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28 juillet 2010 3 28 /07 /juillet /2010 01:28

541a Chartreuse de Padula, la cave

 

 La chartreuse de Padula ? Encore ? Hé oui ! Notre ami Alfonso, le libraire qui connaît tout le monde et qui est toujours prêt à rendre service, s’est débrouillé pour prendre contact avec je ne sais qui afin que nous puissions visiter ce qui ne se visite pas, à savoir la cave et la bibliothèque. C’est tout simplement merveilleux. La personne qui nous accompagne, et que je ne nommerai pas, nous précise que, bien entendu, il est interdit de faire des photos, mais que si le guide est distrait et qu’il n’y voit pas très bien, les photos faites peuvent échapper à sa vigilance… C’est fou ce que les gens de Padula sont sympa. Nous accédons à la cave par un long couloir souterrain. La cave est suffisamment enterrée pour que la température y soit constante toute l’année.

 

541b Chartreuse de Padula, la cave

 

541c Certosa di Padula, la cantina

 

Avec l’appui de quatre vignerons et le travail de très nombreux journaliers dans les vignes et dans les chais, le monastère produisait une quantité de vin considérable, destinée à la commercialisation. Il n’empêche, devant de tels tonneaux de bon vin, la tentation d’enfreindre la règle interdisant la consommation d’alcool pour les Chartreux devait parfois (ou souvent) être la plus forte, aussi afin d’éviter que trop d’entre eux ne tombent dans le péché la sagesse a-t-elle amené, en 1582, à assouplir ladite règle : "Nous disons que le vin ne convient pas aux moines, mais puisqu’à notre époque on ne peut les convaincre, nous consentons, mais à cette condition que nous ne boirons pas à satiété, mais avec mesure".

 

541d Chartreuse de Padula, la cave

 

541e Certosa di Padula, la cantina

 

Le pressoir n’a pas la forme cylindrique habituelle, c’est une cuve rectangulaire avec une presse mise en action en laissant s’abaisser un énorme poids fixé sous une vis. C’est une visite à la fois intéressante techniquement et impressionnante par l’ampleur de l’installation. Bien que je n’aie pas prononcé de vœux de Chartreux, loin d’en boire à satiété je n’ai pas absorbé une seule goutte de ce vin, parce que depuis que le monastère a été déserté par les moines, les tonneaux sont vides.

 

541f Chartreuse de Padula, l'escalier de la bibliothèque

 

En remontant à la surface, nous nous sommes rendus à la bibliothèque. Et cette fois, pour y accéder, nous l’avons emprunté, ce fameux escalier à vis que le 17, avant-hier, nous n’avons pu photographier que d’en bas sans y mettre le bout d’un orteil, nous en avons gravi les trente-huit marches, religieusement, conscients de notre privilège. Vue d’en haut, son hélice est encore plus surprenante.

 

541g Chartreuse de Padula, la bibliothèque

 

541h Chartreuse de Padula, la bibliothèque

 

Nous voici donc à présent dans la bibliothèque. Il reste ici quelques livres, mais la plupart d’entre eux, l’immense majorité, sont à Naples. Puisque la chartreuse n’est plus une chartreuse, puisque les moines ont été chassés de leur monastère, il a été estimé que leurs livres seraient plus en sûreté dans les réserves d’un grand musée et, pour les quelques spécialistes autorisés à les consulter, plus accessibles dans la grande ville qui était la capitale du royaume plutôt que dans une bourgade excentrée. Reste, au-dessus des portes de chaque bibliothèque, la plaque indiquant la nature des livres qui s’alignaient autrefois sur les rayonnages du meuble. Comme on peut le constater, les Saints Pères, les poètes et les médecins voisinent avec les philosophes (je suppose que ces philosophes ressemblent plus à saint Augustin ou à saint Thomas d’Aquin, voire éventuellement à Descartes, qu’à Voltaire ou à Proudhon. Grâce à Dieu, la chartreuse était fermée à l’époque de Karl Marx), avec les polémistes et avec les livres interdits. Mais s’ils sont interdits, pourquoi étaient-ils ici ? Le risque de succomber à la tentation de les lire était-il moindre que le risque de succomber au plaisir païen de Bacchus, qui a justifié un assouplissement ?

 

541i Chartreuse de Padula, la bibliothèque

 

Le plafond de bois (on voit les planches) est recouvert de magnifiques peintures. Je ne vois pas à quelle légende peut faire allusion ce cheval ailé attelé à un char. De cheval ailé, je ne vois guère que Pégase dans les mythologies grecque ou romaine, et je n’ai pas souvenir qu’il ait jamais été attelé. Il a permis à Bellérophon, qui le chevauchait, de fondre sur la Gorgone et de la tuer, il a permis au même héros de vaincre seul les Amazones, et d’ailleurs ce char est monté par une femme alors que Pégase n’a été au service de personne d’autre que de Bellérophon. Ou alors j’ai tout oublié de la religion grecque. Je pense qu’il s’agit plutôt d’une figure allégorique, quelque chose comme le char de la connaissance qui permet de s’élever comme en volant. Mais si quelqu’un imagine (ou connaît) une autre explication, je suis preneur.

 

541j Chartreuse de Padula, la bibliothèque

 

On regarde tout autour, on admire en haut, il ne faut pas non plus négliger de regarder à ses pieds. Le carrelage du sol est lui aussi admirable. Le graphisme en est très grand, c’est loin des scènes minutieuses que nous avons vues par exemple à Santa Chiara à Naples (le 19 mai dernier), sans doute parce qu’il faut imaginer dans cette salle des tables et des sièges où les moines s’installaient pour lire et travailler. Dès lors, on apprécie le dessin coloré qui apparaît entre les pieds des meubles, on ne s’arrête pas à méditer devant le pêcheur installé sur le bord d’un pont sans parapet à tremper sa ligne dans la rivière en contrebas, à l’arrière-plan d’une scène champêtre où des hommes discutent auprès d’une barque sur la berge.

 

541k1 Padula, chartreuse 1e Guerre Mondiale, camp de déten

 

Ces deux visites dans la chartreuse de Padula, cave et bibliothèque, ont eu lieu ce matin. Comme nous étions invités et à ce titre sommes entrés sans billet, il serait indélicat d’en profiter pour visiter de nouveau tout l’ensemble. Après cette visite donc, nous allons en rendre compte à notre nouvel ami le libraire Alfonso. Toujours aussi gentil, toujours aussi aimable, toujours aussi accueillant, il nous montre des photos de la chartreuse pendant la Première Guerre Mondiale, lorsqu’elle servait de camp de détention. Les baraquements pour les prisonniers occupaient les anciens champs et vignobles des moines.

 

 

541k2 Voyage de Saint-Non

 

 

Et puis il sort de derrière les fagots un ouvrage exceptionnel qu’il a découvert chez un antiquaire. C’est le Voyage pittoresque de Saint-Non, dans le Royaume des Deux-Siciles. Cette œuvre célèbre, en cinq volumes très grand format publiés entre 1781 et 1786, regorge de gravures et de descriptions passionnantes. J’aurai, je pense, l’occasion de me référer, dans la suite de notre voyage, à cet ouvrage.

 

 

Avant que nous le quittions, Alfonso nous a conseillé d’aller faire un tour à Teggiano qui n’est pas bien loin (et que ne décrit pas mon guide Michelin), voilà tout trouvé le but de notre promenade de l’après-midi.

 

542a1 Teggiano, cathédrale

 

542a2 Teggiano, cathédrale

 

542a3 Teggiano, cathédrale

 

Teggiano, c’est le Tegianum grec puis romain. Au Moyen-Âge, on a donné à la ville le nom de Diano et il est clair qu’à cette époque c’était sans rapport avec la déesse Diane. La vallée, valle di Diano, n’est donc pas, comme je l’ai entendu dire ici, une déformation du nom d’une vallée dédiée à la déesse chasseresse. Ce n’est qu’au dix-neuvième siècle, en 1862, qu’à la demande des citoyens, la ville a repris son nom antique et s’appelle aujourd’hui Teggiano.

 

Devenue fief des Sanseverino à partir du treizième siècle, la ville retrouva l’importance qu’elle avait eue dans l’Antiquité et s’enrichit de nombreux monuments. En 1485, Antonello Sanseverino, prince de Salerne et seigneur de Diano, organisa la "conjuration des barons" contre les Aragon et il en prit la tête, ce qui lui valut d’être assiégé par les troupes du roi dans son château de Diano. Il y perdit son titre de baron de Diano, qui passa successivement à d’autres familles, parmi lesquelles les Grimaldi qui règnent aujourd’hui sur la Principauté de Monaco et les Colonna que nous connaissons bien depuis notre séjour à Rome et nos visites à Palestrina. Les évêques y résident depuis le seizième siècle, mais c’est un diocèse autonome depuis 1851. Nous y trouvons donc une cathédrale.

 

C’est sur le mur latéral de cette cathédrale que sont incrustées ces pierres funéraires antiques. Parce que nous en avons vu de similaires avant-hier, le 17, dans un cloître de la chartreuse de Padula, je trouve intéressant d’en signaler la présence ici. Ces païens représentés sur les murs d’une cathédrale chrétienne ont-ils mission de montrer –passée la période de l’Inquisition et des persécutions de qui ne se soumettait pas aux lois et aux croyances de l’Église romaine– que tout homme, toute femme de bonne volonté est agréable aux yeux de Dieu, je ne le crois pas. À voir le nombre de cardinaux, d’évêques, de prêtres, de pieux laïcs ensevelis dans des sarcophages antiques dont certains représentent des scènes dionysiaques, dont d’autres exhibent sans vergogne de sculpturales femmes nues alors que dans la plupart des églises d’Italie une femme ne peut pénétrer que si ses épaules sont pudiquement recouvertes, cela à quelques centimètres de la dépouille mortelle de ces respectables personnages qui reposent là dans leur dernier sommeil, je me dis que très certainement l’intention de celui qui a fait placer ces stèles funéraires antiques sur ce mur de cathédrale n’était autre que purement esthétique.

 

Une fois de plus, l’occasion m’est donnée de m’étonner (de m’énerver, aussi). À l’époque de Jésus, n’existait pas cet interdit sur le corps. Certes, les thermes pour hommes et pour femmes étaient séparés, comme les latrines publiques, afin d’éviter dans ces lieux clos une promiscuité qui peut entraîner des désirs contraires à la fidélité que se devaient les époux, mais il n’y avait pas de pruderie particulière, et le baptême par immersion était donné à des catéchumènes nus, hommes comme femmes. Si les mœurs médiévales, Renaissance, classiques, ont condamné dans la mode et dans les usages le fait de montrer certaines parties du corps, soit, je comprends fort bien que par respect pour Dieu au dix-neuvième siècle les femmes ne montrent pas à l’église cette cheville qu’elles cachent dans les salons. Et au dix-huitième siècle elles montraient à l’église des épaules et des gorges pigeonnantes qui étaient la marque de leur effort d’élégance en l’honneur de Dieu. Alors pourquoi, à notre époque, un puritanisme sans fondement empêche de pénétrer dans le temple de Dieu une femme dans la tenue qui est admise ailleurs comme si Dieu se repentait d’avoir créé, dans un moment d’égarement, ce corps si choquant qu’il convient de le lui cacher, je ne le comprends pas. Je ne l’admets pas. Je ne dis pas d’admettre le naturisme, ou le short au ras des fesses, ou le bikini pour les femmes, le slip de bain pour les hommes. Je dis que la tenue acceptée pour des employés de banque, par exemple, qui doivent être corrects pour accueillir la clientèle, est également correcte pour entrer dans une église. D’ailleurs, je ne sais pas pourquoi le Dieu catholique italien serait plus puritain que le Dieu catholique français. Mais cela fait monter ma tension, je me calme et je passe à un autre sujet.

 

542b Teggiano, cathédrale, portail

 

De l’autre côté, la cathédrale s’ouvre par ce très beau portail décoré de vantaux modernes dans un encadrement de pierre sculptée plus ancienne. Nous pénétrons discrètement dans le bas de l’église, mais nous en ressortons bien vite sans avoir pris de photo, parce qu’il s’y célèbre une ordination de prêtre.

  

542c Teggiano, cathédrale, portail

 

Sur les vantaux de la porte, figurent les effigies en bronze de quatre prophètes. Ici c’est Isaïe. Non seulement l’expression des visages est très forte, mais la couleur du métal s’harmonise parfaitement avec la façade rose du bâtiment. C’est du plus bel effet.

 

542d1 Teggiano, cathédrale, portail

 

Ma photo du portail est bien petite une fois publiée sur mon blog, néanmoins on distingue au haut des montants, juste sous le linteau, deux petites sculptures qui se font face. Elles méritent d’être montrées de plus près, et placées l’une à côté de l’autre.

 

542d2 Ronda, palacio del Marqués de Salvatierra

 

Elles évoquent immédiatement pour moi des sculptures vues en Espagne, à Ronda (Andalousie), sur la façade du palacio del Marqués de Salvatierra. Sans doute ai-je tort de faire ce rapprochement, parce que les différences sont grandes. À Teggiano, il semble que ce soient des enfants, et ils sont face à face. À Ronda, ce sont clairement des adultes, ils sont sculptés l’un en face de l’autre, et surtout ce couple est en double, de part et d’autre de la porte, celui des deux qui tire la langue est l’homme d’un côté, la femme de l’autre, et inversement pour celui qui cache son sexe. À vrai dire, ni à Ronda, ni à Teggiano, je ne comprends la signification de ces sculptures, mais je les trouve très amusantes et intéressantes. Et, une fois de plus, je fais appel à qui pourrait éclairer ma lanterne.

 

542e Teggiano, la plus belle fenêtre 

 

J’étais dans la rue en train de prendre des photos. Non loin, un monsieur jouait avec un enfant qui semblait être son petit fils. À sa façon de s’occuper de l’enfant, de jouer, de lui parler, on sentait l’homme intelligent et cultivé, pour qui le jeu peut aussi être éducatif. Soudain, sans que je lui demande rien, il est venu vers moi et, fort aimable, il m’a montré ces sculptures du portail de la cathédrale. C’est lui aussi qui m’a fait remarquer quelque chose que sans lui je n’aurais certainement pas vu. Cette fenêtre, sur la photo, seule de son espèce dans le mur où elle s’ouvre, est la plus belle de la ville, c’est la fenêtre noble où peut apparaître le seigneur. Aujourd’hui ce palais est découpé en appartements, heureuses les personnes qui ont le privilège d’occuper celui-là.

 

542f la vallée vue de Teggiano

 

La ville, comme presque toujours dans le passé pour des raisons stratégiques, est construite tout en haut dans la montagne et surplombe deux vallées, offrant aux regards une vue magnifique. C’est de ce côté-ci que la vallée est la plus encaissée et la plus profonde, c’est là que je trouve le paysage le plus beau.

 

542g Teggiano, église San Pietro

 

542h Teggiano, église San Pietro

 

Notre promenade nous mène ensuite sur une place où se dresse l’église San Pietro. Elle a été construite sur les ruines d’un temple antique, reposant sur ses fondations et réemployant certains de ses matériaux. C’est d’ailleurs l’une de ces pierres, sculptée d’un serpent, qui fait penser aux spécialistes que ce temple a dû être consacré à Esculape, dont cet animal est l’attribut. On n’a toutefois aucune certitude quant au dieu célébré ici, cette pierre étant un réemploi et le serpent n’étant pas une exclusivité de ce dieu. L’église, remontant au tout début du treizième siècle, est la plus ancienne paroisse de Teggiano.

 

542i Teggiano, église San Pietro

 

Sous le porche, au-dessus du portail, on peut voir cette fresque intéressante, qui présente au pied de la croix une Vierge des Sept Douleurs, le cœur transpercé de sept flèches. Les visages des personnages, le style du dessin, me donnent l’impression que ce n’est pas le même artiste qui a peint le Christ et les autres personnages. Mais sans doute me trompé-je. L’église est maintenant transformée en musée, mais il est trop tard pour le visiter. Par manque d’information, nous sommes d’abord allés dans des endroits que nous aurions pu découvrir plus tard, et commencer notre tour de la ville par ce musée.

 

542j Padula

 

La route tourne et vire pour redescendre de Teggiano. Lorsque nous regagnons notre parking, il nous prend l’envie de jeter un coup d’œil sur Padula, parce que le ciel s’est obscurci et sous son bleu gris très sombre la petite ville semble encore plus blanche. Ensuite, il ne nous reste plus qu’à rentrer et à préparer nos affaires pour partir demain sitôt la procession de San Michele terminée.

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