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4 mai 2012 5 04 /05 /mai /2012 20:09
Grodno est la ville de Natacha, où vit son père, où est enterrée sa mère. En Occident, on n’entend guère parler de cette grande ville pourtant intéressante, et d’ailleurs bien souvent on confond son pays, la Biélorussie, avec la Russie de Poutine. Nos deux séjours rapprochés dans ce pays seront donc pour moi l’occasion d’en parler un peu.
 
780a0a Europe
 
780a0b Bielorussie
 
La Biélorussie. Le mot signifie "Russie Blanche". Tous les organismes officiels français, commission nationale de toponymie, Académie française, ministère des Affaires étrangères, ministère de l'Éducation nationale, IGN, n’admettent que le nom de Biélorussie. Mais, comme c’était le nom donné à cette République Socialiste Soviétique au temps de l’URSS, les autorités du pays réclament que l’on dise en français Bélarus. L’ambassadeur a fait en ce sens une demande officielle très insistante auprès du gouvernement français, demande repoussée parce que ce nom était celui utilisé par les Nazis. J’ajoute à titre personnel que ce n’est pas à un pays étranger d’intervenir dans la façon dont nous l’appelons dans notre langue. La Grèce pourrait nous demander de l’appeler Hellada, l’Angleterre England, l’Allemagne Deutschland, la Lettonie Latvia, la Pologne Polska, etc. Nous, de notre côté, pourrions exiger que la Grèce cesse d’appeler la France Gallia. Et, pendant qu’on y est, les villes pourraient faire de même, Londres pour London, et Florence pour Firenze. Cela dit, Natacha haïssant à l’égal le racisme nationaliste nazi et l’impérialisme de l’occupant soviétique de son pays, milite énergiquement pour le nom Bélarus. En bon Français, je résiste. Le président Loukachenko, réélu avec des masses de faux bulletins, qui a autorisé d’autres candidats à se présenter mais les a flanqués en prison après (parce qu’il interdit, par une loi, de critiquer le président, ce qui rend difficile une campagne électorale sans contradiction), est qualifié par l’Union Européenne de "dernier dictateur d’Europe". Les cartes ci-dessus permettent de situer le pays entre Pologne et Russie, entre États Baltes et Ukraine. On voit la ville de Grodno, à deux pas de la Pologne (Kouznitsa) et de la Lituanie (Druskininkai, adorable petite ville d’eau). On comprend aussi pourquoi, le vent soufflant du sud le jour de la catastrophe nucléaire de Tchernobyl, la Biélorussie a été contaminée beaucoup plus que l’Ukraine.
 
Grodno. Parce que, d’une part, en russe et en biélorusse, le H se prononce G (Hitler est Guitler et Le Havre est Gavr), à l’inverse le son G est souvent transcrit par un H, et parce que, d’autre part, le O non accentué se prononce A en russe, et devient carrément un A en biélorusse, on trouve parfois le nom de cette ville orthographié HRODNA. Ça a l’air d’être une autre ville, mais c’est la même. Et, tant que j’en suis aux problèmes de langue, un mot à ce sujet. Pendant l’époque soviétique (à Grodno, c’était de 1939 à 1991), le russe était la langue obligatoire, et maintenant il y a deux langues officielles, le russe et le biélorusse. Le biélorusse s’écrit en alphabet cyrillique, mais c’est une langue à part entière, non un dialecte, et parmi les langues slaves elle est plus proche du polonais que du russe. Avec ses 323 000 habitants, Grodno est la cinquième ville du pays, juste après Vitebsk (342 000 h., connue pour être la ville natale du célèbre peintre Marc Chagall). À titre de comparaison, cela la place entre les 341 000 de Nice et les 282 000 de Nantes, respectivement cinquième et sixième villes de France. Grodno a été fondée au 10e siècle et l’une de ses églises (du 12e siècle) que je vais montrer plus loin est candidate à l’inscription au patrimoine mondial de l’UNESCO.
 
780a1 Grodno, Vytautas le Grand, gd-duc de LItuanie
 
Au douzième siècle, se constitue le Grand-duché de Lituanie, dont le territoire couvre l’actuelle Lituanie, la Biélorussie et le nord de l’Ukraine. Au treizième siècle, la ville de Novogrudok –parfois orthographiée Navahrudak pour les raisons déjà évoquées–, dont le nom, comme celui de Novgorod en Russie ou Naples –NéaPolis– en Italie, signifie "Ville Nouvelle", devient capitale du Grand-Duché. Cette statue de bois représente Vytaut, en lituanien Vytautas Didysis. Ce Vytaut devient prince de Grodno en 1370. Après son échec dans la guerre menée contre son cousin Ladislas II Jagellon, roi de Pologne, il est fait prisonnier mais s’évade et se réfugie auprès des chevaliers Teutoniques (ou chevaliers de l’ordre de la Maison de Sainte-Marie-des-Teutoniques, ordre militaire chargé de la christianisation des païens). Là, de païen, il se fait baptiser catholique. En 1385, il signe avec la Pologne l’Union de Krewo, devient gouverneur de Lituanie en 1390, où sa principauté de Grodno se trouve intégrée, et grand-duc de Lituanie en 1392. En 1410, revenu au paganisme, il s’établit à Grodno pour se préparer à la grande bataille de Grunwald / Tannenberg où, allié à Jagellon II, il défait les chevaliers teutoniques, presque tous tués –13000 morts– ou faits prisonniers. Cela scelle l’alliance entre les deux royaumes qui, coalisés, deviennent pour plusieurs siècles la première puissance en Europe centrale et de l’est. En manipulant l’histoire, tant les nazis (victoire de la Prusse) que les soviétiques (victoire de l’athéisme) ont fait de cette victoire leur symbole et de Vytaut leur héros… Vytaut meurt en 1430.
 
780a2 Grodno, le Vieux Château
 
780a3 Grodno, le Vieux Château
 
Cette statue se trouve au milieu du court chemin, quelques dizaines de mètres, qui mène du Vieux Château (ci-dessus) au nouveau château. Ce Vieux Château date du seizième siècle.
 
780a4 Grodno, le Nouveau Château
 
780a5 Grodno, le Nouveau Château
 
780a6 Grodno, le Nouveau Château
 
Le Nouveau Château, lui, a été édifié au dix-huitième siècle. C’est là qu’en 1795, après l’annexion du pays par le tsar de Russie, le dernier roi de Pologne, Stanislas Auguste Poniatowski, a signé son abdication. La Biélorussie est restée russe jusqu’à la sortie de guerre de la Russie bolchevique au traité de Brest-Litovsk (qui signifie Brest Lituanienne, devenue depuis Brest tout court, comme la ville de Bretagne). Après une très brève période d’indépendance et une guerre contre la Russie, la moitié est de la Biélorussie est restée intégrée en Union Soviétique, et la moitié ouest, avec Grodno, a été intégrée à la Pologne. Le pacte Molotov-Ribbentrop de 1939 va, à la veille de la Seconde Guerre Mondiale, rendre à l’Union Soviétique cette moitié ouest de la Biélorussie. La réunification en une république indépendante n’aura lieu qu’en 1991. Comme le montrent mes photos, à l’époque où l’Union Soviétique a récupéré la ville, le fronton royal a été remplacé par les emblèmes du communisme. Cette présence de la faucille et du marteau trônant sur un palais royal ne manque pas d’un certain humour (noir).
 
780b1a Grodno, en ville
 
780b1b Grodno, en ville
 
Quand je parle de Grodno, autour de moi tantôt on imagine des cases en bois, une ville sous-développée, tantôt d’immenses barres de béton de style stalinien. Or, s’il existe, comme dans les banlieues de toutes les grandes villes d’aujourd’hui qui ont dû faire face à un accroissement rapide de la population, de grands bâtiments d’immeubles modernes, et si pour des raisons de conservation du patrimoine, on a protégé quelques maisons ancien style, la réalité du centre ville est autre. Grodno est une belle ville, dont beaucoup de rues sont bordées d’immeubles peu élevés et plutôt cossus. Comme en Pologne, comme en Lituanie, on aime peindre les façades de couleurs claires, vert amande ou bleu ciel, mais avec un goût très prononcé pour le jaune et surtout pour le rose.
 
780b2a Grodno, façade ancienne sauvegardée
 
780b2b Grodno, façade ancienne sauvegardée
 
Intelligemment, comme on le fait parfois dans d’autres pays et notamment à Paris, lorsque la vétusté d’un bâtiment le rend inhabitable dans des conditions d’hygiène et de sécurité satisfaisantes, mais que sa façade est belle ou typique, en tous cas préférable à une façade contemporaine dans un environnement ancien, on la maintient (première photo ci-dessus), et derrière, on détruit tout (seconde photo) pour reconstruire des logements confortables et modernes, mais qui jouiront d’une hauteur de plafond commandée par la situation des fenêtres en façade.
 
780b3a Grodno, en ville
 
780b3b Grodno, en ville
 
Grodno comporte, on l’a vu, des immeubles, mais aussi de grandes villas indépendantes. À leur style ainsi qu’à leur usage, je trouve que le nom d’hôtel particulier ne convient pas. Peu importe l’appellation, ce sont de luxueux bâtiments. Sur celui de ma première photo, une plaque indique qu’il a été construit en 1783-1785 et que c’était le siège d’une loge de francs-maçons.
 
780b4a Grodno, maisons anciennes
 
Dans certaines rues –nous sommes toujours près du centre– ont été construites et conservées des maisons basses qui ne le cédaient en rien aux immeubles pour les commodités.
 
780b4b Vieilles maisons typiques à Grodno
 
Et puis il y a des maisons de bois. Déjà, en arrière plan de ma photo de maisons basses "en dur", on apercevait une maison de bois noire. Mais il ne faut pas les prendre, quoiqu’elles soient anciennes, pour des logements primitifs. Au contraire, dans ce pays dont les hivers sont rigoureux et plus longs que chez nous, les habitants ont, depuis longtemps, su apprécier les qualités écologiques du bois dans la construction, matériau dispensant une excellente isolation. Par ailleurs, le pays est une vaste plaine dont l’altitude moyenne est de 159 mètres et dont la montagne la plus élevée culmine à 345 mètres, soit un dénivelé vertigineux de 186 mètres. Ce n’est pas l’Himalaya. On se doute dans ces conditions que la pierre n’est pas le matériau de construction le plus courant et que l’on a logiquement recouru soit à la brique, soit au bois.
 
780b4c Dans la proche banlieue de Grodno (Belarus)
 
Devant cette maison qui, elle, est hors de la ville, dans une proche banlieue, au pied d’un panneau qui indique un passage piétons, vous croyez voir un gendarme couché, mais dans ce pays il n’y a pas de gendarmes, ni debout, ni couchés. En revanche, il y a des miliciens. Mais dans cette dictature, ils ne se couchent pas en travers des rues, bien sûr. Je propose d’appeler ces ralentisseurs des condamnés politiques. Pour parler plus sérieusement, je dois dire que mieux vaut ne traverser les rues que là où il y a ce genre de panneau et, lorsqu’il y a un feu, d’attendre que le petit bonhomme devienne vert, parce que si vous contrevenez à ces règles et qu’un milicien embusqué vous voit, ce sont des ennuis administratifs assurés, avec bonne amende à la clé. Et à ce sujet, j’ai lu le texte d’un voyageur qui voulait montrer que la police française était hospitalière aux étrangers et plus sympa que celle de son pays et, ce menteur, racontait que, traversant une rue de Paris sans attendre que le signal l’y autorise, il s’était fait prendre par un policier qu’il n’avait pas remarqué, avait bien évidemment été conduit au poste, mais en sa qualité d’étranger il en avait été quitte pour une admonestation et la promesse de ne plus recommencer. Je ne connais pas un seul Parisien qui puisse le croire pendant une seule seconde.
 
780b4d Grodno, maison d'Elisa Orzeszko
 
780b4e Eliza Orzeszko (Grodno, Belarus)
 
Parmi les maisons en bois, celle-ci porte une plaque indiquant que c’est la maison musée d’Eliza Orzeszko (1841-1910), une Polonaise écrivain célèbre. Elle est née à Milkowszczyzna, un minuscule hameau à une grosse trentaine de kilomètres au sud-est de Grodno, et elle est morte ici, dans sa maison de Grodno. C’était l’Empire Russe du temps des tsars. Tout comme le poète Mickiewicz, lui aussi de langue polonaise, de culture polonaise, de sang polonais, né en Biélorussie mais citoyen russe. Évidemment, vu leur notoriété, ils sont considérés comme polonais par la Pologne, mais la Biélorussie les réclame comme biélorusses. Et Marc Chagall, né à Vitebsk en 1887, naturalisé français en 1937 et mort à Saint-Paul-de-Vence en 1985, les Français veulent en faire un peintre français, les Russes font valoir sa naissance dans l’Empire Russe et les Biélorusses le revendiquent comme l’un des leurs. Et finalement, sans aucun droit ni justification, nous revendiquons bien à la France l’invention, dans la ville de Strasbourg, de l’imprimerie par Gutenberg, alors que, né et mort à Mayence, dans le Saint Empire Germanique, il n’a passé qu’une dizaine d’années à Strasbourg, alors allemande, et qui le restera encore trois siècles.
 
780b5a Grodno, université
 
780b5b Grodno, faculté de biotechnologie
 
Sur la première de ces photos, on voit l’université de Grodno, le bâtiment ancien qui abrite le cœur des facultés, tandis que la seconde photo montre une annexe construite en 1907 qui héberge la faculté de biotechnologie où a enseigné mon beau-père, vétérinaire à l’origine, puis chef d’un district d’agronomie. Ses cours à l’université étaient en marge de ses activités principales, et s’exerçaient parallèlement.
 
780b6a Grodno, le théâtre
 
780b6b le théâtre de Grodno
 
Dans les régimes autoritaires, la culture a toujours été considérée comme un danger. Mieux vaut ne pas trop penser. Ou bien penser dans la direction indiquée par le gouvernement. Peintres, musiciens, écrivains sont instamment priés, s’ils souhaitent être diffusés, voire s’ils veulent rester libres et en vie, d’exercer leur art dans les strictes limites qui leur sont imposées. Dans ces conditions, on peut construire un grand théâtre opéra, pour des représentations dramatiques et pour des concerts. Mais ce char d’assaut soviétique, fièrement placé (et maintenu par Loukachenko) à l’extrémité d’une vaste esplanade, semble tenir en respect le monde culturel du théâtre sous la garde vigilante de son canon si, avec un peu de mauvaise foi (mais si peu…) on cherche l’angle adéquat pour donner l’impression que sa tourelle est pointée sur le bâtiment.
 
780b7a Grodno, Biélorussie
 
780b7b Grodno, Biélorussie
 
Cette très vaste esplanade, dont je parlais pour le char, a nom Sovietskaia. On n’en a pas changé le nom. À chacun de ses angles s’élevait une église. La plus emblématique a été détruite par les autorités dans les années 1960 malgré sa construction belle et ancienne. Près du terrain vague qu’a laissé jusqu’à aujourd’hui sa destruction, se trouve cet autre bâtiment, qui hébergeait un centre culturel, et qui aujourd’hui a été concédé à des bureaux.
 
780b8a Grodno, la caserne de pompiers
 
780b8b Grodno, la caserne de pompiers
 
Autre époque, autre style, autre usage aussi, cette tour signale la caserne des pompiers. Au-dessus de la porte de leur garage, cette fresque inscrite dans un arc de cercle montre les différents personnels qui luttent contre le feu et participent à la sécurité des habitants.
 
780c1a Grodno, Sts Boris et Gleb côté nord
 
780c1b Grodno, Sts Boris et Gleb côté est
 
780c1c Grodno, Sts Boris et Gleb côté nord
 
La voilà, la petite église du douzième siècle que la ville voudrait bien voir inscrite dans la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO. Elle est dédiée à saint Boris et saint Gleb, et on l’appelle aussi parfois Kolojskaya. Il y avait là trois églises à l’époque mais, nous apprennent les annales, dès 1183 deux d’entre elles ont été détruites par la foudre, seule est restée l’église Saint-Boris-et-Saint-Gleb.
 
780c1d Grodno, Sts Boris et Gleb côté sud (Niemen)
 
780c1e Grodno, gravure de Napoleon Orda (Sts Boris et Gleb
 
Là n’en sont pas restées les catastrophes car en 1720 le Niemen (le fleuve qui traverse Grodno et se jette dans la mer Baltique, en Lituanie, celui qui a donné son nom à la fameuse escadrille Normandie-Niemen) subit une très forte crue qui sape le sol et déstabilise l’église. La conséquence en est qu’en 1853 une partie du mur sud, celui qui est du côté du fleuve, s’effondre. Nouvel effondrement du reste de ce mur en 1889. Un graveur resté très célèbre ici, Napoleon Orda, a produit une œuvre abondante grâce à laquelle la ville ancienne de Grodno nous est connue. Il est l’auteur de la gravure qui représente l’état de l’église en 1869, soit avant le second effondrement qui sera fatal au pan de mur qui est encore en place à gauche sur la gravure. Enfin, en 1897, on procédera à la consolidation du sol et à la mise en place d’un mur provisoire en bois. C’est ce que montre ma photo ci-dessus, car depuis plus d’un siècle le provisoire dure toujours. Mes recherches d’informations sur le web m’ont fait tomber sur le site du magazine Geo, sujet d’une anecdote. N’ayant sans doute vu la ville que très rapidement, depuis l’autre rive du Niemen, ou ne jugeant que sur une photo prise de ce côté-là, les reporters parlent d’une vieille église de bois… Mais vous, mes lecteurs, êtes témoins, par mes autres photos, que la majeure partie de l’église reste en brique. Je me suis empressé de leur envoyer un mail avec photos à l’appui, parce que c’est une revue que j’apprécie, et je ne voudrais pas que des esprits malveillants prennent prétexte de cette erreur pour la dénigrer.
 
780c2 Grodno, cathédrale orthodoxe Saint Jean
 
780c3 Grodno, devant la cathédrale orthodoxe
 
Je l’ai dit, nous sommes ici en terre polonaise de tradition. La population était catholique. Mais le pouvoir soviétique, désireux de supprimer tout risque de velléité d’indépendance, a réparti la population biélorusse aux quatre coins du pays, et a au contraire envoyé là des personnes venues d’ailleurs. Ainsi, en chaque point de l’Union, la population serait mêlée et n’aurait d’autre choix que de se sentir soviétique pour ne pas se sentir déracinée. À titre d’exemple, dans les années 50, mes beaux-parents ukrainiens ont été envoyés travailler en Biélorussie. À la génération suivante, Natacha a pu rester en Biélorussie, mais son frère médecin a dû partir près d’Arkhangelsk dans le nord de la Russie, et son cousin germain a reçu un travail en Lettonie. Des gens de Biélorussie ou de Lettonie ne peuvent demander la sécession de l’Ukraine, un homme établi en Russie ne peut demander celle de la Biélorussie. De sorte qu’aujourd’hui la population de Grodno est à 80% orthodoxe, avec ou sans pratique religieuse. On voit ici la cathédrale orthodoxe Sviata Pakrouski dédiée à saint Jean. À défaut d’inscription, je n’ai pas été capable d’identifier la sainte de la statue placée devant la grille. Mais parce que je l’aime bien, je la présente quand même.
 
780c4 Grodno, église orthodoxe de la Nativité
 
Ce bulbe bleu nuit couvert d’étoiles dorées est bien sûr orthodoxe lui aussi. C’est celui de l’église de la Nativité et de la Mère de Dieu.
 
780c5a Grodno, cathédrale catholique St François-Xavier
 
780c5b Grodno, cathédrale catholique St François-Xavier
 
Mais malgré les destructions de l’ère soviétique, il reste de l’époque polonaise une grande cathédrale (kostiol, en russe), église construite par les Jésuites entre 1678 et 1705. C’est Farny Kostiol. Elle est dédiée à saint François-Xavier qui, étant venu étudier la théologie à la Sorbonne, y avait rencontré Ignace de Loyola et avait collaboré à la création de la Compagnie de Jésus. Il a été, en outre, le premier missionnaire Jésuite (Goa, les Philippines, le Japon, Malacca…). Elle se dresse à l’une des extrémités de l’esplanade Sovietskaia, dans l’angle opposé à l’église détruite. Sa belle et noble silhouette se voit de loin car nous sommes ici sur une petite colline et la plupart des bâtiments de la ville, comme on l’a vu, ne comptent que peu d’étages. C’est une ville très étalée, avec de grands espaces verts.
 
780c6a Grodno, église de l'Ascension (monastère de Sainte
 
780c6b Grodno, église de l'Ascension (monastère de Sainte
 
Le monastère des religieuses de l’ordre de Sainte Brigitte est catholique lui aussi. Son église, c’est celle-ci, église de l’Ascension, construite en style baroque de 1636 à 1646. Sous le régime communiste, de 1950 à 1990 le monastère a été converti en dispensaire neuropsychiatrique.
 
780c7 Biélorussie, Grodno, église des Franciscains
 
Nous sommes ici sur une colline au bord du Niemen, entre Saint-Boris-et-Saint-Gleb et les deux châteaux. Sur l’autre rive du fleuve, nous apercevons l’église des Franciscains. Et donc catholique également. Car malgré l’apport de populations orthodoxes, ce n’est pas sous l’ère athée que l’on aurait construit des églises.
 
780c8a Grodno, église évangélique luthérienne
 
780c8b Grodno, église évangélique luthérienne
 
À côté des deux religions dominantes, catholique avant la guerre, orthodoxe maintenant, il y a aussi une modeste communauté protestante, qui a construit cette église évangélique luthérienne de 1783. Ce n’est pas tout. Grodno a également compté, avant la guerre et la Shoah, une nombreuse population juive. Je préfère ne pas en parler ici pour lui réserver un article complet très bientôt.
 
780d1 Biélorussie, Grodno, en descendant vers le Niemen
 
780d2a Le Niemen à Grodno (Biélorussie)
 
780d2b Promenade le long du Niemen à Grodno (Biélorussie)
 
780d2c Le Niemen gelé
 
J’ai beaucoup parlé du fleuve qui baigne Grodno, le Niemen, je ne l’ai pas encore montré. C’est que l’escalier enneigé qui descend vers sa rive, dans la banlieue de Grodno, est glissant et doit être abordé avec prudence. Mais en fait, je suis remonté, plus loin, pour prendre du haut d’un pont ma photo de la courbe du fleuve qui s’avance dans la campagne. La troisième photo est l’agréable promenade aménagée le long du fleuve. Elle est, c’est sûr, plus fréquentée aux beaux jours. La dernière photo est là pour montrer l’épaisseur de la couche de glace sur le bord du fleuve. Mais il fait doux à présent, et le fleuve libéré coule au centre de son lit. La glace des côtés se contente de réduire sa largeur car, sans être un grand fleuve, il est néanmoins assez imposant.
 
780d2d Belarus, le Niemen à Grodno. Au fond, l'église des
 
Je suis ici en banlieue, sur le même pont que ci-dessus, mais je regarde vers l’amont. On voit, dans le fond, le théâtre et une église. C’est l’une des extrémités de l’esplanade Sovietskaia.
 
780d3 Biélorussie, St Boris et St Gleb, et Farnii Kostiol
 
Toujours devant le Niemen, mais en regardant beaucoup plus à gauche, vers l’autre extrémité de l’esplanade, on voit se dresser Farny Kostiol, la cathédrale catholique. On reconnaît aussi la tour des pompiers que j’ai montrée tout à l’heure. Et puis plus près de nous, sur la colline tout au bord du fleuve, ce petit bâtiment partiellement noir (bois sur sa moitié droite) et rouge (brique sur la moitié gauche), c’est notre église victime de la crue, Saint-Boris-et-Saint-Gleb, vue du côté opposé à l’abside.
 
780d4a Grodno, entre l'ancien et le nouveau château
 
780d4b Grodno, entre l'ancien et le nouveau château
 
Ces photos-ci ont été prises du secteur des châteaux, la première tourné vers le fleuve, qui coule transversalement de gauche à droite, entre la butte où je suis et la rive que l’on voit dans le fond avec sa ligne d’arbres. Pour l’autre photo je suis tourné de l’autre côté, la route que l’on voit en bas vient de la berge. On se rend compte que, dans ce plat pays, Grodno a choisi un site plutôt accidenté
 
780d5a Grodno, dans l'ex-quartier juif
 
780d5b Grodno, dans l'ex-quartier juif
 
J’ai dit que je parlerais de la population juive et des événements dans un autre article. Mais dès celui-ci, dans ma présentation générale de Grodno, je montre deux images des maisons de l’ex-quartier juif. Celles qui sont en bon état sont aujourd’hui assez recherchées parce que le quartier est calme et situé à deux pas du centre de la ville, malgré son apparence de village en pleine nature.
 
780e1 Lénine à Grodno (Belarus)
 
Outre la grande place Sovietskaia dont j’ai à maintes reprises parlé, il y a à Grodno une rue commerçante piétonne elle aussi appelée Sovietskaia, il y a un quartier Lénine et une rue Lénine, une large rue Gorki (où habite mon beau-père). Les noms choisis par le régime communiste ont été conservés, même si, à ma connaissance, le président Loukachenko n’a pas parlé de Vladimir Ilitch, que l’on voit ici en plein centre de Grodno. En revanche, il a clamé en discours public son admiration pour Hitler et pour Staline, exemples à suivre. Dont acte.
 
780e2 Tyzenhauz (Grodno, Belarus)
 
De taille plus modeste, et situé au niveau du sol en un endroit discret, Antoni Tyzenhaus (1733-1785) s’avance vers nous, indifférent aux travaux qui se déroulent dans son dos. Ami personnel du roi de Pologne et Lituanie Stanislas II Auguste Poniatowski, il a été nommé trésorier du grand-duché de Lituanie, staroste (administrateur) de Grodno et gestionnaire des possessions royales. À Grodno, il a créé des écoles professionnelles, réorganisé toute la ville et il est aussi à l’origine de l’ouverture de 23 usines. Pour les faire tourner, il a utilisé le travail forcé des paysans des alentours, ce qui a provoqué une révolte vite maîtrisée. Mais ce mécontentement populaire, lié à des accusations de fraude, lui ont valu d’être écarté des affaires en 1780. Évidemment, on ne peut que s’indigner de ces méthodes au siècle des Lumières, mais c’est à lui que Grodno doit d’être industriellement développée avec diverses spécialités telles que l’industrie alimentaire, la production d’engrais azotés, le traitement du bois, la mécanique de précision, etc.
 
780e3 Gilibert, qui a dessiné le parc de Grodno
 
Celui-ci, c’est Gilibert, un Français, en train de se reposer dans le grand parc qu’il a dessiné et créé au cœur de la ville. Jean-Emmanuel Gilibert (1741-1814) est un médecin lyonnais, mais sa passion est la botanique. Parce qu’en cette fin de 18e siècle la médecine, l’agriculture, la teinturerie, l’industrie ont besoin de toutes sortes de plantes, il tente de créer à Lyon un jardin botanique aux Brotteaux, et il se ruine complètement dans ce projet qu’il ne peut faire aboutir. Mais, ayant appris que le roi de Pologne et Lituanie Stanislas II Auguste Poniatowski (en fait, le staroste de Grodno, Antoni Tyzenhaus) cherchait quelqu’un pour développer et moderniser à Grodno l’enseignement de la médecine et des sciences naturelles, pour ouvrir une école de sages-femmes et pour créer un jardin botanique, il envoie sa candidature et obtient le poste. Il travaillera ainsi à Grodno de 1774 à 1783, inventoriant toute la flore, écrivant livre sur livre, créant un enseignement structuré et moderne. Mais malgré sa réussite et son profond attachement à Grodno, il rentre à Lyon où il exercera comme médecin à l’Hôtel-Dieu.
 
780e4a Grodno, Biélorussie
 
780e4b Grodno, Biélorussie
 
Dans le secteur de la jolie petite église du douzième siècle, se dresse ce grand monument, à qui, à quoi, aucune plaque, aucune indication ne le dit. Appliquées dans des niches de part et d’autre, deux gigantesques sculptures dont on peut se figurer la taille en les devinant sur la première de ces photos représentent des personnages que je n’ai pas su identifier. Natacha pense que sur ce monument érigé par le pouvoir soviétique cette femme qui ne manque pas de noblesse ne représente personne, mais que c’est plutôt une allégorie de la grandeur du peuple slave, ou l’attachement à la patrie soviétique, ou quelque chose comme cela. Car, dit-elle, en dehors de Staline avant la déstalinisation, de Lénine, de Gorki et de quelques autres, on ne représentait que très peu des individus particuliers, à moins que ce ne soit devant leur maison, ou devant un bâtiment qui portait leur nom. Le monument lui-même n’est autre que la manifestation de la grandeur et de la puissance de la nation.
 
780f1 Une responsable de l'école n°8 à Grodno
 
Autrefois –dans un proche passé– il y avait en Biélorussie des écoles possédant des particularités. L’école n°8 était spécialisée dans l’enseignement du français. En plus, donc, des matières obligatoires étudiées dans tous les établissements, tous les élèves avaient pour langue étrangère le français. Aujourd’hui, les spécialisations n’existent plus officiellement, néanmoins ici, soit en langue obligatoire, soit en option, 90 pour cent des élèves ont choisi cette école pour y étudier notre langue. Je dis "école" parce que les établissements regroupent primaire et secondaire. Fort intéressé, j’ai souhaité y pénétrer. Accompagné de Natacha, qui expliquait en russe au portier et à diverses autres personnes, j’ai été mené à une responsable de l’établissement, elle-même professeur de français. Ce qui simplifiait grandement la conversation ! Cette personne, très aimable, nous a emmenés dans son bureau et a répondu à toutes les questions que me dictait ma curiosité.
 
780f2 Grodno, école n°8, Loukachenko notre président
 
Évidemment, dans ce bureau, je ne pouvais pas manquer de trouver le portrait du chef de l’État. Sous la photo, où on le voit portant son fils dans ses bras, il est écrit "Loukachenko [est] notre président".
 
780f3 Grodno, école n°8, salle musée des échanges avec
 
Sans compter son temps, cette aimable sous-directrice nous a aussi montré la salle des professeurs, la bibliothèque et (photo ci-dessus) une salle réservée au "musée" du voyage pédagogique effectué tous les deux ans en France. Un échange, en fait, une année les Biélorusses vont en France, l’année suivante les correspondants français viennent à Grodno. Mais ce n’est pas un jumelage permanent. La ville est jumelée avec Limoges, il y a eu des échanges avec un collège de l'académie de Limoges, mais ce n’est plus le cas.
 
780g1 Biélorussie, Grodno, affiche de propagande nationali
 
Je terminerai cette longue visite de Grodno par deux photos. D’abord cette affiche de propagande nationaliste. En haut et en bas de l’image d’un grand-père en tenue militaire et embrassant sa petite-fille, il y est dit "Nous nous souvenons de l’histoire… / …au nom de notre patrie biélorusse". Et, à droite, en gros "Et qu’est-ce que tu fais, TOI ?"
 
780g2 Lions à l'entrée d'un pavillon, banlieue de Grodno
 
Après avoir vu, en Italie, tant de lions de pierre au seuil des églises, et en Grèce des lions décorant des entrées de monuments antiques, je voulais finir mon article sur la photo de ces deux lions féroces gardant superbement le portail d’une maison de banlieue. Brrrrr!!!
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commentaires

J
Bonjour. Merci infiniment pour votre article très intéressant. Je compte aller à Grodno en mai prochain, ville où est né mon grand-père paternel et dans lequelle a vécu toute sa famille pendant des siècles. Si vous pouviez m'en dire un peu plus sur ce qu'il reste du quartier juif, bien que cela ne veut peut-être rien dire puisque quand il est né, près de 70% de la population de la ville était juive, et quand mon arrière-grand-père est né, c'était près de 85%. En tout cas, tous les renseignements que vous pouvez avoir me seraient très utiles.
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