques, comme cette Fuite en Égypte, cette Cène, cette Flagellation de Jésus. Une série de vitraux sont visiblement modernes, mais tout aussi surprenants, comme cette scène de l’Enfer.

La cathédrale de Strasbourg. Dimanche 8 septembre 2013

Deux statues, parmi les nombreuses sculptures de la cathédrale. Pour la première, où l’on reconnaît sainte Catherine d’Alexandrie à la roue de son supplice, nous sommes revenus à la chapelle qui lui est consacrée.

La cathédrale de Strasbourg. Dimanche 8 septembre 2013

Quant à la seconde, on reconnaît bien sûr Jeanne d’Arc. Par qui? Quand? Un petit écriteau est placé près de la statue en armure, je m’approche… “Ne pas toucher, Bitte nicht berühren”… eh bien me voilà joliment renseigné! Or il semblerait que le visage de cette statue ait quelque chose à voir avec la vraie Jeanne d’Arc. En effet, j’ai trouvé un article fort intéressant qui évoque l’aspect physique de Jeanne d’Arc. L’auteur affirme que personne ne doute de l’authenticité d’une statue de la sainte en orante agenouillée, exposée au Centre Johannique de Domrémy, copie fidèle d’une statue sculptée vers 1500, une époque où, dit-il, “on avait encore le souvenir visuel de la guerrière”. Souvenir visuel, je n’en suis pas sûr, car elle a été brûlée sur le bûcher en 1431, ce qui veut dire qu’un jeune de quinze ans l’ayant vue dans les derniers jours avant son exécution aurait été âgé de quatre-vingt-cinq ans lorsqu’a été réalisée la statue, et que le sculpteur aurait pu rencontrer ce témoin oculaire. Par ailleurs, constatant qu’elle n’est pas physiquement à son avantage, “plutôt boulotte, avec un visage rondouillard, le cou bref, et des mains démesurées”, ce qui correspond bien peu à l’image idéalisée que l’on se fait d’une sainte et d’une héroïne, il est renforcé dans son idée que la statue est ressemblante. Cet argument-là me convainc beaucoup plus, et l’on peut alors admettre que soixante-dix ans après sa mort le souvenir de son apparence pouvait fort bien s’être transmis oralement. Ce ne sont pas les traits précis d’un visage, que l’on peut décrire fidèlement à ses enfants ou à ses petits-enfants, mais une physionomie générale, un aspect, une impression d’ensemble. Mais il y a tout de même un hic, cette statue porte les cheveux longs, alors que, comme chacun sait, Jeanne d’Arc se coiffait comme un homme de l’époque, à savoir les cheveux coupés “à l’écuelle”, un centimètre au-dessus des oreilles.

 

Il évoque alors une autre hypothèse. Il pense que le modèle a pu être Jeanne des Armoises. Pour ceux de mes lecteurs qui ne se souviendraient pas de l’histoire de cette dame, la voici en quelques mots. Une certaine Claude du Lis, que certains supposent être la fille qu’Isabeau de Bavière, trompant son mari le roi Charles VI, aurait eue avec le duc d’Orléans, avait été donnée en nourrice à une famille de paysans de Domrémy. 1431, donc, Jeanne d’Arc meurt à Orléans. En 1436, cette jeune femme déclare être Jeanne d’Arc, prétendant avoir réussi à échapper au bûcher. Elle est crue. Elle épouse cette même année Robert des Armoises. Et voilà, Claude du Lis est devenue Jeanne des Armoises. Mais la Pucelle d’Orléans n’est plus pucelle… La supercherie fonctionne dans la durée. Au bout de quatre ans, en 1440, le roi Charles VII, qui avait armé Jeanne, accepte de la recevoir. Lors de l’entrevue, il lui demande –a-t-il eu un doute en la voyant?– de lui dire le secret que lui et elle étaient seuls à connaître. Évidemment, elle ne le peut. Le Parlement de Paris la contraint à avouer publiquement la tromperie, et devenue Claude des Armoises elle devra se retirer sur les terres de son époux. Cette histoire de morte qui est supposée avoir échappé à son sort me rappelle celle de la grande duchesse Anastasia Romanov.

 

ar conséquent, si cette Claude du Lis ressemblait assez à Jeanne d’Arc pour avoir été prise pour elle par des chevaliers qui avaient connu la vraie, si elle portait des cheveux longs, laissant penser que, ne se vêtant plus en homme pour guerroyer, elle les avait laissés repousser de 1431 à 1436, et si elle a vécu encore un bon nombre d’années avec son mari à Jaulny, en Lorraine (département actuel de Meurthe-et-Moselle), elle a fort bien pu laisser un “souvenir visuel” qui aurait servi à inspirer le sculpteur. Selon l’auteur de l’article, des artistes lorrains ont reproduit le visage de la statue en l’affinant et en lui coupant les cheveux à l’écuelle. Et il dit avoir trouvé une sculpture lui ressemblant beaucoup: cette statue en armure de la cathédrale de Strasbourg. Et voilà, à défaut d’en savoir plus sur cette statue en armure, j’ai eu plaisir à lire cet article, et à me remémorer l’histoire de cette imposture.

La cathédrale de Strasbourg. Dimanche 8 septembre 2013
La cathédrale de Strasbourg. Dimanche 8 septembre 2013

Et puis bien sûr, la cathédrale de Strasbourg c’est aussi sa célèbre horloge astronomique. Elle fait durer la visite, car quand on l’entend sonner on se précipite, mais le temps d’arriver on a manqué une partie du spectacle, alors on se sent obligé de rester une heure de plus en surveillant sa montre pour assister à tout le défilé des automates, aux quarts d’heure et à l’heure entière.

 

Il avait existé une première horloge avec des automates, construite entre 1352 et 1354, mais moins de deux siècles plus tard elle avait décidé de se croiser les bras. Il a fallu la remplacer. En 1547 puis en 1574 a été réalisée une horloge dotée d’un calendrier perpétuel mais pour les fêtes mobiles elle était limitée à une durée de cent ans. Elle montrait en outre le mouvement des planètes. Et cette horloge est tombée en panne vers la fin du dix-huitième siècle. Dans le buffet de cette seconde horloge, que nous pouvons donc voir aujourd’hui, un nouveau mécanisme a été créé de 1838 à 1843. Gros progrès par rapport à l’horloge précédente, au lieu d’avoir “appris” les dates des fêtes mobiles sur une durée forcément limitée, la nouvelle horloge est capable de les calculer, ce qui lui donne une durée de performance illimitée… si elle ne tombe pas en panne. Et c’est bien sûr aussi une horloge astronomique qui montre la position des planètes, le zodiaque et les phases de la lune, en plus d’indiquer la date, jour, mois, année.

La cathédrale de Strasbourg. Dimanche 8 septembre 2013
La cathédrale de Strasbourg. Dimanche 8 septembre 2013

Je parlais des automates. C’est un vrai spectacle. Et s’il est nécessaire de voir plus qu’un quart d’heure, c’est parce que selon le moment la Mort est précédée d’un personnage à l’un des stades de la vie. Au quart d’heure le personnage est dans l’enfance, à la demi-heure en pleine jeunesse, aux trois-quarts dans la maturité, et à l’heure c’est un vieillard. Sur ma première photo ci-dessus on voit le char du soleil conduit par Phébus Apollon et ses chevaux, suivi du char de la lune mené par Diane et sa biche. Sur ma seconde photo, j’ai déclenché ma photo un tout petit peu trop tard, l’enfant disparaît, la Mort est en plein milieu. Il est inutile que je multiplie les photos, car le spectacle tient essentiellement à l’animation, tandis que l’ange frappe sur une cloche. Il faut donc absolument se rendre en personne à Strasbourg. Sans compter que la ville comporte mille autres points d’intérêt.

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30 septembre 2016 5 30 /09 /septembre /2016 23:55

En route vers Prague, nous faisons halte à Strasbourg. Une brève halte de quelques heures, juste le temps de marcher un peu dans la ville et de visiter la cathédrale, et nous devons rapidement retourner au camping-car pour faire quelques kilomètres encore, car nous passerons la nuit sur une aire d’autoroute entre Heilbronn et Nuremberg.

 

C’est, j’en suis parfaitement conscient, un peu manquer de respect pour cette grande ville qui mériterait mieux et plus de temps. Ce n’est pas seulement le siège du Conseil de l’Europe, c’est une grande métropole régionale chargée d’histoire. Elle a été allemande, même quand les traités de Westphalie, en 1648, ont rattaché l’Alsace à la France, restant une ville libre jusqu’à ce que Louis XIV, en 1681, aille en prendre possession en en faisant brièvement le siège. Elle a vu naître bien des personnalités, comme le maréchal d’Empire Kellermann en 1735, le général Kléber en 1753, Louis Ier de Bavière en 1786, Gustave Doré en 1832, Charles de Foucauld en 1858, Claude Rich en 1929, Herbert Léonard en 1945…

 

Cela, sans compter ceux qui, sans y être nés, y ont vécu, comme Gutenberg qui y a passé une dizaine d’années au milieu du quinzième siècle et y a commencé à réfléchir aux caractères typographiques mobiles (mais il est né et mort à Mayence et à cette époque Strasbourg était encore allemande), ou encore Goethe qui est venu y étudier le droit en 1770-1771 (depuis près d’un siècle Strasbourg était rattachée à la France mais sa brillante université accueillait de nombreux étudiants étrangers, allemands, britanniques, russes…), ou Rouget de Lisle qui y a composé la Marseillaise, pour n’en citer que quelques-uns.

 

Ayant travaillé deux ans et demi (ce “et demi” pour cause de départ pour l’hémisphère sud) au lycée de Guebwiller, j’ai eu bien souvent l’occasion de me rendre au rectorat de Strasbourg (à 102 kilomètres, je me rappelle!), je connais la ville. Toutefois, y étant pour le travail, je me devais de revenir au bureau dès la réunion terminée, ou dès la négociation menée à son terme. Il est arrivé parfois cependant que, libéré après 18 ou 19 heures, je n’aie pas de scrupules professionnels pour m’attarder un peu. Mais c’étaient des visites si réduites, et il y a si longtemps (septembre 1979 à février 1982), que mieux vaut dire que je ne connais pas Strasbourg. Et ce n’est pas la visite d’aujourd’hui, hélas, qui a changé beaucoup de choses. Je commence par un tout petit tour en ville où je ne dirai rien de la merveilleuse cathédrale, parce que mon prochain article lui sera réservé.

Strasbourg. Dimanche 8 septembre 2013

Alors, qu’avons-nous vu à Strasbourg? De l’endroit où nous étions garés, nous avons gagné le barrage Vauban, qui a été construit sur l’Ill de 1686 à 1700, après que la ville a été prise par Louis XIV. Il est classé aux monuments historiques depuis 1971. En amont, on trouve des terres cultivées, des vergers, qui sont inondés si les arches du barrage sont fermées, et donc transformés en marécages fort difficiles à franchir. Telle était la destination militaire du barrage, pour éviter ou retarder grandement l’avancée d’un ennemi éventuel. Cet ennemi s’est trouvé en 1870, quand l’armée prussienne est venue assiéger la ville. Malgré cette défense, Strasbourg a été prise au bout d’un mois et demi.

Strasbourg. Dimanche 8 septembre 2013
Strasbourg. Dimanche 8 septembre 2013

Le passage sur le barrage, dans un long tunnel, est ouvert au public de 6h à 21h, ce qui est sans doute pratique pour les habitants, mais aussi très intéressant pour les touristes, d’autant plus qu’une terrasse offre une très belle vue. Sur la plaque indiquant les horaires d’ouverture, il est dit “Cyclistes, mettez pied à terre”; or ma première photo ne permet que très difficilement de le distinguer, mais ce que l’on voit tout au fond est une cycliste en train de pédaler sur son vélo. Soyons sympa, supposons qu’elle a cru respecter la règle en posant un pied au sol (la grammaire française exige l’usage du singulier), puis qu’elle est repartie en selle… Préfère-t-elle être considérée comme un peu stupide ou comme contrevenante?

Strasbourg. Dimanche 8 septembre 2013

On a pu apercevoir sur mes photos précédentes, que des grilles bordaient le couloir. Derrière les grilles sont placées des statues qui, paraît-il, sont des moulages de plâtre des statues de la cathédrale. Ici, devant un roi que je n’identifie pas (je ne saurais dire si c’est un roi de la Bible, David, Salomon…, ou un roi allemand de l’époque du bâtiment), on voit un homme ailé à tête de lion pourvu d’une auréole. Ce ne peut être, bien sûr, que saint Marc, l’évangéliste dont l’attribut est le lion et qui est habituellement représenté ailé. Mais tantôt c’est un lion ailé, tantôt c’est un homme accompagné d’un lion, je ne l’avais encore jamais vu en lion habillé comme un homme, avec des pieds et des mains humains.

Strasbourg. Dimanche 8 septembre 2013

Le barrage est pourvu de trois ponts-levis ainsi que de portes d’écluse permettant de le fermer. Il est donc normal que l’on puisse voir en divers endroits des machineries et de grosses chaînes.

Strasbourg. Dimanche 8 septembre 2013
Strasbourg. Dimanche 8 septembre 2013

Tout près en aval du barrage Vauban, se trouvent trois ponts successifs permettant de relier les deux rives de l’Ill. Ce sont les Ponts Couverts, construits de 1230 à 1250, donc beaucoup plus anciens que le barrage. Ma première photo ci-dessus est prise depuis la terrasse du barrage Vauban, l’autre photo a été prise de l’autre côté.

Strasbourg. Dimanche 8 septembre 2013
Strasbourg. Dimanche 8 septembre 2013

Les Ponts Couverts continuent d’être appelés de ce nom, quoique depuis 1784 leur toiture ait été enlevée. Ils sont gardés par quatre tours fortifiées qui ont été classées aux monuments historiques en 1928. Dans son Mémoire historique sur les anciens monuments militaires de la ville de Strasbourg, publié en 1822, M. Coqueugniot, qui est un ancien colonel d’infanterie, écrit: “Sans cette défense une armée ennemie, qui aurait voulu assiéger la ville aurait pu construire, sur le bord de l'Ill, à une distance quelconque de la ville, deux forts bateaux dont les dimensions auraient été telles qu'en les faisant couler bas, par une simple ouverture faite au fond de chaque bateau, ils auraient pu fermer hermétiquement les deux fossés; car le chêne vert et l'orme sont plus pesants que l'eau, et il aurait été facile de trouver ces deux espèces de bois, en quantité suffisante, pour construire les deux bateaux de barrage […]. Ce n'est pas pour servir de magasin que l'on a construit le bâtiment appuyé sur les pilasses; c'est pour y loger des défenseurs, comme pour y placer des machines de guerre et des munitions. La toiture elle-même serait très utile, parce qu'elle mettrait les défenseurs à couvert des traits que lanceraient les tours nautiques, dont j'ai donné la description dans l'article précédent; et que, dans le cas où les béliers de ces tours feraient ébouler les pilasses, tout le corps du bâtiment, en tombant dans l'eau, formerait un obstacle qui arrêterait la marche des tours nautiques, des tortues et des bateaux d'attaque. Les petites fenêtres, que l'on voit sur les côtés du pont-couvert, sont des meurtrières par où les assiégés auraient tiré sur les assiégeants”.

Strasbourg. Dimanche 8 septembre 2013
Strasbourg. Dimanche 8 septembre 2013
Strasbourg. Dimanche 8 septembre 2013

Le barrage Vauban, les Ponts Couverts se trouvent dans un quartier de Strasbourg nommé la Petite France. C’est un coin très romantique, entre l’eau, les frondaisons, les maisons typiques alsaciennes colorées, avec leur armature de colombages.

Strasbourg. Dimanche 8 septembre 2013
Strasbourg. Dimanche 8 septembre 2013

J’ajoute ces photos de bâtiments typiquement alsaciens. Je dis “typiquement”, parce que si l’Alsace n’est nullement la seule région usant du colombage (rien qu’en France, en se déplaçant d’est en ouest, on en trouve beaucoup à Troyes, et en Normandie), en revanche chaque pays, chaque région, a son style architectural propre pour disposer les poutres, pour la forme du toit (ici adaptée aux chutes de neige plus abondantes qu’en Champagne et surtout que près de la Manche). Les lignes sont à la fois puissantes et harmonieuses. Aujourd’hui, entre les bois des colombages, on utilise des matériaux plus solides et durables, ciment ou brique, mais autrefois c’était du torchis, composé principalement de paille hachée. Bois et paille, des combustibles merveilleux pour les incendies. À côté de ces maisons particulières, les bâtiments publics, hôtel de ville, marché, églises, etc., étaient construits en pierre.

Strasbourg. Dimanche 8 septembre 2013
Strasbourg. Dimanche 8 septembre 2013

En quittant cette charmante Petite France, nous nous sommes dirigés vers le plein centre, vers la place de la Cathédrale, qui a su garder son caractère, sans que les boutiques de colifichets pour touristes, les bars et restaurants, la défigurent. J’ajoute une photo d’un détail de l’intéressante façade qui habille ce merveilleux bâtiment ancien.

Strasbourg. Dimanche 8 septembre 2013

Les façades sont souvent décorées de toutes sortes de sculptures. Mais comme ailleurs en France et dans la plupart des pays d’Europe, ce sont bien souvent des statues de saints qui ont été placées pour protéger les habitants en même temps que pour décorer. Sur ma photo, cette femme tient en main un coffret d’où sort un collier, et elle porte une croix sur la poitrine. J’ai eu beau chercher, je n’ai pas trouvé qui c’était. Alors j’ai cherché sur Internet la composition du conseil municipal de Strasbourg, et j’ai trouvé que le premier adjoint au maire, monsieur Alain Fontanel, était chargé de la culture. J’ai décidé de lui écrire pour lui poser la question. Sa réponse a été très rapide, très aimable et extrêmement complète (ce qui est loin d’être le cas quand, en d’autres circonstances, j’ai posé ce genre de questions dans d’autres villes). C’est pourquoi je me permets de donner son nom ici et, plutôt que d’extraire de son courriel certaines informations, je préfère le citer textuellement: “La sculpture est située sur l’arête du bâtiment situé 89 rue des Grandes Arcades. L’immeuble avait été sinistré par les bombardements de 1944 et reconstruit de 1950 à 1954 par le bijoutier Jean Roger. Il semblerait que cette femme, en costume strasbourgeois du XVI° siècle, soit l’épouse du bijoutier tenant un coffret à bijoux dans sa main. Elle est l’œuvre du sculpteur strasbourgeois Alphonse Rompel (1895-1971)”. Voilà qui est clair et complet. Merci, Monsieur le Maire-Adjoint.

Strasbourg. Dimanche 8 septembre 2013
Strasbourg. Dimanche 8 septembre 2013

Et puis immanquablement il y a une grande statue de bronze à l’effigie de Gutenberg avec sa presse d’imprimerie sur la place qui porte son nom. Avec ses 3,30 mètres de haut, elle date de 1840 et elle est l’œuvre de David d’Angers et la belle façade que l’on distingue derrière lui est celle de la Chambre de Commerce qui date de 1585. Sur le document qu’il tient en main, on peut lire “Et la lumière fut”, phrase qui se trouve dans la Genèse. L’imprimerie, parce qu’elle permet la diffusion culturelle par le livre tiré en de nombreux exemplaires beaucoup moins coûteux que les manuscrits sur parchemin, est présentée comme la lumière qui éclaire le monde.

Strasbourg. Dimanche 8 septembre 2013

Le socle de la statue est de plan carré. Sur chacune de ses faces de grès rose des Vosges, une plaque de ce même David d’Angers représente une des quatre parties du monde, et ce que l’imprimerie lui a apporté. C’est pourquoi chacune des plaques représente, en son centre, une presse autour de laquelle la scène s’organise. C’est par l’Europe, du côté où Gutenberg fait face, que l’on commence, en mettant à l’honneur notre grand philosophe national, René Descartes. Descartes a écrit les Méditations métaphysiques, alors que fait-il, devant la presse? Il médite, bien sûr, c’est ce qu’a de mieux à faire un philosophe!

 

Plus que les autres religions chrétiennes, le protestantisme prône la lecture de la Bible et, le premier livre imprimé par Gutenberg ayant été sa célèbre Bible à quarante-deux lignes, David avait représenté Luther comme personnage central. Il serait absurde de vouloir dire si Gutenberg était catholique ou protestant, vu qu’il était mort (1468) avant la naissance de Luther (1483) ou de Calvin (1509), mais la ville de Strasbourg, au dix-neuvième siècle comme dans les siècles précédents et comme aujourd’hui encore, a toujours vu sa population partagée entre ces deux cultes (sans parler des Juifs). Aussi, la réaction des Catholiques a-t-elle été violente. Le conseil municipal a alors demandé à David de modifier son projet. Il place alors, à égalité d’importance, Luther et Bossuet, cet évêque catholique faisant pendant au réformateur. Ce n’est pas assez, les Catholiques intégristes réclament la disparition complète de Luther. David est outré. Il écrit au maire “Il n’est venu à l’esprit de personne de voir dans le bas-relief de l’Europe une lutte religieuse; il serait inouï qu’une ville aussi éclairée que Strasbourg donnât au monde un exemple d’aussi absurde intolérance. Cela n’est pas croyable”. Mais toute négociation ayant échoué, le maire cède et David remplace Luther et Bossuet par Érasme et Montesquieu. Dans cette foule de célébrités, toutes individualisées, je devrais aussi reconnaître des philosophes, des auteurs dramatiques, des peintres et des sculpteurs, des scientifiques, tels que Voltaire ou Rousseau, Kant, Hegel ou Goethe, Shakespeare ou Molière, Poussin ou Raphaël, Copernic, Newton, Linné ou Ambroise Paré.

Strasbourg. Dimanche 8 septembre 2013

En tournant vers la face qui suit vers la droite, on trouve l’Asie avec en arrière-plan à droite une divinité sur un piédestal. Au milieu, devant la presse, des Européens –l’indianiste français Duperron et l’orientaliste anglais William Jones– échangent des livres imprimés contre des manuscrits que des brahmanes lettrés leur tendent. Derrière les Européens, à gauche, on voit un Turc lisant un petit livre imprimé, tandis que, de face, le sultan Mahmoud II, son turban ottoman posé à terre, lit Le Moniteur universel, journal officiel du gouvernement français. Même si la France est redevenue un royaume, même si Louis-Philippe a rétabli la censure, c’est malgré tout une monarchie constitutionnelle, où les Républicains peuvent faire entendre (discrètement) leur voix, à l’opposé de l’Empire Ottoman, qui reste à l’opposé de la démocratie et où les presses à imprimer sont restées très longtemps interdites. Voir le sultan lire un journal est donc significatif de ce qu’apporte l’imprimerie. À droite, un Européen instruit des enfants asiatiques assis sur le sol.

Strasbourg. Dimanche 8 septembre 2013

L’Afrique, au dos du monument. L’image est forte. Au premier plan, sur la droite, des chaînes et des entraves sont posées sur un tronc. Au sol, au milieu, un fouet. Du côté droit, un Européen délie un esclave noir, tandis qu’un autre Africain lui baise la jambe en signe de reconnaissance. Derrière la presse, des Européens distribuent des livres à des Noirs qui se précipitent, avides de savoir. Devant à gauche, un Africain serrant un petit livre sur son cœur et un Européen –le philanthrope anglais William Wilberforce, fervent partisan de l’abolition de l’esclavage– sont tombés dans les bras l’un de l’autre. Il faut se souvenir que l’esclavage, un temps aboli par la Révolution française (1794), avait été rétabli par Bonaparte premier consul en 1802, et ce n’est qu’en 1848, soit quelques années après la pose de ces plaques en 1844, que Victor Schœlcher obtiendra enfin son abolition définitive. Ce choix de sujet, cette représentation, disent assez les convictions républicaines et humanistes de David d’Angers.

Strasbourg. Dimanche 8 septembre 2013

En continuant de tourner, on arrive au quatrième côté, l’Amérique. Devant la presse, un texte composé avec les caractères typographiques en relief, et un homme tient un papier de même dimension, c’est le document qui vient tout juste d’être imprimé. Cet homme, c’est Benjamin Franklin et ce texte, c’est la Déclaration d’indépendance des treize États-Unis d’Amérique. Sont aussi présents Washington, Jefferson qui est l’auteur du texte, et La Fayette un peu plus à gauche, serrant sur sa poitrine l’épée que le pays lui a remise en remerciement des services rendus. À droite, on trouve Simon Bolivar, qui a été l’acteur principal de l’indépendance d’une grande partie du nord de l’Amérique du Sud, depuis Panama jusqu’au Pérou; il reçoit les marques d’affection des Indiens.

 

Si je me suis tant attardé sur ce monument, c’est d’une part parce que Gutenberg a beau être né et mort ailleurs, avoir réalisé concrètement son invention ailleurs, il n’en est pas moins un personnage essentiel de Strasbourg, où il a imaginé le procédé qui allait révolutionner le monde, et où il a travaillé à la composition chimique de l’alliage métallique approprié. C’est d’autre part parce que ces quatre bas-reliefs de David d’Angers sont intéressants à voir, mais encore mille fois plus intéressants lorsque l’on comprend le détail de ce qu’ils représentent. J’ajouterai que j’ai, à titre très personnel, un intérêt particulier à évoquer Benjamin Franklin. En effet, mes fonctions de proviseur du lycée Léonard de Vinci à Melun faisaient de moi, de facto, le directeur pédagogique du GRETA (établissement public d’enseignement pour personnes sorties du système scolaire) de La Rochette, qui était à l’époque installé dans les locaux d’un petit château à vrai dire en assez piètre état, dans le grenier duquel se trouvait une longue barre de fer à première vue assez banale, mais qui était un paratonnerre que Benjamin Franklin en personne avait placé sur le château quand le système était encore à l’état expérimental.

 

À présent, avant de passer à mon prochain article sur la cathédrale de Strasbourg, encore deux photos.

Strasbourg. Dimanche 8 septembre 2013

Parmi les personnages célèbres que j’avais cités au début, je n’ai parlé ensuite que de Gutenberg. Or je suis tombé sur un immeuble portant ces deux plaques, elles sont pour moi l’occasion de ne pas laisser isolé ce grand inventeur. Je ne montre pas le bâtiment, puisque les plaques disent “Ici s’élevait…” ce qui signifie que le bâtiment a été remplacé par un autre. Mais c’est en ce lieu que, pour la première fois, la Marseillaise a été chantée par Rouget de Lisle, et en ce lieu également qu’est né Charles de Foucauld.

Strasbourg. Dimanche 8 septembre 2013

Et puis quelque chose qui n’est certes pas propre à Strasbourg puisque la ville le partage avec toute l’Alsace, le bilinguisme. La langue alsacienne est un dialecte allemand, et elle est encore pratiquée couramment. Les quotidiens existent en deux versions, le titre étant imprimé en bleu ou en rouge selon qu’il s’agit de la version en langue allemande ou en langue française. L’Alsace, dans son immense majorité, dans sa quasi-totalité, est attachée à la France, mais elle tient jalousement à ses particularités, et elle a bien raison. La conquête de Louis XIV est lointaine, mais le passage à l’Allemagne comme conséquence de la guerre de 1870, le retour à la France après la Première Guerre Mondiale, la reprise par l’Allemagne en 1939 et la libération de 1945 sont des événements relativement récents et très douloureux, mais qui ont permis à cette région de garder sa double personnalité, à la différence de la Bretagne, par exemple, qui revient depuis quelques années à la pratique de sa langue, mais il y a eu une rupture, une génération au cours de laquelle la langue bretonne n’a plus été langue maternelle pour personne. Et c’est ainsi que les plaques de rues sont bilingues de façon toute naturelle.

 

Une anecdote pour terminer. À l’époque où je travaillais à Guebwiller, il y a plus de trente ans, la monnaie unique et l’Euro n’existaient pas, bien entendu. Un matin, achetant mon journal, je trouve la libraire hors d’elle: “Vous l’avez vu, ce type que vous avez croisé quand vous êtes entré? Imaginez-vous qu’il m’a demandé si j’acceptais les francs, ou seulement les marks!” Hé oui, c’était un Français, il s’était rendu en Alsace, et parce qu’autour de lui il entendait parler allemand il ne s’était pas rendu compte que l’Alsace était française… Pourtant, les frontières existaient encore entre la France et l’Allemagne, et il aurait pu se rendre compte qu’il n’en avait pas franchi… À moins que ce n’ait été une pure agressivité d’un “Français de l’intérieur”, comme disent les Alsaciens, montrant sa désapprobation que l’on ose s’exprimer, en France, en une langue autre que le français… Quoi qu’il en soit, cette anecdote est, pour moi, si pleine de signification que je ne l’ai pas oubliée au bout de tant d’années.

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28 septembre 2016 3 28 /09 /septembre /2016 23:55

Une grande section du musée du Cateau-Cambrésis est consacrée à Tériade. Mais qui est donc ce Tériade dont nous avons beaucoup entendu parler depuis que nous sommes en Grèce, mais que j’avoue avoir totalement ignoré auparavant? Et qu’est-ce qu’il vient faire ici, dans ce musée Matisse? Je vais dans un premier temps essayer de répondre à ces questions.

 

En mai 1897 naît sur l’île grecque de Lesbos, la patrie de la poétesse antique Sappho, à Vareia une banlieue de la capitale Mytilène (d’ailleurs, bien souvent aujourd’hui les Grecs appellent Mytilène l’île entière) un bébé nommé Stratès Élefthériadès. À dix-huit ans, en 1915, après avoir achevé ses études secondaires dans sa patrie tout en se livrant en amateur à la peinture, il se rend à Paris pour étudier le droit. Fréquentant la bohème parisienne de l’époque, le Tout Montparnasse, il a l’occasion de rencontrer bien des artistes. En 1926, il devient critique d’art sous des pseudonymes, avant de prendre définitivement celui de Tériade, qui est un abrégé francisé de son nom de famille, [Élef]thériad[ès]. Et comme la prononciation grecque moderne de la lettre Θ, que l’on transcrit TH en français, ressemble un peu à celle du TH sourd anglais (celui de path, de theatre) et que ce son pose souvent des problèmes aux gosiers des Français, il a tout simplifié en supprimant le H: Tériade.

Tériade au Cateau-Cambrésis. Vendredi 23 août 2013
Tériade au Cateau-Cambrésis. Vendredi 23 août 2013

Ci-dessus, première photo, le portrait de Tériade en 1960, une huile sur toile de Giacometti. Les deux hommes s’étaient rencontrés dès 1926, et Giacometti est devenu l’un des meilleurs amis de Tériade. La deuxième photo ci-dessus les représente tous deux, pris par Henri Cartier-Bresson.

 

Mais je reviens à mon récit: nous trouvons donc Tériade critique aux Cahiers d’art en 1926, puis un peu plus tard responsable de la section moderne à l’Intransigeant, un quotidien parisien. De 1931 à 1937, associé à Albert Skira, il publie les Métamorphoses d’Ovide, illustrées par Picasso, puis les Poésies de Mallarmé illustrées par Matisse. Matisse? Début (mais début seulement) de l’explication de sa présence dans ce musée. Quand, en 1933, Skira crée la revue Minotaure, à dominante surréaliste, Tériade en est le directeur artistique et, très vite, cette revue devient célèbre. Le voilà désormais en contact avec l’édition. Puis, en 1937 il crée sa propre revue artistique trimestrielle, Verve, qu’il dirigera jusqu’en 1960. Il y publie les plus fameux des peintres, des écrivains, des photographes, des sculpteurs contemporains. On y retrouve des noms comme Bonnard, Matisse, Georges Braque, Picasso, Chagall, Fernand Léger, Miró…

Tériade au Cateau-Cambrésis. Vendredi 23 août 2013
Tériade au Cateau-Cambrésis. Vendredi 23 août 2013

Les photos ci-dessus montrent d’abord Tériade avec Chagall à la villa Les Collines, à Vence, vers 1950, et ensuite Tériade avec Fernand Léger, également vers 1950. En tant qu’éditeur, il va publier, entre 1943 et 1974, vingt-sept grands livres, entièrement réalisés chacun par un artiste, illustration, typographie ou calligraphie, ornements, bandeaux, lettrines, culs-de-lampe. Ce sont surtout ces publications, véritables œuvres d’art par elles-mêmes, qui l’ont rendu célèbre.

Tériade au Cateau-Cambrésis. Vendredi 23 août 2013

Par exemple, ce sera Le Chant des morts de Pierre Reverdy, avec des enluminures lithographiées de Picasso. Ci-dessus, on voit Tériade et Pierre Reverdy sur une photo d’Henri Cartier-Bresson. “Si j'ai pu réussir à rapprocher les poètes et les peintres au travers de ces livres, je le dois principalement au fait que ces hommes ont vu en moi d'abord un ami, un des leurs, parlant la même langue qu'eux. Sans l'amitié, je ne serais parvenu à rien. Ne demandez pas d'autre explication. Il n'y a ni héros ni mystère”, écrit-il.

Tériade au Cateau-Cambrésis. Vendredi 23 août 2013
Tériade au Cateau-Cambrésis. Vendredi 23 août 2013

Et puis il va y avoir deux événements après la Seconde Guerre Mondiale: en 1946 l’acquisition de la Villa Natacha et en 1949 la rencontre avec Alice Génin qui va devenir sa femme. Sur la villa, c’est elle qui écrit: “En 1946, Tériade avait acquis à Saint-Jean-Cap-Ferrat, pour un prix modique, un ancien mas de pêcheur. C'était pour lui comme un ermitage… Qu'il n'entrouvrait que pour ses amis les plus chers et pour les plus grands artistes, comme Matisse au soir de sa vie, venant contempler la mer et le ciel.” Voilà donc où venaient les plus proches, et où ils lui ont fait de merveilleux cadeaux, comme nous allons le voir un peu plus loin. La première photo montre Tériade et Alice dans le jardin de la villa Natacha, la seconde Odysseas Elytis, poète grec futur prix Nobel de littérature (1979) dans le même jardin, en 1951, où l’on reconnaît la sculpture de Modigliani qui est aujourd’hui dans la cour du musée. D’ailleurs, Elytis composera un poème intitulé Villa Natacha. Cette seconde photo ne vient pas du musée du Cateau-Cambrésis, je l’avais prise à Athènes, lors d’une exposition réservée à Elytis (voir mon article Exposition Odysseas Elytis. Mardi 1er novembre 2011).

 

Quant à sa femme Alice, pour qui il a eu le coup de foudre, c’est Jean Leymarie qui écrit à son sujet qu’elle a été “éblouie par la simplicité de cet homme si brillant et cultivé” et lui a “la certitude d’avoir à ses côtés la compagne idéale, à laquelle il ne demandera rien, dont il attendra et recevra tout, celle qui lui permettra de poursuivre son œuvre”.

Tériade au Cateau-Cambrésis. Vendredi 23 août 2013

Avec toutes ses publications d’une qualité exceptionnelle, Tériade a atteint à une célébrité rare pour un éditeur d’art. “L’éditeur est un homme très fort, qui a une grande influence sur les artistes, surtout quand il aime tellement passionnément le livre qu’il en fait sa vie”, avait écrit à son propos Henri Matisse. En 1973, une exposition Hommage à Tériade ouvre ses portes à Paris. Pendant neuf ans, elle tournera en Europe, Londres, Budapest, l’Italie, l’Espagne. En 1979, il inaugure lui-même son musée à Vareia (j’évoquais cette banlieue de Mytilène, sur l’île de Lesbos, au sujet de sa naissance). Tériade est mort en 1983 à Paris, il est enterré au cimetière du Montparnasse. Sur la photo ci-dessus, il est à la Fondation Maeght en compagnie de Jacques Prévert, Alice, Adrien Maeght.

 

Je publie cette visite d’août 2013 si tard… plusieurs années ont passé. Je peux donc ajouter que ce musée a été fermé pour rénovation. Il devait être prêt fin 2013. Nous nous sommes rendus à Lesbos en 2014 (peut-être un jour en rendrai-je compte dans un article) parce que le téléphone du musée ne répondant pas, nous nous sommes fiés à son site Internet et à celui du ministère grec de la culture, qui maintenaient décembre 2013. Toujours est-il que le 19 juin 2014 nous étions à Vareia, devant une porte close et un panneau signalant la contribution de fonds européens pour des travaux en cours. J’écris ces lignes en 2016, et il paraîtrait que les portes du musée Tériade soient enfin réellement ouvertes sur des locaux rénovés. Nous ne sommes plus en Grèce...

Tériade au Cateau-Cambrésis. Vendredi 23 août 2013

Après la mort de Tériade, Alice a donc prêté nombre de ses œuvres d’édition à une exposition itinérante, elle en a vendu une autre partie, elle a effectué un don d’œuvres aussi, mais elle a souhaité qu’au moins un exemplaire de chacun de ses livres d’art trouve une place dans un musée, ainsi que diverses pièces d’art de sa collection, tableaux, sculptures, parce que c’étaient des cadeaux d’artistes à son mari. Or il se trouve que la jeune directrice du musée Matisse, une personne extrêmement dynamique et ouverte, d’après ce que j’ai lu à son sujet (car je ne la connais pas personnellement), qui a beaucoup fait pour que son musée, dans une bien petite ville, parvienne à un niveau national, a immédiatement mis à la disposition d’Alice plusieurs salles dans le musée d’un des plus chers amis de son mari. En 1995, Alice était au Cateau-Cambrésis pour l’exposition Matisse et Cartier-Bresson; en 1996, elle y retourne pour l’exposition Matisse et Tériade; en décembre 1999, elle décide de la donation des œuvres de son mari au musée et signe cette donation en juin 2000; en 2002 le musée Matisse rénové ouvre ses portes avec les salles Tériade. Et à la mort d’Alice, en 2007, les œuvres de la villa Natacha (que nous allons voir dans quelques instants) ont été elles aussi léguées au musée. La photo ci-dessus montre Alice dans ce musée.

Tériade au Cateau-Cambrésis. Vendredi 23 août 2013
Tériade au Cateau-Cambrésis. Vendredi 23 août 2013

Puisque je viens d’évoquer la villa Natacha, commençons la visite par elle. Sa salle à manger a été reconstituée ici, en transportant au Cateau-Cambrésis l’original des œuvres d’art et du mobilier qui la composaient à Saint-Jean-Cap-Ferrat. On peut, du couloir, la voir “par la fenêtre”. Et je joins une photo de Gisèle Freund prise en 1951 à travers la fenêtre –fermée–, mais dans la vraie villa du Midi.

Tériade au Cateau-Cambrésis. Vendredi 23 août 2013
Tériade au Cateau-Cambrésis. Vendredi 23 août 2013
Tériade au Cateau-Cambrésis. Vendredi 23 août 2013

Voyons comment les amis de Tériade ont décoré sa salle à manger: sur le mur du fond, peint sur des carreaux de céramique, Le Platane, de Matisse (1952); sur la table, deux coupes en plâtre, de Giacometti; sur ma photo prise par la fenêtre, on apercevait le lustre à trois lampes, du même Giacometti; sur le meuble d’angle, au fond, Sirène ailée, en plâtre, d’Henri Laurens; et sur le côté droit, le vitrail Les Poissons chinois, de Matisse (1951).

 

C’est Alice qui décrit: “Le charme des lieux provient aussi et surtout des cadeaux ou souvenirs d'artistes qui s'y insérèrent et en complètent l'harmonie. Le premier à vouloir laisser quelque chose fut Matisse: ‘Je vous laisse un vitrail et un arbre’ dit-il à Tériade. Je les ai trouvés dès mon arrivée, dans la minuscule salle à manger, avec le lustre de Giacometti. Par la suite, ce furent un grand Chagall aux murs du salon; puis deux Léger. Dans le jardin, une sculpture de Miró, une Grande femme de Giacometti, le long d'un mur une fontaine de Laurens... En contraste avec la végétation exubérante, à côté de l'animal ‘surréel’ de Miró au coin du jardin, le vitrail de Matisse dans la petite maison fait montre d'une extrême simplicité, aussi bien que la silhouette de son arbre. Le mobilier en osier provient de brocantes. La vaisselle, les ustensiles et pots de Giacometti sont de belles proportions, mais rustiques, élémentaires. La paix règne sur le calme de la nature remodelée par l'art, comme déjà sur les arbustes de la tonnelle courbés par le jardinier ou dans les fleurs dont il compose un décor”.

 

C’est un détail qui n’a rien à voir avec l’art, mais j’avais noté dans la biographie, comme je l’ai dit plus haut, que Tériade avait rencontré Alice en 1949, et près de la fenêtre il est dit que l’arbre de Matisse et son vitrail sont de 1952 et 1951. Or Alice dit, à propos de ces deux œuvres, “ Je les ai trouvés dès mon arrivée”, ce qui signifierait que, malgré son coup de foudre, Tériade ne l’aurait emmenée à Saint-Jean-Cap-Ferrat qu’après 1952. Possible mais étonnant si c’est là qu’il passait le plus clair de son temps.

Tériade au Cateau-Cambrésis. Vendredi 23 août 2013

Avant de mettre le point final et de quitter le Cateau-Cambrésis, il convient évidemment de regarder quelques-uns des grands livres d’artistes publiés par Tériade, ou des œuvres originales ayant donné naissance à ces livres ou à des études de Tériade. Je suivrai la chronologie de parution, quoique cela n’ait pas grand sens puisqu’il s’agit d’artistes différents et que cet ordre chronologique ne peut pas montrer l’évolution d’un art. Quant à celui de Tériade, il n’a pas varié au cours des années. Mais il me faut choisir un ordre et je n’ai pas trouvé plus logique… Voici donc d’abord Le Roi de Carte, de Fernand Léger (1927). Une huile sur toile tirée d’une importante série réalisée de 1924 à 1927. Au dos, Léger le dédicace avec trois mots, “Amicalement Tériade composition”.

Tériade au Cateau-Cambrésis. Vendredi 23 août 2013
Tériade au Cateau-Cambrésis. Vendredi 23 août 2013

C’est en 1943 que Tériade a publié son premier Grand Livre, Divertissement, de Georges Rouault pour lequel l’artiste a spécialement réalisé quinze huiles sur papier marouflées sur toile. Rouault est également l’auteur des poèmes et de la calligraphie de l’ouvrage. Rouault, à l’époque, s’était retiré à Golfe-Juan à cause de la guerre. Son intérêt pour le cirque était ancien, puisque dans un article de 1928 Tériade le signalait. Et au sujet des peintures de ce livre, Rouault commente: “J’allais derrière les baraques quand les lumières étaient éteintes et la fête finie. Ou encore parmi les parades, voir et entendre les pitres, les acrobates parler entre eux”.

Tériade au Cateau-Cambrésis. Vendredi 23 août 2013
Tériade au Cateau-Cambrésis. Vendredi 23 août 2013

Le musée présente aussi plusieurs tirés à part d’un livre manuscrit de Pierre Reverdy, Le Chant des morts, avec des arabesques rouges qui encadrent le texte, lithographies originales de Picasso tirées chez Mourlot. Tériade a publié en 1949 cette œuvre imprimée par Draeger.

Tériade au Cateau-Cambrésis. Vendredi 23 août 2013

Cette gouache, Les Amoureux au bouquet, Marc Chagall l’a peinte près de la Villa Natacha, à Saint-Jean-Cap-Ferrat, en 1949. Les fleurs, les fruits, la végétation, semblent ceux de la maison de Tériade. Lequel Tériade propose à Chagall, à ce moment-là, d’illustrer pour lui le Daphnis et Chloé de Longus.

Tériade au Cateau-Cambrésis. Vendredi 23 août 2013
Tériade au Cateau-Cambrésis. Vendredi 23 août 2013
Tériade au Cateau-Cambrésis. Vendredi 23 août 2013

Rouault n’est pas le seul à avoir travaillé sur le thème du cirque pour des livres de Tériade. L’ouvrage Cirque, de Fernand Léger, paraît en 1950. Nous voyons ici des tirés à part de ce livre qui a été intégralement composé par l’artiste: son texte, qui est manuscrit, et ses illustrations. Ce sont des lithographies originales tirées chez Mourlot.

Tériade au Cateau-Cambrésis. Vendredi 23 août 2013
Tériade au Cateau-Cambrésis. Vendredi 23 août 2013

Cirque toujours, en 1967 nous revenons à Chagall qui, sous ce même titre Cirque, réalise trente-sept lithographies originales que le même Mourlot tirera, tandis que le livre sera imprimé sur les presses de l’Imprimerie Nationale. Le musée en présente bon nombre de tirés à part. Au total, ce sont pas moins de cinq livres qui naissent de la collaboration de Chagall avec Tériade: Les Âmes mortes de Gogol, les Fables de La Fontaine, la Bible, Daphnis et Chloé de Longus et Cirque.

Tériade au Cateau-Cambrésis. Vendredi 23 août 2013

Tête de femme couronnée de fleurs est daté du 22 juillet 1969 (quoique cela n’ait aucun rapport, je ne peux m’empêcher de dire que c’était le lendemain du premier pas de l’homme sur la lune, date que je ne risque pas d’oublier puisque, j’en suis sûr, les Américains l’ont choisie pour fêter mon vingt-cinquième anniversaire!!!). Cette huile et crayon sur papier est un cadeau de Picasso à Tériade, à qui il était lié d’amitié et qui lui avait consacré trois numéros spéciaux de sa revue Verve. Au sujet de cette œuvre, le musée écrit “Picasso peint ici un visage de femme au regard magnétique. C’est le visage d’une fée, d’un personnage allégorique que peint Picasso. La couleur jaune d’or qui rehausse sa longue chevelure et la couronne de fleurs ponctuée de vert correspondent à l’univers de Tériade, le jardin de la Villa Natacha et la Grèce mythique”.

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25 septembre 2016 7 25 /09 /septembre /2016 23:55

Il y a moins d’un mois, en partant vers la Biélorussie, nous avons fait une halte au Cateau-Cambrésis (cf. mon article “Le Cateau-Cambrésis. Dimanche 28 juillet 2013”) et nous nous étions promis d’y revenir lors de notre retour en France et de nous y arrêter pour visiter le musée Matisse. C’est d’autant plus aisé que la Municipalité met à la disposition des camping-caristes un parking aménagé gratuit, avec possibilité de se connecter au 220 volts, situé juste à la sortie de la ville, c’est-à-dire à quelques minutes à pied du plein centre et du musée.

Musée Matisse au Cateau-Cambrésis. Vendredi 23 août 2013
Musée Matisse au Cateau-Cambrésis. Vendredi 23 août 2013
Musée Matisse au Cateau-Cambrésis. Vendredi 23 août 2013

Je ne reparlerai pas aujourd’hui de la ville. Le musée se trouve, côté rue, derrière une cour où l’on peut déjà voir quelques œuvres d’art, et de l’autre côté il ouvre sur un joli parc.

Musée Matisse au Cateau-Cambrésis. Vendredi 23 août 2013

Nous revenons côté cour pour jeter un coup d’œil aux quelques sculptures qui s’y trouvent. Ici, nous voyons une Perséphone réalisée en tôle d’acier découpé par Vincent Barré en 1994. Pour être franc, je dois avouer avoir du mal à reconnaître ici la déesse fille de Déméter, enlevée par le dieu des Enfers Hadès…

Musée Matisse au Cateau-Cambrésis. Vendredi 23 août 2013

Cette œuvre de Giacometti est beaucoup plus de mon goût. Il l’a intitulée Grande femme II, et elle est datée de 1960. Ce style filiforme des silhouettes de Giacometti est remarquablement expressif, et il évoque certaines œuvres étrusques qui l’ont précédé de presque deux millénaires et demi.

Musée Matisse au Cateau-Cambrésis. Vendredi 23 août 2013

C’est Henri Laurens (1885-1954) qui signe ce bronze à patine vert doré de 1946 Il l’a appelé La Lune. Les formes sont intéressantes. Étant nul en art contemporain, je ne saurais dire en quoi et pourquoi cette œuvre me touche alors que je reste indifférent à la Perséphone de Barré, mais elle me parle.

Musée Matisse au Cateau-Cambrésis. Vendredi 23 août 2013

Et puis, pour servir d’introduction à la visite du musée, une œuvre de Matisse avant le payer le billet d’entrée. Ce relief de bronze daté de 1909 intitulé Dos I, il l’a lui-même offert lors de la création de son musée, en 1952. Ce n’est pas la sculpture qui l’a rendu célèbre, et pourtant on sent là, sans la moindre hésitation, la “patte” d’un grand artiste.

Musée Matisse au Cateau-Cambrésis. Vendredi 23 août 2013

Le musée présente des œuvres de Matisse, bien sûr, nombreuses, mais aussi quelques images et objets en relation avec l’artiste lui-même. C’est par là que je vais commencer. Ici, nous voyons ses parents à Menton en 1909. C’est au Cateau-Cambrésis que, le 31 décembre 1869, Henri Matisse voit le jour, mais il passera ses premières années non loin de là, à Bohain-en-Vermandois, parce que ses parents y tiennent un commerce de grain et droguerie. Et il aurait pris la succession de ses parents dans ce commerce si l’on n’avait pas jugé préférable que, de santé fragile, il travaille comme clerc d’avoué. Il étudie alors le droit un an à Paris sans avoir l’idée ni l’envie de mettre les pieds dans un seul musée. La vocation viendra plus tard quand, en convalescence chez ses parents, sa mère lui offre pour l’occuper une boîte de peinture.

Musée Matisse au Cateau-Cambrésis. Vendredi 23 août 2013

En sortant du musée, nous n’avons pas renouvelé notre promenade en ville pour savoir si ce bâtiment existe toujours. C’est une photo du collège que Matisse a fréquenté, au Cateau-Cambrésis, rue Ruffin.

Musée Matisse au Cateau-Cambrésis. Vendredi 23 août 2013

Matisse était un artiste complet. Dessin, peinture, chacun le sait; sculpture, nous venons de le voir et nous le verrons encore tout à l’heure. Mais il jouait aussi du violon. Le violon ci-dessus lui a appartenu.

Musée Matisse au Cateau-Cambrésis. Vendredi 23 août 2013
Musée Matisse au Cateau-Cambrésis. Vendredi 23 août 2013

Maintenant, quelques photos de Matisse lui-même. La première le montre en train de peindre une Odalisque, à Nice, vers 1928. Sur la seconde, une photo prise par Brassaï en 1939, il est dans son atelier de la Villa d’Alésia, à Paris, devant un dessin qu’il vient d’exécuter les yeux fermés. Belle performance!

Musée Matisse au Cateau-Cambrésis. Vendredi 23 août 2013

Parce que je suis l’ordre chronologique pour suivre Matisse dans sa vie, je montre maintenant cette photo d’où il est absent. C’est son appartement au Regina, à Nice, dans les années 1940.

Musée Matisse au Cateau-Cambrésis. Vendredi 23 août 2013
Musée Matisse au Cateau-Cambrésis. Vendredi 23 août 2013

Et deux photos réalisées par Henri Cartier-Bresson où l’on voit Matisse chez lui à Vence vers 1943 ou 1944. Comme c’est en 1869 que le Cateau-Cambrésis a pu s’enorgueillir de sa naissance, il a donc autour de soixante-quinze ans. Sur la première photo, dans sa chambre, il est occupé à dessiner. Sur la seconde, on le voit avec ses pigeons milanais.

Musée Matisse au Cateau-Cambrésis. Vendredi 23 août 2013
Musée Matisse au Cateau-Cambrésis. Vendredi 23 août 2013

En 1892, Matisse présente sa candidature à l’entrée à l’École des Beaux-Arts de Paris, avec ce dessin. Il y est porté la mention “Matisse H. élève de MM. Bouguereau et Ferrier”. Beaucoup plus tard, Matisse a ajouté de sa main (mais sur ma reproduction du dessin c’est illisible) “Ce dessin exécuté pour le concours d’entrée à l’E des Beaux-arts à Paris, a été l’objet d’un refus. [signé] H. Matisse 1952”. C’est en effet en 1952 que ce musée a été ouvert, comme je le disais au sujet du bronze exposé dans la cour d’entrée. Dessin de Matisse refusé… comme quoi les peintres et professeurs de l’École des Beaux-Arts de Paris (ou d’ailleurs) ne sont pas forcément de bons critiques.

 

Ce que, dans sa préface au roman Mademoiselle de Maupin, Théophile Gautier dit des critiques littéraires pourrait aussi s’appliquer à merveille aux critiques en peinture ou en toute autre forme d’art: “Quels sont donc, au bout du compte, ces critiques au ton si tranchant, à la parole si brève que l’on croirait les vrais fils des dieux? ce sont tout bonnement des hommes avec qui nous avons été au collège, et à qui évidemment leurs études ont moins profité qu’à nous, puisqu’ils n’ont produit aucun ouvrage et ne peuvent faire autre chose que conchier et gâter ceux des autres. […] Charles X avait seul bien compris la question. En ordonnant la suppression des journaux, il rendait un grand service aux arts et à la civilisation.” Les critiques, sans doute désireux de confirmer les propos de Théophile Gautier, ont crié au scandale devant les toiles fauves que Matisse avait exposées au salon de 1905.

Musée Matisse au Cateau-Cambrésis. Vendredi 23 août 2013
Musée Matisse au Cateau-Cambrésis. Vendredi 23 août 2013

Deux autoportraits de Matisse. Je voulais dans un premier temps montrer des dessins, avant de passer aux toiles, mais ici j’ai envie de présenter ensemble ces deux autoportraits. Le premier est de 1900. Le second a été réalisé en janvier 1918. De Nice, dans une lettre adressée à Amélie, sa femme, il écrit: “Je suis rentré à l’hôtel et j’ai fait mon portrait dans mon armoire à glace”.

Musée Matisse au Cateau-Cambrésis. Vendredi 23 août 2013

Revenons aux dessins de Matisse, en suivant la chronologie pour voir l’évolution de son art. Ce “Nu assis dans un fauteuil” est de 1922.

Musée Matisse au Cateau-Cambrésis. Vendredi 23 août 2013

C’est en 1926 qu’il a dessiné “La Violoniste”. Cette violoniste qui s’assied devant le piano pour voir sa partition est réellement superbe.

Musée Matisse au Cateau-Cambrésis. Vendredi 23 août 2013

Le titre “Tête de femme” pour ce dessin de 1936 n’est guère original, mais on peut admirer comment d’un simple trait Matisse fait vivre son portrait.

Musée Matisse au Cateau-Cambrésis. Vendredi 23 août 2013

En décembre 1941, Matisse intitule ce dessin “Buste de jeune fille couchée”. Ici aussi, ce sont quelques traits, presque rien, et tout y est pourtant, la personnalité, l’émotion.

Musée Matisse au Cateau-Cambrésis. Vendredi 23 août 2013

C’est très curieusement au plafond de sa chambre-atelier du Régina à Nice qu’en 1950 Matisse a représenté au fusain ses petits-enfants, Claude, Gérard, Jacqueline, venus pour fêter ses quatre-vingts ans le 31 décembre 1949. Et il explique: “Ce sont mes petits-enfants, j'essaie de me les représenter et quand j'y parviens je me sens mieux. Aussi, je les ai dessinés au plafond pour les avoir sous les yeux, surtout pendant la nuit. Ainsi je me sens moins seul. Et vous vous demandez comment ils se trouvent tout en haut, comment j'ai fait pour les dessiner. Ça s'est passé tout simplement d'où vous me voyez en ce moment de mon lit.. .Je les ai dessinés avec une canne à pêche. Le fusain était attaché au bout de la canne”.

Musée Matisse au Cateau-Cambrésis. Vendredi 23 août 2013

Ceci est l’un de ses derniers dessins au crayon, qui est daté de 1951 (il mourra en novembre 1954). Il est censé représenter Rabelais. C’est assez ressemblant au portrait bien connu de l’écrivain, mais surtout Matisse est parvenu à y faire passer tout ce que l’on sait et tout ce que l’on peut imaginer de la personnalité de Rabelais à travers son œuvre.

Musée Matisse au Cateau-Cambrésis. Vendredi 23 août 2013

Repartons au début de la carrière artistique de Matisse avec des tableaux. Tout d’abord cette huile sur bois de 1895-1896 intitulée “Le Tisserand breton”. Détail intéressant: sur un panneau qui évoque la biographie de Matisse, le musée dit qu’à Bohain il a grandi parmi les tisseurs à domicile qui fabriquent les somptueuses étoffes en laine et soie destinées à la haute couture parisienne. Le choix de ce sujet n’est donc sans doute pas un hasard.

Musée Matisse au Cateau-Cambrésis. Vendredi 23 août 2013

En 1898-1899, à Toulouse, Matisse réalise cette huile sur toile, “Première nature morte orange”. Le musée, en ajoutant une citation de l’artiste, laisse supposer la façon dont il a découvert les couleurs: “J’ai passé un an en Corse. J’y ai vu les quatre saisons et découvert les amandiers en fleurs se détachant sur la neige des montagnes”.

Musée Matisse au Cateau-Cambrésis. Vendredi 23 août 2013

Cette huile sur toile de 1899, “Nu dans l’atelier”, reprend le thème du nu masculin qui, sept ans plus tôt, avait été refusé par l’École des Beaux-Arts de Paris. Et en comparant les deux œuvres, il faut bien reconnaître que Matisse, même s’il a mûri son art, avait déjà atteint des sommets.

Musée Matisse au Cateau-Cambrésis. Vendredi 23 août 2013

“Lesquielles-Saint-Germain”, huile sur toile, 1903. Ce petit village situé dans l’Aisne est baigné par l’Oise. Matisse écrit: “Je suis en ce moment dans la vallée de l’Oise aux rives souriantes. Ma maison qui touche à l’église est perchée sur une colline qui domine cette vallée, et tout mon désir se borne en ce moment à y pouvoir rester un an”.

Musée Matisse au Cateau-Cambrésis. Vendredi 23 août 2013

Cette toile, “Collioure, rue du Soleil”, date de l’été 1905. Collioure est bien connu, c’est un port spécialisé dans l’anchois situé dans les Pyrénées Orientales, à une vingtaine de kilomètres de la frontière espagnole. Paul Signac, à qui Matisse était lié d’amitié, a séjourné à Collioure et y a beaucoup peint. En 1887, Matisse voit ces tableaux de Signac, et cela lui donne envie d’y aller. Ce ne sera qu’en mai 1905. Il souhaite que son ami Derain le rejoigne, ce qu’il fera deux mois plus tard. C’est alors que, travaillant de concert, Matisse et Derain créent le fauvisme. “La quête de la couleur ne m’est pas venue de l’étude d’autres peintures mais de l’extérieur c’est-à-dire de la révélation de la lumière dans la nature”, écrit-il. Il souhaite “exalter toutes les couleurs ensemble sans en sacrifier aucune”. Tout à l’heure, j’ai évoqué le scandale provoqué par ses toiles exposées au salon d’automne 1905; ces toiles, c’était le fruit “fauve” de son travail à Collioure.

Musée Matisse au Cateau-Cambrésis. Vendredi 23 août 2013

Neuf ans plus tard, nous voilà en 1914. Matisse peint à l’huile sur toile “Marguerite au chapeau de cuir”. Marguerite, c’est sa fille née en 1894. Elle a donc vingt ans. Bien sûr, il respecte la ressemblance, mais ce n’est pas ce qu’il recherche avant tout: “Le caractère d’un visage ne dépend pas de ses diverses proportions mais d’une lumière spirituelle qu’il reflète”.

Musée Matisse au Cateau-Cambrésis. Vendredi 23 août 2013

Un grand bond dans le temps. Nous voilà en 1944, avec “Jeune femme à la pelisse, fond rouge”. On sait, bien sûr, que les peintres préparent leurs toiles en les recouvrant d’un fond blanc avant de peindre. Ici, à part les contours et quelques rares traits noirs, la robe et le vaste manteau de fourrure ne sont pas peints, Matisse a laissé apparent le fond de préparation. Par ailleurs, hormis le blanc et le noir du dessin, il n’utilise qu’un peu de jaune citron, et du rouge, ce vermillon étant juste mêlé d’un peu de blanc pour faire en rose la peau apparente, à savoir le visage et les bras. Mais, qu’il s’agisse du jaune, du rouge ou du rose, ce ne sont que des à-plats, c’est-à-dire des surfaces unies. Aucun détail n’apparaît dans le visage, donc. C’est uniquement par le choc de ces couleurs violentes et par la composition que Matisse parvient à nous émouvoir.

Musée Matisse au Cateau-Cambrésis. Vendredi 23 août 2013

Cette silhouette féminine que Matisse a peinte sur toile à Vence en 1947 est intitulée “Nu rose, intérieur rouge”. De même que précédemment, il pratique largement les à-plats. “Le rouge est une couleur piquante”, écrit-il, “qui n’a pas de plan, qui nous rentre dans l’œil”.

Musée Matisse au Cateau-Cambrésis. Vendredi 23 août 2013
Musée Matisse au Cateau-Cambrésis. Vendredi 23 août 2013

Ce ne sont pas des toiles, je ne sais trop comment c’est à classer, ce que montre ma première photo a été réalisé à l’encre et à la gouache sur papier. Il s’agit d’un projet de 1951, “La Vierge et l’Enfant”, pour la façade de la chapelle des Dominicaines de Vence, dont j’avais parlé dans mon article “Vence. Jeudi 1er octobre 2009”, avec la seconde de mes photos ci-dessus, qui montre la réalisation en céramique à partir du projet.

Musée Matisse au Cateau-Cambrésis. Vendredi 23 août 2013

1951 encore, mais cette huile sur toile, peinte à Nice, est la dernière œuvre qu’ait exécutée Henri Matisse. C’est la “Femme à la gandoura bleue”. Si les à-plats ont disparu, on retrouve les grandes touches de couleurs vives, avec toujours le rouge et le jaune, et le visage est esquissé de quelques simples touches qui suffisent à lui donner relief et personnalité.

Musée Matisse au Cateau-Cambrésis. Vendredi 23 août 2013

Nous avons fait un petit tour des œuvres graphiques de Matisse. Petit tour seulement, parce que ce musée est particulièrement riche de dessins, gravures, peintures de l’enfant du pays. Reste à jeter un coup d’œil sur son travail de sculpteur. Dès 1894, il a produit ce médaillon de bronze, intitulé “Profil de femme”, sa première œuvre sculptée. Cette femme est Caroline Joublaud, qui a été sa compagne de 1894 à 1897, avant qu’il épouse Amélie. Tout à l’heure nous avons vu “Marguerite au chapeau de cuir”, c’était la fille que Matisse a eue avec Caroline.

Musée Matisse au Cateau-Cambrésis. Vendredi 23 août 2013

Un peu plus tard, en 1900, avec “Le Serf” Matisse réalise une sculpture encore très réaliste mais déjà épurée, stylisée.

Musée Matisse au Cateau-Cambrésis. Vendredi 23 août 2013

Ce “Nu cambré”, de 1904, est un peu dans la même veine, mais il est très sensuel. L’œuvre qui sera coulée en bronze est réalisée par l’artiste en glaise: “C’était une jolie fille, un modèle parfait”, commente Matisse. “Je palpais son corps, mes mains enveloppant les formes, et puis je transmettais en terre l’équivalent de ma sensation”.

Musée Matisse au Cateau-Cambrésis. Vendredi 23 août 2013

Certes la technique d’un bas-relief sur médaillon et celle d’un corps, d’un buste, d’une tête sur une base, est très différente. Néanmoins, dans cette “Jeannette I” de 1910 on peut mesurer l’évolution de l’art de Matisse depuis son premier travail de 1894. Il écrit: “J’ai fini par découvrir que la ressemblance d’un portrait vient de l’opposition qui existe entre le visage du modèle et les autres visages, en un mot de son asymétrie particulière”.

Musée Matisse au Cateau-Cambrésis. Vendredi 23 août 2013

Le poli parfait de cette sculpture donnerait presque à croire qu’elle a été faite en marbre noir. Non, c’est également un bronze, mais le temps a passé, et c’est en 1927 que Matisse représente à Nice cette “Henriette II”. Henriette Darricarrère était ballerine et musicienne, elle est devenue pour Matisse un modèle pour ses tableaux beaucoup plus que pour ses sculptures. Entre autres, c’est elle qui, vêtue en odalisque, a pris la pose sur la photo que je publie plus haut, où nous le voyons occupé à la dessiner.

Musée Matisse au Cateau-Cambrésis. Vendredi 23 août 2013
Musée Matisse au Cateau-Cambrésis. Vendredi 23 août 2013
Musée Matisse au Cateau-Cambrésis. Vendredi 23 août 2013
Musée Matisse au Cateau-Cambrésis. Vendredi 23 août 2013

Je terminerai avec des plâtres qui ont servi à fondre des bronzes intitulés “Nu de dos” et que Matisse distingue en les appelant Dos I, Dos II, Dos III et Dos IV. Comme une sorte d’introduction à la visite du musée, nous avons vu dans la cour le bronze définitif de Dos I que je montre au début de mon article. Le premier état, de 1909, est réaliste, Matisse a modelé dans le plâtre son modèle comme il le voyait, ou presque. En 1913, le second état est certes encore réaliste mais nettement stylisé. On ne pourrait plus identifier le modèle. Pour le troisième et le quatrième états, de 1916 et –beaucoup plus tard– 1930, je citerai le musée: “Le troisième taillé avec violence s’oppose au dernier état puissant et apaisé que Matisse conservera dans son atelier”. Et aussi: “Le travail de Matisse s’est effectué en quatre étapes pour aboutir à l’un des sommets de sa sculpture, à l’équivalent en volume des grandes réalisations en deux dimensions que sont la Danse de Chtchoukine et celle de la fondation Barnes. Le passage du figuratif au monumental se développe crescendo”. Les deux peintures de la danse, par Matisse, évoquées dans ce texte sont visibles sur Internet. Je ne les reproduis pas ici parce que je ne les ai ni photographiées, ni même vues de mes yeux. Le musée Matisse du Cateau-Cambrésis fait aussi une large place à l’éditeur d’art Tériade. Parce que le thème est différent, j’en parlerai à part dans mon prochain article.

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23 septembre 2016 5 23 /09 /septembre /2016 23:55
Fête folklorique à Goudievitchi. Samedi 17 août 2013
Fête folklorique à Goudievitchi. Samedi 17 août 2013

Aujourd’hui, nous nous rendons à une centaine de kilomètres au sud-est de Grodno pour voir une fête folklorique dans un bourg de Biélorussie que je ne connais pas. Il s’appelle, en biélorusse, Гудзевiцы (Goudzevitsy), et en russe, Гудевичи (Goudievitchi). Ci-dessus, son église, consacrée à la Nativité de la Vierge, date de 1852.

Fête folklorique à Goudievitchi. Samedi 17 août 2013
Fête folklorique à Goudievitchi. Samedi 17 août 2013

Dans ce village et dans les environs, on est frappé par l’opposition radicale entre deux types de vie, d’une part des bâtiments privés qui s’intègrent bien dans la nature, d’autre part d’énormes blocs impersonnels comme le kolkhoze de ma seconde photo. En effet, dans ce pays, les kolkhozes de l’agriculture soviétique n’ont pas été supprimés, et parallèlement à des exploitations privées il existe encore une agriculture collective étatique.

Fête folklorique à Goudievitchi. Samedi 17 août 2013

Il y a, à Goudievitchi, une maison traditionnelle de village, en bois, que l’on peut visiter comme un musée. Je n’ai pas bien compris si c’était un musée permanent, ou si elle était ouverte à la visite publique à l’occasion de la fête.

Fête folklorique à Goudievitchi. Samedi 17 août 2013
Fête folklorique à Goudievitchi. Samedi 17 août 2013

Puisque l’on peut la visiter, cette maison, allons-y! C’est très intéressant. Commençons par la cuisine, avec tous les accessoires en bois et en terre cuite.

Fête folklorique à Goudievitchi. Samedi 17 août 2013
Fête folklorique à Goudievitchi. Samedi 17 août 2013

À présent, le couchage. La maison, je l’ai dit, est traditionnelle, mais le lit est de forme tout à fait classique. En Bretagne ou en Auvergne, par exemple, on trouverait un lit clos, et si l’ère soviétique n’a pas introduit le mobilier “moderne” que nous voyons, cela signifie que déjà du temps où cette région de Biélorussie était polonaise, les campagnes utilisaient des formes de lits urbains. Je dis “formes”, parce que le confort n’avait rien de commun avec celui d’un lit douillet de Varsovie ou de Grodno. Le berceau, lui, était suspendu tout comme en France dans les campagnes par le passé. Un doux balancement aidait le bébé à s’endormir. Une modernisation a consisté à placer sous le berceau des patins courbes, comme ceux d’un fauteuil à bascule, pour bercer l’enfant. Et la dernière modernisation a remplacé cet équipement par quatre pieds ou quatre roues, plus de balancement, et si bébé ne se décide pas à dormir on le prend dans ses bras et on le berce. Ah, le progrès!

Fête folklorique à Goudievitchi. Samedi 17 août 2013
Fête folklorique à Goudievitchi. Samedi 17 août 2013

Encore deux images de cette maison. Une belle rangée de chaussures et de sabots, et la remise où s’entassent en désordre des roues de charrettes et des essieux.

Fête folklorique à Goudievitchi. Samedi 17 août 2013

Dans mes articles précédents, j’ai eu l’occasion de montrer en Pologne à Sejny, en Lituanie à Druskininkai, de ces sculptures paysannes en bois qui peuvent, aujourd’hui, être situées dans l’espace public, dans un parc en ville, sur la place d’une église, etc., mais qui autrefois étaient fréquentes dans des espaces privés, comme ici cette statue près de la maison que nous venons de visiter.

Fête folklorique à Goudievitchi. Samedi 17 août 2013
Fête folklorique à Goudievitchi. Samedi 17 août 2013

Mais venons au centre du village, où se tient un marché de folklore. C’est doublement intéressant parce que la Biélorussie, malgré nombre de monuments qui valent la visite, malgré une jolie campagne, n’est guère touristique du fait de son gouvernement dictatorial, et d’autre part parce que les rares touristes étrangers ne viennent pas ici, faute d’information. C’est vraiment parce que mon beau-père vit dans le pays et parce qu’il a lu dans le journal que Goudievitchi était en fête aujourd’hui que nous sommes montés dans le camping-car tous les trois, lui, Natacha et moi, et que nous avons roulé vers Goudievitchi. Nous sommes donc dans une authentique fête locale, qui n’a attiré quasiment que des Biélorusses des villages avoisinants et de la ville de Grodno. Dans la rue, s’est installé ce petit marché. Comme on peut le voir sur cette photo, la vannerie est extrêmement traditionnelle ici, soit pour des accessoires domestiques, soit pour des objets décoratifs, poupées ou autres.

Fête folklorique à Goudievitchi. Samedi 17 août 2013
Fête folklorique à Goudievitchi. Samedi 17 août 2013

Ici, comme dans toutes les campagnes d’Europe, le tissage a fait partie des activités traditionnelles, jusqu’à ce que l’industrialisation le fasse peu à peu disparaître des villages. En effet, bien des gens tissaient à domicile, seuls les citadins achetaient des tissus.

Fête folklorique à Goudievitchi. Samedi 17 août 2013

Toutes les explications nous ont été données par cette dame fort sympathique (nota bene: c’est bien sûr avec son autorisation que je publie sa photo, même si je n’ai que du bien à dire d’elle). Explications et démonstration. Ne parlant pas la langue, ne comprenant que quelques mots ici ou là sauf si l’on ânonne lentement des phrases extrêmement simples, je n’ai pu profiter que du résumé que m’a fait Natacha après sa longue conversation avec elle. À son regard qui pétille, à sa prestance, à sa façon de s’exprimer (qui ne se voit pas en photo!), on se rend compte que ce village perdu dans la campagne est loin, très loin d’être arriéré.

Fête folklorique à Goudievitchi. Samedi 17 août 2013
Fête folklorique à Goudievitchi. Samedi 17 août 2013
Fête folklorique à Goudievitchi. Samedi 17 août 2013

Voilà ci-dessus quelques exemples des ouvrages réalisés. Sur la première de ces photos, les motifs représentés en rouge sont typiques de Biélorussie. Le costume traditionnel ne se porte plus, hélas, les femmes sont plus à l’aise en jeans, mais lorsqu’elles le revêtent pour une fête comme celle d’aujourd’hui, ou pour quelque occasion très spéciale, leur chemisier est brodé, en rouge, de ces motifs. Cette disparition du costume dans la seconde moitié du vingtième siècle n’est pas propre à ce pays, je me rappelle que lorsque j’étais adolescent et même quand j’étais jeune homme (je parle des années 1950-1960. Hé oui, je ne suis pas de première fraîcheur, hélas), en Bretagne on voyait encore très fréquemment des femmes en coiffe et en robe longue, et aujourd’hui si l’on en rencontre c’est pour appâter le touriste. Sur la troisième photo, on remarque que le nom du bourg est écrit en langue biélorusse. Même si l’on ne lit pas l’alphabet cyrillique, on peut comparer avec ce que j’ai écrit tout au début du présent article. Le nom du lieu est suivi de l’année, 1994. Après quoi on voit une lettre qui ressemble au gamma du grec, c’est un G, abréviation du mot qui signifie “année”.

Fête folklorique à Goudievitchi. Samedi 17 août 2013

Et si l’on a en vue l’une de ces occasions où l’on souhaite arborer le costume traditionnel, on peut l’acheter ici. La broderie que j’évoquais il y a un instant apparaît discrètement sur le plastron de la chemise de droite.

Fête folklorique à Goudievitchi. Samedi 17 août 2013

Je disais que l’essentiel de la batterie de cuisine était en terre cuite ou en bois. Parmi les éventaires des marchands de vannerie, de vêtements, de souvenirs, cet artisan potier travaille en public. Il est fascinant de voir un pot se former entre ses mains sous nos yeux.

Fête folklorique à Goudievitchi. Samedi 17 août 2013

Je ne sais si ces deux élégantes, dont le costume n‘est pas celui de la campagne biélorusse, doivent participer à une quelconque démonstration ou si elles ont seulement eu envie de revêtir de belles robes et de coiffer des chapeaux assortis, mais une chose est sûre: elles ne sont pas désagréables à regarder!

Fête folklorique à Goudievitchi. Samedi 17 août 2013

Quoique ces jeunes gens et ces jeunes filles soient beaucoup trop jeunes pour avoir eu l’occasion de porter de tels costumes usuellement, ils sont beaucoup plus authentiques. Ils font partie d’un groupe folklorique qui va se produire sur scène. Nous allons les voir dans un instant.

Fête folklorique à Goudievitchi. Samedi 17 août 2013

En effet, une scène a été dressée où vont venir chanter des groupes folkloriques. Comme le disent ces sigles (ce sont les lettres de codes internationaux utilisés sur les plaques d’immatriculation des véhicules), nous allons entendre des groupes de PL (Pologne), BY (Biélorussie), UA (Ukraine). Comme je le disais dans mon récent article sur Grodno, la Pologne avait colonisé l’ouest de la Biélorussie actuelle et l’ouest de l’Ukraine, ce qui donne un passé commun aux trois pays, qui ont eu envie de cette rencontre.

Fête folklorique à Goudievitchi. Samedi 17 août 2013
Fête folklorique à Goudievitchi. Samedi 17 août 2013

Évidemment, il faut les entendre chanter pour apprécier, mais au moins je montre ici la scène et l’un des groupes. Par ailleurs, je dois avouer mon incompétence pour reconnaître l’origine des chanteurs, soit par le costume, soit par le langage. Natacha s’est assise, moi je me promène avec ma caméra, je ne peux donc lui demander de m’éclairer car, si peut-être elle ne sait identifier le costume, en revanche elle parle russe, biélorusse, polonais, et sait assez d’ukrainien pour identifier la langue dans laquelle ils chantent.

Fête folklorique à Goudievitchi. Samedi 17 août 2013
Fête folklorique à Goudievitchi. Samedi 17 août 2013
Fête folklorique à Goudievitchi. Samedi 17 août 2013

Je dis “les chanteurs”, et “ils”, parce que je ne parle pas seulement de ce groupe de femmes par lequel j’ai commencé, mais de tous les groupes en général. Avant de finir, donc, j’en montre trois autres, d’abord celui auquel appartiennent les jeunes que j’ai pris en photo sur le banc devant la maison de village que j’ai visitée, puis un groupe composé essentiellement de femmes, avec trois hommes sur le côté, et enfin de très jeunes filles à l’air facétieux.

 

Pour conclure, je dirai que c’était une journée très riche qui m’a permis d’entrer plus profondément dans la culture des campagnes de ce pays. Et c’est important, dans un monde qui s’urbanise de plus en plus et où la culture des campagnes tend à disparaître, en s’alignant sur celle des villes. La télévision est dans tous les foyers, qui y montre les modes vestimentaires, qui y diffuse des façons de penser, de sorte que les différences s’estompent entre les habitants des grandes métropoles et ceux des plus petits villages perdus. Ou plutôt, qui ne sont pas du tout perdus, puisque la voiture, la moto, le vélo, l’autocar, se déplaçant sur des routes à l’asphalte lisse, effacent la barrière des distances. Journée riche, donc, intéressante, et fort distrayante. Nous rentrons à Grodno pour nous préparer au départ: nous entamons après-demain notre retour vers la France.

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21 septembre 2016 3 21 /09 /septembre /2016 23:55
La synagogue de Grodno. Jeudi 15 août 2013
La synagogue de Grodno. Jeudi 15 août 2013

Dans mon article “Les Juifs à Grodno. Vendredi 18 février 2012” j’avais évoqué ce qu’ils avaient subi de la Shoah et j’avais aussi parlé de la grande synagogue de cette ville du nord-ouest de la Biélorussie. Les travaux de rénovation entrepris ont été poursuivis et un petit musée –tout petit, mais c’est paraît-il un début– a été ouvert. Cela justifie que je revienne aujourd’hui sur le sujet. Il y a maintenant un an et demi, toutes les façades étaient dans l’état que l’on voit sur la partie gauche de ma deuxième photo ci-dessus mais à présent une grande partie des surfaces a retrouvé une apparence élégante.

La synagogue de Grodno. Jeudi 15 août 2013

On se rend compte que, s’il y a à l’évidence un énorme travail de restauration à effectuer, cette synagogue était un très beau bâtiment. Il ne s’agit pas de simplement recrépir les murs, il faut aussi sauver les sculptures voire, à certains endroits, les refaire. Les huisseries, elles, ont toutes été déjà changées afin de protéger les espaces intérieurs.

La synagogue de Grodno. Jeudi 15 août 2013
La synagogue de Grodno. Jeudi 15 août 2013

La rénovation de l’intérieur était déjà bien avancée lors de notre précédente visite, elle est désormais totalement achevée. Mais les accès aux divers espaces annexes ne sont pas achevés. Pendant notre visite, un jeune homme a fait une chute dans un escalier et il a fallu appeler les secours, car il s’est fait une fracture ouverte de la jambe. Comme lieu de culte ou comme monument à visiter, il reste donc un sérieux travail de sécurisation à mener.

La synagogue de Grodno. Jeudi 15 août 2013

Dans la synagogue elle-même, nous avons pu apprécier une exposition des œuvres d’un artiste complet, nommé Mourakhver. Par “artiste complet”, je veux dire qu’il dessine, qu’il peint, qu’il sculpte. Pour le présenter, commençons par son autoportrait.

La synagogue de Grodno. Jeudi 15 août 2013

Ce tableau, très beau, dramatique, il l’a intitulé ''Ianouch Kortchak''. Orthographié à la polonaise (car il était polonais), Janusz Korczak (1878-1942) était un pédiatre qui, entre autres, s’occupait d’un orphelinat du ghetto de Varsovie. Quand ces petits enfants juifs ont été déportés à Treblinka, il a décidé de partir avec eux. Consciemment, il y a laissé la vie, pour ne pas abandonner ceux à qui il avait voué sa vie professionnelle et morale. Andrzej Wajda en a fait un film, Korczak. Ce tableau le représente, entouré des orphelins qu’il a accompagnés dans le supplice nazi, derrière des fils de fer barbelés. Symboliquement, outre des lignes horizontales, les barbelés forment deux triangles inversés qui dessinent une étoile juive, rappelant l’étoile jaune qui apparaît sur un vêtement dans le bas du tableau.

La synagogue de Grodno. Jeudi 15 août 2013

Dans un genre totalement différent, et suivant une inspiration elle aussi différente, Mourakhver présente des sculptures en verre. Les formes sont créatives, et très esthétiques. Celle-ci s’intitule “La femme du pharaon”.

La synagogue de Grodno. Jeudi 15 août 2013

Autre œuvre en verre, ces deux visages à l’intérieur de deux ampoules de verre. Entre les deux, une plaque de verre, assurant la symétrie comme dans un miroir. Ce qui justifie le titre, “Réflexion”. Décidément, j’aime beaucoup ce que fait cet artiste. Mais laissons-le là.

La synagogue de Grodno. Jeudi 15 août 2013
La synagogue de Grodno. Jeudi 15 août 2013

À vrai dire, je ne sais pas qui a réalisé ces décors sur les murs de l’escalier. Sur ma première photo, le vêtement des personnages montre qu’il s’agit d’une famille juive. Sur ma seconde photo, cet homme qui porte la kippa sur la tête et ne coupe pas sa barbe est lui aussi un Juif. Comme nombre de ses congénères, il est représenté exerçant la profession de tailleur, son mètre-ruban pendant autour du cou, en train de repasser un vêtement qu’il vient de confectionner.

La synagogue de Grodno. Jeudi 15 août 2013

À l’intérieur du petit musée, on peut voir ces figurines exprimant la vie d’une famille au sein de la communauté juive de Grodno. En réalité, avant la Seconde Guerre Mondiale ils étaient bien intégrés, malgré un antisémitisme très prononcé d’une grande partie de la population polonaise (jusqu’en 1939, la région de Grodno avait été rattachée à la Pologne, et nombre de colons polonais s’y étaient installés), c’est essentiellement ici encore par le costume qu’on les caractérise.

La synagogue de Grodno. Jeudi 15 août 2013

Mais le but de ce musée n’est pas de montrer le folklore juif ou d’amusantes figurines. Il montre par exemple cette photo d’un “wagon de la mort” qui a servi au transport de Juifs de Grodno vers les camps où ils allaient être exterminés.

La synagogue de Grodno. Jeudi 15 août 2013

Une vue d’un mur du musée. Y sont évoquées des personnes qui ont subi la déportation et ses suites. Avec l’illustration de cette famille en tenue rayée, et sur l’étagère des chandeliers à sept branches.

La synagogue de Grodno. Jeudi 15 août 2013

Le musée montre également d’authentiques reliques de la déportation, comme ce numéro matricule répétant sur le tissu le numéro tatoué sur le bras, un morceau de la tenue d’uniforme des Juifs dans les camps, etc.

La synagogue de Grodno. Jeudi 15 août 2013

Ceci est un livret de “Vétéran du travail”. Ce titre décerné par le pouvoir soviétique, calqué sur celui des vétérans de la guerre, récompense et honore les hommes et les femmes qui ont montré des qualités dans l’exercice de leur profession. Le récipiendaire, en 1977, en est un Juif de Grodno. Il n’est pas dit ce que ce livret vient faire là, dans ce musée, mais je crois comprendre que l’intention est de montrer que l’antisémitisme de l’URSS ne pouvait accuser les Juifs d’être de mauvais citoyens, puisqu’ils pouvaient recevoir ce genre de reconnaissance de leur esprit civique.

 

1977, c’est du temps de Brejnev. Pour moquer l’antisémitisme de Brejnev et de son entourage, une petite histoire circulait dans les milieux juifs de l’époque. Un jour, Brejnev convoque Nikolaï Chtchelokov, le chef du MVD, et lui dit: “La communauté internationale nous montre du doigt au sujet des Juifs. C’est mauvais pour notre image face aux diables américains. Tu vas me rouvrir deux ou trois synagogues, tu y mets un rabbin sympathisant communiste, et on en publie des photos partout, on multiplie les articles. Compris? –Oui, oui, tovaritch Brejnev. Je m’en occupe”. Un mois passe. Brejnev: “Au fait, Chtchelokov, et mon histoire de synagogues? Tu n’as pas réussi à me dégotter quelques rabbins qui fassent l’affaire? –Si, si, tovaritch, je m’en suis occupé activement. Il y a bien encore en URSS quelques rabbins, mais le problème… ils sont tous juifs!!!”

La synagogue de Grodno. Jeudi 15 août 2013
La synagogue de Grodno. Jeudi 15 août 2013
La synagogue de Grodno. Jeudi 15 août 2013

Lunna est une ville proche de Grodno. Il y a à peine plus d’un an, en juin 2012, le propriétaire d’une vieille maison de cette ville décide d’y mettre de l’ordre et de la rénover et, dans le grenier, il découvre des livres, des documents, des notes, en yiddish. Puis, dans un trou creusé dans le sol, il trouve des outils qui, selon toute apparence, étaient cachés là depuis soixante-dix ans. Deux Juifs nés à Lunna avant la guerre ont été retrouvés, dont l’un a survécu à l’holocauste et vit en Israël, et l’autre avait fui avant la guerre, et tous deux ont souhaité que ces objets soient confiés à la garde du musée des Juifs de Grodno et placés ensemble sur un même présentoir.

 

Voilà donc quelques images de ce que l’on peut voir dans ce musée. Il va s’enrichir peu à peu, il va s’organiser. C’est ce qui nous a été dit. Nous verrons cela une autre fois lors d’un autre voyage à Grodno.

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