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31 août 2016 3 31 /08 /août /2016 23:55

Berlin est une ville extrêmement riche en musées, dont la plupart sont concentrés sur la dite “Île des Musées”, sur la Spree. N’étant ici que de passage, nous ne pouvons satisfaire nos envies de découverte. Deux jours à Berlin, cela signifie seulement deux grands musées si chacun nous retient cinq ou six heures. Alors aujourd’hui ce sera le Pergamon Museum, le musée de Pergame. Le musée porte ce nom d’une ville grecque de l’ouest de l’Asie Mineure aujourd’hui en Turquie parce qu’il en possède des monuments entiers transportés en Allemagne pierre à pierre et remontés dans d’immenses salles, mais il comporte également bien d’autres sections. Je vais donc lui consacrer trois articles. Celui que je publie aujourd’hui concerne les civilisations islamiques.

L’Islam au musée de Pergame à Berlin. 31 juillet 2013

Civilisation islamique est à prendre au sens large de civilisation de terre islamisée car ces deux pièces de monnaie sont antérieures de plusieurs siècles à l’Hégire de Mahomet, qui a eu lieu en 622. Il s’agit de drachmes sassanides iraniennes en argent. Celle de gauche représente l’empereur perse Shapur II (Shapur le Grand) qui a régné de 309 à 379 et qui est donc contemporain de Constantin, empereur romain (à Constantinople) de 306 à 337. Celle de droite est un peu plus ancienne, elle date de l’empereur perse Vahram II (276-293), mais il est représenté sur l’avers et ce qui est montré ici est le revers, avec du feu sur un autel et deux officiants.

L’Islam au musée de Pergame à Berlin. 31 juillet 2013

Cette plaque murale en stuc représentant un sanglier et provenant de l'intrados d'une maison d’Umm az-Za'ätir, en Irak, aux environs de l’antique Ctésiphon, date du sixième ou du septième siècle (de notre ère, bien sûr, puisqu’il s’agit d’art “islamique”).

L’Islam au musée de Pergame à Berlin. 31 juillet 2013

Cette belle assiette provenant de Nizämäbäd, en Iran, date du septième ou du huitième siècle. Cette fois-ci, c’est postérieur à l’Hégire de 622, et c’est donc pleinement islamique. Il s’agit de la représentation d’une chasse du Grand Roi. Un sanglier bondit vers le cheval du roi, un ours attend derrière un arbre, en bas ce que je crois être un lion semble avoir été déjà tué.

L’Islam au musée de Pergame à Berlin. 31 juillet 2013

Concernant la provenance de ce superbe vase en argent partiellement doré, le musée se contente d’un très vague “Iran”… pour un si vaste pays… Au premier moment, j’ai cru y voir des tulipes. Impossible, car il date du septième ou du huitième siècle, et la tulipe qui est originaire des contreforts de l’Himalaya n'a été importée que bien plus tard et ce que l’on a appelé “l’Ère des Tulipes” dans l’Empire Ottoman est le premier tiers du dix-huitième siècle (pour plus de détails, voir mon article “Istanbul 23: Les intérieurs de Topkapi, daté du 28 novembre 2012. Ce sont paraît-il, si j’en crois le musée, des palmiers, et autour d’eux, des grues. On aperçoit le bec et le ventre de l’un de ces oiseaux du côté droit, le cou et la queue d’un autre du côté gauche.

 

Je disais “si j’en crois le musée”, et il faudrait ajouter “et mon traducteur”. Car quelques panneaux explicatifs généraux sont bilingues, rédigés en allemand et en anglais, mais les légendes des objets sont exclusivement en allemand. Une langue dont j’ignore tout. Lorsque je ne veux pas recopier sur mon ordinateur mot à mot, lettre à lettre, le texte original que j’ai photographié, je dois d’abord, sous Photoshop, faire disparaître le fond, les reflets, et éventuellement redresser l’image, que j’ai souvent été contraint de prendre en diagonale. Ensuite, je soumets la photo modifiée au logiciel d’OCR (Optical Character Recognition) pour transformer l’image en texte Word. Enfin, je colle ce texte dans le traducteur sur Internet. Comme la qualité de traduction est très imparfaite, j’utilise systématiquement l’un après l’autre Reverso et Google. Je sais bien que les grands musées qui reçoivent des visiteurs internationaux ne peuvent donner pour chaque objet un texte multilingue anglais, allemand, français, espagnol, italien, japonais et chinois, pour ne citer que les nations qui envoient de forts contingents de touristes: ne serait-ce que pour une question de taille nécessaire pour les notices. Mais je pense que dans la plupart des pays on étudie l’anglais, et des légendes bilingues, langue nationale (ici allemand) et anglais seraient déjà un progrès. Car les opérations que je viens de citer sont longues, fastidieuses, et de plus ne peuvent s’effectuer qu’après coup, quand on n’a plus l’objet sous les yeux, et c’est bien dommage. En effet, je n’imagine pas, devant une vitrine de musée, dix touristes avec à la main leur tablette ou leur smartphone retouchant leurs photos, les convertissant en texte, les traduisant, puis contemplant l’objet qu’enfin ils comprennent et peuvent apprécier, avant de passer à la vitrine suivante!!!

 

Voilà, j’étais en colère, ça a dû faire monter ma tension, maintenant que j’ai bien râlé ma tension est retombée, je peux continuer ma visite de la section d’art islamique du musée. Bien beau, ce vase d’argent, avec ses grues et ses palmiers.

L’Islam au musée de Pergame à Berlin. 31 juillet 2013
L’Islam au musée de Pergame à Berlin. 31 juillet 2013

À une trentaine de kilomètres au sud d’Amman, en Jordanie, à Mshatta (“Camp d’Hiver”, en arabe), gisent les ruines d’un immense palais. La façade en fait 47 mètres de long et, dans sa partie centrale, 5 mètres de haut. La section de cette façade qui se trouve ici à Berlin est un cadeau du sultan Abdul Hamid II au Kaiser Guillaume II. Tu m’instruis mes soldats, je te refile mes vieilles pierres. En l’absence de toute inscription sur le monument et de textes le mentionnant, on s’est interrogé sur sa datation. Dans un premier temps, on en a fait une construction gréco-romaine de l’antiquité tardive, mais Ernst Herzfeld, un archéologue spécialiste d’architecture, y a rapidement identifié les caractères des débuts de l’époque islamique en comparant son style à celui de nombre d’autres bâtiments en Jordanie, en Syrie, au Liban. Finalement, on s’accorde sur la supposition que la construction du palais a dû commencer sous le bref règne du calife omeyyade Al-Walīd II (125-126 de l’Hégire, soit 743-744 de notre calendrier, un règne d’un an et moins de trois mois), assassiné bien avant la fin des travaux. De toutes façons, un fort tremblement de terre a détruit le palais peu de temps après, et le site a alors été abandonné.

 

Ma deuxième photo ci-dessus fait un gros plan sur une partie de la décoration. On voit un animal fabuleux et un animal réel s’abreuver ensemble dans une riche végétation, et des oiseaux apparaissent au-dessus d’eux. Et puis, sur l’autre moitié de la façade (que je ne montre pas parce qu’elle n’a pas été apportée à Berlin), les animaux disparaissent et il n’y a plus que des plantes. Sans aucun doute, l’explication en est que face à ce mur se trouvait la mosquée, or l’Islam interdit la représentation d’êtres vivants.

L’Islam au musée de Pergame à Berlin. 31 juillet 2013
L’Islam au musée de Pergame à Berlin. 31 juillet 2013

Cet instrument de bronze gravé originaire de Bagdad (Irak) est unique en son genre. Il s’agit d’un astrolabe universel. L’indication informe qu’il a été conçu par l'astronome Abu Ja'far al-Hazin, qui a vécu au dixième siècle, et qu’il a été réalisé entre 513 et 514 de l‘Hégire (soit entre 1119-1120 et 1120-1121 de notre calendrier) par Allah al-Baghdadi Hibat, astronome et poète.

L’Islam au musée de Pergame à Berlin. 31 juillet 2013

Autre transfert monumental au musée, la Chambre d’Alep. C’est avec le palais de Mshatta qu’en 1904 a été créée la section d’art islamique dans les musées de Berlin, et pour garnir ce musée la Chambre d’Alep a été achetée en 1912 par le premier directeur de la collection, Friedrich Sarre. Nous voilà transportés dans la salle de banquet d’une riche demeure du quartier chrétien d’Alep, en Syrie. Des inscriptions donnent le nom du propriétaire, Isa b. Butrus (c’est-à-dire Jésus fils de Pierre), qui nous est connu comme marchand et courtier d’Alep, ainsi que deux dates pour la construction, 1009 et 1012. Comme ces dates sont données dans le calendrier islamique, il faut comprendre 1600-1601 et 1603. Des psaumes sont inscrits en arabe, mais il ne fait aucun doute que ce personnage était chrétien parce que des Vierges à l’Enfant sont représentées en cinq endroits et saint Georges en deux endroits. On trouve aussi diverses scènes de l’Ancien Testament (le sacrifice d’Abraham) et du Nouveau Testament (la Cène). Le style des panneaux est en rapport très direct avec les livres enluminés de la même époque.

 

Comme cela se voit sur ma photo, des panneaux de verre empêchent de pénétrer dans la salle. Il est sûr que c’est le meilleur moyen d’empêcher que des mains de touristes se posent sur ces fragiles peintures, mais cela fait que je parle de représentations que je ne peux montrer ici…

L’Islam au musée de Pergame à Berlin. 31 juillet 2013
L’Islam au musée de Pergame à Berlin. 31 juillet 2013
L’Islam au musée de Pergame à Berlin. 31 juillet 2013

Quelques poteries d’Iznik. C’est vers le milieu du quinzième siècle que cette ville, l’ancienne Nicée, s’est spécialisée dans les fines poteries s’inspirant des techniques des porcelaines de Chine. Les motifs étaient bleus sur fond blanc. Puis au début du seizième siècle, il s’y est ajouté le vert, le turquoise, le violet. Jusque-là, on trouve surtout des décorations florales et de grenades; l’assiette de ma première photo est datée entre 1535 et 1550. Mais les motifs peuvent cependant être très divers, comme les signes du zodiaque sur le plat de ma seconde photo (1563-1564). Ensuite, extrait de terre ferrugineuse, on introduit le rouge et les décors deviennent polychromes, les fonds restant blancs. C’est vers 1600 qu’a été réalisée la chope de ma troisième photo, avec ses roses et ses tulipes. À la fin du seizième siècle et tout au long du dix-septième, les céramiques d’Iznik vont être très recherchées, non seulement dans l’Empire Ottoman, mais dans toute l’Europe où, ici et là, vont se développer des ateliers qui créent des copies. Dans le même temps, Iznik va plutôt se spécialiser dans les carrelages, pour décorer les palais turcs (dont Topkapi à Constantinople), et les grandes mosquées des principales villes de l’Empire. Ces carrelages suscitent également des copies en Europe.

L’Islam au musée de Pergame à Berlin. 31 juillet 2013
L’Islam au musée de Pergame à Berlin. 31 juillet 2013
L’Islam au musée de Pergame à Berlin. 31 juillet 2013

Et puis il y a les illustrations de livres des Khans mongols. Les images de mes photos ci-dessus sont extraites du Recueil de chroniques de Rachid-ad-Din, ministre du Khan. Il a vécu de 1247 à 1318), les Chroniques sont donc datées du tout début du quatorzième siècle. Elles ont été éditées dans la ville perse de Tabriz. Les images, autant que le texte, apportent de précieux renseignements sur la vie du commun des mortels autant que sur la vie au sein de la cour des chefs mongols du temps de Rachid-ad-Din. La première photo que j’en publie représente des chevaux de course (selon le musée, mais alors je ne vois pas pourquoi leurs cavaliers sont armés d’arcs, ni pourquoi ils courent à la rencontre les uns des autres), la seconde des guerriers mongols avec des prisonniers, et la troisième l’apparition d’un ange qui, si l’on suppose qu’il s’agit d’une illustration de la vie de Mahomet, ne serait autre que Gabriel, qui lui a dicté le Coran.

L’Islam au musée de Pergame à Berlin. 31 juillet 2013
L’Islam au musée de Pergame à Berlin. 31 juillet 2013

Un bond dans le temps. Du quatorzième siècle au dix-neuvième siècle. En 1819, Antoine Ignace Melling publie à Strasbourg, chez Treuttel und Würtz, Voyage pittoresque de Constantinople et des rives du Bosphore. Et l’ouvrage est illustré de gravures. Parmi celles-ci, j’en montre ici deux.

 

La première est légendée “Intérieur d’un café public, sur la place de Top-hané”. Dans la vie des hommes de Constantinople, les cafés avaient une grande importance –qu’ils ont en partie conservée aujourd’hui. Beaucoup d’entre eux s’étaient établis dans des endroits offrant une belle vue.

 

La seconde gravure, “Intérieur d’une partie du harem du Grand-Seigneur”, peut surprendre, voire faire douter de l’honnêteté de son auteur, puisque le harem est un endroit où nul homme autre que la très proche famille du sultan ou que les eunuques ne peut pénétrer. Mais, durant les dix-huit ans de son séjour à Constantinople, Melling a exercé les fonctions d’architecte et de paysagiste auprès du sultan Selim III et de sa sœur, et à ce titre il a pu avoir ses entrées pour raisons professionnelles dans des lieux où nul autre n’aurait eu accès. Dans ces conditions, il est évident que l’on n’a pas le droit de supposer que le dessin de cette gravure est sorti de l’imagination de Melling. Mais le 28 novembre 2012 nous avons passé une grande journée à visiter le palais de Topkapi, y compris le harem qui, évidemment, est désaffecté (voir mes deux articles à ce sujet), et je n’ai aucun souvenir de cette grande salle sur trois étages, avec ses galeries de bois tout autour. Quoique convaincu que je n’aurais pas pu l’oublier, je viens de revérifier toutes les 308 photos que j’avais faites ce jour-là, vérification qui confirme que je n’ai pas vu cette salle. A-t-elle été détruite? Est-elle fermée à la visite? Dans le dédale des bâtiments, des couloirs, des escaliers, l’ai-je manquée? Quel que soit le motif de cette lacune, je m’en console (un tout petit peu) en contemplant cette gravure…

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