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22 septembre 2017 5 22 /09 /septembre /2017 23:55
Cos 05, le kastro de Neratzia. Dimanche 7 septembre 2014

Aujourd’hui, nous allons visiter le kastro (le château) qu’ont bâti sur la presqu’île qui ferme le bassin de l’ancien port les Chevaliers de l’Ordre de Saint-Jean de Jérusalem installés à Cos en 1315, comme une dépendance de Rhodes qu’ils venaient de conquérir de 1307 à 1310. C’est le kastro de Neratzia (το κάστρο της Νερατζιάς), parfois appelé kastro de Nerantzia, avec un N au milieu (Νεραντζιάς). En grec, le nératzi est le fruit appelé en français bigarade, ou orange amère, et la nératzia désigne le bigaradier. Parce que cet arbre poussait en abondance sur l’île de Cos, en arrivant les Chevaliers ont nommé ainsi leur château.

 

Mais les Ottomans, qui s’étaient déjà établis en Asie Mineure dès le onzième siècle, manifestent leurs visées sur l’Europe, et la seconde moitié du quatorzième siècle voit tomber Andrinople (aujourd’hui Edirne) dont le sultan fait sa capitale dès 1377. On comprend que, bien avant la prise de Constantinople en 1453, les Chevaliers de Saint-Jean aient jugé bon de prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger leurs conquêtes des appétits ottomans. Ils vont construire à cet effet, dans la seconde moitié du quatorzième siècle, une forteresse rectangulaire, avec une tour circulaire à chacun des quatre angles. Trois de ces tours existent encore aujourd’hui.

 

Ces précautions sont aussi justifiées par le fait que, juste en face de Cos, la côte d’Asie Mineure n’est qu’à une petite vingtaine de kilomètres, et avec les ruines du mausolée d’Halicarnasse (l’une des sept merveilles du monde) et à son emplacement ils ont aussi construit un kastro, le Château Saint-Pierre, de sorte qu’ils peuvent contrôler les mouvements de Constantinople à Alexandrie. D’où le désir des Turcs de mettre fin à ce contrôle. C’est en décembre 1522 que Rhodes sera prise, et dans la foulée Cos doit être donnée aux Ottomans en janvier 1523. Le gouverneur turc résidera dans le kastro, mais on en fera aussi, parallèlement, une garnison de soldats, des magasins, une poudrière. Poudrière qui, le 17 mars 1816, explosera, causant au château les dommages que l’on peut imaginer.

Cos 05, le kastro de Neratzia. Dimanche 7 septembre 2014

Au quinzième siècle, tout juste après avoir pris Constantinople, les Turcs attaquent Cos en 1457, sans succès, et l’attaquent de nouveau en 1477. Après avoir repoussé ces attaques, les Chevaliers renforcent leur protection en ajoutant des terre-pleins autour du château. Mais l’inquiétude grandit en voyant que Rhodes a été assiégée et que les Turcs y ont utilisé des canons à poudre noire comme ils l’avaient fait à Constantinople, et quand le fort séisme de 1493 cause des dégâts dans les fortifications, les Chevaliers décident de construire une autre enceinte, extérieure à l’enceinte existante et la doublant sur trois côtés. Les travaux commencent en 1495 et s’achèveront dans la seconde décennie du seizième siècle. C’est bien visible sur le plan ci-dessus, qui est proposé sur un panneau d’explications sur le site. Cette enceinte extérieure était entourée d’un fossé rempli d’eau de mer, de sorte que le château était une île. Ce fossé d’eau de mer était franchi par un pont levis, et ainsi le château pouvait être totalement isolé de la côte en cas d’attaque. Cette situation a perduré jusqu’au vingtième siècle, quand le fossé a été comblé côté terre sous la domination italienne: cet ancien fossé est devenu la célèbre avenue des Palmiers.

 

Cette nouvelle enceinte était adaptée à la guerre moderne. Les soldats n’essayaient plus d’escalader sous les jets de pierres et liquides bouillants lancés entre les créneaux des murailles très hautes, ils bombardaient désormais des murs qui devaient être épais et résistants. La longueur du tunnel d’accès au château, sur ma première photo, permet d’apprécier l’épaisseur de cette muraille. En outre, les tours et bastions étaient munis d’embrasures très étroites adaptées aux canons.

Cos 05, le kastro de Neratzia. Dimanche 7 septembre 2014
Cos 05, le kastro de Neratzia. Dimanche 7 septembre 2014

L’accès au château, aujourd’hui comme du temps des Chevaliers, se fait par l’entrée que j’ai indiquée par une flèche noire sur le côté gauche du plan. Après avoir franchi le tunnel de ma toute première photo, qui passe sous la muraille extérieure, celle du seizième siècle, on se trouve face à un très large fossé qui sépare les deux murailles. C’était un fossé sec, qui n’a jamais été destiné à être mis en eau. On le franchit par un plan incliné visible sur ma première photo ci-dessus, mais surtout sur la seconde. Ce plan incliné a été construit comme un pont, car autrefois le fossé était beaucoup plus profond qu’aujourd’hui. Le sol, monté jusqu’au niveau du tablier, ne permet plus de voir que c’était un pont, et pourtant la construction n’a pas changé. On remarque qu’un escalier permet de descendre dans le fossé, mais il n’existait pas à l’époque, il est là surtout pour la visite des touristes, et aussi pour faciliter l’entretien du fossé.

Cos 05, le kastro de Neratzia. Dimanche 7 septembre 2014

Si, au débouché du tunnel de l’entrée, on se tourne vers la droite (c’est-à-dire vers le bas du plan), on voit derrière toutes ces colonnes renversées, un bâtiment carré, suivi, tout à gauche de ma photo, de l’ébauche d’une grosse tour ronde. Ou plutôt semi-circulaire. Cette tour faisait partie de la première enceinte, et l’enceinte extérieure est venue se greffer sur elle. J’ai dit tout à l’heure que la nouvelle enceinte doublait l’ancienne sur trois côtés: nous sommes ici sur le côté qui n’est pas doublé. On comprend tout cela en examinant le plan.

Cos 05, le kastro de Neratzia. Dimanche 7 septembre 2014
Cos 05, le kastro de Neratzia. Dimanche 7 septembre 2014

En regardant encore plus à droite, on voit la face interne de cette muraille extérieure. Et pour être utilitaires, les constructions n’en sont pas moins belles. Témoin cette arche légère sur le fossé. Vu son aspect, je suppose que cet escalier qui donne accès au chemin de ronde devait exister, mais je n’ai pas trouvé d’explication à son sujet.

Cos 05, le kastro de Neratzia. Dimanche 7 septembre 2014
Cos 05, le kastro de Neratzia. Dimanche 7 septembre 2014

Et maintenant, nous allons entrer dans le kastro proprement dit, c’est-à-dire celui qui est enclos dans l’enceinte intérieure. On franchit l’enceinte intérieure par ce passage de mes photos. Et j’ai déjà publié la seconde de ces photos dans mon article Cos 02, le port antique et l’agora, quand j’ai parlé de la basilique du port, datant du cinquième siècle ou du début du sixième, cette basilique qu’un premier séisme en 469, puis un second en 554 avaient complètement détruite et qui n’était plus que ruines quand les Chevaliers sont arrivés à Cos, et ils ont prélevé là beaucoup de matériaux de construction, entre autres dix des colonnes de granit qui séparaient les trois nefs de la basilique. Non pas pour les réutiliser comme colonnes, mais pour en faire le plafond de ce passage.

Cos 05, le kastro de Neratzia. Dimanche 7 septembre 2014

Dès que l’on est à l’intérieur, on comprend que les occupants du lieu sentent bien qu’ils peuvent avoir à se défendre. Ici près de l’entrée sont stockés canons et boulets. En examinant les canons et les boulets, je suis totalement incapable de les dater; il me donnent l’impression d’être assez rudimentaires, ce qui les ferait remonter à l’époque des Chevaliers de Saint-Jean, mais c’est en réalité peu vraisemblable, car le château a été occupé par les Ottomans du seizième au vingtième siècle (1525-1912), près de 400 ans, et ils ont dû plus d’une fois renouveler leur armement.

Cos 05, le kastro de Neratzia. Dimanche 7 septembre 2014
Cos 05, le kastro de Neratzia. Dimanche 7 septembre 2014

Pour arriver là, on est d’abord passé au pied d’une grosse tour (ma première photo ci-dessus), une projection semi-circulaire du mur, construite en 1454 par les grands maîtres Jean de Lastic, mort en cette même année 1454, et Jacques de Milly, son successeur. Et ensuite on a franchi (ma seconde photo) la porte du commandant Edoardo di Carmadino (grand maître de 1471 à 1495), construite en 1478.

Cos 05, le kastro de Neratzia. Dimanche 7 septembre 2014
Cos 05, le kastro de Neratzia. Dimanche 7 septembre 2014

Dans la cour du premier kastro, on est frappé par cette très massive tour intérieure rectangulaire. Elle date des premiers temps de la construction, au début du quinzième siècle.

Cos 05, le kastro de Neratzia. Dimanche 7 septembre 2014
Cos 05, le kastro de Neratzia. Dimanche 7 septembre 2014

Ici à l’intérieur du premier kastro, je vais suivre l’ordre chronologique des constructions, lorsqu’il est indiqué. Par exemple, sur cette tour dite Tour française, on voit un triple blason. En haut, ces fleurs de lys sous une couronne royale sont, évidemment, les armes du royaume de France. L’Ordre des Chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem, installé à Rhodes et à Cos, est un ordre international, et comme la France est “la fille aînée de l’Église”, et qu’elle a pris une part prépondérante dans les Croisades et dans la conquête de Jérusalem, on ne peut s’étonner que nombre de grands maîtres de l’Ordre aient été des Français. Mais il n’est pas expliqué à quel grand maître est due cette tour, pour qu’elle soit nommée “française” et porte les armes du roi de France.

 

Au-dessous, à gauche cette croix est celle de l’Ordre, et à droite ce blason est celui d’Adimar Dupuy. Ce n’est pas un grand maître, mais un commandant de la place de Cos, représentant du grand maître qui réside à Rhodes. Lui sera commandant de Cos de 1464 à 1466. Ses armes sur cette tour la font dater d’après 1465.

Cos 05, le kastro de Neratzia. Dimanche 7 septembre 2014
Cos 05, le kastro de Neratzia. Dimanche 7 septembre 2014

Cette puissante tour rectangulaire est due au grand maître Pierre d’Aubusson, qui a dirigé l’Ordre de 1476 à 1503. C’est, comme l’indique son nom, un Français. Il est originaire de la Creuse et, surnommé “le bouclier de la chrétienté”, sera fait cardinal. Le bâtiment que l’on voit et qu’il a construit lui est donc contemporain, et en outre il est dit qu’il est postérieur à 1489: ce qui permet d’ajouter cette précision, c’est que c’est en cette année-là qu’il est devenu cardinal, et désormais ses armes sont surmontées du chapeau de cardinal. C’est dans le décor sculpté de ma seconde photo ci-dessus que se trouve ce blason surmonté d’un chapeau. La pierre en est très usée, c’est peu visible, mais cela a suffi aux spécialistes pour déclarer que la construction est postérieure à 1489.

Cos 05, le kastro de Neratzia. Dimanche 7 septembre 2014

Dans un autre endroit, j’ai pris en photo un bon nombre de blasons sculptés dans la pierre, et après avoir cherché sur Internet comment était celui de Pierre d’Aubusson, car je voulais comparer à celui qui est sur le bâtiment et que je “lisais” très mal, je me rends compte que je l’ai photographié: c’est celui de ma photo ci-dessus. “Dans un autre endroit”, ai-je dit, et en effet ce blason n’était pas sur cette tour rectangulaire qui est postérieure à 1489, car, dépourvu du chapeau de cardinal, il est antérieur à 1489.

Cos 05, le kastro de Neratzia. Dimanche 7 septembre 2014
Cos 05, le kastro de Neratzia. Dimanche 7 septembre 2014
Cos 05, le kastro de Neratzia. Dimanche 7 septembre 2014

Ici, la plaque fixée sur le bâtiment se contente de dire “Tour nord-est, 1506”. Pas de nom du constructeur. En consultant la liste des grands maîtres, je vois qu’à la mort de Pierre d’Aubusson en 1503, son successeur est Aymeri d’Amboise, de 1503 à 1512. Donc en 1506. Alors pourquoi le nom du grand maître, ou du commandant local de Cos est-il donné ailleurs, et pas ici? Mystère…

Cos 05, le kastro de Neratzia. Dimanche 7 septembre 2014
Cos 05, le kastro de Neratzia. Dimanche 7 septembre 2014
Cos 05, le kastro de Neratzia. Dimanche 7 septembre 2014

Encore un peu plus tard, en 1514… non, ce n’est pas le successeur d’Aymeri d’Amboise, mort en 1512, le constructeur de ce bastion. Parce que son successeur, Guy de Blanchefort, va mourir dès novembre 1513… et ce n’est qu’après lui que vient Fabrizio del Carretto, grand maître des Chevaliers hospitaliers de l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem (1513-1521) qui, presque dès sa nomination, va faire renforcer les fortifications au moyen de ce bastion qui est “extrêmement fort”, dit le panneau, et ce sera, dans l’ordre chronologique, le dernier élément défensif construit dans ce kastro.

Cos 05, le kastro de Neratzia. Dimanche 7 septembre 2014

Alors si nous en avons fini avec les fortifications, que reste-t-il à voir? Bien des choses, réparties sur le sol ou contre des murs. D’abord, cette pierre creusée. On ne nous dit pas ce que c’est, mais je crois qu’il n’y a guère de doute: pour que la pierre ait été creusée ainsi de sillons verticaux sur sa face interne, et suffisamment irréguliers pour qu’on ne les prenne pas pour des décorations, c’est la margelle d’un puits creusée par les cordes descendues, mais surtout remontées tirant un lourd seau d’eau. Les milliers de passages ont usé la pierre peu à peu.

Cos 05, le kastro de Neratzia. Dimanche 7 septembre 2014

Une statue, maintenant. À vrai dire, il y en a très peu. Je suppose que celles qui sont en bon état ont été transférées au musée archéologique, mais celle-ci est acéphale, sans bras, et son vêtement est bien usé. Alors elle est restée sur place, soumise aux intempéries.

Cos 05, le kastro de Neratzia. Dimanche 7 septembre 2014
Cos 05, le kastro de Neratzia. Dimanche 7 septembre 2014
Cos 05, le kastro de Neratzia. Dimanche 7 septembre 2014

On trouve également des bas-reliefs. Je n’ai pas l’impression qu’ils aient été sculptés pour les Chevaliers de Saint-Jean. En effet, sur le premier je vois un homme étendu sur un lit de banquet antique, une femme assise à ses pieds, derrière sa tête un petit esclave. Il s’agit à l’évidence d’une stèle représentant un banquet funéraire, datant de l’antiquité païenne.

 

Certes, cet homme de ma deuxième photo, ce buste de la troisième, sont moins typiquement des stèles funéraires, mais elles donnent bien l’impression d’être antiques. Alors ou bien, quand ils ont construit leur kastro, les Chevaliers ont trouvé ici un cimetière antique et les pierres en sont restées sur place, ou bien ils ont trouvé ces pierres ailleurs et les ont apportées ici en tant que matériaux de construction, et elles n’ont pas été utilisées, ou puisque nous avons vu quelques murs en mauvais état elles y étaient incluses et sont tombées au sol quand les murs ont été ruinés.

Cos 05, le kastro de Neratzia. Dimanche 7 septembre 2014
Cos 05, le kastro de Neratzia. Dimanche 7 septembre 2014

De même ce bucrane sculpté sur un fût de colonne, ou cette fleur décorative sur cette pierre, n’ont apparemment pas été l’œuvre des Chevaliers, dont on a pu constater que la seule ornementation de leurs bâtiments, du moins pour les extérieurs, consistaient en blasons des grands maîtres.

Cos 05, le kastro de Neratzia. Dimanche 7 septembre 2014
Cos 05, le kastro de Neratzia. Dimanche 7 septembre 2014

Et enfin, puisque je viens de les évoquer, des blasons. On en trouve partout sur les murs des différents bâtiments, comme les signatures de ceux qui les ont fait construire. Et puis d’autres sont au sol, ramassés par les archéologues et posés au bas des murs. Et ceux-là n’ont pas de plaque pour dire à qui ils appartiennent. Alors je suis allé voir sur Wikipédia, un par un, tous les grands maîtres de l’Ordre, depuis leur arrivée à Rhodes et à Cos, et jusqu’à leur départ forcé pour Malte. Pour chacun, il y a une gravure, avec son blason en-dessous. C’est ainsi que j’ai pu identifier ci-dessus, en double exemplaire, le blason de Fabrizio del Carretto (nous l’avons vu au sujet du dernier bastion: 1513-1521).

Cos 05, le kastro de Neratzia. Dimanche 7 septembre 2014
Cos 05, le kastro de Neratzia. Dimanche 7 septembre 2014
Cos 05, le kastro de Neratzia. Dimanche 7 septembre 2014

En revanche, pour le blason des deux premières photos ci-dessus, les lys de France et des boulets de canon, avec ou sans ce lion qui y met la patte, il n’appartient à aucun d’entre eux. Non plus que le blason représentant deux tours fortifiées de ma troisième photo. Mais nous avons vu que le grand maître, qui résidait à Rhodes, avait toujours un délégué à Cos, et le hasard des constructions nous a fait voir tout à l’heure le blason d’Adimar Dupuy, qui était délégué du grand maître, mais pas grand maître. J’ai trouvé, sur Wikipédia en langue catalane, la liste complète des délégués responsables du kastro de Cos avec  leurs dates de fonction, à l’exception de quelques-uns pour lesquels il est dit “desconegut”, ce qui signifie “inconnu”. Reste à leur trouver leurs blasons, à ceux-là. Du fait que le premier blason porte les lys de France, je peux me contenter de chercher pour ceux qui ont un nom français, mais français ou pas, je n’ai trouvé les blasons de presque aucun, et les très-très peu nombreux que j’ai trouvés ne correspondent pas. Dommage, je conclus cet article sur un énorme point d’interrogation.

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