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11 janvier 2017 3 11 /01 /janvier /2017 23:55
L’Ancienne Théra à Santorin. Mercredi 9 avril 2014

C’est au début du huitième siècle avant Jésus-Christ, selon certains même au milieu du neuvième siècle, que des colons sont venus s’installer sur un site élevé, à 369 mètres au-dessus du niveau de la mer, au sud-est de l’île de Santorin, comme on le voit sur la photo ci-dessus (je reproduis une photo libre de droits de la NASA prise par le satellite Landsat, où j’ai ajouté les deux cités antiques dont je parle dans mon blog, et que je n’ai modifiée que pour en faire disparaître quelques nuages).

 

Leur chef s’appelait Théras, il a donné son nom à leur ville, Théra. Nous visitons aujourd’hui cette Ancienne Théra. Ces colons étaient des Doriens, probablement originaires de Sparte. La cité s’est développée, a créé six autres agglomérations dépendant d’elle, puis à l’époque hellénistique les Ptolémée qui régnaient sur l’Égypte s’en sont rendus maîtres pour y installer une base navale, car sa position stratégique dans la mer Égée les intéressait: protection naturelle sur la colline, bon port à proximité, situation contrôlant le secteur sud-est de l’Égée. C’est à cette époque “égyptienne”, du début du troisième siècle au milieu du deuxième siècle (145) avant Jésus-Christ, que Théra a connu son plus grand essor. Plus tard, au cours du troisième siècle de notre ère, la cité a commencé à décliner, ses habitants l’ont peu à peu abandonnée après plus d’un millénaire d’existence. Quelques-uns cependant ont continué à y vivre à l’époque paléochrétienne, du quatrième au sixième siècles.

 

Certaines de ses constructions, par conséquent, étaient encore debout au huitième siècle, quand les raids des Arabes ont poussé les habitants des rivages et du port à remonter sur la colline, dans la ville ancienne, dont ils ont détruit les constructions déjà à moitié ruinées pour en réutiliser les pierres. Toutefois, lorsque des archéologues allemands ont entrepris des fouilles, de 1896 à 1902, sous la direction de Hiller von Gaertringen (nous avons vu son profil dans une rue de Santorin, voir mon article Vues de Santorin. Du 6 au 11 avril 2014), les traces laissées par la ville hellénistique puis romaine étaient encore lisibles, et le sous-sol (surtout celui des cimetières) a permis de collecter un grand nombre d’objets dont je montrerai quelques-uns dans un prochain article que j’intitulerai Le musée classique de Santorin.

L’Ancienne Théra à Santorin. Mercredi 9 avril 2014
L’Ancienne Théra à Santorin. Mercredi 9 avril 2014

“Sur un site élevé”, disais-je. La vue des lacets de la petite route qui, aujourd’hui, y monte, donne une idée de la pente qui protégeait la ville. Sur la vue satellite, plus haut, on a pu remarquer deux lignes parallèles près de la côte est de l’île; sur ma seconde photo ci-dessus, on comprend sans doute mieux qu’il s’agit des pistes de l’aérodrome, tout près de la côte afin de profiter de l’un des rares endroits plans de Santorin.

L’Ancienne Théra à Santorin. Mercredi 9 avril 2014
L’Ancienne Théra à Santorin. Mercredi 9 avril 2014

Les premiers monuments que nous voyons en pénétrant sur le site appartiennent au sanctuaire d’Aphrodite. Assimilant leur Aphrodite à la déesse phénicienne Astarté, les Grecs de Théra ont importé ici l’usage phénicien que les femmes du temple y tissent des étoffes teintes de couleurs variées (en français, on appelle astarté un sergé fin de soie vendu un grande largeur, avec des motifs très colorés: le Goncourt 2013 Pierre Lemaitre, dans Au revoir là-haut, écrit “Elle portait, sous un manteau gris, une blouse en astarté noir drapée autour de la taille et un chapeau cloche noir également”).

L’Ancienne Théra à Santorin. Mercredi 9 avril 2014
L’Ancienne Théra à Santorin. Mercredi 9 avril 2014
L’Ancienne Théra à Santorin. Mercredi 9 avril 2014
L’Ancienne Théra à Santorin. Mercredi 9 avril 2014

Un peu plus haut, cette toute petite église est dédiée à saint Étienne (Agios Stefanos). Elle date du huitième ou du neuvième siècle, et a été construite sur les ruines, et avec les matériaux de récupération, d’une basilique paléochrétienne du milieu du sixième siècle, détruite probablement par un tremblement de terre. En effet, refluant de la côte vers les hauteurs de la ville ancienne, les populations chrétiennes avaient besoin d’un lieu de culte mais, étant infiniment moins nombreuses qu’auparavant, il était suffisant de consacrer une église sans commune mesure avec la précédente. Cette église serait la preuve, s’il en était besoin, que Théra n’était pas déserte au huitième ou au neuvième siècle.

L’Ancienne Théra à Santorin. Mercredi 9 avril 2014
L’Ancienne Théra à Santorin. Mercredi 9 avril 2014
L’Ancienne Théra à Santorin. Mercredi 9 avril 2014

La première de mes photos ci-dessus montre le pavement, laissé en place, de la basilique paléochrétienne. Sur la seconde, que j’ai prise légèrement en contrebas, je pense être dans le petit espace carré situé au milieu du côté droit du plan de la troisième photo, troisième photo qui reproduit une illustration d’un panneau explicatif placé sur le site; elle représente en noir le plan de la basilique paléochrétienne, alors que l’église actuelle est en jaune (en fait, sur le panneau, c’était du gris foncé, et une fois photographié et réduit, on ne voyait plus guère la différence, j’ai préféré ajouter de la couleur).

L’Ancienne Théra à Santorin. Mercredi 9 avril 2014
L’Ancienne Théra à Santorin. Mercredi 9 avril 2014
L’Ancienne Théra à Santorin. Mercredi 9 avril 2014
L’Ancienne Théra à Santorin. Mercredi 9 avril 2014
L’Ancienne Théra à Santorin. Mercredi 9 avril 2014

Nous arrivons à ce que l’on appelle le téménos d’Artémidoros (ou, en francisant, Artémidore). L’homme portant ce nom a vécu au troisième siècle avant Jésus-Christ, c’était un proche de Ptolémée Philadelphe, pour qui il avait été chasseur d'éléphants. Il était originaire de Perga, capitale de la Pamphylie, dont les ruines se trouvent à quelque distance à l’est d’Ankara, en Turquie d’Asie (actuelle Aksu). Averti par un songe alors qu’il était déjà âgé, il se rend à Théra et s’y établit pour y prendre sa retraite. Prêtre d’Artémis, il va tourner toute son activité à fonder des sanctuaires, embellir la ville, il s’investit à fond, ce qui lui vaudra d’être deux fois couronné de feuillages d’olivier et d’être fait citoyen de Théra. Il est, sans aucun doute, le plus actif fidèle du culte égyptien; il va aussi construire, à l’autre bout de la ville, un sanctuaire de Ptolémée III.

 

Et si ce téménos (le mot désigne un espace sacré, ici un sanctuaire en plein air) porte son nom, c’est parce qu’il l’a lui-même sculpté dans la roche. Sur mes deux premières photos, on reconnaît le piédestal qui figure sur le premier dessin, vu de la droite puis de la gauche. On reconnaît aussi sur la droite du piédestal une pierre carrée et, entre le piédestal et cette pierre, une sorte de triangle brisé dans la muraille. En revanche, sur mes photos, bien sûr, on ne distingue aucune sculpture, et même au naturel il m’a fallu m’approcher de tout près pour parvenir à voir les sculptures comme celle de l’aigle de la troisième photo. Ces sculptures, je les montre sur les dessins de la quatrième et de la cinquième photos ci-dessus, qui sont des reconstitutions proposées par un panneau sur le site. La première des deux devient si petite dans les limites de mon blog que j’ajoute la photo d’un détail plus visible. Il y avait, de droite à gauche, des inscriptions gravées en l’honneur d’Hécate et de Priape, des autels des Dioscures, d’Omonia et des dieux de Samothrace, puis (ce que l’on voit sur ma dernière photo) l’aigle de Zeus Olympien, le lion d’Apollon Stéphanéphore, devant lequel ce piédestal est, en fait, le trône de la déesse Tychè, le tout suivi du dauphin de Poséidon Pélagien.

L’Ancienne Théra à Santorin. Mercredi 9 avril 2014

Au-dessus du dauphin, Artémidoros a gravé son propre profil dans un médaillon, le front couronné. Peut-être s’est-il un peu avantagé, peut-être a-t-il supprimé tel petit défaut, mais comme il voulait absolument être reconnu on peut penser qu’il était ressemblant. Dans l’inscription qui entoure le médaillon, il émet le vœu que son nom reste immortel pour l’éternité. Parce qu'il est absolument invisible sur mes photos, je montre ici la reproduction affichée sur le lieu.

L’Ancienne Théra à Santorin. Mercredi 9 avril 2014
L’Ancienne Théra à Santorin. Mercredi 9 avril 2014
L’Ancienne Théra à Santorin. Mercredi 9 avril 2014
L’Ancienne Théra à Santorin. Mercredi 9 avril 2014

La topographie de la ville présente une arête étroite, ce qui fait que l’urbanisation a suivi une ligne étroite qui s’étire tout le long de cette arête. En poursuivant notre exploration du site, nous suivons donc la rue principale et nous arrivons ainsi à des maisons d’habitation.

L’Ancienne Théra à Santorin. Mercredi 9 avril 2014
L’Ancienne Théra à Santorin. Mercredi 9 avril 2014

La conséquence de cette topographie est que les rues latérales sont en escalier, comme celle que montre ma photo. Par ailleurs, ces colonnes renversées, je ne sais pas de quel monument elles proviennent.

L’Ancienne Théra à Santorin. Mercredi 9 avril 2014
L’Ancienne Théra à Santorin. Mercredi 9 avril 2014
L’Ancienne Théra à Santorin. Mercredi 9 avril 2014

Nous arrivons à trois exèdres alignées. Les exèdres sont des bâtiments généralement conçus pour que l’on puisse se rencontrer, s’asseoir et discuter. Ici, à l’époque romaine (premier ou deuxième siècle après Jésus-Christ), on en a construit trois en enfilade. Elles sont situées en hauteur, on y accède par deux à quatre marches. Elles contenaient les statues des personnages éminents de la cité, de gens que l’on honorait. Les statues ne sont plus en place, mais on peut lire les noms gravés sur les bases.

 

Exèdre nord, à droite: Archis fille de Diodore et (probablement sa fille) Archis fille de Thémistocle; exèdre du milieu: Mnasikritas fils de Diodore, prêtre de Dionysos, sa femme Chairopoleia, et le frère de celle-ci Tiberius Claudius Kyreina Medon; exèdre sud, à gauche: Aristophane fils d’Eimertos et son beau-père Pantaxénos fils de Méléhippos.

 

En 1788, le vice-consul de France Louis Fauvel (1753-1838) a rapporté à Paris une statue acéphale qui est aujourd’hui au Louvre et qui avait été identifiée par les fouilleurs de l’époque comme étant Chairopoleia. Cette identification est aujourd’hui fortement mise en doute, mais de toutes façons les restaurateurs de la statue, au dix-huitième siècle, ne se sont pas souciés de cela et ils en ont fait Uranie, la muse qui préside à l’astronomie (et à l’astrologie, qui lui était intimement liée), ce qui est à l’évidence une erreur.

L’Ancienne Théra à Santorin. Mercredi 9 avril 2014
L’Ancienne Théra à Santorin. Mercredi 9 avril 2014

Le cœur de la ville grecque, c’est l’agora, une grande place dédiée au commerce (en grec moderne, agora signifie marché), mais aussi à la déambulation, aux rencontres, aux discussions, à la vie politique. Si une petite agora suffit pour une petite ville, quand la ville grandit l’agora doit grandir. C’est ainsi qu’à Théra on trouve trois agoras en enfilade, juste séparées par une différence de niveau due à la déclivité du terrain. Mais comme on le voit sur mes photos ci-dessus il ne reste pas grand-chose des constructions qui les bordaient. À l’est (ma photo), on regarde vers la mer; et la vue était complètement dégagée de ce côté-là, car même lorsque d'autres constructions existaient elles étaient situées en contrebas et ne bouchaient pas le paysage.

 

Aux usages de l’agora que j’ai énumérés s’en ajoutait un autre, c’est la pratique religieuse. Sur ces vastes espaces, divers cultes étaient pratiqués. Sur l’agora sud, qui est la plus ancienne, on honorait les dieux protecteurs de la cité (en grec, polis), à savoir Athéna Polias et Zeus Polieus, sur des autels à l’air libre, sans lien avec un temple.

L’Ancienne Théra à Santorin. Mercredi 9 avril 2014

Sur le flanc ouest de l’agora du milieu, au contraire, se trouvait un sanctuaire de Dionysos. Cette agora centrale et ce sanctuaire datent du tout début du troisième siècle avant Jésus-Christ, lorsque Ptolémée Ier Sôter y établit une garnison. On sait que son fils Ptolémée II est surnommé Philadelphe (“qui aime sa sœur”) parce que pour se faire reconnaître comme pharaon par les Égyptiens il a adopté la coutume de leurs pharaons qui consistait à épouser leur sœur: leur nature divine ne pouvait s’allier à une femme qui n’aurait pas été de sang divin. C’est ainsi qu’il a épousé (en secondes noces) sa sœur Arsinoé II. Il lui a fait rendre un culte divin, ainsi qu’à ses parents Ptolémée Ier et Bérénice, comme théoi synnaoi de Dionysos (dieux partageant le même sanctuaire). C’était un sanctuaire à ciel ouvert, mais plus tard, à la fin du troisième siècle ou au début du second, a été construit ici un petit temple dorique. Ce sont ses ruines que montre ma photo. Il est probable qu’à l’époque romaine le culte de l’empereur Auguste se soit substitué à celui des souverains Lagides égyptiens. S’il ne reste quasiment plus rien de ce temple ni des autres bâtiments environnants, c’est parce qu’à l’époque byzantine le site a été recouvert de maisons d’habitation qui ont puisé leurs matériaux de construction dans les bâtiments antiques.

L’Ancienne Théra à Santorin. Mercredi 9 avril 2014
L’Ancienne Théra à Santorin. Mercredi 9 avril 2014
L’Ancienne Théra à Santorin. Mercredi 9 avril 2014
L’Ancienne Théra à Santorin. Mercredi 9 avril 2014

Lorsqu’elle arrive à l’agora, la longue route qui parcourt toute la ville semble s’élargir, se fondre avec l’agora. De sorte que ce que l’on voit sur la gauche de ma première photo ci-dessus, je serais bien en peine de dire si c’est la route, ou la partie ouest de l’agora. Mais de l’autre côté, cet espace de quarante-six mètres de long sur dix mètres de large dont dix colonnes doriques supportaient un toit, c’était une stoa, c’est-à-dire un portique, espace couvert, galerie où les gens aimaient à se rendre pour se protéger du fréquent soleil ou des rares pluies. On l’appelle la stoa basilique (portique royal).

L’Ancienne Théra à Santorin. Mercredi 9 avril 2014
L’Ancienne Théra à Santorin. Mercredi 9 avril 2014
L’Ancienne Théra à Santorin. Mercredi 9 avril 2014
L’Ancienne Théra à Santorin. Mercredi 9 avril 2014

Le portique royal est également le centre administratif de la cité, ce qui justifie son nom, puisque lui aussi date du début du troisième siècle avant Jésus-Christ, lorsque sous l’impulsion des souverains égyptiens la ville a pris son essor, mais il a été profondément remanié au deuxième siècle de notre ère, et des piédestaux ont été aménagés pour recevoir des statues, dont très probablement celles de l’empereur romain et de ses proches. Agrémenté de riches sculptures, le portique que l’on appelait aussi “la stoa de l’agora” était l’un des monuments remarquables de Théra.

 

On remarque sur le mur de la stoa deux plaques de pierre. Appelées “le serment des fondateurs”, elles évoquent le départ d’habitants de Théra pour fonder une colonie en Libye. C’est Hérodote qui nous raconte cela. Il commence avec la fondation de Théra, et continue avec la Libye. Je cite l’ensemble:

 

“Théras […], un descendant de Cadmos [le fondateur de Thèbes et trisaïeul d’Œdipe] était l'oncle maternel des fils d'Aristodèmos, Eurysthénès et Proclès. Pendant la minorité de ses neveux il avait exercé la régence à Sparte; à leur majorité les jeunes gens prirent le pouvoir et Théras, qui jugeait insupportable d'avoir à obéir après avoir goûté au plaisir de commander, annonça qu'il ne resterait pas à Lacédémone [c'est-à-dire à Sparte] et qu'il irait retrouver les gens de sa race. Or, il y avait dans l'île qu'on nomme aujourd'hui Théra (elle s'appelait auparavant Kallistè) les descendants d'un Phénicien, Membliaros […]. Ces gens habitaient l'île qu'on appelait alors Kallistè depuis huit générations avant l'arrivée de Théras. […] Et Théras partit rejoindre les descendants de Membliaros avec trois vaisseaux à tente rames, […] et l'île de Kallistè s'appelle désormais Théra, du nom du fondateur de la colonie. […] Grinnos fils d'Aisanias, descendant de Théras et roi de l'île de Théra, conduisit à Delphes une hécatombe [sacrifice de cent bœufs] offerte par sa cité; au nombre des citoyens qui l'accompagnaient se trouvait Battos […]. Au roi des Théréens, Grinnos, qui la consultait sur d'autres sujets, la Pythie répondit de fonder une ville en Libye. […] De retour chez eux, ils négligèrent l'oracle, car ils ne savaient pas où pouvait bien se trouver la Libye et n'osaient expédier une colonie en plein inconnu. Or, pendant les sept ans qui suivirent, Théra ne reçut pas une goutte de pluie et tous les arbres de l'île se desséchèrent, sauf un. Les Théréens consultèrent l'oracle et la Pythie leur rappela cette colonie à fonder en Libye. Les Théréens, qui ne voyaient pas de remède à leurs maux, envoyèrent demander en Crète si quelqu'un là-bas, Crétois ou étranger installé dans l'île, s'était déjà rendu en Libye. […] Là ils firent la connaissance d'un certain Corobios, un pêcheur de pourpre, qui leur dit avoir été entraîné par les vents jusqu'en Libye, dans une île de ce pays, Platéa. Moyennant salaire, ils le décidèrent à les accompagner à Théra. De Théra, un groupe de citoyens prit alors la mer pour aller, en petit nombre, étudier les lieux; guidés par Corobios, ils atteignirent l'île de Platéa, où ils laissèrent Corobios muni de vivres pour un certain nombre de mois, tandis qu'eux-mêmes revenaient au plus vite présenter leur rapport à leurs concitoyens. Comme ils furent absents plus longtemps qu'ils ne l'avaient prévu, Corobios se trouva réduit au dénuement le plus complet. Sur ces entrefaites, un navire samien qui se rendait en Égypte […] fut poussé sur l'île. Corobios conta son histoire aux Samiens, qui lui laissèrent des vivres pour un an; eux-mêmes reprirent le large pour gagner l'Égypte […]. Quand les Théréens regagnèrent Théra après avoir laissé Corobios à Platéa, ils annoncèrent qu'ils avaient établi une colonie dans une île de la côte libyenne. La cité résolut que dans chaque famille un frère sur deux partirait, désigné par le sort, et que chacun de ses districts (il y en avait sept) fournirait un certain nombre de colons, avec Battos pour chef et pour roi. Ils firent ainsi partir pour Platéa deux vaisseaux à cinquante rames”.

 

Ces colons devaient s’engager par serment à ne jamais revenir dans leur mère patrie, afin d’assurer l’avenir de la colonie même si les conditions de vie n’y étaient pas bonnes, car à peine créée elle aurait été désertée par ses fondateurs. Tel est le sens de ce serment des fondateurs.

L’Ancienne Théra à Santorin. Mercredi 9 avril 2014
L’Ancienne Théra à Santorin. Mercredi 9 avril 2014
L’Ancienne Théra à Santorin. Mercredi 9 avril 2014
L’Ancienne Théra à Santorin. Mercredi 9 avril 2014

Mais je parlais tout à l’heure de la rue principale qui parcourt toute la ville dans sa longueur, et d’ailleurs je décris le site en la suivant. Il convient quand même de la montrer, cette rue. Et puisqu’elle court sur la crête, les rues adjacentes sont en forte pente, ce qui justifie qu’elles soient en escaliers.

L’Ancienne Théra à Santorin. Mercredi 9 avril 2014
L’Ancienne Théra à Santorin. Mercredi 9 avril 2014
L’Ancienne Théra à Santorin. Mercredi 9 avril 2014

En suivant toujours la rue principale en direction du sud, après l’agora je trouve sur ma gauche le théâtre, qui offrait environ mille cinq cents places. C’est relativement peu en comparaison d’autres théâtres grecs, c’est beaucoup eu égard à la population de Théra. Cela signifie qu’il a été conçu pour que puissent assister aux représentations des spectateurs de toute l’île, ou même d’îles voisines, et non pas seulement les citoyens de Théra. Comme on peut le voir sur mes photos, il est situé en contrebas pour utiliser la pente du terrain pour ses gradins, mais il est bien mal conservé. Rien de comparable avec le théâtre d’Épidaure ou avec celui de Delphes, mais il en reste pourtant assez pour qu’on l’identifie sans peine. Le déchiffrement de l’épigraphie a fait savoir aux archéologues qu’il était également utilisé comme bouleutérion, c’est-à-dire comme salle de délibérations. Avant sa construction au deuxième siècle avant Jésus-Christ, il existait à cet emplacement, semble-t-il, une structure rudimentaire pour les assemblées. À l’époque romaine, au premier siècle après Jésus-Christ, a été construite une scène avec proscenium à la manière romaine, et avec des statues de la famille impériale. Au-dessous a été aménagée une vaste citerne destinée à recueillir les eaux pluviales. L’avouerai-je? Je ne suis pas sûr que ce soit ce que représente ma dernière photo ci-dessus… Je le suppose, seulement…

L’Ancienne Théra à Santorin. Mercredi 9 avril 2014
L’Ancienne Théra à Santorin. Mercredi 9 avril 2014
L’Ancienne Théra à Santorin. Mercredi 9 avril 2014
L’Ancienne Théra à Santorin. Mercredi 9 avril 2014

Si l’on se dirige de l’autre côté de la rue, vers la droite, on arrive à un complexe comprenant l’établissement des basilistes. Ceux que l’on appelle basilistes sont des membres d’une association dédiée au culte des Ptolémée et constituée d’hommes de la garnison installée là par les pharaons lagides. Mais surtout il y a le sanctuaire d’Apollon Pythios, auquel s’est ajouté un culte des Dioscures. Hélas, les matériaux du temple ont été utilisés pour construire, probablement au sixième siècle, une basilique chrétienne à trois nefs et à double narthex.

L’Ancienne Théra à Santorin. Mercredi 9 avril 2014
L’Ancienne Théra à Santorin. Mercredi 9 avril 2014

Si les basilistes se sont installés là, c’est parce qu’ils étaient à proximité du sanctuaire des dieux égyptiens créé là dans la première moitié du troisième siècle avant Jésus-Christ, à peine quelques décennies après que les Ptolémée ont mis la main sur l’île. Ce sont essentiellement les soldats de leur très nombreuse garnison (qui, avec les Égyptiens, comptait des Grecs et des Macédoniens) qui ont apporté avec eux les dieux Isis, Anubis et Sérapis. En effet, ce troisième siècle avant notre ère est très perméable à l’introduction de nouveaux dieux dans le panthéon grec. Il ne s’agit absolument pas de “conversion” comme dans une religion monothéiste, où il faut bien abandonner son (ou ses) dieu(x) pour adopter celui, unique, de la nouvelle religion, ce n’est qu’une adjonction et, parfois, une simple assimilation. Un exemple d’assimilation: Hérodote écrit au sujet des Scythes “Hestia s’appelle chez eux Tabiti; Zeus (d’un nom très juste à mon avis) Papaios; Gaia, Api; Apollon, Oitosyros; Aphrodite céleste, Argimpasa; et Poséidon, Thagimasadas”. J’ajouterai que les Romains ont, eux, assimilé leur Vénus à Aphrodite, leur Mercure à Hermès, leur Minerve à Athéna, etc., etc. Les niches que l’on voit dans la paroi rocheuse étaient destinées à recevoir des stèles en offrandes votives, tandis que les statues de culte de la triade étaient situées de l’autre côté.

 

Par une inscription, cet Artémidoros dont nous avons vu le téménos tout à l’heure commémore la dédicace qu'il fait à la triade égyptienne de plusieurs constructions, mais comme je viens de le dire le sanctuaire lui est antérieur, sans doute antérieur à 270 avant Jésus-Christ, parce qu’une autre inscription se réfère à Arsinoé Philadelphe, qui a vécu de 316 à 270. Par ailleurs, nulle part il n’a été trouvé d’indice qu’un toit ait couvert ce sanctuaire. Or les sanctuaires grecs sont généralement couverts, de même que les sanctuaires égyptiens, seul le culte solaire pouvant être pratiqué en plein air. Or la dédicace d’Artémidoros dit qu’il a restauré “la poutre et le toit”, ce qui amène à penser qu’il existait deux sanctuaires des dieux égyptiens.

 

J’ai parlé de la triade Isis, Anubis, Sérapis; peut-être d’autres dieux leur étaient-ils adjoints, Harpocrate ou Osiris par exemple (une dédicace du troisième siècle s’adresse “à Sérapis, à Isis et aux autres dieux”, autres dieux au pluriel. Mais c’est Isis qui était, à Théra, l’objet de la plus grande dévotion. Sous quelle forme était-elle vénérée, on ne le sait; toutefois on a trouvé une statuette de terre cuite portant le nœud caractéristique d’Isis, mais ornée de nombreux bijoux et portant des couronnes superposées, ce qui ferait penser à une Isis Aphrodite.

L’Ancienne Théra à Santorin. Mercredi 9 avril 2014
L’Ancienne Théra à Santorin. Mercredi 9 avril 2014

Un peu partout nous trouvons des maisons d’habitation, plutôt riches du côté de l’agora, et surtout celles qui étaient en contrebas, avec vue imprenable sur la mer généralement dévolues à la garnison égyptienne, plus modestes sur les pentes de l’autre côté. Nous voyons ici une maison de plan traditionnel grec, organisée autour d’une cour centrale servant de puits de lumière et d’aération, car les murs extérieurs n’étaient percés d’aucune fenêtre. De l’entrée, on suivait un vestibule pour accéder à cette cour au centre de laquelle se trouvait un petit autel domestique. Sous la surface du sol il y avait une citerne, ainsi que l’écoulement des eaux usées. Les maisons de ce type sont hellénistiques, mais celle que nous voyons ici a été utilisée pendant longtemps, et sa structure a été modifiée au cours des siècles, comme l’indiquent certains murs plus récents et des ouvertures pratiquées après coup.

L’Ancienne Théra à Santorin. Mercredi 9 avril 2014
L’Ancienne Théra à Santorin. Mercredi 9 avril 2014
L’Ancienne Théra à Santorin. Mercredi 9 avril 2014

Ailleurs, nous pouvons voir des maisons construites à l’époque romaine impériale, comme sur mes photos ci-dessus. Celle-ci a été nommée Villa de la Tychè par les archéologues, parce qu’ils y ont trouvé, au pied d’une niche, les fragments de la statue d’une Tychè (que les Romains appellent Fortuna). Elle est accolée à l’agora, ce qui à première vue ferait penser à un bâtiment officiel, mais il semble bien, en examinant son plan et ce qui y a été trouvé, qu’il s’agisse d’une maison d’habitation. Et ici, le plan est celui d’une villa romaine. L’atrium comporte un impluvium, c’est-à-dire qu'il comporte tout autour des toits aux pentes convergeant vers le centre pour que les eaux de pluie, arrivant au sol, tombent dans une conduite les menant à une citerne souterraine. Le long de l’un des murs, un escalier encore intact avec son palier (visible sur ma première photo) menait à un étage.

L’Ancienne Théra à Santorin. Mercredi 9 avril 2014
L’Ancienne Théra à Santorin. Mercredi 9 avril 2014
L’Ancienne Théra à Santorin. Mercredi 9 avril 2014
L’Ancienne Théra à Santorin. Mercredi 9 avril 2014

Et puis il n’est pas de ville romaine sans des bains. À l’époque hellénistique, il y avait déjà là un édifice public d’usage indéterminé, qui a profondément été modifié à l’époque romaine, au milieu du deuxième siècle après Jésus-Christ, avec des bains construits aux frais d’un personnage de marque, citoyen de Théra, T. Flavius Kleitosthénès Claudianus. Des latrines y sont accolées, avec accès extérieur, ce qui signifie qu’elles étaient publiques et n’étaient pas réservées aux utilisateurs des bains. Quant aux bains, dont les dimensions modestes laisseraient penser qu’ils étaient privés, on sait qu’il n’en est rien et qu’ils étaient publics parce qu’ils se trouvent au bout de l’agora, avec accès par le Portique Royal.

 

Avant de terminer, un mot au sujet du nom que je viens de citer. Flavius, Claudianus, sont typiquement latins, ce qui laisse penser que le prénom, qui plus est abrégé à la manière romaine, devait être Titus. Reste que Kleitosthénès, C’est-à-dire Clitosthène, est typiquement grec. C’était donc un Grec citoyen romain. Et je ne peux résister à commenter brièvement ce Claudianus. En latin ancien, la double voyelle AU se prononçait A-OU, puis elle a évolué vers AW, avant de se prononcer simplement O, comme c’est resté en français. L’évolution de la prononciation, comme celle de la syntaxe, n’est jamais le fait des lettrés du pays, qui sont culturellement conservateurs, ce sont soit les étrangers qui prononcent la langue locale avec leur accent, et ont tendance à commettre des fautes de grammaire sous l’influence de leur langue maternelle, soit les gens peu instruits. Cela se constate dans tous les pays et dans tous les temps. Les gens peu instruits, donc les petits artisans, les paysans, bref les électeurs du parti populaire à Rome. On se rappelle que Georges Marchais, qui était loin d’être un sot, commettait –volontairement j’en suis sûr– d’énormes fautes de français en guise de gros clins d’œil à son électorat ouvrier. Et pour preuve que le AU était déjà prononcé O par le peuple à l’époque de Cicéron et de Jules César (milieu du premier siècle avant Jésus-Christ), le candidat qu’aujourd’hui nous dirions “de gauche”, qui s’appelait Claudius, écrivait son nom Clodius (c'est celui qui avait été assassiné par le représentant de l’aristocratie, Milon, défendu par Cicéron dans le Pro Milone). Dans ces bains romains de Théra, nous sommes environ deux siècles plus tard, lorsque toutes les catégories de la population ont finalement adopté la nouvelle prononciation en O, et ce Grec romanisé écrit son nom “à l’ancienne”, ce dont je conclus qu’il voulait manifester sa haute catégorie culturelle et sociale.

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