Dans mes articles précédents, nous avons vu les églises les plus remarquables de Ravenne, qui remontent aux premiers siècles du christianisme et sont ornées de mosaïques exceptionnelles. Aujourd’hui, nous allons parcourir la ville pour y voir dix autres églises, plus ou moins anciennes, en passant rapidement, parfois même sans y pénétrer.
Par exemple la cathédrale. Nous n’y entrons pas. Le Duomo della Resurrezione di Nostro Signore Gesù Cristo est mitoyen du baptistère. C’est une église du dix-huitième siècle, mais son campanile cylindrique, lui, remonte aux dixième et onzième siècles.
J’ai dit que nous allions voir des églises. Celle-ci, avec son monastère, a été fermée au culte en 1882, et elle est devenue aujourd’hui un dépôt de la police municipale, qui paraît-il ne se soucie guère de la maintenir en état. Domenico Barbiani (1714-1777), peintre et architecte, l’avait restructurée, et lui avait donné cette façade du dix-huitième siècle, mais l’église était beaucoup plus ancienne, comme nous allons le voir.
Dante avait deux fils, Iacopo et Pietro, et une fille, Antonia Alighieri, née à Florence tout à la fin du treizième siècle ou au tout début du quatorzième. La sentence d’exil frappait seulement les hommes, de sorte que les deux fils ont dû partir avec Dante, mais Antonia est restée à Florence avec sa mère Gemma Donati. Beaucoup pensent que Gemma a rejoint son mari quelques années plus tard, peut-être en 1315, et donc Antonia, encore très jeune, aurait bien sûr suivi sa mère. Après la mort de son père, elle est entrée au couvent Santo Stefano degli Ulivi sous le nom de sœur Béatrice. On a une preuve de son existence en 1332, un document daté des 3 et 6 novembre de cette année-là dans lequel ses deux frères Iacopo et Pietro sollicitent l’accord de leur mère et de leur sœur Antonia pour la vente d’un bien. Par ailleurs, un document émanant des archives notariales de Ravenne dit que le 21 septembre 1371 maître Donato degli Albanzani a consigné, de la part d’un ami qui désirait rester anonyme, trois ducats au monastère de Santo Stefano, le monastère étant en qualité d’héritier “de sœur Béatrice, fille de Dande Aldegeri”. Il ne fait guère de doute que le texte veut dire fille de Dante Alighieri. Antonia était donc morte à ce moment-là et le couvent était son héritier. D’aucuns, à la suite de C. Ricci (L'ultimo rifugio di Dante), pensent que l’ami inconnu n’est autre que Boccace. Wikipédia en français, comme mes sources savantes trouvées en bibliothèque, la fait naître à une date inconnue dans une fourchette à cheval sur les deux siècles (j’aime le ridicule de ma formule, une fourchette à cheval: il faut se représenter l’image…), et la dit morte après 1371. Mais Wikipédia en italien ne laisse pas de doute, elle est née en 1298 et morte en 1350. J’ignore sur quoi se fondent ces certitudes.
Nous sommes sur le flanc gauche du parvis de Sant’Apollinare Nuovo. Nous voyons ici Santa Barbara, une église construite au début du onzième siècle (même si la première mention que nous en ayons ne remonte qu’à 1109). En 1513, elle devient église paroissiale, Lorsque, au début du dix-neuvième siècle, une ordonnance de Napoléon contraint à réduire le nombre des paroisses, le secteur paroissial de Santa Barbara est rattaché à Santa Maria in Porto (elle-même fermée, j’en parle plus bas), et le bâtiment est mis en vente. Transformé en maison d’habitation, puis en local d’artisan, il appartient maintenant à un nouveau propriétaire qui essaie de le remettre en état, ainsi que l’ensemble du complexe.
L’église des Saints Jean et Paul (chiesa dei Santi Giovanni e Paolo) est bâtie sur l’emplacement d’une église remontant au cinquième et au sixième siècles, mais dont l’abside était tournée là où est aujourd’hui la façade. L’église actuelle a été restructurée en 1671, puis l’architecte Domenico Barbiani que j’ai déjà évoqué à propos de Santo Stefano degli Ulivi la reconstruit en 1758 sur la seule nef centrale de l’église primitive. Au premier coup d’œil on se rend compte que son campanile, de plan carré jusqu’à mi-hauteur et circulaire au-dessus, est beaucoup plus ancien: l’un des plus vieux de Ravenne, il a été construit au neuvième siècle.
Le sol d’origine de la basilique Sant’Agata Maggiore, du fait de la surélévation du terrain au cours des siècles, se trouve aujourd’hui à 2,50 mètres au-dessous du niveau du pavement actuel. Sa construction remonte au cinquième siècle, et plus précisément aux évêques Jean Premier (477-494) et Pierre II (494-519). À l’intérieur, l'abside était autrefois recouverte de superbes mosaïques du sixième siècle, mais le temps et ses aléas (notamment un tremblement de terre en 1688) en ont eu raison, il n’y a plus une seule tesselle à en montrer… Quant à la Seconde Guerre Mondiale, les bombardements des Alliés ont très durement touché l’église, restaurée depuis.
Celle-ci, si je n’en montre pas l’intérieur, ce n’est pas par choix, mais parce qu’elle est fermée au public. C’est l’église Santa Croce, construite par Galla Placidia sur un plan en croix latine dans la première moitié du cinquième siècle. Elle faisait partie du même grand complexe que le mausolée, jusqu’à ce que, au début du dix-septième siècle, elle en soit coupée. Comme l’église Sant’Agata Maggiore, elle a dû être surélevée parce qu’elle se trouvait sous le niveau du sol, et elle a été profondément restructurée, la façade actuelle étant du dix-septième siècle. Le transept a été supprimé, l’abside du cinquième siècle est aujourd’hui à la hauteur de la jonction de l’ancien transept et de la nef. On voit que le campanile n’est pas contemporain, et de loin, de l’église: il est du dix-huitième siècle
Autour du bâtiment, des fouilles ont mis au jour des constructions antérieures à l’édification de l’église primitive, puisqu’il s’agissait d’une domus romaine. Certaines mosaïques de sol, qui sont très belles, sont mangées par les herbes et la mousse. C’est bien dommage.
Santa Maria in Porto, Sainte-Marie-du-Port. En 1960, le pape Jean XXIII a élevé cette église au rang de basilique mineure. Elle a été édifiée de 1553 à 1606 avec une façade baroque sur des plans établis quelques décennies plus tôt, en 1511, par l’architecte Bernardino Tavella, mais dans la seconde moitié du dix-huitième siècle (1784) l’architecte Camillo Morigia a modifié cette façade dans le style néoclassique.
En 1797, non seulement les troupes françaises ont endommagé et pillé l’église, mais il a été décidé de la fermer au culte et elle a été transformée en caserne. Ce n’est qu’à la fin du dix-neuvième siècle qu’elle est rouverte comme église. Pendant la Seconde Guerre Mondiale, les bombes des Alliés ont ravagé Ravenne, j’ai eu hélas plusieurs fois l’occasion de le dire, et l’une d’entre elles a touché Santa Maria in Porto le 24 juillet 1944 mais par chance seul l’impact de l’engin a causé des dégâts, car elle n’a pas explosé, et la restauration a pu être effectuée rapidement. Je ne sais pas si la presse a parlé de cette bombe, je ne lisais pas les journaux à cette époque-là, j’étais âgé de trois jours!
Au-dessus du portail central, cette belle statue de la Vierge date de 1689. Elle représente la Madonna Greca, bas-relief qui se trouve à l’intérieur de l’église et dont je vais parler tout à l’heure. C’est la protectrice de Ravenne.
De façon très classique, c’est une église à trois nefs, avec une coupole au-dessus de la croisée du transept.
Dans plusieurs églises d’Italie, nous avons eu l’occasion de voir ce travail de marqueterie de marbre, sorte d’opus sectile, sur le devant des autels ou sur les balustrades de chapelles latérales. Un travail très fin et délicat pour représenter ces scènes de martyre violentes.
Ce vase est appelé “hydrie de Cana”. Non pas que l’on se soit imaginé qu’il ait pu être l’un des vases où Jésus a changé l’eau en vin aux noces de Cana, mais tout simplement parce que, clairement, il vient d’Orient, très vraisemblablement rapporté par les Croisés au Moyen-Âge, et que le porphyre dont il est fait, cette pierre rouge, rappelle le vin des noces de Cana, tout comme le sang du Christ évoqué lors de la Cène du Jeudi Saint (“Prenez et buvez-en tous, car ceci est la coupe de mon sang, le sang de l’Alliance nouvelle et éternelle, qui sera versé pour vous et pour la multitude en rémission des péchés”).
Et puis on peut voir ce bas-relief que rappelle à l’extérieur la statue de la façade. Il est réalisé en marbre de Paros et il est très généralement considéré d’origine byzantine, antérieur au concile d’Éphèse qui s’est tenu en 431, quoique j’aie lu sur un site Internet qu’il était peut-être de facture vénitienne, ce qui contredit son matériau, sa date et sa provenance. Quoi qu’il en soit, la tradition veut qu’au douzième siècle, au dimanche in albis (le dimanche une semaine après Pâques), des moines du monastère de Santa Maria in Porto Fuori (Porto Fuori était sur la côte à cette époque, avant que la mer ne se retire plus loin), marchant sur la plage, y découvrent cette statue de la Vierge. Une statue de style byzantin entre sable et vagues, il n’en fallait pas plus pour y voir une statue venue miraculeusement de Constantinople. Et comme on oppose l’Église latine de Rome à l’Église grecque de Constantinople, on appelle cette Vierge la Madonna Greca, la Madone Grecque. Et si elle est venue ici de sa propre volonté, c’est pour protéger spécialement Ravenne. Elle est donc la patronne de la ville, mais aussi du diocèse et du vicariat de la mer.
Nous voici à San Giovanni Battista. Pour bien distinguer cette église Saint-Jean-Baptiste de l’église dédiée à l’autre saint Jean, Saint-Jean-l’Évangéliste (que j’ai présentée dans un article précédent, Ravenne 10), il est d’usage de l’appeler, dans le dialecte local, Sân Zvan dla Zôla, c’est-à-dire Saint-Jean-de-l’Oignon (drôle de nom!) parce que chaque année au mois de juin, et encore aujourd’hui, a lieu dans les parages une Fête de l’Oignon. L’église bâtie ici à l’origine remonte au sixième siècle, et le campanile que nous voyons date du neuvième, mais l’église a été abattue pour être reconstruite en 1683 par l’architecte Pietro Grossi.
Arrêtons-nous un instant devant cette Vierge au doux visage, avec l’Enfant Jésus représenté comme un vrai bébé, qui gigote dans les bras de sa maman et veut lui attraper le visage.
Tout autour de l’église, ses murs portent des peintures d’artistes locaux qui ont œuvré entre le quinzième et le dix-huitième siècles. À titre d’exemple, cette Vierge peinte par Francesco Longhi, d’une famille de peintres (il est le fils de Luca Longhi et le frère de Barbara Longhi) actifs à Ravenne au seizième siècle.
Fixé au mur, ce monument funéraire n’est peut-être pas une œuvre d’art qui mérite d’être publiée ici, ce squelette ailé n’est pas du meilleur goût, mais je trouve l’ensemble intéressant.
Nous sommes en plein mois de mai. Une crèche, c’est un peu en retard, ou un peu en avance pour le 25 décembre… Mais à l’extérieur de l’église un panneau incite à entrer admirer une crèche napolitaine permanente. Elle a été installée le 5 décembre 2009. Il est piquant de constater qu’en France, des conseils départementaux et des municipalités doivent démonter leurs crèches, considérées comme des offenses à la laïcité, et qu’en Italie, au sein même d’églises, des crèches peuvent être permanentes, perdant ainsi hors de la période de la Nativité leur signification religieuse au profit d’une valeur purement artistique.
Cinq photos, c’est sans doute trop, mais j’avais envie de montrer en gros plan quelques détails de cette crèche. Ces pénitents blancs, qui normalement apparaissent pendant la Semaine Sainte, n’ont en principe rien à faire dans une crèche, mais je pense que l’intention est de montrer toute la chrétienté. L’auteur de cette crèche, un certain Francesco di Francesco, dit l’avoir réalisée dans le style des crèches napolitaines du dix-huitième siècle. Et depuis sa création en 2009, elle n’a cessé de s’enrichir de personnages nouveaux, de modifier son ordonnancement et son paysage.
Santa Maria Maggiore était une très vieille église construite par Ecclesius (522-532), le constructeur de San Vitale (mon article Ravenne 07). Mais elle s’est effondrée au dix-septième siècle et de cette église primitive, il ne reste rien, elle a été reprise à la base par Pietro Grossi en 1671 en style baroque. Même l’abside, qui a été conservée, a été tellement remaniée qu’il n’est plus possible de voir son origine paléochrétienne. Le campanile de plan circulaire, typique de l’architecture de Ravenne, a été construit comme les autres campaniles de ce style, au neuvième ou au dixième siècle, et n’a pas fait l’objet d’une reconstruction.
Reconstruction complète ne signifie pas que l’on s’interdit la réutilisation d’éléments récupérés dans les ruines de l’édifice précédent. Ici, bon nombre de colonnes de la nef, avec leurs chapiteaux corinthiens, proviennent de l’église antérieure.
Ce sarcophage est d’époque romaine, mais il a été récupéré par les Rasponi, une famille illustre à Ravenne. Nous avons vu, dans mon article Ravenne 01, le palazzo Rasponi Murat et le jardin botanique Rasponi Murat. Mon prochain article, Ravenne 14, sera consacré à la crypte Rasponi et au Palazzo Rasponi. Mais celui à qui est dédié le portrait au-dessus, et qui a également été enseveli dans cette église, c’est Camillo Morigia. La longue épigraphe funéraire gravée en latin sur la plaque sous son buste dit, entre autres “Ceci est le portrait terrestre de Camillo Morigia, dont la mort met fin au nom d’une très noble famille […]. Il s’est distingué brillamment dans les sciences d’Archimède […]. Maître indépassable en architecture, il a réussi à l’embellir de douceur attique […]. Il n’a pas atteint la vieillesse: au beau milieu de la gloire, il est mort après de longues souffrances […]”. Elle s’achève en disant que Barbara Rasponi et Francesca Prandi ont fait graver cet éloge en souvenir de leur excellent et très cher frère. Ce Camillo Morigia (1743-1795) n’est pas un inconnu pour nous puisque, tout à l’heure, nous l’avons vu intervenir sur la façade de Santa Maria in Porto, et que c’est lui qui a construit la chapelle funéraire de Dante (mon article Ravenne 12).
Cette Vierge à l’Enfant est située au-dessus d’un autel latéral. On l’appelle la Madonna dei Tumori, traduction italienne du nom très ancien qu’elle avait en latin, Sancta Maria a Tumoribus, et elle est l’objet d’une grande dévotion. Lors de la reconstruction de l’église en 1671, cette fresque vieille de plusieurs siècles a été récupérée et replacée ici. Elle était invoquée –et elle est encore invoquée– dans le cas de tumeurs, ou des bubons qui apparaissent avec des maladies incurables comme la peste, ou encore pour les œdèmes du visage ou d’autres parties du corps. Le second samedi de chaque mois, une messe est célébrée sur cet autel à l’intention des malades affectés d’une tumeur, de leurs proches qui souffrent de les voir malades, des médecins et du personnel de santé qui les soignent, des chercheurs qui s’efforcent de trouver des remèdes à la maladie.
Je terminerai avec l’église Sant’Eufemia, Sainte-Euphémie. Aujourd’hui, elle sert d’entrée à un grand site archéologique, la Domus dei Tappeti di Pietra (la Maison des Tapis de Pierre), que nous avons bien sûr visitée mais où la photo est interdite. Je ne consacrerai donc pas d’article à cette Domus byzantine des cinquième et sixième siècles, ne pouvant commenter ce que je ne peux montrer.
On dit que la première église qui s’est élevée ici était la plus ancienne de Ravenne et même de toute la région d’Émilie, et qu’elle avait été construite là où les premiers chrétiens de l’endroit se réunissaient pour écouter les prédications de Saint Apollinaire. Dans la sacristie, un petit puits porte l’inscription “Ici a pris naissance la foi des Ravennates”, mais cette inscription est du dix-huitième siècle. En 1686 ont été retrouvées des reliques de sainte Euphémie et de sainte Agathe qui, selon la légende, auraient été apportées par saint Apollinaire. En 1993 ont été menées des fouilles qui ont montré divers niveaux de stratification, tout en-dessous la fameuse Domus romaine du sixième siècle au sol de mosaïques, et une nécropole du septième au neuvième siècle.
C’est l’architecte Gian Francesco Buonamici, l’auteur du Duomo de Ravenne, qui a construit l’église actuelle de 1742 à 1747 sur l’emplacement de l’église antique.
À l’origine, l’église était à plan basilical, avec trois nefs. Lors de sa reconstruction au dix-huitième siècle, Buonamici l’a conçue sur une seule nef centrale.
Pour finir, cette statue de la Vierge à l’Enfant et cette fresque de la Circoncision. Même dans de petites églises comme celle-ci, assez récentes dans leur état actuel, on peut trouver des œuvres intéressantes…