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25 janvier 2013 5 25 /01 /janvier /2013 10:55

Lefkadia fait partie de l’antique Mieza, au même titre que Naousa dont je parlais récemment, car cette ville macédonienne était très étendue. Le premier juillet, à propos de Vergina, je parlais de l’arrivée du premier roi de la dynastie macédonienne dans cette région d’Émathie, qui s’étend à l’est du mont Vermion et dont Hérodote dit qu’il y pousse des roses à soixante pétales au merveilleux parfum et que là se trouvaient les jardins de Midas fils de Gordias.

 

Commençons par le père. Quoique lointain descendant de rois, Gordias est un pauvre paysan de Macédoine, vers 1300 avant Jésus-Christ. Voyant un aigle se poser sur son char à bœufs et n’en plus bouger, il y voit un présage et décide de se rendre jusqu’en Phrygie pour y consulter l’oracle de Zeus Sabazios, l'aigle étant l'oiseau de Zeus. Une voyante rencontrée aux portes de la ville lui conseille de sacrifier au dieu et propose de l’accompagner au temple pour s’assurer qu’il choisisse les victimes correctement. Jeune, jolie, intelligente, elle plaît tant à Gordias qu’il lui propose de l’épouser. Elle accepte, mais seulement après les sacrifices à Zeus. Or, dans la ville, on devait choisir un roi mais on n’arrivait pas à s’entendre sur le choix, aussi consulta-t-on l’oracle, qui dit de proclamer roi le premier homme qui monterait au temple sur un char. On s’imaginait, bien sûr, un beau char royal attelé de nobles chevaux, mais c’est à ce moment précis que Gordias et la voyante firent leur entrée en ville et montèrent vers le temple de Zeus, sur l’acropole, à bord de leur lourd char paysan tiré par des bœufs. Et Gordias fut proclamé roi. C’est ce Gordias qui, alors, fonda la ville de Gordion et en fit la capitale de la Phrygie. Son char, dont le timon était fixé avec un nœud inextricable, était conservé dans la ville.

 

Midas est donc le fils de Gordias, selon Hérodote. D’autres auteurs le disent adopté par le couple de Gordias et Cybèle. Ce qui laisserait entendre que la jeune devineresse épousée par Gordias ne serait autre que la déesse Cybèle, la Grande Mère, divinité de première importance en Asie Mineure. Dans l’une de ses fables, Hygin (né en 67 avant Jésus-Christ et mort en 17 de notre ère) raconte que “tandis que le père Liber [= Dionysos] menait son armée en Inde, Silène se perdit. Midas le recueillit avec hospitalité et lui offrit un guide pour le conduire auprès de Liber. Pour cette faveur, le père Liber donna à Midas le privilège de demander ce qui lui plairait. Midas demanda que tout ce qu’il touche devienne de l’or.  Quand son souhait fut exaucé, et qu’il revint à son palais, tout ce qu’il toucha devint de l’or. Mais tandis qu’il était torturé par la faim, il pria Liber de reprendre son merveilleux présent. Liber lui ordonna de se baigner dans le fleuve Pactole et, dès que son corps toucha l’eau, elle prit une couleur dorée. La rivière de Lydie fut depuis appelée Chrysorrhoas [= écoulement d’or]”. Cela pour expliquer les pépites d’or ramassées en grand nombre dans ce fleuve.

 

Les données historiques, si l’on en croit Hérodote, font des Phrygiens un peuple installé en Macédoine qui serait ensuite passé par la Thrace, aurait traversé l’Hellespont (Dardanelles) pour gagner l’emplacement de Troie, non encore détruite lors de la Guerre menée par les Mycéniens avec Agamemnon, et de là serait arrivé en Phrygie, au centre de l’Asie Mineure aujourd’hui turque, profitant de la ruine de l’Empire Hittite.

 

Beaucoup plus tard, un autre roi Midas a régné de 715 à 676 avant Jésus-Christ. Il est le dernier roi de la dynastie, avant que le royaume phrygien soit anéanti par les Cimmériens. Laissons encore passer quelques siècles. Un oracle avait prédit que qui réussirait à défaire le nœud du char de Gordias, pieusement conservé, se rendrait maître de l’Asie. En 333, Alexandre arrive là, cherche à défaire le nœud gordien et, ne parvenant pas à trouver l’extrémité, se saisit de son épée et, d’un coup, le tranche. Et l’on sait comment, ensuite, il conquit l’Asie jusqu’à l’Indus…

 

822a théâtre de Mieza

 

Nous sommes donc sur cette partie de Mieza occupée aujourd’hui par la commune de Lefkadia. Les découvertes qui y ont été faites montrent l’occupation du site depuis la fin de l’âge du bronze. Il y a entre autres un grand théâtre que l’on ne peut visiter, non seulement parce que les fouilles n’y sont pas terminées, mais surtout pour raison de sécurité parce que l’on y travaille à la restauration, que des grues transportent en l’air d’énormes pierres, que des engins de terrassement s’y déplacent en tous sens. Mais un simple grillage barre la route, et la grille en est largement ouverte, les ouvriers ayant besoin de circuler. Seul le panneau de danger nous interdit le passage. Ce n’est qu’en 1992 que ce théâtre hellénistique du deuxième siècle avant Jésus-Christ a été découvert, en bien mauvais état parce que ses pierres ont été utilisées au cours des siècles pour d’autres constructions. Le diamètre de l’orchestra est de 22 mètres. Avec ses quatre premiers rangs en pierre maçonnée extraite sur place et les douze suivants directement taillés dans le roc de la pente, il devait pouvoir admettre 1500 à 2000 spectateurs. Il est orienté vers la plaine où, à l’époque, il y avait un lac.

 

822b1 Lefkadia, Tombe du Jugement

 

Mais surtout, sur le territoire de Lefkadia, on trouve des tombes dites macédoniennes, non seulement parce qu’elles sont en Macédoine, ce qui est si évident que ce serait absurde, mais parce qu’elles sont d’un type particulier que l’on ne trouve presque qu’en Macédoine. On en dénombre au total, à Lefkadia et ailleurs, plus de soixante-dix. Elles ont en commun d’être hors les murs de la cité ou sur le bord d’une route, de comporter une chambre, ou une antichambre et une chambre, de forme carrée ou rectangulaire et au toit presque toujours en voûte, d’être accessibles via une rampe, ou un couloir qui parfois est couvert d’une voûte, de disposer de façades évoquant des maisons voire, pour les plus monumentales, évoquant des temples ioniques ou doriques, et d’être construites avec des murs de pierre locale (poros) systématiquement enduits de plâtre blanc pour être peints de fresques de couleurs vives. Des traces de réparations ou d’additions, plus rarement des inscriptions, prouvent qu’il s’agit de tombes familiales, rouvertes pour accueillir d’autres morts. Après la crémation rituelle, les restes du défunt étaient placés à l’intérieur avec de riches présents, puis des portes de marbre étaient hermétiquement fermées et l’on enterrait le tout sous un tumulus. Le lit de banquet que les archéologues retrouvent à l’intérieur avec tous les accessoires d’un repas témoignent du rite de banquet funèbre, le défunt partant dans l’au-delà où il participera à l’éternel banquet des Immortels.

 

822b2 Lefkadia, Tombe du Jugement

 

822b3 Lefkadia, Tombe du Jugement

 

La tombe que nous visitons ici, qui date du dernier quart du quatrième siècle avant Jésus-Christ (et donc quelque temps après la mort d’Alexandre), est appelée la Tombe du Jugement en raison de la fresque splendide qui représente les juges des enfers devant lesquels comparaît le défunt. Hélas, cette fresque en restauration n’était que très peu visible lors de notre passage, cachée par les échafaudages et les divers enduits des restaurateurs (première photo ci-dessus). La façade est divisée en quatre panneaux. Sur le premier à gauche, c’est le défunt, tenant une lance dans une main, son épée dans l’autre. Curieux, quand on sait que les morts doivent se présenter sans armes aux enfers, mais nous allons voir qu’il y a une explication très probable. Le deuxième panneau représente Hermès, le Psychopompe (conducteur des âmes) retourné vers la gauche pour inviter à le suivre. De l’autre côté de la porte, se trouvent les juges. C’est dans le Gorgias que Platon en parle : “Au temps de Cronos, il y avait une loi concernant les hommes, qui était celle-ci, toujours en vigueur chez les Dieux, même à présent encore, que celui des hommes qui a passé toute sa vie dans la justice et la piété s’en aille, quand il a fini ses jours, habiter les Iles des Bienheureux dans un état complet de béatitude et d’exemption de tous maux, tandis que celui qui l’a passée dans l’injustice et l’impiété s’en va à cette prison où se paient les peines encourues, et que l’on appelle Tartare. Mais […] c’étaient des vivants qui étaient juges de vivants, rendant leur sentence le jour même où devaient trépasser ces derniers. Mais leurs jugements étaient de mauvais jugements. Zeus tint alors ce langage : 'Eh bien! dit-il, je vais mettre un terme à cet état de choses. […] Ce qu’il faut en premier faire cesser, c’est que les hommes sachent à l’avance qu’ils vont mourir, car actuellement à l’avance ils le savent. […] J’ai nommé juges mes propres fils : deux originaires de l’Asie, Minos et Rhadamanthe, un seul originaire de l’Europe, Éaque. Donc, quand ils seront trépassés, ils prononceront leurs sentences dans la Prairie, au carrefour d’où partent les deux routes, l’une vers les Iles des Bienheureux, l’autre vers le Tartare. Les morts qui viennent de l’Asie seront jugés par Rhadamanthe ; ceux qui viennent de l’Europe, par Éaque. À Minos, d’autre part je donnerai la prérogative d’être surarbitre, pour le cas où les deux autres seraient, en quelque point, embarrassés, afin que la décision soit aussi juste que possible quant au voyage à assigner aux hommes' ”. Conformément à cela, sur le troisième panneau Éaque est assis, pensif et concentré, tandis que dans le dernier panneau à droite Rhadamanthe debout observe la scène en attente de la sentence. Minos est absent, ce qui laisse penser que le jugement ne sera pas difficile. Photis Petsas, l’archéologue éminent qui a découvert cette tombe, a été frappé par la reprise de cette disposition par le christianisme. Le rôle d’Hermès est tenu par la Vierge, dont le défunt attend l’intercession. Puis Jésus, juge des âmes. Enfin, comme Rhadamanthe est le demi-frère d’Éaque, on trouve saint Jean Baptiste, cousin de Jésus.

 

C’est en 1954 que, lors de la construction de la route provinciale reliant le village de Chariessa à la grand-route de Véroia à Edessa, les engins de travaux publics ont buté sur cette tombe. Certes, cela a permis de la découvrir, mais travaillant sans délicatesse et ne comprenant pas quel obstacle ils rencontraient, les engins y ont causé de gros dégâts. Pourtant, sous son tumulus de 10 mètres de diamètre et 1,50 mètre de haut, je suppose qu’elle n’était pas invisible… Sur sa façade quasiment carrée de 8,68 mètres de large sur 8,60 mètres de haut, il n’y a exceptionnellement pas de portes de marbre, l’ouverture ayant été simplement scellée avec des blocs de poros. La tombe principale de (longueur sur largeur sur hauteur) 4,90x4,82x5,25 mètres est précédée d’une antichambre beaucoup plus vaste de 6,50x2,12x7,70 mètres. Les fouilles ont été menées, puis le bâtiment a été laissé à l’abandon à tel point qu’il menaçait de s’écrouler. Il a fallu une plainte contre X pour abandon du monument déposée par Emmanouil Valsamidis, proviseur de lycée très impliqué en archéologie et des votes de divers conseils locaux pour que le ministère de la culture réagisse enfin.

 

Avant de passer à une autre tombe, je reviens sur l’identification de ce défunt qui ose se présenter devant les juges des morts avec des armes. Grande et riche, cette tombe est celle d’un guerrier de haut rang. Le mouvement du corps, celui des jambes, rappellent ceux d’une statuette d’Alexandre possédée par le Louvre (les auteurs ne donnant pas de détails, je ne peux chercher sur Internet l’image de cette statuette pour comparer). De même, la cuirasse ressemble à celle d’Alexandre sur une mosaïque de Pompéi. Au lieu de la représentation traditionnelle de Déméter et Perséphone, le choix de ce mythe tiré de Platon laisse penser que le défunt avait une formation philosophique reçue d’un disciple de Platon, autrement dit ce serait l’un des condisciples d’Alexandre au nymphée de Mieza auprès d’Aristote. Enfin, pour ne pas influencer les juges, on doit se présenter sans armes, sans aucun élément révélant la puissance ou la richesse. Mais Alexandre admirait Achille, et dans le sanctuaire d’Athéna à Troie il avait trouvé ses armes qu’il avait prises, laissant sa cuirasse en échange. C’est le père d’Achille, Pélée, qui lui a légué sa lance, taillée dans un frêne du Pélion, cadeau du centaure Chiron à l’occasion de son mariage avec Thétis (voir mon article sur le Pélion, 17 et 19 juin 2012). C’est avec cette lance qu’il a tué Hector. Sauf de la lance qu’il n’avait pas, Patrocle a été dépouillé par les Troyens des armes d’Achille qu’il utilisait lorsqu’il est mort, et le dieu Héphaïstos a forgé de nouvelles armes pour Achille, dont l’épée. Cette lance et cette épée, Alexandre les a confiées à son ami, condisciple du nymphée, garde du corps qui l’avait sauvé lorsque, touché d’une flèche, il avait perdu connaissance. Ce garde du corps, c’est le général Peucestas, devenu satrape de Perse, présent à la mort d’Alexandre à Babylone, qui beaucoup plus tard se retirera dans sa Mieza natale. Il y a donc fort à parier que cette tombe soit celle de Peucestas.

 

822c1 Lefkadia, Tombe de Lyson et Calliclès

 

822c2 Lefkadia, Tombe de Lyson et Calliclès

 

Nous nous sommes rendus à une tombe qui, fait très rare dans les tombes macédonienne, porte des noms, Lyson et Calliclès, fils d’Aristophane, un Aristophane qui, bien sûr, n’a rien à voir avec le poète comique athénien auteur des Oiseaux, des Guêpes ou de Lysistrata. Elle avait été soigneusement pillée lorsqu’elle a été découverte du temps de l’Occupation allemande, en 1942, et fouillée dans la foulée, en 1943. Elle est plus petite que la plupart, et sa façade n’est pas décorée. Hélas, trois fois hélas, elle n’est pas ouverte à la visite, et les photos ci-dessus, je les ai prises… sur le panneau placé devant l’entrée. Il aurait pourtant été fort intéressant de voir l’intérieur, qui comporte 22 niches alignées sur deux rangées et qui avaient été fermées par des plaques de terre cuite. Cinq étaient vides, mais dans les 17 autres se trouvaient les urnes ayant recueilli les cendres de crémations. En fait, 18 crémations, parce que celles d’Aristophane et de sa femme Thessalonique avaient été placées dans la même niche. Au-dessus de chaque niche figure le nom du défunt, les hommes sur la rangée du haut, les femmes sur la rangée du bas. Il est ainsi possible de reconstituer l’arbre généalogique de la famille. Puisque leurs parents sont eux aussi enterrés ici, je ne sais pourquoi au-dessus de la porte figurent les noms de Lyson et Calliclès qui, en outre, avaient un frère. Peut-être parce que c’est eux qui avaient commandé la tombe, ou parce qu’ils sont les deux premiers de la famille à y avoir été enterrés. Cette tombe a été utilisée de la fin du troisième siècle au milieu du deuxième siècle avant Jésus-Christ.

 

822d Lefkadia, Tombe de Kinch

 

Le site de Mieza et de ses villages, réparti sur les communes actuelles de Naousa, Kopanos, Chariessa et Lefkadia, avait été identifié au dix-neuvième siècle par le Français Delacoulonche accompagné de l’architecte et archéologue danois Kinch. Les villageois avaient creusé un trou, jusqu’à percer le toit en voûte, et grâce à cela c’est ce Kinch qui, en 1887, a découvert de façon fortuite la tombe ci-dessus, étudiée en 1889 et 1892. Mais ce n’est qu’à partir de 1950 que cette tombe, appelée Tombe de Kinch, va être fouillée systématiquement. Entre temps, les travaux de construction de la ligne de chemin de fer de Thessalonique à Monastiri ont bien endommagé le bâtiment et l’ont presque écrasé sous la masse de terre rejetée. Il va être déblayé, restauré, fouillé à partir de 1970, mais la plupart des peintures murales, connues par les reproductions qu’en avait faites Kinch, sont perdues à jamais. C’est une perte d’autant plus catastrophique que nulle part ailleurs que dans ces tombes macédoniennes ne subsistent de grandes surfaces de compositions peintes des époques classique et hellénistique, œuvres annonciatrices des peintures de Pompéi. Ici encore, la porte de cette tombe de la première moitié du troisième siècle avant Jésus-Christ est fermée, nous ne la visiterons pas.

 

822e Lefkadia, tombe des Palmettes

 

En revanche, grâce à l’intervention des personnes rencontrées à la conférence du centre culturel Aristote à Naousa, nous avons eu la chance exceptionnelle de pouvoir visiter la tombe dite des palmettes, normalement fermée car elle est en cours de restauration. Cette tombe de la première moitié du troisième siècle avant Jésus-Christ qui, sous son tumulus de 15 à 17 mètres de diamètre et 2,50 mètres de haut, avait déjà été pillée dans l’Antiquité, a été découverte par hasard durant l’hiver 1971 par… des voleurs d’antiquités. L’histoire ne dit pas comment elle est passée des voleurs aux archéologues. L’escalier que l’on voit dans ce couloir d’accès est moderne, il a été construit pour faciliter l’accès, mais surtout pour maintenir les murs latéraux.

 

822f1 Lefkadia, tombe des Palmettes

 

822f2 Lefkadia, tombe des Palmettes

 

La façade, de 6,25 mètres de large sur 5,25 mètres de haut dépasse le toit de l’antichambre qui ne monte qu’à 5,14 mètres, la pièce faisant 4,08 mètres de large et 2 mètres de profondeur. Derrière, la chambre fait 5,10 mètres sur 4,70 et elle est haute de 4,95 mètres. Ces deux pièces sont sous voûte et, ce qui justifie le nom donné à cette Tombe des Palmettes, la décoration consiste en fleurs de lotus et en palmettes. Les couleurs ont été remarquablement conservées.

 

822f3 Lefkadia, tombe des Palmettes

 

822f4 Lefkadia, tombe des Palmettes

 

Pour conclure cet article sur les tombes macédoniennes de Lefkadia, après avoir montré les remarquables palmettes de cette tombe, je voudrais revenir à Platon, dans les Lois, cette fois-ci. Il y décrit la tombe des plus hauts dignitaires de la république. “Leur tombe sera construite sous terre, en forme de voûte oblongue de pierre poreuse, aussi durable que possible, et composée de couches de pierres posées côte à côte. Lorsque l’on y a mené celui qui est parti vers le repos, on élèvera un tertre inscrit dans un cercle qui en fera le tour et on y plantera un bosquet d’arbres, sauf à une extrémité pour qu’en cet endroit la tombe puisse toujours être agrandie”. Ce texte, plus ancien que la plus ancienne des tombes macédoniennes connues à ce jour, et rédigé par un Athénien, n’en décrit cependant pas moins ce que nous pouvons voir sur le territoire de l’ancienne Mieza ou à Vergina, par exemple.

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24 janvier 2013 4 24 /01 /janvier /2013 11:40

Beroia, Berœa, Bérée, Véroia, Véria… Beaucoup de formes différentes pour le nom d’une seule ville. Beroia, c’est le nom grec antique, et c’est l’orthographe grecque d’aujourd’hui. Berœa en est la transcription latine, selon le même principe qui fait qu’Oidipous devient Œdipus, Œdipe. Les traductions françaises du Nouveau Testament, dans les Actes des Apôtres, respectant l’évolution de la prononciation du latin, parlent de Bérée. Puis le bêta (B) de l’alphabet grec est devenu vita, se prononçant V, d’où Véroia. Enfin, le vocalisme grec ayant évolué très généralement vers le son I, l’ancienne diphtongue OI se prononce aujourd’hui I (comme l’ancienne diphtongue EI et comme les voyelles écrites I, Y et H), et les panneaux indicateurs grecs sont doublés d’autres panneaux qui les traduisent en langue anglaise avec notre alphabet latin, et qui affichent Véria, ce qui correspond à la prononciation actuelle. Pour ma part, j’adopte la forme Véroia conforme à l’orthographe Βέροια du grec, si l’on considère que le signe B est un V. Mais voilà un bien long paragraphe pour un détail qui n’intéresse que moi.

 

821a le dieu fleuve Olganos, frère de Veroia et Mieza

 

Indépendamment de son orthographe et de sa prononciation, le nom de cette ville a son histoire dans la mythologie. Makédonas est le roi éponyme de cette Macédoine qui a conquis la Grèce au temps de Philippe II puis une grande partie de l’Orient jusqu’à l’Indus et à l’Égypte au temps d’Alexandre et qui, après avoir été romaine puis byzantine et après une longue période d’occupation ottomane qui a duré jusqu’en 1912, ne sera plus aujourd’hui que partagée entre deux provinces de Grèce du nord et une république indépendante (en grec PGDM, Πρώην Γιουγκοσλαβική Δημοκρατία της Μακεδονίας, en français ARYM, Ancienne République Yougoslave de Macédoine, ou en anglais FYROM, Former Yugoslav Republic Of Macedonia). À ce Makédonas succède son fils, Bérès. Et Bérès a trois enfants, deux filles Beroia et Mieza qu’il honorera en donnant leurs noms aux deux principales villes de son royaume (dans mon précédent article au sujet de Naousa, je disais que cette ville était co-héritière de l’antique Mieza), mais l’aîné était un fils, Olganos, devenu un dieu-fleuve. C’est lui qui est représenté ici par ce buste des alentours de 150 de notre ère et que l’on trouve au musée archéologique. Pas de doute sur l’identification, le nom est gravé sur le socle. En revanche, l’identification du fleuve avec l’Arapitsa qui coule au pied des falaises de Naousa et rejoint la plaine à Kopanos, village dans un champ près duquel cette sculpture a été mise au jour, n’est qu’une conjecture très probable.

 

821b1 Veroia, maisons sur les remparts sud

 

821b2 Veria, maison ancienne

 

821b3 Beroia, maison ancienne

 

Mais nous reviendrons plus tard au musée. Faisons d’abord un petit tour à pied dans cette très vieille ville qui a conservé nombre de ses maisons turques traditionnelles. Mais les moucharabieh ont perdu leurs grillages qui dissimulaient les femmes au regard des passants.  La première de ces photos montre une maison construite sur un mur du rempart de fortification sud.

 

821c église discrète à Veroia (Vierge Evangelistria, 16e

 

Quant à cette construction, cette sorte de maison sans fenêtres, c’est une église du seizième siècle, dédiée à la Vierge (Panagia) Évangelistria. En effet, les Turcs ont transformé en mosquées les plus grandes églises byzantines qui pouvaient s’accorder avec le culte musulman, et y ont adjoint un minaret, mais ils se sont montrés tolérants envers la religion des Grecs, et leur ont laissé la disposition de leurs plus petites églises byzantines, inutilisables pour eux. Cependant, cette tolérance était très limitée, et l’Islam devait toujours rester prééminent. C’est ainsi que tout son de cloche était strictement prohibé pour ne pas concurrencer la voix du muezzin, et que les clochers eux-mêmes étaient arasés pour ne pas côtoyer, même très modestement, les minarets. Quant aux églises construites après la conquête, comme celle-ci, beaucoup d’entre elles adoptent un style extérieur extrêmement neutre. Sans la plaque de plexiglas transparent fixée au mur et donnant son nom et sa date, jamais je n’aurais remarqué qu’il s’agissait d’une église.

 

821d1 tribune de st Paul à Bérée

 

821d2 autour de la tribune de st Paul à Veroia

 

821d3 mosaïque de st Paul à Veroia

 

Actes des Apôtres XVII, 10-14 : “Aussitôt les frères firent partir de nuit Paul et Silas pour Bérée. Arrivés là, ils se rendirent à la synagogue des Juifs. Or ceux-ci avaient l'âme plus noble que ceux de Thessalonique. Ils accueillirent la parole avec le plus grand empressement. Chaque jour, ils examinaient les Écritures pour voir si tout était exact. Beaucoup d'entre eux embrassèrent ainsi la foi, de même que, parmi les Grecs, des dames de qualité et bon nombre d'hommes. Mais quand les Juifs de Thessalonique surent que Paul avait annoncé aussi à Bérée la parole de Dieu, ils vinrent là encore semer dans la foule l'agitation et le trouble. Alors les frères firent tout de suite partir Paul en direction de la mer. Quant à Silas et Timothée, ils restèrent à Béroia”. En effet, le christianisme, à Véroia, n’est pas implanté d’hier. Après l’épisode de Philippes où saint Paul a été battu de verges et jeté en prison, après l’épisode de Thessalonique d’où il doit s’échapper de nuit, le voilà prêchant à Véroia où il trouve des oreilles attentives. De grands panneaux indicateurs dirigent le visiteur vers les trois pierres de ma première photo. On dit ici qu’elles constituent la tribune d’où saint Paul s’adressait aux Juifs de la ville. Je ne suis pas sûr de leur authenticité, mais ce n’est pas improbable du fait que les données archéologiques situent là la synagogue du premier siècle de notre ère. On voit, sur la seconde photo, comment cette tribune a été placée dans un monument moderne orné de mosaïques. Sans doute celle de ma troisième photo (flanc droit du monument de la photo précédente) ne constitue-t-elle pas une œuvre d’art impérissable, mais je trouve intéressantes les attitudes que l’artiste prête aux assistants, religieux, civils, soldat, femme.

 

821e1 Veroia, près de la tribune de st Paul

 

821e2 mosquée cathédrale de Veria

 

Le monument de la tribune de saint Paul se dresse sur une place en hauteur. Sur la gauche de cette place a été construit en outre le petit monument de la première photo ci-dessus. Je publie cela parce que j’aime bien la perspective du minaret musulman derrière l’évocation de saint Paul. En fait, le minaret n’a pas été détruit quand la cathédrale est revenue au culte orthodoxe, mais ce n’est plus aujourd’hui une mosquée.

 

821f1 Veroia, église byzantine de la Résurrection du Chri

 

Témoin de l’époque byzantine, cette église du quatorzième siècle maintenue lors de la conquête ottomane. Elle est dédiée à la Résurrection du Christ (Anastasis tou Christou). En effet, alors que les églises catholiques sont toutes consacrées à des saints ou à Dieu lui-même (la Trinité, le Sacré-Cœur), les églises orthodoxes sont pour une grande partie d’entre elles consacrées à des événements importants de la religion, comme la Résurrection, la Transfiguration (Metamorphosis), la Dormition de la Vierge (Koimêsis). Il est curieux de rencontrer aussi ce que je vois comme une tradition très ancienne, homérique, qui attribue aux personnages des “épithètes de nature” qui les définissent et sont régulièrement liés à leur nom, comme l’artificieux Ulysse, Achille aux pieds légers, Athéna aux yeux pers, l’Aurore aux doigts de rose, Poséidon à la chevelure bleue, etc. C’est ainsi que l’on trouve ici des églises du Christ Sauveur, par exemple. Ou des Saints Anargyres (sans argent), c’est-à-dire Côme et Damien, médecins des pauvres qui ne se faisaient pas payer.

 

821f2 Beroia, ieros naos Anastaseos Christou

 

821f3 Veroia, église byzantine de la Résurrection du Chri

 

821f4 Veroia, église byzantine de la Résurrection du Chri

 

821f5 Veroia, église byzantine de la Résurrection du Chri

 

Tant en extérieur sous le portique (saints martyrs, Calvaire) qu’à l’intérieur (Dormition), on voit que l’église est intégralement couverte de fresques très belles, mais malheureusement en très mauvais état. L’édifice lui-même, comme ses peintures, aurait besoin d’une bonne restauration, qui malheureusement ne vient pas. Et tout se détériore de plus en plus.

 

821g1 masques de carnaval (Veria, musée byzantin)

 

821g2 masques de carnaval (Veria, musée byzantin)

 

Nous avons aussi visité le musée byzantin. Lui est fort bien aménagé et présente de belles collections, mais je lui fais deux reproches. Le premier, c’est que la photo y est interdite. Or les droits des auteurs ont expiré depuis longtemps, les œuvres tombant dans le domaine public 70 ans après leur mort, et de plus la très importante participation financière de l’Union Européenne (quatre-vingts pour cent des trois millions huit cent cinquante-deux mille Euros dépensés) devrait donner quelques droits aux citoyens de l’Union. Mon deuxième reproche, c’est que s’il est normal et nécessaire qu’une surveillance soit exercée sur les visiteurs, il est désagréable d’être suivi pas à pas, au sens propre. Natacha et moi ne nous arrêtons pas toujours devant les mêmes œuvres en fonction de nos goûts ou de notre intérêt, nous avons chacun notre rythme de lecture des informations, aussi généralement ne nous suivons-nous pas dans les musées et sur les sites. Lorsque j’ai mis un pied sur la première marche de l’escalier pour changer d’étage, je me suis vu fermement intimer l’ordre d’attendre que Natacha soit prête à monter elle aussi parce qu’il n’y a qu’un gardien, et le public ne peut être seul à un étage. Pourtant, ce monsieur avait vu clairement que nous n’étions pas le genre à brandir nos bombes de peinture pour taguer les icônes, et nos sacs photo étant restés à l’accueil nous ne risquions pas de prendre des clichés prohibés.

 

Point de photo, point de commentaire des œuvres de ma part. Mais au rez-de-chaussée, une exposition temporaire montre des masques de carnaval traditionnels de diverses régions de Grèce que l’on est parfaitement autorisé à prendre en photo. Sur la première, à droite nous sommes à Nadouse en Messénie et à gauche à Tyrnavos en Thessalie. Notons que l’auteur du thème de ce dernier masque, thème traditionnel dans cette ville et qui se répète chaque année depuis fort longtemps, semble avoir souffert d’une obsession, car non seulement ce masque ithyphallique  est à double face, mais il y a des chars dont le canon est remplacé par un gigantesque sexe, etc… Mais il s'agit, bien sûr, d'un rite de fécondité. Sur la seconde photo, à droite nous voilà dans le centre de Lesbos et à gauche c’est encore Nadouse. Ces nombreux masques, plus d’une vingtaine, sont amusants à voir mais sortis du contexte sociologique, ethnologique du carnaval ils perdent un peu d’intérêt. Passons donc au musée archéologique où la photo, intelligemment, est autorisée

 

821h1 fragment de vase néolithique, musée de Veroia

 

Commençons par un objet du néolithique ancien, soit cinq à sept millénaires avant Jésus-Christ, pour témoigner de la présence humaine ici dès cette époque et parce que j’ai été frappé par ce morceau de terre cuite, un fragment de poterie qui était décorée d’un visage humain. Outre le souci esthétique de décoration, le pouvoir d’expression de ces quelques traits extrêmement réduits est extraordinaire et témoigne, à mon avis, d’un grand talent de la part du potier. Aucune légende ne dit si ce visage avait une valeur symbolique ou religieuse, et je confesse mon inaptitude à le dire moi-même.

 

821h2 armes macédoniennes (6e-4e s. avant JC)

 

Mais laissons là ces époques très reculées. Ces armes datent du sixième au quatrième siècle avant Jésus-Christ. À droite, ce sont quatre pointes de lances qui étaient fixées sur des hampes de bois. La lance, en grec ancien, se dit dory, par conséquent le doryphore est un “porte-lance”, mais cet insecte étant dépourvu de long nez ou de quelque dard que ce soit évoquant cette arme, je ne sais pourquoi il porte ce nom. Peut-être pour évoquer le redoutable combattant de la pomme de terre. Les deux autres armes de ma photo sont des épées, celle du centre portant sur sa poignée une plaque en or, peu visible ici, représentant une Victoire.

 

821h3 vase macédonien hellénistique

 

Nous en venons à l’époque hellénistique qui, je le rappelle, commence arbitrairement à la mort d’Alexandre en 323 avant Jésus-Christ et s’achève tout aussi arbitrairement à la mort de Cléopâtre en 30 avant Jésus-Christ. Ce vase noir à décoration en relief représente des musiciens et des danseurs. Je l’ai choisi parce que je trouve que son style rappelle étrangement celui de poteries mycéniennes, plus vieilles d’un millénaire.

 

821h4 Aphrodite, femme avec Eros, autre femme

 

821h5 trois élégantes macédoniennes hellénistiques

 

La première photo représente à gauche la déesse Aphrodite, et au centre une femme tenant par la main un petit Éros. Toutes deux doivent être placées entre le troisième et le deuxième siècle avant Jésus-Christ. Les quatre autres figurines de terre cuite sont plus précisément du deuxième siècle. J’ai choisi quelques unes de ces petites sculptures parce que, à part Aphrodite qui est nue et sert de modèle, les autres, trouvées dans des tombes de la région, sont des élégantes macédoniennes d’époque hellénistique portant chacune un vêtement différent. Pas de mode uniforme, donc, mais beaucoup de recherche. Seules les deux de gauche sur la deuxième photo semblent avoir acheté leur robe chez le même couturier, mais elles diffèrent par la coiffure, le chapeau, et celle du milieu a jeté un voile sur son épaule gauche.

 

821h6 danseuses 2e s. avant JC (Macédoine)

 

Ces deux-là sont aussi habillées de façon différente, mais c’est normal parce que ce sont des danseuses, comme en témoigne leur gestuelle. Elles sont de la même époque que les précédentes.

 

821h7 Aphrodite pleure la mort d'Adonis (2e s. avant JC)

 

D’époque hellénistique aussi est ce groupe d’Aphrodite et Adonis. À Pæstum, le 24 juin 2010, j’ai raconté cette légende, Myrrha commettant un inceste avec son père, le père s’en rendant compte et la poursuivant avec un couteau, Aphrodite la transformant en arbre (l’arbre à myrrhe). Puis l’écorce s’ouvrant et donnant naissance à Adonis. Aphrodite le confie à Perséphone pour l’élever, puis Perséphone refuse de le rendre, Zeus tranche, il passera un tiers de l’année avec l’une, un tiers avec l’autre, et le troisième tiers où il voudra. Il choisira deux tiers avec Aphrodite. Je n’avais pas, alors, raconté la fin de ce mythe oriental de la végétation. Oriental parce qu’il vient de Syrie, et plus précisément sémite, le nom d’Adonis signifiant seigneur en hébreu. Et végétation, avec ces quatre mois avec une déesse chtonienne et huit mois avec une déesse de la génération et de l’amour. Arès, le dieu guerrier, était l’amant d’Aphrodite. On conçoit qu’il ait pris ombrage de l’amour d’Aphrodite pour Adonis, et un jour, alors qu’Adonis chassait dans la forêt, Arès lança contre lui un sanglier qui le chargea et le blessa à mort. Telle est, du moins, l’une des versions données de l’accident. Chaque goutte de sang d’Adonis donna naissance à une anémone, tandis que la rose, blanche à l’origine, devint rouge quand Aphrodite, se précipitant pour secourir son amant blessé, se piqua le pied à une épine et que son sang montant dans la tige en colora la fleur. Nous voyons ici la déesse portant Adonis sur le lit funèbre.

 

821h8a loi des gymnasiarques, musée de Veroia

 

821h8b loi des gymnasiarques, musée de Veroia

 

Cette stèle qui comporte plus de cent lignes de texte sur chacune de ses faces a été trouvée dans un lieu qui, cela est prouvé par d’autres inscriptions, était un gymnase et elle date du premier tiers du deuxième siècle avant Jésus-Christ. Ce texte, la loi des gymnasiarques, commence par la résolution qui adopte la loi (date, convocation de l’assemblée, acte de ratification, etc.). Puis elle fixe la période d’élection du gymnasiarque, la limite d’âge, le texte du serment qu’il doit prêter, la désignation et le rôle de ses assistants. Suit la liste des activités des jeunes et leurs règles de vie, je vais y revenir. Ensuite, est définie la manière dont doit être choisi le gymnasiarque, quelles sont ses responsabilités et ses pouvoirs, le rôle des instructeurs et des entraîneurs, les punitions prévues en cas de manquement au règlement et il est précisé que l’entraînement est donné jusqu’à l’âge de 22 ans. Enfin, le texte définit l’utilisation des fonds constitués par l’apport des jeunes hommes admis au gymnase. Les dernières lignes indiquent les noms des magistrats chargés de délivrer une copie du texte pour gravure dans la pierre. Dois-je ajouter que ce que je dis là, je ne l’ai pas lu sur la stèle. Et pas seulement par manque de temps. Pour en être capable, je devrais être un épigraphiste distingué, comme l’éminente personne dont j’indique ici, dans la colonne de droite de cette page, le remarquable site.

 

Il est très instructif, ici, de comparer un gymnase macédonien et un gymnase d’une autre partie de la Grèce, en Attique par exemple. En Grèce, les pratiques sportives alternent avec des conférences de philosophie, de littérature, des enseignements scientifiques, aussi les gymnases comportent-ils des salles de conférences, des salles d’étude, des bibliothèques. L’Académie de Platon, le Lycée d’Aristote sont des gymnases. Pour cette raison, la langue allemande utilise ce mot pour désigner ses lycées, le grec moderne ses collèges. Ce gymnase macédonien, lui –j’en reviens donc, comme je l’annonçais, aux entraînements et aux règles de vie–, ne comporte que des entraînements sportifs axés sur la guerre, tir à l’arc, lancer de javelot et autres. Les compétitions qui doivent être organisées portent sur la course à pied, l’arc, le javelot, la fronde, l’équitation. Les notes évaluent la musculation, la discipline, l’ingéniosité. Pas trace de philosophie, de rhétorique, de connaissance du monde  et des sciences. Or un siècle et demi, deux siècles, deux siècles et demi plus tôt, les rois faisaient appel aux plus grands sculpteurs, aux plus grands peintres, aux meilleurs artisans, Euripide est mort à la cour du roi, Aristote a été chargé de l’éducation d’un autre roi. Mais ce gymnase témoigne, à travers sa loi, que la société macédonienne hellénistique veut rester attachée à sa tradition militaire en axant ainsi la formation de ses jeunes hommes, à une époque où les autres cités font bien plutôt appel à des mercenaires. Il semblerait donc que le gymnase soit le siège d’une administration militaire et que lorsque les jeunes gens, à 22 ans, le quittent, ils soient répertoriés comme incorporables de droit par la cité en cas de conflit.

 

821h9 stèle d'un gladiateur rétiaire (1er siècle après

 

Cette stèle est plus tardive. Elle est de la seconde moitié du premier siècle de notre ère. Autrement dit, à partir du règne de Claude mort en 54 jusqu’à l’avènement de Trajan en 98. Elle concerne un rétiaire, ces gladiateurs armés d’un filet (latin rete) et d’un trident. On le voit représenté ici tenant la hampe de son trident à deux mains (on entraperçoit les pointes à l’extrême droite, à la limite de la cassure de la pierre). Nous sommes à l’époque romaine, voilà plus de deux siècles que la Macédoine a été conquise avec la Grèce, et ces jeux du cirque sont typiquement romains, mais la gravure est en caractères grecs et donne le nom de ce gladiateur, Pekouliaris. En dessous, l’abréviation PY A signifie premier combat. Deux explications possibles, ou bien c’est une plaque commémorant le premier combat de ce jeune gladiateur, ou bien il s’agit d’une stèle funéraire et cet homme a été tué dès son premier combat.

 

821i graffito politique à Veroia

 

Essayons d’être raisonnable et de limiter ma présentation d’objets du musée archéologique. Comme toujours, j’ai envie de tout montrer… Pour conclure cet article sur Véroia, un graffito politique. Il dit “Si vous croyez que nous vivons en démocratie… doux rêves”.

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23 janvier 2013 3 23 /01 /janvier /2013 13:53

L’antique Mieza s’étend aujourd’hui sur plusieurs villages et villes. Naousa, dont je vais parler aujourd’hui, en fait partie. D’ici quelques jours, nous comptons nous rendre à Lefkadia qui conserve également des vestiges antiques de Mieza auxquels je consacrerai un autre article le moment venu. Aujourd’hui, c’est Naousa dont le nom ne comporte en grec qu’un seul S (sigma) mais qui est souvent transcrit avec deux S pour éviter qu’en anglais ou en français on prononce ce S comme un Z. Pour ma part, je transcris lettre pour lettre. Cette région, c’est l’Imathie évoquée par Homère dans l’Iliade : “Héra, d’un saut, quitta les sommets de l’Olympe et, après avoir survolé la Piérie et l’aimable Imathie, […] elle ne foula pas la terre de ses pieds […] et elle arriva à Lemnos”.

 

820a1 Rivière à Naousa, dans l'école d'Aristote

 

Dans mon précédent article portant sur Vergina, je citais Justin selon qui “Un ancien oracle avait prédit que le règne d’un des fils d’Amyntas serait une époque de gloire pour la Macédoine”. Ce règne a été celui de Philippe II. Pour que cette époque de gloire trouvât un prolongement, le roi a souhaité donner à son fils Alexandre la meilleure éducation possible. Alexandre, fils de Philippe et d’Olympias, était né en 356, soit 2300 ans jour pour jour avant moi. Je ne suis pas (encore) aussi célèbre que lui, il va falloir que je me dépêche. Lorsqu’il a eu 13 ans, en 343, son père a invité pour se charger de son éducation le plus illustre philosophe de son temps, Aristote (Socrate est mort depuis 56 ans en 399 et Platon depuis 5 ans en 348), un Macédonien né à Stagire mais qui a été l’élève de Platon à Athènes, et qui y a ensuite enseigné lui-même. En 348, l’année de la mort de Platon, Olynthe, ville de Chalcidique qui avait d’abord été alliée de la Macédoine, s’est tournée vers Athènes, ce qui lui a valu d’être rasée par Philippe, tous les habitants étant réduits en esclavage. Dès lors le Macédonien Aristote ne s’est plus senti trop en sécurité à Athènes, l’alliée d’Olynthe, et comme de plus il a vu un collègue à lui prendre la succession de Platon que lui-même guignait, il s’était rendu en Troade, à Atarnée, puis à Lesbos. On comprend que l’invitation de Philippe quelques années plus tard lui ait paru alléchante.

 

Étymologiquement, une péripatéticienne est une femme qui se promène. Si, dans la langue française, elle arpente le trottoir, c’est dans un but professionnel bien précis qu’ignore le mot grec. Aristote aimant enseigner en se promenant dans la nature, il est qualifié de philosophe péripatéticien, ce qui n’a rien à voir avec le métier ci-dessus. C’est à Mieza, en pleine nature à quelques kilomètres de Naousa, qu’il a pris en charge l’éducation d’Alexandre et de quelques fils d’aristocrates du régime, se promenant le long de cette rivière que montre ma photo.

 

820a2 Naousa, nymphée de Mieza, l'école d'Aristote

 

820a3 Naousa, nymphée de Mieza, l'école d'Aristote

 

820a4 Naousa, nymphée de Mieza, l'école d'Aristote

 

Au milieu du dix-neuvième siècle, le Français Delacoulonche avait repéré le site qui, enfoui sous la végétation, n’avait alors pas fait l’objet de plus de fouilles et avait été oublié et perdu. Ce n’est qu’en 1965 que l’archéologue Fotis Petsas s’y est intéressé. Ayant repéré les méandres du cours d’eau, les sources, les grottes, il se plaisait à répéter “Tu ne m’échapperas pas, Aristote”. Et Aristote ne lui a pas échappé, Petsas a redécouvert le site. Dans les années suivantes, de 1965 à 1969, il l’a dégagé puis, à partir des textes de Tite-Live et surtout de Plutarque comparés à la topographie ainsi qu’à ce que révélaient les fouilles, il a pu confirmer avec certitude l’identification. Philippe avait installé Aristote et ses jeunes élèves dans un nymphée, autrement dit un sanctuaire des Nymphes, naïades (nymphes des eaux courantes) et dryades (nymphes des arbres) qui existait déjà depuis bien longtemps, ce qui signifie qu’il a fait aménager deux grottes naturelles proches d’une source vive (et donc habitée par des Nymphes), l’espace plan que l’on voit sur la première de ces photos a été taillé dans le roc, et il a fait construire les bâtiments annexes nécessaires. Car maître et disciples vivaient là. Ce n’était nullement une école où l’on se rendait le matin pour en revenir le soir. Dans cette grotte précédée de marches, avant que par Philippe ne soit taillée la porte de façon régulière avec son linteau décoratif, un culte était rendu aux Nymphes depuis le onzième siècle avant Jésus-Christ. Là, lorsque le temps ne se prêtait pas à la promenade (froid de l’hiver, pluies trop violentes) Alexandre a reçu des leçons de littérature, de politique, de philosophie, de morale, ainsi que de mathématiques et de sciences naturelles. Les auteurs antiques nous le présentent, devenu adulte et conquérant le monde, toujours accompagné de l’édition de l’Iliade qu’Aristote lui avait offerte et dédicacée de sa main, et s’identifiant à Achille. En 340, Philippe dut s’absenter pour mener des guerres, aussi le jeune Alexandre, seulement âgé de 16 ans, mit fin à sa période d’éducation sous la férule d’Aristote, il a quitté ce nymphée de Mieza et il s’est rendu à Pella, la capitale, pour être le régent du royaume pendant l’absence de son père. Mais on peut imaginer la puissante influence exercée par un esprit aussi brillant que celui d’Aristote sur l’intelligence exceptionnellement vive et précoce d’Alexandre pendant ces trois années de dialogue ininterrompu.

 

820a5 Naousa, nymphée de Mieza, l'école d'Aristote

 

Dans cette paroi taillée verticalement dans la roche pour créer un mur sur le côté de la grotte, on voit les trous qui ont reçu l’extrémité de poutres soutenant un toit incliné dont la partie supérieure s’appuyait sur une saignée horizontale dans la roche. L’autre extrémité des poutres reposait sur des colonnes.

 

820a6 Naousa, nymphée de Mieza, l'école d'Aristote

 

De l’autre côté de cette esplanade, on voit l’entrée d’une autre grotte. Pas vraiment inaccessible mais aujourd’hui moins aisément abordable. Un chemin part sur le côté et mène, un peu plus loin, à une troisième grotte, ornée de stalactites. On ne sait pas si l’usage de chacune était spécialisé ou si l’une ou l’autre était utilisée au hasard des circonstances.

 

820b1 centre culturel Aristote à Naousa

 

820b2 centre culturel Aristote à Naousa

 

On accède au site à partir de la route par un agréable petit sentier dans la nature, le long de la rivière. Mais de l’autre côté de la route, inattendu perdu dans la campagne, a été construit un centre culturel dédié au grand homme. Sur la pelouse, une statue d’Aristote. C’est pour moi l’occasion de rappeler en quelques mots qui il est pour compléter ce que j’ai dit de lui en relation avec Alexandre. Il était né en 384 avant Jésus-Christ. J’ai dit que Stagire, sa ville natale était en Chalcidique. La Chalcidique est, à l’est de Thessalonique, tout au nord de la Grèce, cette rotondité qui avance trois longs doigts fins dans la Mer Égée vers le sud. Ou, peut-être, qui ressemble davantage à un gros pis de vache avec trois longs tétons. Stagire est sur le flanc est du pis. Le père d’Aristote était un médecin réputé, qui a été appelé à la cour du roi Amyntas III, le père de Philippe, pour être le médecin personnel de la famille royale. Philippe, né en 382,  n’a que deux ans de moins qu’Aristote, tous deux sont donc de la même génération et se connaissent bien. De son père, Aristote a hérité le goût de la médecine. Mes lectures de ces derniers jours, pour me remémorer notre homme et pour documenter le présent article, ne cessent de dire que, parallèlement à la philosophie qui l’a rendu célèbre, Aristote avait aussi le goût des sciences. Je crois que c’est une erreur, c’est méconnaître l’essence même de la philosophie et l’histoire des sciences. En effet, les sciences –toutes les sciences– ont été réflexions philosophiques, ont été philosophie, avant de s’émanciper et de vivre leur vie propre. Qu’est-ce que le corps, quel est le pourquoi des maladies, malédiction divine ou résultat d’interactions physiques entre organes internes et éléments extérieurs, la guérison peut-elle venir d’une action humaine ou doit-elle être attendue d’une volonté divine, voilà des sujets philosophiques et métaphysiques qui ont contribué à donner naissance à la médecine. Tous les grands savants de l’Antiquité étaient des philosophes. Et Pascal ou Descartes, qu’avec notre manie de ranger les individus dans de petites boîtes, nous classons sur l’étagère des philosophes, ont aussi largement contribué au développement scientifique (que l’on se rappelle, par exemple, l’expérience de Pascal sur le Puy-de-Dôme ou la théorie cartésienne de l’animal machine). Quand meurt le père d’Aristote, c’est un certain Proxénos qui va s’occuper de son éducation, après avoir consulté l’oracle de Delphes pour savoir quelle était la meilleure façon de s’y prendre.

 

En 367, à 17 ans, Aristote part compléter son éducation à Athènes, à l’Académie de Platon. Élève puis enseignant, il ne la quittera pas pendant 19 ans, jusqu’à la mort de Platon en 348. J’ai dit tout à l’heure son départ pour l’Asie Mineure, son séjour à Mytilène (Lesbos), puis son enseignement au nymphée de Naousa. Passons rapidement sur la suite. Quand il retourne à Athènes en 339, il ne peut acheter, comme l’avait fait Platon, un terrain pour créer son école, parce qu’il est étranger, métèque (ce qui signifie citoyen libre mais ne possédant pas la citoyenneté, l’étymologie évoquant un “changement de maison, de résidence”), seuls les citoyens athéniens étant autorisés à être propriétaires fonciers en Attique. Il loue donc un terrain sur la colline d’Apollon Lycien, le Lycée (lieu fréquenté par les loups). Il se peut que, de 335 à 331, Aristote ait quitté Athènes pour rejoindre Alexandre sur le lieu de ses conquêtes, mais sans pour autant fermer le Lycée, où il enseignera jusqu’à sa mort en 322. Il s’était rendu en Eubée, à Chalcis d’où sa mère était originaire et où elle avait une propriété. Dans mon article sur l’île d’Eubée daté du 25 août 2011, je parle du violent courant de l’Euripe, entre le continent et l’île, qui change de direction plusieurs fois par jour, et parfois jusqu’à quatorze fois. Aristote était là pour essayer d’en comprendre l’explication scientifique. N’ayant pas trouvé la solution du problème, on raconte que de désespoir il se serait jeté du pont et serait mort emporté par l’Euripe. Belle fin légendaire. La réalité c’est que depuis plusieurs années il souffrait de l’estomac. Peut-être du même cancer que Napoléon. Toujours est-il que c’est dans son lit, et des suites de cette maladie, qu’il est mort. Il avait 62 ans.

 

Revenons à Philippe et Alexandre. Je laisse la parole à Plutarque. “Philippe avait observé que le caractère de son fils était difficile à manier et qu'il résistait toujours à la force, mais que la raison le ramenait aisément à son devoir. Il s'appliqua donc lui-même à le gagner par la persuasion, plutôt que d'employer l'autorité. Et, comme il ne trouvait pas, dans les maîtres qu'il avait chargés de lui enseigner la musique et les belles-lettres, les talents nécessaires pour diriger et perfectionner son éducation, […] il appela auprès de lui Aristote, le plus savant et le plus célèbre des philosophes de son temps, et lui donna, pour prix de cette éducation, la récompense la plus flatteuse et la plus honorable. Il rétablit la ville de Stagire, patrie de ce philosophe, qu'il avait lui-même ruinée, et la repeupla en y rappelant ses habitants qui s'étaient enfuis, ou qui avaient été réduits en esclavage. Il assigna, pour les études et les exercices de son fils, un lieu appelé Nymphée, près de Mieza, où l'on montre encore des bancs de pierre qu'Aristote y avait fait placer, et des allées couvertes pour se promener à l'ombre. Il paraît qu'Alexandre apprit de ce philosophe, non seulement la morale et la politique, mais encore les sciences plus secrètes et plus profondes, que ses disciples appelaient particulièrement acroamatiques et époptiques, et qu'ils avaient soin de cacher au vulgaire. Alexandre, après qu'il fut passé en Asie, ayant appris qu'Aristote avait publié des ouvrages où il traitait de ces sciences, lui écrivit une lettre pleine de liberté, dans laquelle il se plaignait au nom de la philosophie, qui était conçue en ces termes : ‘Alexandre à Aristote, salut. Je n'approuve pas que tu aies donné au public tes livres des sciences acroamatiques. En quoi donc serions-nous supérieurs au reste des hommes, si les sciences que tu m’as apprises deviennent communes à tout le monde ? J'aimerais mieux encore les surpasser par les connaissances sublimes que par la puissance. Adieu.’ Aristote, pour consoler cette âme ambitieuse et pour se justifier lui-même, lui répondit que ces ouvrages étaient publiés et qu'ils ne l'étaient pas. Il est vrai que ses traités de métaphysique sont écrits de manière qu'on ne peut ni les apprendre seul, ni les enseigner aux autres et qu'ils ne sont intelligibles que pour les personnes déjà instruites. Il me semble aussi que ce fut Aristote qui lui donna, plus qu’aucun autre de ses maîtres, le goût de la médecine. Car ce prince ne se borna pas seulement à la théorie de cette science, il secourait ses amis dans leurs maladies et leur prescrivait un régime et des remèdes, comme il paraît par ses lettres”.

 

Pour pédagogie, Aristote voulait isoler son élève loin des influences externes, particulièrement des intrigues inévitables au palais, d’où le nymphée de Mieza. Il voulait développer le sens social et de coopération d’Alexandre, d’où ce groupe de quinze jeunes aristocrates traités en parfaite égalité, qui deviendront ses lieutenants lors de ses campagnes. Il voulait une durée d’études de cinq ou six ans pour inscrire son enseignement dans la durée et avoir le temps d’aborder et d’approfondir tous les domaines de la philosophie et des sciences, ce qui a dû se limiter à trois ans pour la raison d’État que j’ai dite plus haut. Il était accompagné de son disciple et ami Théophraste. D’ailleurs, quand il mourut, c’est Théophraste qui, à Athènes, prit sa succession à la tête du Lycée. L’école du Lycée survécut près de neuf siècles, jusqu’en 529 de notre ère. 

 

820b3 centre culturel Aristote à Naousa

 

En fait, ce centre culturel de Mieza renoue un peu avec la tradition aristotélicienne du Lycée, avec au sous-sol une belle et grande salle de conférences (mais je vais y revenir tout à l’heure) et avec un accueil sympathique, un petit bar, l’exposition d’œuvres d’artistes locaux, des panneaux pédagogiques (ma photo ci-dessus).

 

 820c1 amis de Naousa

 

820c2 avec Constantinos, et leur fils, nos amis de Naousa

 

Naousa n’est pas seulement célèbre pour son nymphée. C’est aussi la capitale grecque de la pêche et de la nectarine. Les routes de la région passent toutes entre des vergers de pêchers qui, en cette saison, sont surchargés de fruits mûrs. Voyant quelqu’un dans le jardin d’une petite maison juste en face du parking du nymphée, Natacha est allée demander s’il ne serait pas possible d’acheter quelques fruits. En fait, nous avons été accueillis en amis par Konstantinos et sa femme (à gauche sur la photo du haut), ils nous ont offert le café et en nous mettant entre les mains un grand seau ils ont insisté pour que nous le remplissions jusqu’au bord de pêches mais aussi d’abricots à cueillir tout frais. Gratuitement, cela va sans dire. Philoxénie grecque, accueil, chaleur. Lui est enseignant au lycée de Naousa, elle a une petite industrie de jouets en bois destinés aux écoles. Puis ils nous ont donné rendez-vous le soir et, dans leur voiture, nous ont emmenés faire un tour de Naousa, après quoi nous avons pris ensemble, et avec leur fils, un pot sur une agréable terrasse.

 

820d1 arbre de Naousa

 

820d2 vieille maison à Naousa

 

Nous sommes passés par les petites rues, nous avons profité des explications de nos cicérones, nous avons vu cet arbre historique vieux de plus d’un demi-millénaire, ainsi que des maisons de l’époque ottomane. Nous nous sommes arrêtés ici ou là pour voir de plus près cette ville d’un peu moins de vingt-cinq mille habitants qui a été un centre industriel important. Mais les luttes de pouvoir après le départ des Ottomans au début du vingtième siècle, les deux guerres mondiales, la guerre civile à la fin des années quarante, et maintenant la grande crise économique laissent ces bâtiments d’usines inoccupés, déserts, et le chômage atteint ici le chiffre dramatique de quarante-trois pour cent de la population active.

 

820d3 souvenir des femmes qui se sont sacrifiées à Naousa

 

En 1822, toute la Grèce se soulève contre l’occupant turc. La Macédoine aussi. À Naousa, le pacha de Thessalonique (qui s’appelait encore Salonique, nom tronqué par les Turcs), Abdul Abud, arrive le 14 mars avec 16000 hommes et 12 canons. Forte de 4000 hommes, la ville assiégée résiste. Le 31 mars, les insurgés renvoient les émissaires du pacha en refusant de se rendre, et le pacha lance une offensive qui est repoussée. Mais quand, le 6 avril, arrive un renfort de 3000 hommes, Abdul Abud réussit à pénétrer dans la ville. Les insurgés s’enfuient. Des femmes, restées en arrière, sachant fort bien ce qui les attend si elles sont capturées, esclavage et vente dans des harems, se jettent du haut de la falaise dans la rivière Arapitsa et sur ses galets. Le monument ci-dessus rappelle leur sacrifice. La Grèce obtiendra son indépendance, mais la Macédoine devra attendre jusqu’en 1912.

 

820e Naousa, dans le parc d'Agios Nokolaos

 

Ce sont aussi nos nouveaux amis de Naousa qui nous ont conseillé de nous installer pour la nuit dans le parc d’Agios Nikolaos. Non seulement le cadre est agréable, mais aussi le lieu est absolument sûr, parce que le parking du parc est situé juste en face  d’une caserne dont l’entrée est gardée jour et nuit par un homme en armes. De plus c’est très tranquille en dehors du clairon qui sonne le réveil, le lever des couleurs et l’extinction des feux. Notre rythme de vie est quelque peu décalé, mais qu’importe.

 

820f1 conférence archéologique au centre culturel de Naou

 

820f2 conférence archéologique au centre culturel de Naou

 

Avant de conclure, je reviens au centre culturel d’Aristote, comme je l’ai annoncé tout à l’heure. Parce que nos amis nous ont informés, en ce dimanche premier juillet que mercredi 4 il y avait ici une conférence sur l’archéologie. Ce qui nous a alléchés. Mardi nous nous sommes rendus à Véria (voir mon prochain article), et sommes revenus mercredi à Naousa pour la conférence. Certes, nous ne comprenons pas une conférence en grec. Je capte des mots, suffisamment parfois pour comprendre de quoi il est question, mais il est plus difficile de comprendre des idées et des concepts dans une conférence de spécialistes que de saisir l’explication d’un commerçant sur la provenance du plateau de pêches et sur le prix du kilo d’oranges au marché. Toutefois, puisque l’entrée est libre et que l’on n’a pas à montrer patte blanche, nous avons pensé qu’il serait intéressant d’apprécier l’ambiance et peut-être de faire des rencontres. Et tel a bien été le cas. Un tiers de la salle environ était composé de curieux locaux, non spécialistes, et deux tiers d’archéologues. Il s’agissait de la présentation d’un travail sur un logiciel interactif qui sera achevé dans deux ans. Le plus difficile à suivre, ce sont les questions ou critiques à la fin, et les réponses qu’elles suscitaient, parce qu’elles entraient dans des détails qui supposent la compréhension fine des nuances. Et puis nous avons aussi parlé avec deux ou trois personnes parmi lesquelles une jeune archéologue très sympathique prénommée Photeini (Claire, en français) qui travaille sur ce projet et avec qui nous avons échangé des  adresses électroniques. Elle a promis de nous avertir quand le logiciel sortira.

 

En conclusion, notre double passage à Naousa a été très positif, visites et événements passionnants, rencontres et contacts riches humainement. Et fruits délicieux.

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23 janvier 2013 3 23 /01 /janvier /2013 10:28

Vergina, l’antique Aigai, première capitale de la Macédoine. En 1856 Léon Heuzey, archéologue français au temps de Napoléon III, découvre le site et, en moins d’un mois et demi, il découvre une tombe macédonienne et une partie du palais. Il repart en rapportant quelques pierres pour le Louvre. Le temps passe. Après les Guerres Balkaniques et le Première Guerre Mondiale, en 1922 a lieu le terrible “échange de populations”, Turcs devant quitter le territoire grec, et vagues de réfugiés grecs contraints de regagner une patrie qu’ils ne connaissent pas, un peu comme les Pieds Noirs d’Algérie en 1962. Du Caucase et de la Mer Noire bulgare, d’Asie Mineure aussi, nombre de Grecs expulsés du territoire turc viennent ici trouver de l’espace et des pierres (antiques) pour construire leurs maisons. Le Bey de Palatitsa possédait les deux petits villages de Koutlès et de Barbès avec 25 familles grecques serves, puisque le servage existait encore légalement en Turquie. Le Bey est contraint au départ, abandonnant terres, villages et serfs qui trouvent du fait même la liberté. Les terres sont partagées également entre ces 25 familles grecques autochtones et 121 familles grecques venant de terres turques. Les deux villages fusionnent. Le métropolite de Véria propose que cette nouvelle entité prenne le nom d’une reine légendaire de l’antique Véria qui, lors de l’arrivée des Turcs au quatorzième siècle, se serait jetée dans le fleuve Haliacmon. Cette héroïne s’appelait Vergina. Aujourd’hui, la petite ville de Vergina qui résulte de la fusion de Koutlès et Barbès compte environ 1250 habitants.

 

819a Vergina, tombe macédonienne de Rhomaios

 

Depuis Heuzé, on avait posé l’hypothèse, comme lui, que les éléments découverts pouvaient peut-être provenir de la ville antique de Ballas. En 1937, le professeur Rhomaios de l’université Aristote de Thessalonique emmène ses étudiants s’entraîner ici à la fouille archéologique, et ce groupe découvre une autre tombe à laquelle on donne son nom, “tombe de Rhomaios” (photo ci-dessus). On en reste à l’hypothèse que ce peut être Ballas. Mais parmi ses étudiants se trouvait un certain Manolis Andronicos, qui par la suite s’est révélé un brillant archéologue, chargé de 1952 à 1963 de mener la fouille systématique des tumuli de Vergina.

 

819b Vergina, tumulus de la tombe de Philippe II

 

En 1968, un historien anglais, Nicholas Hammond, étudie soigneusement la topographie, et en conclut que ce peut être plutôt Aigai, le première capitale des Macédoniens. Puis en 1977 Andronicos découvre des tombes royales non pillées et raconte le moment le plus émouvant, le 8 novembre 1977. Il ouvre le sarcophage. “Et alors nous vîmes quelque chose que je n’aurais jamais pu imaginer […], un coffre en or massif avec une impressionnante étoile en relief sur son couvercle. Nous le sortîmes du sarcophage , le déposâmes sur le sol et l’ouvrîmes. C’est à peine si nos yeux ne nous sortaient pas des orbites et nous retenions notre souffle […]. Tout indiquait que nous avions découvert une tombe royale et si la datation que nous avions assignée aux objets était correcte, comme cela semblait être le cas, alors… je n’osais même pas y penser. Pour la première fois, je sentis un frisson courir sur ma colonne vertébrale, comme si j’avais reçu un choc électrique. Si la datation… et si c’étaient des restes royaux… alors… avais-je tenu les ossements de Philippe dans mes mains ? J’étais sidéré, trop pour le concevoir […]”. Or on sait que Philippe a été enterré à Aigai.

 

Ce que l’on appelle la Grande Toumba (ci-dessus), d’un diamètre de 100 mètres et d’une hauteur de 13 mètres, renfermait des tombes royales. Mais en 274-273 avant Jésus-Christ, avec des mercenaires gaulois, Pyrrhus Premier, roi d’Épire, attaque et vainc le roi de Macédoine Antigone II Gonatas qui, lui-même, employait des mercenaires gaulois. Vainqueur, Pyrrhus investit le trône de Macédoine. Selon Plutarque, “après la victoire sur le terrain, il fit sécuriser les villes et y procéda lui-même à Aigai. En plus d’autres épreuves supportées par le peuple, il laissa dans la ville une garnison de Gaulois, certains de ceux de sa propre armée qui, ayant un insatiable désir de richesse, ont immédiatement déterré les tombes des rois qui étaient enterrés là et ils ont emporté les richesses et insolemment dispersé leurs os”. Ce Pyrrhus est celui de la “victoire à la Pyrrhus” contre Rome et qui, ayant accepté en 272 d’intervenir dans une querelle intestine à Argos et guerroyant dans les rues étroites de la ville, reçut sur la tête la tuile que, de son toit, lui lança une vieille femme. À terre, il fut décapité par un soldat argien. Et Antigone II Gonatas retrouva son trône.

 

Après le pillage, et pour protéger ce qui reste, on édifie une colline artificielle. C’est la Grande Toumba. En fait, seules trois tombes n’avaient pas été pillées, ce sont les trois qu’Andronicos a mises au jour, dont celle de Philippe. Mais les fouilles d’Andronicos, en cette campagne de 1976-1977, ont provoqué une grande excavation. En 1992 a été placée une coque artificielle pour reproduire à l’identique l’aspect extérieur du tumulus antique. Dessous, on peut voir la tombe de Philippe II et celle, dans l’antichambre, de sa dernière femme Cléopâtre (épousée en 337, un an avant sa mort, à ne pas confondre avec sa fille Cléopâtre née en 355, d’un an cadette d’Alexandre le Grand ni, bien évidemment, avec Cléopâtre reine d’Égypte plus jeune de trois siècles), ainsi que deux autres tombes qui n’avaient pas été pillées. Sous ce tumulus on peut aussi voir un fabuleux musée où, hélas, la photo est interdite.

 

819c Vergina, tombe macédonienne près du tumulus

 

Autour du tumulus, des stèles funéraires et des sépultures de diverses époques ont été trouvées (photo ci-dessus). Il y a également la tombe de Rhomaios dont j’ai parlé, une tombe dite d’Eurydice en raison d’une splendide fresque qui la décore. Mais il paraît que seulement un pour cent de la surface des cimetières a été fouillée, et 0,2 pour cent de la ville… De fait, un peu partout dans la campagne environnante on voit que les archéologues ont fait des recherches et ont mis au jour quelques pierres. Reste à dégager plus profond et à interpréter les trouvailles pour comprendre face à quoi l’on se trouve. Notamment, des travaux très importants sont en cours au palais royal. Un grand panneau explique que pour cette raison il est fermé à la visite. Nous sommes contraints de repartir bredouilles.

 

819d théâtre d'Aigai à Vergina

 

Bredouilles, pas tout à fait quand même, parce que nous pouvons apercevoir, de loin et à travers le grillage, le théâtre d’Aigai. Il faut avouer qu’il en reste bien peu, mais c’est lui, ci-dessus, qu’Andronicos a découvert en 1982. Or ce théâtre a une place dans l’histoire. C’est Diodore de Sicile qui raconte que “sans attendre, [Philippe] accomplit des sacrifices grandioses en l’honneur des dieux et célébra en même temps le mariage de sa fille Cléopâtre née de son union avec Olympias […]. Ainsi donc, des foules venues de tous les pays se mirent en route et prirent ensemble le large, pour atteindre les festivités et les jeux, et le mariage fut célébré à Aigai, en Macédoine […]. Tous les gradins du théâtre étaient occupés quand Philippe se présenta vêtu d’un himation blanc. Se pliant à ses directives, ses gardes du corps se tenaient en arrière et le suivaient à distance, parce que le roi voulait montrer à tous que la bienveillance de son peuple le protégeait et qu’il n’avait nul besoin de sa garde armée. Ainsi il était au faîte de sa gloire, mais tandis que les louanges et les ovations fusaient de toutes parts, le complot contre le roi fut révélé quand celui-ci fut blessé à mort. [… Pausanias] posta ses chevaux aux portes de la cité et s’avança vers l’entrée du théâtre, un poignard celtique caché sous son manteau. Quand Philippe intima à ses amis qui l’escortaient l’ordre de le précéder dans le théâtre, il vit que le roi était seul, puisque ses gardes se tenaient toujours à distance. Il se précipita sur lui et plongea son arme dans ses côtes, le laissant raide mort. Puis il courut vers les portes de la ville et ses chevaux qu’il avait sellés pour pouvoir prendre la fuite. Aussitôt, une partie des gardes du corps se précipita sur le cadavre du roi, tandis que les autres, parmi lesquels Léonnatos, Perdiccas et Attale, se lançaient à la poursuite de l’assassin. Ayant une bonne longueur d’avance, Pausanias aurait pu réussir à enfourcher sa monture avant d’être rejoint par les autres s’il n’avait buté sur un pied de vigne et n’avait perdu l’équilibre. Au moment où il se relevait, Perdiccas et les autres le rattrapèrent et le tuèrent à coups de javelots”.

 

Ce théâtre était récent, on le date comme le palais de la seconde moitié du quatrième siècle avant Jésus-Christ. C’est le premier théâtre en pierre du monde grec, mais seule la première rangée de sièges est en pierre, tous les autres gradins devaient être en bois. Pour éviter la construction de murs de soutènement, pour plus de solidité et pour une meilleure acoustique, les théâtres grecs sont généralement adossés à des collines. À Aigai, seul le côté est de la cavea s’y appuie, avec des sièges directement taillés dans le rocher. Côté ouest, au contraire, les sièges sont maçonnés. En effet, il s’agissait que le théâtre ne fasse qu’un avec le palais, situé sur la terrasse juste au-dessus, et le terrain ne se prêtait pas au creusement d’un hémicycle complet à cet endroit.

 

819e Vergina, sanctuaire d'Eukleia

 

Montant de la Grande Toumba vers le palais et le théâtre, notre attention a d’abord été attirée par un tumulus et c’est là que nous avons découvert une tombe macédonienne derrière ses échafaudages. Aucun panneau sur la route ne la signale, et rien ne dit, sur le grillage, qu’il s’agit de la tombe de Rhomaios, que je n’ai identifiée qu’en observant, par la suite, des plans archéologiques de la zone et en comparant mes photos avec celles de publications. Ensuite, à peu près à mi-distance de cette tombe de Rhomaios et du théâtre, sur la gauche, en pleine nature, on aperçoit les ruines de ma photo ci-dessus. C’est le sanctuaire de la déesse Eukleia. Ce n’est pas une divinité très connue. Dans la tradition orphique elle est fille d’Héphaïstos, et fille d’Héraklès chez Plutarque. Mais son nom, “Bonne Réputation”, est clair. On y associe la renommée et la gloire. Elle a eu droit à un petit sanctuaire sur l’Acropole d’Athènes après la victoire de Miltiade à Marathon, et ici à Aigai nous sommes informés par la découverte d’une inscription selon laquelle Eurydice, femme du roi Amyntas III et mère de Philippe II, et par là grand-mère d’Alexandre le Grand, consacre des statues de marbre à la déesse Eukleia. Comme, par ailleurs, nous sommes sur un espace plat à l’intérieur des murs de la ville, que le palais domine juste cet endroit et que près de ce temple des restes de bâtiments publics ont été identifiés, on en conclut que là devait se trouver l’agora.

 

En général, les livres et les articles commencent par l’histoire des sites. Moi je vais terminer par là, et sans photos. La ville a été habitée depuis les environs de l’an 1000 avant Jésus-Christ. Des tribus illyriennes occupaient la région quand, au milieu du septième siècle, arrive Perdiccas I, premier roi de la dynastie macédonienne. C’est Hérodote qui en raconte les circonstances. “D’Argos, trois descendants de Téménos, trois frères, Gauanès, Aéropos et Perdiccas, s’enfuirent en Illyrie, puis ils passèrent les montagnes, entrèrent en Haute Macédoine et gagnèrent la ville de Lébaia. Là, ils louèrent leurs services au roi du pays, et l’un gardait les chevaux, l’autre les bœufs et le plus jeune, Perdiccas, le petit bétail. La femme du roi préparait elle-même leur nourriture (car en ces temps-là les souverains eux-mêmes ne connaissaient pas l’opulence, pas plus que leurs sujets). Or, lorsqu’elle faisait le pain, la miche destinée au garçon, leur domestique, doublait régulièrement de volume. Comme c’était chaque fois la même chose, la reine en informa son mari. Averti, le roi eut aussitôt l’idée qu’il y avait là quelque prodige et l’annonce de choses graves. Il fit venir ses trois serviteurs et leur intima l’ordre de quitter le pays. Les autres réclamèrent leurs gages, en protestant qu’il était juste qu’ils fussent payés avant de s’en aller. Alors (un rayon de soleil pénétrait justement dans la maison par le trou ménagé dans le toit pour la fumée) le roi, en entendant parler de salaire, s’exclama, égaré sans doute par un dieu : ‘Votre salaire ? Je vais, moi, vous donner celui que vous méritez. Tenez !’ et, ce disant, il leur montrait la tache de soleil. Gauanès et Aéropos, les aînés, en restèrent tout interdits, mais le garçon, qui avait un couteau sur lui, répliqua : ‘Nous acceptons, Seigneur, ce que tu nous donnes’ et, de son couteau, il traça sur le sol les contours de la tache de soleil, après quoi il fit à trois reprises le geste de puiser du soleil et de le verser dans le pli de sa tunique, puis il s’en alla, et ses frères avec lui […]. Les trois hommes gagnèrent une autre région de la Macédoine où ils s’installèrent, près des jardins qui sont, dit-on, ceux de Midas, fils de Gordias. Là poussent des roses sauvages qui ont soixante pétales, et un parfum plus suave que toutes les autres roses”. Perdiccas se rend à Delphes, où l’oracle lui dit de fonder sa capitale au Lieu des Chèvres. Or le mot chèvre, en grec, est formé sur la racine AIG-. Il choisit donc Aigai et de là, au sixième siècle, le royaume s’étend partout alentour.

 

À la fin du cinquième siècle, Archélaos (413-399) transfère sa capitale d’Aigai à Pella où naîtront, au quatrième siècle, Philippe II et 382 et Alexandre le Grand en 356. Mais à Aigai subsiste la nécropole royale et l’usage des cérémonies officielles du royaume, comme le mariage de Cléopâtre qui a vu l’assassinat de Philippe.

 

Justin, historien du troisième siècle de notre ère, nous parle du roi Amyntas III. “Son épouse Eurydice lui donna trois fils, Alexandre, Perdiccas et Philippe, père d’Alexandre le Grand, avec une fille nommée Euryone. Il eut aussi de Gygée Archélaos, Arrhidée et Ménélas. Il fit une guerre sanglante aux Illyriens et aux Olynthiens. Sa femme Eurydice forma le projet de l’assassiner et de donner à son gendre sa main et la couronne. Le roi eût été victime de cette trahison si sa fille ne lui eût révélé les dérèglements et les complots de sa mère”. Ailleurs, Justin parle de la suite des événements. “Un ancien oracle avait prédit que le règne d’un des fils d’Amyntas serait une époque de gloire pour la Macédoine. [Philippe] restait, par les crimes de sa mère, l’unique objet de cette prédiction. Le meurtre de ses frères, indignement égorgés, la crainte de périr comme eux, le nombre de ses ennemis, la faiblesse d’un empire épuisé par une longue suite de guerres, troublèrent les premières années de son règne et tourmentèrent sa jeunesse”.

 

Voilà donc ce qui concerne Philippe II, mort et enterré à Aigai / Vergina. La suite de l’histoire de Macédoine concerne plutôt la nouvelle capitale, Pella, que nous comptons visiter dans quelque temps. La ville d’Aigai a continué d’être florissante jusqu’à la conquête romaine. En 148 avant Jésus-Christ, Andriskos tente une révolution et échoue. Ce sera le début du lent déclin de la ville, jusqu’à ce qu’elle soit complètement désertée à la fin du premier siècle de notre ère.

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22 janvier 2013 2 22 /01 /janvier /2013 10:58

Dans mon précédent article, il était question de ce que nous avons vu sur le site archéologique de Dion. Puis nous avons visité le musée archéologique, plein de pièces merveilleuses. J’ai effectué un choix parmi toutes mes photos, pour montrer ici ce qui est en relation avec tel ou tel endroit du site ou ce qui, à mes yeux, revêt un caractère particulier, et un peu différent de ce que j’ai eu l’occasion de montrer ailleurs en Grèce. Mais ensuite, je me suis demandé dans quel ordre présenter tout cela. Et j’ai choisi une solution un peu absurde sans doute, celle qui consiste à suivre mon parcours sur le site. Si j’ai vu le sanctuaire de Déméter avant celui d’Isis, je montrerai ce qui concerne Déméter avant ce qui concerne Isis. Oui, c’est très arbitraire, je le sais, mais…

 

818a1 gravure de Leclerc, 1698. L'Académie des sciences

 

818a2 L'entrée d'Alexandre dans Babylone. Leclerc, 1704

 

Toutefois, quoique cela ne concerne pas le site, parce que dans la première salle en entrant on tombe sur ces deux gravures, c’est par elles que je commencerai. Une plaque auprès d’elles informe “Dons du musée du Louvre au musée de Dion à travers le Consulat Général de France à Thessalonique. En souvenir de ‘la France Invitée d’Honneur’ au 39ème Festival de l’Olympe. Dion, 20 juin 2011”. Et comme sur mes photos les légendes ne sont pas lisibles, je les transcris ci-dessous.

 

La première dit : “L’Académie des sciences et des beaux-arts dédiée au roi par son très humble, très obéissant et très fidèle serviteur et sujet Seb. Le Clerc Chevalier R.”. Il faut comprendre “Sébastien Leclerc”. La gravure date de 1698.

 

Quant à la seconde, elle dit “L’Entrée d’Alexandre dans Babylone présentée à Monseigneur par son très humble, très obéissant et très fidèle serviteur et sujet Seb. Le Clerc Chevalier Romain”. Cette seconde gravure est du même Sébastien Leclerc et date de 1704.

 

818b1 bracelet d'or, tombe macédonienne, 3e s. avt JC

 

Ce bracelet en or provient d’une tombe macédonienne de la fin du troisième siècle avant Jésus-Christ. Une tombe, donc, d’un type autre que celui que l’on trouve sous les murs de la ville… J’aurai l’occasion de parler plus explicitement des tombes macédoniennes dans quelques jours, à propos de Vergina ou sans doute plutôt à propos de Lefkadia.

 

818b2 Philosophe, 2e s. après JC. Villa de Dionysos, Dion

 

Cette statue du deuxième siècle de notre ère est celle de l’un des philosophes trouvés dans la Villa de Dionysos. Dans mon article sur le site archéologique de Dion, j’ai expliqué que ces statues avaient été victimes d’un séisme, l’effondrement d’un plafond les ayant décapitées. Les têtes avaient été laissées sur place dans les décombres du plafond et les corps transportés dans une autre pièce. Un incendie survenu alors a fait abandonner les lieux, sans plus chercher à recoller les têtes ni à reconstruire les bâtiments.

 

818b3a Hydraulis (ancêtre de l'orgue), musée de Dion

 

818b3b Hydraulis, musée de Dion

 

L’archéologue Pandermalis était chargé de fouilles sur le site de Dion. Il écrit : “Au cours de l’été 1992, le creusement destiné à mettre au jour l’intérieur d’un bâtiment datant de la fin du deuxième siècle après Jésus-Christ, situé en face de la villa à la grande mosaïque représentant le triomphe de Dionysos, progressait tout à fait bien. Nombre d’outils et quelques œuvres non terminées nous convainquirent que nous opérions dans un grand atelier ayant travaillé le métal et la pierre. Nous nous étions familiarisés avec cette sorte de trouvailles quand, soudain, le 19 août, nous atteignîmes le plancher du bâtiment et ôtâmes la dernière couche de déblais. C’est alors que nous trouvâmes une rangée de tuyaux de bronze et de grandes plaques de bronze. Cette découverte était très inhabituelle et extrêmement délicate. On prit grand soin pour la transférer de sa position d’origine aux laboratoires des fouilles. Nous ne doutions pas que cet objet fût l’instrument de musique que les anciens Grecs appelaient ’hydraulis’. Héron d’Alexandrie et Vitruve mentionnent cet instrument dans leurs écrits. Les tuyaux de l’hydraulis de Dion sont tous alignés, même s’ils forment deux rangées. L’une des rangées comporte 24 larges tuyaux et l’autre 16 tuyaux étroits. […] Un très rare ornement de verre polychrome fixé à la plaque a une importance extraordinaire. Il est élaboré selon la technique ‘millefiori’ utilisée pour les ustensiles de verre, particulièrement au cours du premier siècle avant Jésus-Christ. Les fins détails de construction des tuyaux orientent vers la même période chronologique. Ces deux faits nous mènent à la conclusion que l’instrument date de la même période. L’hydraulis de Dion est le premier instrument de ce type jamais trouvé en Grèce, et le plus vieux trouvé au monde. C’est l’ancêtre de l’orgue d’église en usage en Occident. Il est très semblable à celui inventé par l’ingénieur Ctésibios d’Alexandrie, et le son qu’il produisait serait certainement ‘doux et joyeux’ (Athénée, Deipnosophistes IV 174b) si nous pouvions encore l’écouter”.

 

818b4 table de marbre (2e s. après JC), musée de Dion

 

Avec son pied représentant une tête et une patte de lion, cette table de marbre du deuxième siècle de notre ère provient de la maison de Léda. C’est un objet remarquable, tant par son esthétique que par sa qualité d’exécution.

 

818c pierre tombale paléochrétienne d'une basilique de Di

 

Sur le site, nous avons vu l’une des basiliques paléochrétiennes. Au quatrième siècle, les chrétiens enterraient encore leurs morts à l’extérieur de la ville, sous les murs ou le long des routes, mais l’usage commençait d’enterrer quelques personnages en ville, près de la basilique. Cette pierre tombale chrétienne provient d’une basilique.

 

818d1 la Muse Terpsichore (2e s. avant JC), musée de Dion

 

Cette statue de femme représente la muse Terpsichore. Elle ne se défait jamais de sa lyre, qu’elle tient ici dans la main gauche, et, en jouant, elle danse en mesure. C’est en effet la muse de la danse. On a vu que le site de Dion,  abondamment arrosé par les eaux qui descendent le l’Olympe, était un endroit chéri des Muses et que leur culte s’était établi ici en même temps que celui de Zeus. Terpsichore est ici représentée se tenant sur le sol rocheux du mont Olympe. Elle date du deuxième siècle avant Jésus-Christ. Puisque je suis souvent amené à parler de l’historien Hérodote et à le citer, je précise que son œuvre historique se répartit en neuf livres, chacun portant le nom d’une muse. Ayant eu au programme de ma licence le livre 5, nommé Terpsichore, dont le cours était assuré par la future académicienne Jacqueline de Romilly, je ne peux manquer d’en faire mention ici. Je n’ai pas oublié de saluer Terpsichore qui a participé avec grâce à mon succès en licence. Je ne suis pas sûr que les visiteurs qui m’ont vu agenouillé devant la statue ont cru que je voulais en prendre une photo en contre-plongée, mais personne n’a appelé l’ambulance psychiatrique…

 

818d2 Aigle du sanctuaire de Zeus Hypsistos, à Dion

 

Nous voici à présent dans la zone des sanctuaires antiques. Cet aigle aux ailes étendues provient du temple de Zeus Hypsistos. Il avait la tête tournée vers Zeus, comme on l’avait vu sur le site, où une copie a été placée là où il a été trouvé.

 

818d3 la déesse Cybèle. Musée de Dion

 

Cette statuette représente Cybèle. Cette déesse d’origine phrygienne honorée dans toute l’Asie Mineure, où elle est appelée la Grande Mère, ou la Mère des Dieux, a assez tôt été considérée par les Grecs comme la forme phrygienne de leur déesse Rhéa qui, avec Cronos, a engendré Zeus et les autres grands dieux. Cette assimilation a permis sa diffusion en Grèce. Elle est souvent, comme ici, représentée sur un trône, et souvent aussi elle est accompagnée de lions qui, lorsqu’elle est montée sur un char, y sont attelés. C’est donc un lion qu’il convient de voir dans l’animal qui se tient ici à ses côtés.

 

818e1 Dion, statue de culte d'Isis Tychè

 

Le sanctuaire d’Isis était très vaste et, comme je l’ai dit dans mon article sur le site archéologique, il a été très bien conservé, protégé par l’eau qui l’a envahi. Je dispose donc de beaucoup de photos d’objets qui y ont été mis au jour. Je commence par cette statue de culte d’Isis Tychè, du deuxième siècle de notre ère.

 

818e2 Isis et Sérapis. Musée de Dion

 

Têtes d’Isis et de Sérapis trouvées dans la zone des sanctuaires. La date n’est pas précisée. Le 7 août 2011, à Héraklion en Crète, j’avais évoqué le retour sur terre d’Osiris, frère et époux chéri d’Isis, sous la forme du taureau Apis, et honoré sous le nom d’Oser-Apis, joignant les deux noms. Mais, parce que les noms propres, en grec, sont toujours précédés d’un article (après tout, les Italiens disent bien “la” Callas ou “il” Caravaggio) et que l’article masculin singulier en grec est “o”, les prêtres grecs ont cru que ce dieu était “le” Sérapis. Quand, après la mort d’Alexandre le Grand, ses généraux se sont partagé l’immense empire qu’il avait conquis, Ptolémée a reçu l’Égypte en partage. Il s’agissait pour lui, un Gréco-Macédonien, de se faire reconnaître et accepter par la population égyptienne. L’occasion lui en a été donnée lorsqu’en songe lui apparut un dieu chevelu et barbu qui lui demandait d’apporter sa statue à Alexandrie. Mais si, mais si, il l’a sûrement rêvé, puisqu’il l’a affirmé. Or une statue ressemblant à cette description existait à Sinope, colonie grecque aujourd’hui en Turquie, plus ou moins au milieu de la côte nord de l’Asie Mineure, sur la Mer Noire. Comme les habitants refusaient de voir partir leur statue, la statue s’est rendue seule, sur ses pieds de pierre, au port où attendait le navire de Ptolémée. Osiris-Apis étant la forme du dieu remontant des enfers gardés chez les Grecs par le chien Cerbère, et la statue de Sinope étant sculptée avec un chien à ses pieds, ce dieu barbu ne pouvait être qu’une des formes d’Hadès, le dieu des enfers. Ainsi, Ptolémée a réussi à créer un dieu syncrétique Sérapis, réunissant le Grec Hadès et l’Égyptien Osiris dans les sanctuaires d’Isis. Et c’était lui, Ptolémée, qui avait rapporté cette statue à Alexandrie, on ne pouvait que reconnaître sa légitimité sur le trône d’Égypte. Parce que c’est au cours du deuxième siècle de notre ère que ce culte s’est répandu d’Égypte vers la Grèce, puis dans le reste du monde romain, et parce que le sanctuaire d’Isis à Dion date de ce deuxième siècle, je peux supposer que ces deux têtes sont de la même époque.

 

818e3 presse-fruits, sanctuaire d'Isis à Dion

 

Trouvé dans le sanctuaire d’Isis, ce presse-fruits date du deuxième siècle de notre ère. J’ai pensé qu’il était intéressant de montrer cet accessoire utilitaire.

 

818e4 statue de culte d'Aphrodite Hypolympiada, à Dion

 

818e5 Aphrodite sur un bélier, offrande votive, Dion

 

Nous avons vu que dans le sanctuaire d’Isis, et près de son temple, il y avait un temple d’Aphrodite Hypolympiada, et la première photo ci-dessus montre la statue de culte de cette déesse. La statue elle-même est du deuxième siècle avant Jésus-Christ tandis que son socle est du deuxième siècle de notre ère. L’autre photo montre une offrande votive, bas-relief représentant Aphrodite chevauchant un bélier.

 

818e6 statue de culte d'Artémis Baphyria, musée de Dion

 

C’est ici Artémis Baphyria, c’est-à-dire Artémis du fleuve Baphyras, qui est représentée. En fait, quoique cette déesse soit, elle aussi, vénérée dans le sanctuaire d’Isis, elle n’en provient pas. Elle provient de son propre sanctuaire d’Artémis Baphyria situé un peu plus à l’est, à l’embouchure du fleuve.

 

818f tête d'une statue d'Hygieia, 1er s. après JC, musée

 

Cette statue d’Hygieia, l’une des filles du dieu médecin Asclépios, provient du sanctuaire de son père. Elle date du premier siècle de notre ère. J’ai montré la statue en pied dans mon article sur le site archéologique, mais je trouve cette sculpture si belle que je ne résiste pas à la tentation d’en publier aujourd’hui la tête en gros plan. À vrai dire, la femme qui a servi de modèle n’est pas exceptionnellement jolie, son nez étant un peu court, mais elle a un tel charme, et le sculpteur a si bien rendu son air pensif, que cela en fait une statue que je ne me lasse pas d’admirer. 

 

818g1 statuette d'Héraklès, musée de Dion

 

Cette statuette d’Héraklès a été découverte dans un sanctuaire rural de Ritini (de Dion, 20 à 25 kilomètres à vol d’oiseau, direction “à 10 heures”). Il est aisément identifiable à sa massue et à la peau du lion de Némée jetée sur son épaule. 

 

818g2 la déesse Némésis, musée de Dion

 

Ce relief votif en marbre représente la déesse Némésis, qui incarne la Vengeance Divine, dont la fonction est de châtier l’excès d’orgueil, de mettre un terme à l’excès de bonheur, bref à maintenir la juste mesure qui est un élément central de la pensée grecque, tout excès en bien comme en mal risquant de bouleverser l’ordre du monde.

 

818g3a Némésis écrase l'injustice. Musée de Dion

 

818g3b Némésis écrase l'injustice (détail d'une statue)

 

818g3c Némésis représente le juste milieu (fragment de s

 

De cette sculpture brisée il ne reste malheureusement que la partie inférieure. C’est un fragment d’une statue de Némésis écrasant sous son pied Adikia (l’Injustice) pour maintenir en équilibre les deux plateaux de la balance.

 

818h1 cratère à figures rouges (4e s. avt JC), musée de

 

Ce cratère à figures rouges de la seconde moitié du quatrième siècle avant Jésus-Christ provient d’une tombe de nord-Piérie, une région semi-montagneuse. Sa grande qualité témoigne du niveau de prospérité de la Macédoine à cette époque.

 

818h2 cratère à figures rouges, musée de Dion

 

On ne remarquerait pas spécialement cette petite poterie à figures rouges présentée dans une vitrine toute pleine d’objets divers en provenance de tombes, si le gardien de la salle ne venait, avec un visage hilare, attirer l’attention sur la scène qui y est représentée. Il est venu vers moi m’inciter à prendre une photo, ce que j’ai fait (la preuve en est ci-dessus). Puis je me suis consacré à regarder d’autres objets et à les photographier. Deux jeunes femmes russophones se sont dirigées vers la vitrine. De nouveau, le garde s’est approché pour leur montrer la poterie. Elles en ont été tellement ravies qu’elles en ont pris de nombreuses photos, puis se sont photographiées mutuellement en gros plan, la tête au niveau de la poterie.

 

818i1 système de suspension des chars grecs

 

818i2 système de suspension des chars grecs

 

Remarquables pour l’époque, les routes n’en étaient pas pour autant parfaitement lisses et égales comme un revêtement d’autoroute. Comme, par ailleurs, les roues des chars n’étaient pas montées sur pneus (John B. Dunlop n’étant pas encore né, il n’avait pu breveter son invention) et que la caisse du char ne pouvait être liée aux roues par le système hydropneumatique créé par Citroën pour les premières DS ni doté d’amortisseurs Allinquant, les longs trajets risquaient d’être assez éprouvants pour les vertèbres des voyageurs. Mais les Anciens étaient beaucoup plus imaginatifs qu’on ne le croit trop souvent, et ils avaient conçu un système de suspension de char qui sera oublié pendant tout le Moyen-Âge et jusqu’à l’époque moderne. Ce n’est qu’après la Renaissance qu’apparaissent des ressorts sur les carrosses. Le musée présente ce dessin explicatif à côté des lanières de cuir restituées dans leurs supports qui, eux, sont authentiques.

 

818i3 clés et serrures de l'Antiquité

 

Puisque j’en suis venu à la technique, voilà ci-dessus une collection de clés et de serrures antiques. Selon leur taille, elles étaient utilisées pour des portes ou pour des coffrets. Là encore, on voit que ces systèmes étaient proches de ceux d’aujourd’hui, beaucoup plus que leurs homologues du Moyen-Âge (comme la clé que je montre dans mon article sur Chlémoutsi, 17 et 18 juin 2011).

 

818j l'empereur Alexandre Sévère (222-235), bronze

 

Provenant de Ryakia (à une trentaine de kilomètres à vol d’oiseau au nord de Dion), cette tête d’une statue de bronze représente l’empereur romain Alexandre Sévère (222-235 de notre ère), cousin de Caracalla (celui des grands thermes de Rome) et successeur du sémite oriental Élagabal, que va suivre une longue période d’anarchie. C’est cette tête qui est destinée à clore l’article d’aujourd’hui.

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21 janvier 2013 1 21 /01 /janvier /2013 02:47

817a1 l'Olympe vu de Dion

 

817a2 l'Olympe vu du site de Dion

 

Commençons par un peu de linguistique. Il me faut d’abord dire que, lorsque j’écris un mot ou une racine que l’on n’a jamais lus dans un texte, mais que l’on a reconstitués scientifiquement, on les fait précéder d’un astérisque (*). Seconde remarque préalable, le grand savant français Émile Benveniste a prouvé que les racines indo-européennes comportaient une voyelle dite alternante, parce qu’elle est tantôt un O, tantôt un E et tantôt absente. C’est ce qu’on appelle le degré O de la racine, ou degré E ou degré zéro. Voyons donc notre racine indo-européenne *dyew-. Avec le -S final du nominatif (forme du sujet), *dyew-s en grec devient Zeus. C’est la même racine que l’on retrouve au degré O et avec la terminaison -M de l’accusatif (complément d’objet) *dyow-m qui, en latin, donne Jovem (les Anglais jurent “by Jove!”), et ce dieu, au nominatif, les Romains l’appellent “père”: *Jov-pater qui devient Jupiter. Tel est le lien, très direct, entre Zeus et Jupiter : Dans l’origine commune entre les Latins, les Grecs, les Gaulois, les Slaves, les Germains, les Perses, etc., c’est-à-dire chez les Indo-Européens, c’était le même dieu (alors que Vénus, par exemple, n’a rien à voir, à l’origine, avec Aphrodite, pas plus que Diane avec Artémis, ou Mars avec Arès). C’est la même racine que l’on retrouve dans le latin dies qui signifie le jour (cf. espagnol día, français diurne, lun-di, mar-di, etc.). Zeus et Jupiter sont donc, à l’origine, des dieux de la lumière et du jour. 

 

Pourquoi je raconte tout cela ? Parce qu’en grec, l’accusatif de Zeus va être au degré zéro *dyw-m. Après consonne, le M se “vocalise” en A, et l’on trouve, chez Homère, la forme Diwa (avec un son W représenté par une lettre appelée digamma, qui ne se prononce plus à l’époque classique, ce qui fait que chez Platon, chez Aristophane, ou plus tard chez Pausanias, on trouve Dia. Et la ville où nous sommes, au pied de l’Olympe où réside Zeus quand il ne court pas après une jolie mortelle, c’est Dion. Cette ville porte donc le nom du grand dieu. Les photos ci-dessus montrent cette imposante montagne, la plus haute de Grèce avec ses 2918 mètres, vue depuis la campagne, puis vue depuis le site antique.

 

817a3a petite église à Dion

 

817a3b petite église à Dion

 

Puisque je montrais l’Olympe au cours d’une balade dans la campagne environnante, j’en profite pour montrer aussi cette petite église qui ne manque pas de charme, tout près des ruines du site.

 

817b Zeus sur un mur à Litochoro

 

Quant à l’Olympe, il faut y grimper. Première étape, Litochoro, petite ville plutôt sympathique, mais qui ne justifie pas vraiment une visite. Témoin, ce Zeus moderne sur un mur, foudre dans la main droite, aigle dans la main gauche. Moustache gauloise, coiffure à la Jésus, pagne africain, ce dieu règne sur l’univers entier. Après Litochoro, une petite route monte vers un parking, à Prionia (altitude 1100 mètres). On nous a vivement déconseillé d’y aller avec le camping-car, la route étant trop étroite, trop petite. Je ne sais si nous avons eu raison de suivre ce conseil. Du parking, le chemin se fait uniquement à pied, deux heures et demie pour le refuge à 2100 mètres, et encore deux heures et demie pour le refuge suivant, le tout représentant un peu plus de onze kilomètres. Ou six heures pour parcourir quinze kilomètres par un autre chemin. Pour nous qui aurions dû partir non de Prionia mais de Litochoro à 300 mètres d’altitude, l’ascension aurait été très rude, avec nécessité de passer la nuit là-haut. Nous avons renoncé.

 

817c1 mur de la cité de Dion

 

817c2 mur de la cité de Dion

 

817c3 mur de la cité de Dion et cimetière

 

Dion, c’est la ville sacrée des Macédoniens. Après chaque victoire, Alexandre le Grand, comme son père Philippe II, venait y offrir à Zeus et aux Muses des sacrifices grandioses. J’aurai l’occasion d’en reparler quand j’aborderai les sanctuaires. Mais Dion, c’est aussi une grande ville enfermée dans ses murs. Ces murailles, à la base de pierre de trois mètres d’épaisseur, étaient montés ensuite en brique crue jusqu’à une hauteur de sept à dix mètres et encerclaient un périmètre de 2625 mètres. Ils ont été construits à la fin du quatrième siècle avant Jésus-Christ par Cassandre, le premier roi à succéder à Alexandre le Grand. Les sanctuaires, qui attiraient des foules considérables, étaient situés hors les murs, pour disposer de suffisamment d’espace. Et de même, selon une tradition bien établie chez les Macédoniens comme chez les Grecs, les cimetières étaient hors de la ville. Ci-dessus, les murs de la ville et, sur la troisième photo, on voit un sarcophage.

 

817c4 Dion, rue principale

 

817c5 Dion, rue principale

 

La toute première mention de Dion se trouve chez Thucydide. Dans mon précédent article sur Platamonas, je disais la route suivie en 424 avant Jésus-Christ par le Spartiate Brasidas pour rejoindre en Chalcidique son allié Perdiccas II, le roi de Macédoine. “Il gagna Phakion, puis la Perrhæbie. Là, les guides thessaliens le quittèrent, ce furent les Perrhæbiens, sujets des Thessaliens, qui le conduisirent à Dion, ville appartenant à Perdiccas, située au pied de l’Olympe, dans la partie de la Macédoine qui fait face à la Thessalie”. À la fin du siècle, Archélaos, roi de Macédoine de 413 à 399, en même temps qu’il transfère sa capitale administrative d’Aigai (Vergina aujourd’hui) à Pella, fait de Dion la capitale religieuse du royaume, et il y instaure de grandes manifestations religieuses et des compétitions sportives et artistiques.

 

Après les campagnes victorieuses, Philippe et Alexandre avaient coutume de remercier les dieux en se rendant à Dion pour offrir des sacrifices, comme je le disais tout à l'heure. Dion Chrysostome (vers 30-vers 116) y fait allusion : “Ils étaient à Dion en Piérie, de retour de campagne et étaient en train de sacrifier aux Muses et de célébrer la fête olympique, que l’on dit être une ancienne institution dans ce pays, quand Philippe, au cours de la conversation, posa à Alexandre cette question…” [au sujet de sa passion pour Homère].

 

Quelques mois après avoir rasé Thèbes révoltée, Alexandre délibère au cours de l’hiver 335-334 avant Jésus-Christ au sujet de son projet de campagne d’Asie. C’est Diodore de Sicile (premier siècle avant Jésus-Christ) qui le raconte : “ Antipater et Parménion furent d'avis que le roi devait d'abord engendrer des héritiers avant de s'engager dans une entreprise aussi difficile. Mais Alexandre, dont l'activité ne supportait aucun délai, s'opposa à ce conseil. ‘Il serait honteux, disait-il, que le généralissime de la Grèce, héritier d'armées invincibles, s'arrêtât pour célébrer des noces et attendre des naissances d'enfants.’ Il instruisit ensuite de ses projets les membres du conseil, les exhorta à la guerre et ordonna de pompeux sacrifices à Dion en Macédoine, il célébra des joutes scéniques en l'honneur de Zeus et des Muses, joutes instituées par Archélaos, un des rois ses prédécesseurs. Ces solennités eurent lieu pendant neuf jours, et chaque jour était consacré à une des Muses. Le roi fit construire une tente contenant cent lits, il y traitait ses amis, ses officiers et les délégués des villes grecques. Il donna des repas splendides, distribua aux soldats la chair des victimes et tout ce qui compose un repas. Il fit ainsi reposer l'armée de ses fatigues”. Par ailleurs, le testament d’Alexandre stipulait son souhait que fût édifié à Dion un grand temple à Zeus.

 

Polybe parle de l’année 220 (l’Étolie est une région montagneuse du sud-ouest de la Grèce centrale) : “Il y avait déjà longtemps que les Etoliens étaient las de vivre en paix et sur leurs propres biens, eux qui étaient accoutumés à vivre aux dépens de leurs voisins, et qui ont besoin de beaucoup de choses, que leur vanité naturelle, à laquelle ils s'abandonnent, leur fait rechercher avec avidité. Ce sont des bêtes féroces plutôt que des hommes, sans distinction pour personne, rien n'est exempt de leurs hostilités. Cependant tant qu'Antigonos vécut, la crainte qu'ils avaient des Macédoniens les retint. Mais dès qu'il fut mort, et qu'il n'eut laissé pour successeur que Philippe, qui n'était encore qu'un enfant, ils levèrent le masque […]. Scopas, ayant avec un corps d'Etoliens traversé la Thessalie, se jeta sur la Macédoine, porta le ravage dans les plaines de Piérie, et fit marcher vers Dion tout le butin qu'il avait fait. Comme les habitants avaient abandonné cette ville, il en renversa les murailles, les maisons et l'académie. Il mit le feu aux galeries qui étaient autour du temple, il réduisit en cendres tous les présents qui y étaient, ou pour l'ornement ou pour la commodité de ceux qui venaient aux fêtes publiques, et abattit les tableaux des rois. Quoique dès le commencement de la guerre il eût attaqué les dieux aussi bien que les hommes, quand il fut de retour en Étolie, loin d'être puni de ses impiétés, on l'y regarda comme un homme qui avait bien mérité de la république, on l'y reçut avec de grands honneurs, on n'en parla qu'avec admiration”. Suite à ce sac de la ville, les murs ont été réparés.

 

En 169, c’est la conquête romaine racontée par Tite-Live. “La position [du général romain] était telle que, s'il avait eu affaire à un ennemi de la trempe des anciens rois de Macédoine, il était menacé d'un grand désastre; mais le roi [Persée] qui parcourait les côtes avec sa cavalerie dans les environs de Dion […] ne songea ni à augmenter ses forces, […] ni à assister en personne à l'action, où sa présence était si importante. Le général romain, au contraire, malgré ses soixante ans et son excessif embonpoint, remplissait tous les devoirs d'un bon général. […] Le roi était, dit-on, au bain, lorsqu'on lui annonça l'arrivée de l'ennemi. À cette nouvelle, il se lève tout à coup avec effroi et s'élance hors de sa chambre en s'écriant qu'il est vaincu sans combat. Dans sa frayeur il prend à la fois mille résolutions et donne mille ordres contradictoires. Il fait partir deux de ses amis, l'un pour Pella, où étaient déposés ses trésors, l'autre à Thessalonique […]. Il fait ensuite charger sur sa flotte toutes les statues d'or de Dion, pour les soustraire à l'ennemi et les fait transporter précipitamment à Pydna. [Le général romain décide] de passer au milieu des ennemis pour pénétrer jusqu'à Dion en Macédoine, projet presque impossible à exécuter si les dieux n'avaient frappé le roi d'aveuglement. En effet, du pied du mont Olympe jusqu'à la mer il y a un peu plus d'un mille, or une moitié du terrain est envahie par le débordement des eaux du fleuve Baphyros qui a là son embouchure, une autre partie sert d'emplacement au temple de Jupiter et à la ville. L'espace qui reste est fort étroit, et il était facile de le fermer par un fossé et un retranchement; on avait même sous la main assez de pierres et de bois pour élever une muraille ou des tours. Mais Persée, aveuglé par la frayeur, ne réfléchit à rien, dégarnit ses postes, laissa tous les passages ouverts à l'ennemi et se réfugia à Pydna […]. Lorsqu'il vit que tous les chemins étaient libres, il se mit en marche, s'avança sans obstacles jusqu'à Dion et fit dresser son camp à la porte même du temple, pour prévenir la profanation du saint lieu. Il entra ensuite dans la ville. Il trouva, malgré son peu d'étendue, un grand nombre d'édifices publics et de statues; elle était en outre très bien fortifiée, aussi pouvait-il à peine croire que l'abandon si peu motivé d'un pareil poste ne cachât point quelque piège”.

 

La ville a été identifiée par Leake en 1806, visitée par Heuzey en 1861 et 1865, et fouillée à partir de 1928 par intermittence. C’est loin d’être achevé. En 1983, a été créé un musée archéologique pour recueillir les nombreuses trouvailles. Il fera l’objet de mon prochain article, mais je vais utiliser aujourd’hui quelques-unes des photos que j’y ai faites.

 

817d1 Dion, théâtre hellénistique

 

 

Près de la route, on peut voir le théâtre hellénistique, dont la cavea ne s’appuie pas sur une pente naturelle du terrain comme c’est l’habitude dans le monde grec, mais sur un remblai artificiel, et ses gradins étaient en brique, mais aujourd’hui des bancs de bois qui défigurent la ruine permettent, chaque été, des représentations de pièces antiques et, parfois, d’autres manifestations artistiques. Les fouilles ont mis au jour, dans les couches profondes sous le théâtre, des monnaies du temps d’Amyntas III (roi de Macédoine de 393 à 370 avant Jésus-Christ), laissant penser qu’un théâtre antérieur existait ici, où probablement ont été représentées les pièces d’Euripide, hôte du royaume où l’a invité le roi Archélaos Premier (413-399), où il a écrit ses dernières pièces (Archélaos et Les Bacchantes) et où il est mort en 406, tué, dit-on, par les chiens du roi, une nuit qu’il rentrait tard au palais sans prendre garde. En s’approchant, il est encore plus laid, je préfère ne le montrer que de loin. Dans mon livre sur Dion écrit par un archéologue et édité en 1997, il y a une photo aérienne du théâtre qui le montre sans ses hideux habits de bois noir.

 

817d2a Dion, théâtre romain

 

817d2b Dion, théâtre romain

 

Mais il y a aussi, à quelques centaines de mètres de là, un petit théâtre romain –une vingtaine de mètres de diamètre– construit au deuxième siècle après Jésus-Christ, probablement du temps de l’empereur Hadrien, dans l’enceinte du sanctuaire de Zeus Olympien. Ses gradins étaient en pierre mais, comme en témoigne ma première photo, ils ne sont plus en place. Si l’on monte sur la butte qui les supportait, on peut accéder à l’arrière du théâtre et voir le couloir semi-circulaire qui court autour.

 

817d3 Dion, bains d'époque romaine

 

Non loin, ces ruines sont celles de petits thermes avec des pièces de service, des pédiluves, deux salles de bain chaud (caldarium), une de bain tiède (tepidarium) et une de bain froid (frigidarium). À l’exception des colonnettes de brique de la salle de chauffe (hypocauste), je dois bien avouer que sans le panneau sur le site j’aurais eu bien du mal à identifier l’usage de chacune des pièces…

 

817d4a Dion, les grands bains (fin 2e s. de notre ère)

 

817d4b Dion, les grands bains (fin 2e s. de notre ère)

 

817d4c Dion, les grands bains (fin 2e s. de notre ère)

 

Parmi les nombreux établissements de bains que comptait la ville à l’époque romaine impériale (une dizaine ont déjà été mis au jour), ces thermes construits vers l’an 200 de notre ère sont de loin les plus importants et les plus grands. Parce que les citoyens passaient, presque tous les jours, plusieurs heures aux thermes, se rencontrant entre amis ou connaissances, s’y distrayant, s’y soignant, il y avait, outre les piscines chaudes ou froides, des salles de soins et massages, des salles de sport, et même un petit odéon où pouvaient se donner des concerts ou des lectures publiques, et un sanctuaire d’Asclépios où ont été mises au jour les statues de ses enfants, deux hommes (Machaon et Podaleirios) et quatre femmes (Hygieia, Aiglè, Panakeia et Akéso).

 

817d5a Dion, latrines publiques

 

 

817d5b Dion, latrines publiques

 

Sans compter, évidemment, les salles utilitaires comme les vestiaires ou les sanitaires. On accédait à la salle des W.C. par une petite porte et là, autour d’un sol en mosaïques, des banquettes de marbre sont percées de trous circulaires. Devant, une rigole recueillait les urines. Dans un angle, venant des bassins des thermes juste à côté, une grosse conduite de brique déversait le torrent des eaux des bains qui étaient renouvelées de façon continuelle, de façon que le courant emporte tout vers les égouts. Une anecdote. Natacha était plus loin, regardant, faisant ses photos. Un groupe de Russes (ou russophones) écoutait avec plus ou moins d’attention, le boniment monocorde de leur guide. Moi, j’étais en train de rechercher mon angle pour la photo ci-dessus, l’hypocauste vu à travers un court tunnel, et il semble que je n’aie pas été remarqué car quand le groupe s’est éloigné, laissant les lieux déserts, deux jeunes femmes sont restées en arrière, puis vite, vite, l’une d’elles a baissé son short en riant, s’est assise sur l’un des sièges tandis que sa compagne, pouffant elle aussi, la prenait en photo. On s’amuse comme on peut !

 

817e Dion, complexe hôtelier

 

Une grande ville reçoit aussi des visiteurs et pour ce faire elle est pourvue en hôtellerie. Dans les ruines ci-dessus, les fouilleurs ont découvert une inscription en latin se rapportant à la construction et à l’équipement d’un prætorium (accueil des officiels) et de deux tabernæ (logement des voyageurs privés), ce qui a permis d’identifier sans doute possible la destination des bâtiments. On a pu ainsi localiser d’un côté le prætorium, avec sa luxueuse salle à manger (triclinium) et cinq chambres à coucher, et de l’autre côté les tabernæ avec deux grandes pièces sur couloir, des jarres, les lampes à huile d’un chandelier. Entre ces deux parties, un espace tout en longueur était peut-être l’écurie. Par ailleurs on a découvert, à côté, des toilettes publiques.  

 

817f1 Dion, villa de Dionysos

 

817f2 Dion, villa de Dionysos

 

817f3 Dion, villa de Dionysos

 

817f4 Dion, villa de Dionysos, tête de Méduse

 

À côté de ces toilettes, on arrive à un très grand bâtiment privé datant des alentours de l’an 200 de notre ère et dont les fouilles commencées en 1982 sont toujours en cours, la ferme-villa dite “de Dionysos” en raison de ce que l’on y a trouvé, une statue de Dionysos dans une salle au sol de mosaïque représentant le dieu tenant un sceptre, et qui devait être une chapelle de culte et par ailleurs la salle de banquets, dont le sol de 100 mètres carrés a conservé intacte sa mosaïque, Dionysos sortant de l’eau sur son char tiré par des panthères. Le dieu est couronné de lierre, il tient dans une main une coupe de vin en forme de corne et dans l’autre son thyrse. Des statues de philosophes, antérieures de plus de deux siècles au bâtiment, avaient été transportées dans la salle des banquets, leurs têtes restant dans l’atrium où la chute du plafond due à un séisme les avait décapités. La salle des banquets contenait aussi les matériaux apportés pour la reconstruction, mais un grand incendie a fait déserter la ferme-villa, seule une petite partie, modeste, ayant été remise en état, sans doute pour la partie exploitation agricole. Du temps de sa splendeur, le complexe comprenait des thermes (premier plan de ma première photo ci-dessus), un atrium avec un puits au milieu (deuxième photo), la salle des banquets dont je viens de parler (troisième photo, malheureusement on est tenu à distance par un grillage), la salle de culte domestique avec Dionysos, et aussi une bibliothèque, des boutiques, des ateliers d’artisans, et de nombreuses autres pièces. Ma quatrième photo représente une superbe tête de Méduse en mosaïque provenant de la villa, mais qui est maintenant au musée.  

 

817f5 Dion, maison de Léda et maison de Zosa

 

817f6 Léda et le cygne, musée de Dion

 

817f7 Mosaïque de la maison de Zosa, musée de Dion

 

D’autres maisons privées dans un autre secteur. Ce complexe, ce sont les maisons de Léda et Zosa. Léda, parce que l’on y a retrouvé des statues (dont on aperçoit vaguement des copies sur ma première photo), parmi lesquelles celle de ma seconde photo, qui est maintenant au musée et qui représente Léda aimée de Zeus venu à elle sous l’apparence d’un cygne. On se rappelle que par la suite elle a eu des relations avec son mari Tyndare et que la conséquence de ces deux accouplements a été la naissance, dans deux œufs (dus au cygne), de jumeaux demi-dieux, Pollux et Hélène, et de jumeaux complètement humains, Castor et Clytemnestre. Dans le temple des Leucippides (cousines de Castor et Pollux), à Sparte, on pouvait voir les deux moitiés d’une coquille d’œuf géant qui avait été pondu par Léda. C’est également au musée que j’ai vu cette jolie mosaïque de ma deuxième photo, provenant de la maison de Zosa.

 

817g1 Dion, basilique du cimetière

 

817g2 mosaïque de sol, basilique paléochrétienne, Dion

 

817g3 Basilique du cimetière, Dion

 

Lorsque les tremblements de terre du quatrième siècle ont détruit nombre de bâtiments, entraînant le départ de la quasi-totalité de la population et l’abandon de la ville, le christianisme était déjà implanté, et plusieurs églises paléochrétiennes ont laissé leurs ruines. La plus grande d’entre elles était cette basilique à trois nefs et à abside semi-circulaire, à laquelle était accolé un cimetière où quatre tombes ont été mises au jour. Datant de la seconde moitié du quatrième siècle, elle était presque neuve lorsque les séismes l’ont abattue. La mosaïque du sol de ma photo date de cette époque. Après sa destruction, elle a été rebâtie sur les décombres, deux mètres plus haut, elle est alors devenue le centre de ce qui restait de la ville et seule une partie a été réservée au culte, d’autres parties ont accueilli un pressoir à raisin, une réserve de blé. Dans l’un des espaces, on a retrouvé plusieurs centaines de pièces de monnaie, d’où on a conclu que ce devait être le trésor de l’église.

 

817h1 cours d'eau à Dion

 

 

817h2 rivière, à Dion

 

On l’a vu, l’eau est omniprésente sur le site, et c’était le cas dans l’Antiquité, même avant que les séismes et les mouvements de terrain qu’ils ont entraînés fassent déborder les rivières, en changent le cours et transforment les lieux en marécages. Nous sommes au pied d’une haute montagne, et les eaux de ruissellement se dirigent vers la mer toute proche. Là-haut sur l’Olympe siègent les dieux autour de Zeus qui, à l’origine, était le dieu du jour, de la pluie et du climat, et en conséquence de la nature et de la fertilité, c’est pourquoi l’eau était essentielle dans son culte. Or, avec Mnémosynè avec qui ici en Piérie il s’est uni neuf nuits de suite, Zeus a engendré les neuf Muses, et les Muses aiment la nature et l’eau, elles aiment se baigner dans les eaux du Baphyras, fleuve de Piérie qui coule à Dion. Cet aspect de la nature à Dion explique que s’y soit établi un culte de Zeus et des Muses, auprès duquel viendront s’agréger d’autres divinités. Ce Baphyras est une résurgence de l’Hélicon (aujourd’hui l’Ourlia), fleuve qui descend de l’Olympe. Voici ce qu’en dit Pausanias, notre infatigable voyageur :

 

“Les Macédoniens qui habitent la Piérie au pied du mont Olympe, et la ville de Dion, assurent que c'est là qu'Orphée fut tué par les femmes. En allant de Dion à la montagne, lorsque vous avez fait vingt stades, vous trouvez à votre droite une colonne sur laquelle est une urne de marbre qui renferme les os d'Orphée, à ce que prétendent les gens du pays. Le fleuve Hélicon continue son cours pendant soixante-quinze stades, plus loin il disparaît et coule sous terre pendant vingt-deux stades au plus, et reparaissant ensuite, il prend le nom de Baphyras au lieu de celui d'Hélicon, et devient navigable jusqu'à la mer. Les habitants de Dion disent qu'autrefois ce fleuve coulait entièrement à découvert, mais que les femmes qui avaient tué Orphée, voulant s'y laver du sang dont elles étaient souillées, il se cacha alors sous la terre, afin de ne pas fournir de l'eau pour les purifier de ce meurtre. Voici encore ce que j'ai entendu raconter à Larisa. Il y avait sur le mont Olympe, du côté de la Macédoine, une ville nommée Libèthre, le tombeau d'Orphée n'en était pas éloigné. L'oracle de Dionysos, dans la Thrace, avait prédit aux Libéthriens que leur ville serait détruite par un sanglier, lorsque le soleil verrait les os d'Orphée. Ils ne firent pas grande attention à cet oracle, ne croyant pas qu'un animal, quelque terrible qu'il fût, pût renverser leur ville, et moins encore un sanglier, qui a beaucoup plus d'audace que de force. Cependant, lorsque les dieux le jugèrent convenable, voici ce qui arriva. Un berger s'étant appuyé vers le milieu du jour contre le tombeau d'Orphée, s'endormit, et il se mit en dormant à chanter les vers d'Orphée d'une voix forte et agréable. Ceux qui faisaient paître leurs troupeaux ou qui labouraient la terre dans les environs, laissant chacun leurs travaux, s'assemblèrent autour du berger pour écouter ce qu'il chantait en dormant. Il arriva, je ne sais comment, qu'en se poussant les uns les autres, et en se disputant à qui serait le plus près, ils renversèrent la colonne, l'urne qui était dessus se brisa en tombant, et le soleil vit les restes des os d'Orphée. Dès la nuit suivante il tomba du ciel une pluie si abondante, que le fleuve Sus [en grec, le mot sus désigne le porc ou le sanglier], qui est un des torrents de l'Olympe, s'enfla tellement qu'il renversa les murs de Libèthre, les temples des dieux, les maisons des habitants, et ensevelit dans ses eaux les hommes et tout ce qu'il y avait de vivant dans la ville. Les Libéthriens ayant ainsi tous péri, les Macédoniens de Dion, ajouta mon hôte de Larisa, apportèrent dans leur pays les os d'Orphée”.

 

817h3 libellule bleue à Dion

 

817h4 grenouille à Dion

 

Cet écosystème aquatique est extrêmement riche en animaux de toutes sortes, dont certaines espèces spécifiques, comme cette libellule bleue. Les oiseaux pullulent, et on voit aussi dans le marécage des batraciens comme cette grenouille.

 

817i1 autel du grand temple de Zeus Olympien à Dion

 

817i2 hécatombe offerte à Zeus Olympien, Dion

 

Commençons notre petit tour des sanctuaires anciens par celui du maître des lieux, Zeus Olympien. On n’a pas, ou pas encore, dégagé son temple, seulement des pans de mur de l’enceinte du sanctuaire, mais on a complètement mis au jour le grand autel des sacrifices (photo ci-dessus). On y réalisait des hécatombes (“hécaton” signifie “cent” et “bous” désigne le bœuf, ou le bovin. Une hécatombe est donc le sacrifice de cent bœufs). Sur le site, un dessin représente l’autel et une cérémonie de sacrifice. Comme je le trouve bien fait, ce dessin, conforme aux descriptions que l’on peut lire dans les textes antiques et que l’on peut voir sur des bas-reliefs, j’ai eu envie de le photographier et de le montrer ici. 

 

817i3 sanctuaire de Zeus Hypsistos, Dion

 

817i4 sanctuaire de Zeus Hypsistos, Dion

 

817i5 Statue de culte de Zeus Hypsistos, à Dion

 

817i6 statue d'Héra, temple de Zeus Hypsistos, Dion

 

Dans un tout autre secteur, à cinq ou six cents mètres, se trouve un autre temple du maître de l’Olympe, celui de Zeus Hypsistos. Les sculptures qui ont été retrouvées ont été mises à l’abri au musée, mais des copies ont été replacées là où se trouvaient les originaux dans l’Antiquité. Ma troisième photo montre la statue de culte de Zeus, qui avait seulement basculé derrière son socle. Il s’agit d’une œuvre d’époque impériale, mais inspirée par la statue chryséléphantine réalisée à l’époque classique par Phidias pour le temple de Zeus à Olympie. Il y avait auprès de lui un aigle aux ailes étendues, la tête tournée vers le dieu. Utilisée comme matériau de construction, on a retrouvé dans le mur de fortification une statue d’Héra (ma quatrième photo), de même taille et de même style que celle de Zeus, taillée dans la même pierre. Il est plus que probable qu’elle figurait dans le temple aux côtés de celle de son royal époux.

 

817j1 temple de Déméter à Dion

 

817j2 temple de Déméter à Dion

 

817j3 tête de Déméter (4e s. avant JC), musée de Dion

 

817j4 Baubo, musée de Dion

 

Non loin se trouve le temple de Déméter. Sous le temple, on a retrouvé l’objet le plus ancien de tout le site, une gemme du quinzième siècle avant Jésus-Christ. Quant aux bâtiments, on a aussi identifié les restes des plus anciennes constructions sacrées du site, mais qui remontent “seulement” à la fin du sixième siècle avant Jésus-Christ. Ces bâtiments du sanctuaire ont été remplacés à la fin du quatrième siècle par deux temples doriques. La tête de la déesse dont on voit la copie sur le site (deuxième photo) et dont l’original est au musée (troisième photo) confirme l’attribution à Déméter. Les archéologues ont mis au jour trois puits, qui évoquent le puits sacré d’Éleusis où Déméter a rencontré les filles du couple royal (cf. mon blog daté 8 mars 2011 au sujet d’un grand relief au musée archéologique d’Athènes). Le sanctuaire est resté fréquenté pour son culte jusqu’au quatrième siècle de notre ère.

 

Le 23 août 2011, au sujet d’Éleusis, je racontais comment Déméter avait refusé le potage proposé par Baubô, comment cette dernière, vexée, lui avait montré son derrière, comment Iacchos avait éclaté de rire et comment, l’entendant, Déméter avait souri et accepté le potage. Cette statue du musée, sur ma quatrième photo, dont une copie a été replacée sur le site là où l’original se trouvait, représente cette Baubô, que l’on honorait dans le temple pour avoir déridé la déesse.

 

817j5 sanctuaire d'Isis à Dion

 

817j6 bas-relief d'Isis, musée de Dion

 

817j7 Dion, sanctuaire d'Isis, empreintes de fidèles

 

Venons-en au sanctuaire d’Isis. Le lit du fleuve, qui s’est déplacé depuis, a recouvert le sanctuaire dans l’Antiquité à la suite des séismes et des inondations du quatrième siècle de notre ère. C’est, d’une certaine manière, ce qui l’a protégé, certaines statues étant encore en place, debout et intactes. Mais lors des fouilles, très pénibles dans le marécage, il arrivait souvent que des coulées de boue viennent ensevelir ce que l’on venait de mettre au jour. Il a été nécessaire de détourner le fleuve et de pomper l’excédent d’eau. C’est Artémis, déesse de la nature et de l’enfantement, qui était honorée ici à l’origine. Le temple d’époque classique dédié à Artémis a accueilli à sa place, au deuxième siècle avant Jésus-Christ, la déesse égyptienne Isis, patronne des enfantements comme avant elle Artémis, et dont le culte était en pleine expansion en Grèce. Ce temple a été reconstruit de fond en comble au deuxième siècle après Jésus-Christ. Les bâtiments comportaient plusieurs temples, et dans la façade du temple principal le bas-relief d’Isis (ma deuxième photo) était encastré, avec son chapeau, un épi de blé dans la main droite, un sceptre dans la main gauche. Il est aujourd’hui au musée. Comme sont aussi au musée de nombreuses pierres comme celle de ma troisième photo, représentant des empreintes de pieds de fidèles qui ont été offertes à la déesse.

 

On distingue mal sur ma première photo deux murets bas et parallèles menant au temple (partant du bord droit de ma photo et passant devant les colonnes), entre lesquels courait de l’eau pour évoquer le Nil. À la gauche du temple d’Isis on trouve le temple d’Aphrodite Hypolympiada (“Au-dessous de l’Olympe”). À l’époque hellénistique, l’eau d’une source sacrée a été captée, conduite sous la statue de culte d’Aphrodite Hypolympiada, et débouchait dans la citerne du temple d’Isis. Derrière, il y avait un petit temple d’Isis-Tychè (protectrice de la ville, cf. mes explications dans mon article sur Corinthe, 8-10 avril 2011). Au quatrième siècle de notre ère, un violent tremblement de terre a jeté le temple à bas. Divers indices montrent que sa reconstruction avait commencé, mais d’autres séismes entraînant de grandes inondations ont fait renoncer à d’autres travaux, et le sanctuaire n’a plus été fréquenté.

 

En ce même quatrième siècle, nous avons vu que la basilique paléochrétienne avait été détruite par ces mêmes séismes, et qu’une reconstruction avait également été entreprise. Cela signifie que la population était partagée entre chrétiens et païens, que le culte du Christ côtoyait celui d’Isis. En fait, le culte à mystères de cette déesse qui a fait ressusciter Osiris, son aspect de Providence, tout cela lui permettait de ne pas choquer la foi de nouveaux convertis au christianisme.  

 

817k1 sanctuaire d'Asklepios à Dion

 

817k2 Hygieia, musée de Dion

 

Je ne peux tout montrer. Nous avons parcouru ce très vaste site en long, en large et en travers pendant de nombreuses heures, et j’ai accumulé beaucoup de photos. Il me faut faire un choix. Aussi, je terminerai avec ce petit temple d’Asclépios Sauveur. J'ai déjà évoqué un autre sanctuaire d'Asclépios et de ses enfants dans les grands thermes. Le culte de ce dieu a été pratiqué ici dans un sanctuaire qui existait depuis la fin du quatrième siècle avant Jésus-Christ ou, au plus tard, depuis le début du troisième, mais c’est surtout à partir de l’époque impériale que son culte a pris de l’importance à Dion. L’eau, dont nous avons vu l’abondance et la présence partout en ces lieux, était un élément essentiel dans les thérapies, aussi est-il naturel de trouver ce dieu ici. Dans l’enceinte du sanctuaire, il y avait aussi des chambres où dormaient les pèlerins dans l’espoir que, leur apparaissant dans leur sommeil, Asclépios les guérirait, et des toilettes publiques. La découverte d’une statuette d’Hygieia (ma seconde photo), dont le nom signifie “santé”, prouve qu’elle était également honorée dans ce sanctuaire. Il s’agit d’une copie d’une statue attique du quatrième siècle avant Jésus-Christ la représentant avec un serpent sur les épaules. Quant à la suite, elle sera dans mon prochain article concernant le musée de Dion…

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18 janvier 2013 5 18 /01 /janvier /2013 19:44

 816a1 gorges de Tempé

 

816a2 gorges de Tempé

 

Hier, après avoir achevé notre visite des monastères des Météores, nous avons décidé de ne pas nous attarder davantage, et nous avons mis le cap à l’est. Repassant par Larisa, nous sommes allés voir (mais sans y croire) si par hasard les travaux du musée seraient terminés, et bien évidemment les portes étaient toujours closes. Nous avons donc poursuivi notre route qui nous a fait traverser les belles gorges de Tempé (comme, en grec, le groupe de lettres MP se prononce soit comme notre B, soit M B, ce nom est parfois transcrit en français TEMBÉ, comme il se prononce en grec). La route à chaussées séparées occupe tout le fond de la gorge, de sorte que pour avoir une belle vue il faudrait passer par des chemins à flanc de coteau. Il ne nous restait pas d’autre solution que de nous garer sur une aire de repos le long de la route et de prendre ces photos à vrai dire bien peu intéressantes, la première vers l’ouest, l’intérieur du pays et l’autre vers l’est, la mer (N.B.: vu le décalage entre le moment où j'ai rédigé cet article et la date où je le poursuis, plus de six mois, j'ai eu l'occasion de repasser ici dans l'autre sens et de prendre ds photos plus significatives. Il y aura donc un autre article sur ces gorges). Deux minutes, et nous sommes repartis. Je suppose que pour tracer la route on a dynamité les parois, car dans l’Antiquité les gorges étaient beaucoup plus étroites si j’en crois Tite-Live parlant de la conquête romaine de la Macédoine mais qui a vécu de 59 avant Jésus-Christ à 17 de notre ère : “Les gorges de Tempé sont en tout temps de difficile accès. Outre que la route, sur un espace de cinq milles, est si resserrée qu'une bête de somme peut à peine y passer avec son bagage, elle est bordée de rochers tellement taillés à pic qu'on ne peut guère regarder en bas sans éprouver des éblouissements et des vertiges. Le fracas du Pénée, qui roule ses eaux profondes à travers la vallée, vient encore ajouter à la terreur”. À l’arrivée sur la côte, nous avons effectué une petite balade dans le bourg de Platamonas, très orienté tourisme, et avons passé la nuit après avoir garé notre camping-car sur un grand parking du port.

 

816b1 Château de Platamonas

 

816b2 Château de Platamonas

 

Ce matin, nous avons prévu la visite du château dit “franc” de Platamonas. Mais nous avons d’abord voulu le voir de loin pour mieux en apprécier l’ensemble, et nous nous sommes donc rendus sur une autre colline. En effet, concernant une construction de cette époque, quand on emploie le mot de château il ne désigne pas un bâtiment compact (château de Versailles, de Chambord, de Chenonceau), mais une enceinte fortifiée qui renfermait une ville avec des habitations et des églises, sans exclure un donjon destiné à assurer la sécurité des habitants. Sur ces photos, on voit comment il est juché sur une colline pour surveiller les environs et parer aux attaques.

 

816b3 accès au château de Platamonas

 

816b4 accès au château de Platamonas

 

816b5 accès au château de Platamonas

 

Après cette vue d’ensemble, nous avons tourné nos roues vers le château. Du parking près de la route, un chemin bien tracé et cimenté, avec des marches, permet, de nos jours, un accès facile. Les portes ne fermant qu’à 15 heures, nous avons le temps de visiter tranquillement. Scylax de Caryanda, un grand géographe qui a vécu à cheval sur la fin du sixième siècle avant Jésus-Christ et le début du cinquième (selon Hérodote, “pour savoir où se termine l’Indus, [Darius I] confia des navires à […] Scylax de Caryanda”. Mais il a aussi étudié des pays plus proches de son pays d’origine –la Carie, en Asie Mineure– et parle de notre région), Scylax, donc, écrit que, “après le fleuve Pénée, se trouve le peuple des Macédoniens et le golfe Thermaïque. La première ville des Macédoniens est Héracleion”. Or le Pénée, c’est ce fleuve que nous avons vu du haut des Météores, coulant dans la plaine de Thessalie, mais c’est lui aussi qui a creusé la gorge de Tempé pour se frayer un chemin vers la mer. Et la première ville dont on a retrouvé des ruines juste au nord de l’estuaire du Pénée, c’est Platamonas. D’où l’identification d’Héraclée avec l’emplacement de notre château.

 

Un peu plus tard, en 424 avant Jésus-Christ, au cours de la Guerre du Péloponnèse, le Spartiate Brasidas envisage de se rendre en Thrace et en Chalcidique pour s’attaquer aux colonies athéniennes. Thucydide nous dit qu’il est passé par Pharsale (intérieur du pays, à la hauteur de Volos), par Phakion (situation discutée mais probablement à l’ouest de Larissa, au sud du Pénée) et par la Perrhæbie (nord-ouest de la Thessalie) avant de gagner Dion. Regardant une carte actuelle, je comprends bien quelle a été sa route, plus ou moins par Elassona où passe la route n°03, puis à travers le défilé d’Agios Demetrios dans les gorges de l’Olympe sur la route n°13, et par Petra et Litochoro, d’où il est redescendu vers Dion. Plutôt que de suivre le chemin de l’actuelle autoroute par les gorges de Tempé et de suivre ensuite la côte vers le nord, il a choisi une route plus longue et plus difficile, ce qui a fait penser aux historiens que sur la colline de Platamonas une citadelle Athénienne (c’est-à-dire Héracleion) veillait.

 

816b6 accès au château de Platamonas

 

816c1 Vue depuis le château de Platamonas

 

816c2 l'Olympe, vu depuis le château de Platamonas

 

Si l’on franchit la porte de la ville, on se rend compte que la place domine une large baie à l’est, et se situe au pied de l’Olympe à l’ouest. Venons-en à l’époque de la conquête romaine, en 169 avant Jésus-Christ. Cette fois-ci, c’est Tite-Live qui nous en parle. “Le consul fit partir Popilius de Phila pour Héraclée avec deux mille hommes. Cette ville, bâtie sur un rocher qui domine le fleuve, est à cinq milles environ de Phila, entre Dion et Tempé. […] Popilius, de concert avec la flotte mouillée sur le rivage, commença le siège par terre et par mer”. Là encore, aucun doute, il convient d’identifier Héracleion avec Platamonas.

 

816d1 murs de Platamonas

 

816d2 murs de Platamonas

 

816d3 murs de Platamonas

 

Faisons un saut jusqu’à l’époque de Justinien. L’historien byzantin Procope (vers 500-560) ne parle pas des murs de Platamonas. Cela a fait dire à des spécialistes qu’après la destruction romaine de 169 avant Jésus-Christ, et jusqu’au cinquième siècle de notre ère, la ville n’a pas connu de vie. Mais cette thèse est démentie par les données de l’archéologie, car si personne n’avait vécu là, on ne comprendrait pas pourquoi le sol contenait de nombreux fragments de céramique d’époque pré-justinienne (quatrième et cinquième siècles) et d’époque justinienne (sixième siècle) ainsi que beaucoup de pièces de monnaie de ces deux mêmes époques. En outre, des fouilles récentes près du port ont mis au jour des traces de bâtiments de la même époque pré-justinienne. De toutes ces données, on peut conclure qu’Héracleion (ou Héraclée) se composait à l’origine d’un noyau urbain et de satellites (l’acropole d’un côté, le port de l’autre), que les Romains ont détruit le noyau et que le site a dès lors été abandonné. Mais au début de la diffusion du christianisme, vers le quatrième siècle, s’est développé un nouvel établissement, de l’acropole au port. Et cet établissement paléochrétien a pris le nom de Platamonas en remplacement du nom païen d’Héracleion.

 

Selon le pourtant célèbre dictionnaire anglais Liddle-Scott, il faudrait voir dans le mot Platamon (ancien nom de Platamonas) platys aigialos, “wide shore”, soit en français “vaste rivage”. Or, si cette interprétation convient au paysage, elle n’en est pas moins clairement fantaisiste car je ne vois pas comment le second terme aurait pu évoluer phonétiquement en “-amon”. En revanche, on trouve le mot platamôn dans l’hymne homérique à Hermès (vers 127), et selon mon fidèle dictionnaire grec-français de Bailly, le mot désigne une “surface plane, bord plat le long de la mer, d’où grève”, et je me demande s’il ne faudrait pas plutôt chercher de ce côté-là.

 

816e Platamonas, maison

 

Ci-dessus, une ruine de maison. Lors de notre visite de la Sicile, et notamment à Palerme, j’ai amplement parlé des Normands d’Hauteville, de Robert Guiscard et de Roger, de leur conquête de tout le sud de l’Italie dans la seconde moitié du onzième siècle, puis de leurs successeurs. C’est sur les Arabes qu’en cette fin de onzième siècle la Sicile a été conquise. À la cour de Roger II (1105-1154) vivait le prince Abdallah Mohamed al-Idrisi (né année de l’Hégire 493 / ou 1099 après Jésus-Christ, mort en 1154), descendant du Prophète, qui a étudié à Córdoba (Cordoue). Ce musulman cultivé, qui a visité l’Europe, le Maghreb, l’Asie Mineure, est un géographe distingué venu vivre à la cour de Sicile, à Palerme, à la demande de Roger II. En ce haut Moyen-Âge, le lustre du roi tient en partie à la qualité artistique ou scientifique de son entourage. Après avoir réalisé, en argent, une sphère céleste et un disque représentant le monde connu, il est chargé par le roi d’effectuer une description du monde habité à partir d’observations et pas seulement de la compilation de livres. Aussi Idrisi décrit-il d’après ce qu’il a vu personnellement, mais aussi d’après ce que rapportent des émissaires, envoyés partout où il doit compléter ou vérifier ses informations. Selon lui, Platamonas est “une cité florissante dont les maisons sont remarquables et jouissent d’admirables espaces de vie, dans une région agréable disposant d’abondantes ressources. Dans son port, on peut voir de nombreux navires à l’ancre, et d’autres qui arrivent”.

 

816f Platamonas, citerne

 

Je montre rapidement la citerne ci-dessus, et je continue avec l’histoire du château. Un demi-siècle plus tard, en 1198, un édit de l’empereur de Byzance Alexis III accorde des privilèges aux Vénitiens de “l’épiscopal Platamonas”, l’adjectif épiscopal désignant une région liée à la famille impériale et bénéficiant d’un statut fiscal particulier. Puis c’est 1204 et la Quatrième Croisade détournée qui prend et met à sac Constantinople, puis repartant vers l’ouest les Francs établissent un royaume à Thessalonique et s’emparent de Platamonas. Ils entreprennent de grands travaux, abattent l’entrée paléochrétienne et construisent en style gothique tardif celle que nous voyons. En très peu d’années, ils réalisent tant de changements que la tradition fait de ce château un château franc. Ce qu’il n’est pas. Voilà pourquoi, au début de cet article, j’ai placé “franc” entre guillemets. D’ailleurs, dès 1217, un Comnène d’Arta (ouest de la Grèce) reconquiert Platamonas, placée sous le despotat d’Épire. Un siècle plus tard, en 1333, Andronikos III Paléologue (né en 1297, empereur de Byzance de 1328 à 1341) prend la ville à son tour, aux dépens de l’Épire. C’est lui qui, en 1334-1335, va construire le donjon octogonal que je montrerai tout à l’heure.

 

816g1 Platamonas, église

 

816g2 Platamonas, église

 

Dans le courant du quatorzième siècle, les murs de l’église de ma première photo sont décorés de fresques, l’église de ma deuxième photo passe d’une travée à trois, par la construction d’absidioles de part et d’autre de l’abside centrale, avec les nefs correspondantes. À la même époque, les cimetières se remplissent. Il y a donc eu un fort accroissement de la population. À une date inconnue mais en tous cas postérieure à 1386, les Turcs prennent Platamonas. En 1425 les Vénitiens parviennent à les en chasser et, selon un capitaine vénitien qui a pris part à l’assaut, ils l’ont réparé et amélioré. Mais deux ans plus tard, au terme de négociations financières, le château est restitué aux Turcs. Ailleurs, le pouvoir ottoman a généralement abattu les murs, mais ici au contraire il les a rehaussés pour se protéger des Klephtes de l’Olympe et des pirates côté mer. Par ailleurs, la restauration de trois églises au dix-septième siècle prouve que vivait dans ces murs une communauté chrétienne, conjointement avec une garnison turque. Mais au dix-huitième siècle, la menace klephte s’intensifiant, on chasse les Grecs de Platamonas et on ne maintient qu’une garnison turco-albanaise autour d’un dépôt d’armes et d’une poudrière. Pour se reloger, les Grecs créent alors des villages sur les pentes de l’Olympe.

 

Passons au dix-neuvième siècle. Pendant les années 1812 à 1815, une terrible épidémie de peste ravage le pays. La garnison turco-albanaise s’en va et le château est presque à l’abandon. En 1826, Pouqueville (je parle de ce très intéressant personnage dans mon article sur Gytheio, 11 au 13 mai 2011) décrit environ 150 bâtiments turcs en bois et, en 1827, le diplomate Félix de Beaujour (1765-1836) note dans son Voyage militaire dans l’Empire Ottoman publié deux ans plus tard que “la centaine plus ou moins de maisons en bois qu’entoure le mur rend difficile le maniement d’armes et de troupes à l’intérieur du château”. Dans la seconde moitié du dix-neuvième siècle, il n’y avait plus que seize maisons pour 25 artilleurs dotés de cinq canons et le château tombait en ruines. Aussi, lors du soulèvement de 1878, le commandant de la garnison turque a préféré livrer le château aux rebelles, sans tenter un impossible combat.

 

816h1 donjon du château de Platamonas

 

816h2 accès au donjon de Platamonas

 

Notre visite de Platamonas ne se prête guère à la présentation de photos suivies d’un commentaire. J’ai préféré éparpiller quelques photos au cours de mon récit historique. Et puisque j’ai dit un peu plus haut que j’allais montrer le donjon octogonal construit par l’empereur Andronikos en 1334-1335, le voici. Comme on peut le constater, il est enfermé dans sa propre fortification, au sein du château qui est lui-même enclos dans sa muraille. Comme les poupées russes.

 

816h3 dans l'enceinte du donjon de Platamonas

 

816h4 donjon du château de Platamonas

 

Les deux photos ci-dessus sont prises de l’intérieur de la fortification du donjon, montrant la même porte de l’autre côté, et le donjon de près. Il semble qu’il ait été possible , il y a quelque temps, de le visiter, mais aujourd’hui il est en travaux, on ne peut y pénétrer ni même accéder à son escalier. Tout au plus gravir l’escalier du rempart pour voir sa porte…

 

Il me reste donc à présent à finir mon histoire. En 1881, la Thessalie voisine rejoint la Grèce. Juste de l’autre côté, aux confins sud de la Macédoine, le château de Platamonas devient un gardien de la frontière turque, ce qui lui vaut en 1897 d’être abondamment bombardé par les Grecs lors de la guerre gréco-turque, obtenant le départ de la garnison qui, cependant, reviendra par la suite car, lors de la cession de la Macédoine à la Grèce en 1912, il y avait 40 familles turques et albanaises qui seront évacuées lors de l’échange de populations.

 

1941. Les Nazis entrent en Grèce. Les troupes néo-zélandaises se retranchent dans le château, où elles essuient un sévère bombardement de la part de l’armée allemande. Enfin, lors de la Guerre Civile (1948-1949), l’armée a ouvert des brèches dans le mur est pour recevoir son ravitaillement par voie maritime. Telle a été l’histoire très mouvementée de cette ville et de ce château qui n’a été franc que treize années à peine malgré l’appellation qu’on lui attribue.

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17 janvier 2013 4 17 /01 /janvier /2013 12:31

815a1 la montagne de l'autre côté des Météores

 

Parmi les lieux les plus célèbres de Grèce, les fabuleux Météores avec leurs monastères perchés sur des rochers inaccessibles sont en concurrence avec le Parthénon, le théâtre d’Épidaure ou le sanctuaire de Delphes. Ils constituent un passage obligé de tous les circuits organisés. Lorsque nous sommes arrivés, dimanche soir, un orage a éclaté, mais auparavant nous avons vu, sur la montagne de l’autre côté, un ciel magnifique.

 

815a2 Le Pénée dans la plaine de Thessalie

 

Mais d’abord, on traverse la grande et riche plaine de Thessalie avant d’arriver à Kalambaka, la ville des Météores. Dans la plaine coule le Pénée dans sa large vallée.

 

815b1 Au-dessus de Kalambaka, les Météores

 

815b2 Les Météores au-dessus de Kalambaka

 

815b3, les Météores

 

Et puis, face à la montagne, posés dans la plaine, les gigantesques rocs des météores dominent la ville. Et c’est là, au sommet de ces rochers inaccessibles, que se sont installés des monastères. Le livre que j’ai acheté au sujet de ces monastères, rédigé par un éminent savant qui a déchiffré, recopié et interprété un nombre incalculable de manuscrits des monastères écrit dans son introduction “Les géants de pierre météorites se dressent silencieux et immuables […]. La forêt de pierres célestes forme…” etc., etc. En effet, un météore (phénomène tel que l’arc-en-ciel ou la queue de comète) n’est pas la même chose qu’une météorite (élément tombé du ciel). Mais passons sur ce problème de vocabulaire. Notre éminent savant voit en ces rocs des pierres tombées du ciel. Il est vrai que la terre reçoit chaque jour (oui, chaque jour) une centaine de tonnes de météorites, mais les deux tiers environ sont des poussières entre le dixième de milligramme et le gramme. Lorsqu’il a neigé en pleine campagne, loin de la pollution atmosphérique, et que l’on note sur la neige de minuscules grains de poussière grise, il s’agit de météorites. Il en est, il est vrai, de grande taille. Chaque année, plusieurs milliers de météorites de plus d’un kg tombent sur la terre, certaines atteignant cent kilogrammes, et il en est qui peuvent être si grosses que sous l’impact elles creusent un cratère. En 1908, à Toungouska en Sibérie, une gigantesque météorite a provoqué un terrible ébranlement dont l’onde de choc a abattu tous les arbres de la forêt dans un rayon de 20 kilomètres, et des dégâts ont été constatés jusqu’à cinq fois plus loin. La météorite d’Hoba, en Namibie, pèse 66 tonnes et mesure 2,70 mètres de long sur 90 centimètres d’épaisseur. Toutefois, il est totalement irréaliste et anti-scientifique de considérer qu’un même endroit a pu recevoir en tir groupé un flux d’aussi énormes météorites qui n’auraient pas explosé lors de l’impact et seraient restées fichées verticalement dans le sol. Pas plus les Dolomites d’Italie que les Météores de Grèce ne sont des météorites. Notons quand même que notre savant, écrivant dans un livre préfacé par le métropolite de Stagi et par l’archimandrite higoumène du monastère du Grand Météore, ne dit nulle part, et ne tente pas de laisser penser, que c’est Dieu qui a lancé là ces pierres pour que les moines puissent y bâtir leurs monastères. Il se limite à en faire un phénomène astronomique.

 

815c1 au nord-ouest de la Thessalie, les Météores

 

815c2 En Thessalie (Grèce), les célèbres Météores

 

Nulle part je n’ai trouvé d’explication claire et scientifique de cette formation géologique. En recherchant sur Internet, j’ai trouvé des tas de choses qui se contredisent, sous la plume –ou plutôt sous le clavier– de personnes qui ne sont pas réellement qualifiées. Néanmoins, de tout ce que j’ai lu, il ressort que l’explication la plus probable est celle-ci : la mer ayant occupé la plaine de Thessalie, y a laissé un terrain calcaire. Mais des aiguilles de grès (trouvant leur origine soit dans la compression de galets et sables alluvionnaires, soit dans des remontées éruptives) se sont trouvées enchâssées dans les couches calcaires. Les secousses sismiques ont fracturé cet ensemble, l’exhaussement du sol a créé un massif, puis l’érosion a éliminé le calcaire plus tendre, ne laissant que les aiguilles de grès. Cette explication, déduite d’éléments épars trouvés sur des sites qui paraissent plus fiables, me semble la plus plausible.

 

815d Grottes où ont vécu des ermites, dans les Météores

 

Certaines de ces roches sont truffées de niches comme celles qui apparaissent sur ma photo. C’est que des ermites y ont vécu, dès le onzième siècle semble-t-il. L’espace y est si réduit que le type de vie choisi par ces hommes pouvait s’apparenter à celui des stylites, ces autres ascètes qui vivaient au sommet d’une colonne sur laquelle ils ne pouvaient s’allonger.

 

815e1 monastère du Grand Météore

 

Mais ce sont de vrais monastères qui se sont établis au sommet des Météores. Les moines choisissent généralement des lieux retirés pour se tenir loin des turbulences du monde et pouvoir se consacrer à la prière et à le vie contemplative. Mais ici, ce n’est pas le fond d’une vallée qu’ils ont choisi, ni le milieu d’une forêt, c’est le sommet d’un mont inaccessible, aux parois abruptes, et qui s’élève à 300 ou 400 mètres au-dessus de la plaine. Plus d’une vingtaine de monastères ont été édifiés au quatorzième siècle dans ce genre de situation, mais plusieurs ont été reconstruits au seizième siècle et la plupart ont disparu aujourd’hui. Seuls, six d’entre eux sont encore habités, et sont ouverts aux visiteurs. Nous commençons par le monastère du Grand Météore (photo ci-dessus). Dans la ville située en Grèce centrale, à une centaine de kilomètres nord-ouest d’Athènes à vol d’oiseau et nommée Néopatras aux époques byzantine et ottomane, et qui n’est plus aujourd’hui que le village d’Ypati qui compte moins de mille habitants, est né en 1302 un garçon du nom d’Andronic. Très tôt orphelin, ce jeune homme cultivé et lettré voit en outre sa ville investie par les Catalans en 1318. Comme il a un oncle à Thessalonique, il va se réfugier chez lui, et de là il gagne le Mont Athos, puis Constantinople où il fréquente plusieurs illustres ascètes, et après un séjour en Crète il revient vers l’âge de trente ans au Mont Athos où il est initié à la vie monastique par deux anachorètes, Moïse et Grégoire. Il devient diacre puis prêtre, prenant en religion le nom d’Athanase. Mais au Mont Athos, les incursions des Turcs sont incessantes (ils ne s’installeront à Constantinople que 120 ans plus tard, en 1453), aussi Athanase part-il vers ces Météores, absolument déserts, accompagné de Grégoire, son père spirituel. Dix ans plus tard, Grégoire s’en va, Athanase se retire dans une grotte. En 1340, il s’établit au sommet de ce Grand Météore où nous sommes. Il travaille à y créer un ermitage, accueille et organise une communauté monastique, établit la règle cénobitique (du grec koinos+bios soit vie en commun, dans un monastère, par opposition aux anachorètes qui vivent individuellement leur face à face avec Dieu). Telle est l’origine du lieu que nous visitons.

 

(815e2 monastère du Grand Météore

 

815e3 monastère du Grand Météore

 

815e4 monastère du Grand Météore

 

Inaccessibles, disais-je. On se gare sur le parking, et puis on entame une longue montée par des pentes et des escaliers interminables. Les moines, eux, restent en principe dans leur monastère, mais il y a des cas où ils doivent bien se rendre dans le monde, pour consulter un médecin, pour acquérir telle denrée, tel matériau indispensable, etc. Alors pour gagner du temps, il y a plus rapide, moins fatigant et plus commode que d’effectuer tout ce trajet de descente puis de remontée. On s’installe dans ce filet, et hop, ce haut dénivelé de ma troisième photo n’est un problème que pour qui aurait le vertige. Je crois que ce système n’est plus utilisé, mais un moteur électrique auquel sont reliés les câbles jouxtant le vieux cabestan de bois désaffecté signifie que l’usage du filet n’a pas cessé au dix-septième siècle… Selon un hymnographe, “Le filet dit aux moines : Faites attention ! je vous élève non seulement du sol sur la montagne mais aussi sur les cieux”.

 

815f1a l'église du monastère du Grand Météore

 

815f1b l'église du monastère du Grand Météore

 

Le catholicon, église du monastère, est dédié à la Transfiguration du Christ (en grec, Metamorphosis). Tout comme les Orthodoxes, les Catholiques célèbrent la Transfiguration, mais l’événement est beaucoup plus souvent représenté chez les Orthodoxes, et multiples sont les églises et monastères de Grèce qui lui sont consacrés. Un premier catholicon dédié au Christ Sauveur avait été construit de ses mains par Athanase, qui meurt à 78 ans vers 1380. Or une partie de l’église, écroulée, a dû être reconstruite dès 1387-1388, et on en profite pour l’agrandir en longueur et en hauteur. Ce sera l’œuvre du successeur d’Athanase. Ce successeur qu’il avait désigné, Jean Comnène Paléologue né vers 1349, avait pour mère la fille du despote d’Épire et pour père un descendant des Paléologue empereurs de Byzance, lui-même roi gréco-serbe de Thessalie et d’Épire. Dès l’âge de 10 ans, Jean est proclamé co-roi par son père. Et quand, vers 1370, meurt ce dernier, Jean lui succède naturellement sur le trône. Mais à une date située entre novembre 1372 et juin 1373, Jean confie le pouvoir à un dignitaire du régime et se retire comme moine au Grand Météore, auprès d’Athanase, prenant en religion le nom de Joassaf. Il n’a alors que 22 ans environ. Et il en a 31 ou 32 quand il prend en charge ce monastère dont, bientôt, il va reconstruire l’église que nous voyons. Mais au seizième siècle l’essor du monastère est considérable et, en 1544-1545 , sont construits la nef et le narthex. D’admirables fresques sont peintes en 1552 mais, alors que la photo est libre dans les locaux de vie et de circulation, elle est malheureusement interdite dans l’église, et c’est pourquoi je ne peux rien en montrer ici.

 

815f2 fresque dans le monastère du Grand Météore

 

Cette fresque-ci étant dans un espace extérieur, j’ai pu la photographier mais, quoiqu’elle soit belle, elle ne vaut pas la splendeur, la variété, l’originalité de celles du catholicon.

 

815f3 Talanton (signaux sonores), monastère Gd Météore

 

Lors de l’occupation turque qui a duré ici presque un demi-millénaire, le pouvoir ottoman a manié conjointement une cruauté raffinée (par exemple, têtes coupées, et même d’innocents, pour montrer qui est le maître) et une certaine tolérance. C’est ainsi que dans les territoires occupés par les Vénitiens les populations grecques, à quasiment cent pour cent orthodoxes, subissaient de violentes pressions pour se convertir au catholicisme et que leurs églises passaient au culte romain, alors que quand les Turcs s’en emparaient, ils se contentaient de transformer en mosquées les plus grandes églises et laissaient les Grecs à leur christianisme orthodoxe dans leurs monastères et leurs autres églises. De même quand, au seizième siècle, l’Espagne a chassé les Juifs de son territoire, le sultan les a accueillis volontiers et leur communauté a pu si bien prospérer jusqu’au vingtième siècle que lors de la Seconde Guerre Mondiale les Nazis ont pu s’en donner à cœur joie dans l’horreur pour leur funeste besogne. Toutefois, aussi longtemps qu’a duré l’Empire Ottoman, et jusqu’à l’accession d’Atatürk (Mustapha Kemal) au pouvoir, l’Islam a été religion officielle, les non Turcs pouvaient sans problème accéder aux plus hautes fonctions mais à la condition de se faire Musulmans, et les autres religions devaient toujours rester discrètes et ne pas déranger la religion d’État. C’est ainsi qu’en Grèce les églises post-byzantines sont d’aspect généralement modeste extérieurement. Par ailleurs, le seul appel à la prière devait rester celui du muezzin du haut du minaret, aussi les campaniles étaient-ils prohibés, ainsi que les cloches. Pour tous les appels, que ce soit pour la prière, pour les repas, ou autres, les monastères utilisaient donc le talanton, cette lourde planche de bois frappée du marteau qui y est rangé (le manche est passé dans un trou), selon des rythmes codés. Comme Noé qui, exécutant l’ordre de Dieu, frappa une planche de bois pour donner aux animaux le signal d’entrer dans l’arche pour échapper au déluge, de même le son émis par cette planche signale l’heure du service sacré afin que le fidèle entre dans la “Nouvelle Arche Sainte”, l’église du Christ, et soit sauvé du déluge du péché.

 

Lorsque l’Empire Ottoman est devenu une république laïque, le monastère a pu utiliser, à la place du talanton de bois, cet objet métallique semi-circulaire que l’on voit au premier plan.

 

815f4a celliers du monastère du Grand Météore

 

815f4b celliers du monastère du Grand Météore

 

La très intéressante visite du monastère nous a menés dans ses caves. On peut y voir un vieux pressoir. Il ne convient pas de s’affoler en voyant l’épaisse poussière qui le recouvre, aucun jus ne sortira des grappes de raisins qui s’y trouvent car elles sont fausses. Par ailleurs le chai présente tonneaux et tonnelets, et divers outils d’autrefois.

 

815f5a cuisine du monastère du Grand Météore

 

815f5b cuisine du monastère du Grand Météore

 

Par ailleurs, il y a la cuisine, grande pièce carrée dont le toit est en forme de dôme, avec un trou au centre pour l’évacuation de la fumée. Logiquement, c’est au centre du sol que l’on trouve le foyer. Tout autour, posés à terre, suspendus aux murs, sur des étagères, de multiples ustensiles et récipients, en cuivre, en bois, en terre cuite, permettent de se faire une idée de ce qu’utilisaient les moines dans le passé.

 

815f6 Remise de Thessalonique à la Grèce, 26 octobre 1912

 

Il y a un musée, où la photo est interdite. Mais dans une longue galerie, où je n’ai vu aucun panneau d’interdiction, j’ai manié ouvertement mon appareil, et personne ne m’a rien dit. Je peux donc supposer avoir agi légalement, et être en droit de publier mes photos. Ci-dessus, une gravure représente la remise de Thessalonique à la Grèce par l’Empire Ottoman le 26 octobre 1912. Puisque nous nous rendrons dans quelques jours ou quelques semaines dans cette ville qui est la deuxième du pays, j’aurai alors l’occasion de parler plus en détail de cet événement, mais dès aujourd’hui je veux dire que la légende a tort de parler de Thessalonique. Les Turcs avaient changé son nom en Salonique (en turc, Selanik). Le jour de la remise, la ville n’a pas encore repris son nom historique.

 

815f7 chute en tentant de mettre le drapeau nazi sur le Gra

 

Une autre gravure montre ce soldat nazi qui, ayant tenté d’escalader le Météore pour y planter son drapeau à croix gammée à la place du drapeau grec, a basculé dans le vide et va s’écraser sur les rochers. On aperçoit aux mains d’un moine en soutane noire, là-haut au-dessus d’une chapelle du monastère, un drapeau bleu et blanc qu’il brandit.

 

815g1 Monastère de Varlaam (Météores)

 

815g2 Monastère de Varlaam (Météores)

 

815g3 Monastère de Varlaam (Météores)

 

Après le Grand Météore, nous nous rendons au monastère de Varlaam. Ce nom, c’est celui d’un anachorète, ascète, contemporain de saint Athanase, le fondateur du monastère du Grand Météore dont je viens de parler. Nous sommes donc dans la seconde moitié du quatorzième siècle. Ce moine s’installe sur le “météore” situé juste en face de celui d’Athanase, mais reste seul, semble-t-il. Il ne fonde pas de monastère. Pourtant, après lui, une communauté a dû se créer ici, qui a perpétué son nom. Ce sont deux frères originaires de Ioannina, Théophane et Nectaire, qui vont créer au seizième siècle un monastère et y construire le catholicon. À noter que ce Nectaire-là n’a rien à voir avec le patron de la magnifique basilique romane de Saint-Nectaire dans le Puy-de-Dôme, ce dernier ayant évangélisé ce coin d’Auvergne à la fin du troisième siècle, près de 1300 ans avant notre Nectaire de Varlaam. Ils écrivent “Avec le consentement de l’éminentissime métropolite de Larissa et du révérendissime higoumène du saint et royal monastère du [Grand] Météore, nous avons été autorisés alors d’occuper le rocher de Varlaam. Étant donné que sur ce rocher il y avait auparavant une église […], mais que le temps et l’abandon avaient ruinée, nous l’avons rebâtie de fond en comble. Nous avions l’intention de l’élargir et de l’embellir, mais par peur des autorités d’occupation nous n’avons pas osé l’agrandir davantage”. Rappelons que les Turcs, à cette époque, occupent la Thessalie depuis un peu plus d’un siècle. En 1541, le gros œuvre est terminé. En 1543, Théophane tombe gravement malade. Dix mois se passent jusqu’à ce qu’en mai 1544, malgré sa faiblesse, il se lève de son lit et, progressant péniblement en s’appuyant sur sa canne, il arrive au catholicon qui vient d’être achevé. Il est émerveillé et dédie l’église à tous les saints, félicite tous ceux qui ont participé à la construction et retourne sur son lit, où il meurt.

 

815g4 Monastère de Varlaam (Météores)

 

 

815g5 Monastère de Varlaam (Météores)

 

815g6 Monastère de Varlaam (Météores)

 

Son frère Nectaire, qui lui survivra jusqu’en 1550, fait décorer en 1548 l’église de fresques, que je ne montre pas, la photo étant interdite ici aussi dans le catholicon. Considérant la vigueur du dessin, le réalisme des détails minutieux hérités de l’art italien, la palette de couleurs, les spécialistes n’ont aucun doute pour reconnaître en l’artiste Frangos Catelanos, un Thébain qui est l’auteur de fresques dans un monastère du Mont Athos, l’artiste de Varlaam. D’autant plus que le catholicon lui-même a été bâti sur un plan typique des églises du même Mont Athos. J’en suis réduit à montrer ce plafond d’une belle salle sous ogives qui abrite aujourd’hui la librairie et boutique de souvenirs. Dans le musée, je n’ai pas pu non plus prendre de photos, je me limite donc à évoquer une extraordinaire bibliothèque de 290 manuscrits dont certains remarquablement enluminés. Ce monastère de Varlaam était célèbre pour ses ateliers de calligraphes, de copistes, de décorateurs. Il possède aussi quelques incunables rares. Précisons que ce que l’on appelle incunable n’est plus un manuscrit. C’est un livre imprimé, mais dans les tout débuts de cette technique, entre l’invention de Gutenberg (vers 1450) et la date arbitraire de 1501.

 

815g7a monastère de Varlaam, ancien outil aratoire

 

815g7b agriculture ancienne, monastère de Varlaam

 

815g7c anciennes méthodes agricoles, Chili 1986

 

Dans une pièce du monastère, on peut voir cette planche munie à sa partie inférieure de dents métalliques. Une carte postale montrant son usage autrefois a été collée dessus (seconde photo), mais cela m’a rappelé qu’au milieu des années 1980, alors que je travaillais au Chili, j’ai vu quelque chose de semblable et par chance j’ai emporté sur mon disque dur une photo que j’ai faite à l’époque dans le sud du pays (à l’époque je faisais des diapositives, mais j’en ai scanné quelques unes ces dernières années). Ce n’est pas parce qu’en Grèce la planche est utilisée en longueur et tirée par un âne alors qu’au Chili elle est en largeur et attelée à des bœufs que la différence est bien grande.

 

815g8a Monastère de Varlaam, tonneau de 12000 litres (16e

 

815g8b dans le tonneau de 12000 litres (monastère de Varla

 

Dans cette même pièce une gigantesque barrique l’occupe tout entière. C’est un tonneau qui contenait douze mille litres de vin. J’ai pu, par la petite ouverture laissée pour les curieux, glisser mon appareil photo et, sans craindre que l’éclair détériore les couleurs car le vin ne jouissait du spectacle d’aucune fragile fresque, j’ai donné un coup de flash. L’intérieur est aussi impressionnant que l’extérieur. Mais puisque l’on a pu constater que la barrique était vide, on comprendra que j’aie pu continuer à marcher droit pour me diriger vers le monastère suivant.

 

815h1 Monastère de Roussano (Météores)

 

815h2 Monastère de Roussano (Météores)

 

815h3 Monastère de Roussano (Météores)

 

Le monastère suivant, c’est Roussano. Un peu de marche à pied sur la route sous le soleil, puis de la vallée on suit un chemin qui monte dans la forêt vers le sommet d’un rocher d’où un escalier et une passerelle enjambent une faille pour atteindre ce monastère, autrefois uniquement accessible par une longue, longue échelle de corde. Ce monastère de religieuses, lui, occupe la totalité du sommet de ce rocher très aigu. En perte de vitesse à partir du début du vingtième siècle, après la Seconde Guerre Mondiale la situation a empiré jusqu’à ce qu’il ne reste plus qu’une seule et unique religieuse, la sœur Eusébie, qui est restée dans cet isolement pendant presque vingt ans, jusqu’à son décès en 1971. Restauré dans les années 80 par le service des antiquités byzantines, il a vu revenir des religieuses. On a ici une ambiance différente, plus sympathique, plus humaine. Dans les deux monastères d’hommes que nous avons vus précédemment, il n’y a que des laïcs pour percevoir le droit d’entrée, pour tenir la boutique, pour avoir un œil sur les vagues de touristes qui déferlent et pour s’assurer qu’on ne prend pas de photos. Juste une fois, un moine a traversé une cour, rapide comme l’éclair et a disparu. Ici, dans ce monastère de femmes, tout est différent. L’ambiance est humaine. Les religieuses tiennent seules les lieux. À l’entrée ou dans la boutique, ces femmes au visage strictement encerclé dans leur austère voile noir vous accueillent avec un large sourire, vous disent quelques mots. Une autre, devant une table installée dans un couloir, peint des miniatures sur des pierres. Hélas, ici comme ailleurs, la photo des fresques du catholicon est interdite, mais sans garde-chiourme dans votre dos.

 

815h4 Sainte Barbara au monastère de Roussano

 

On ne sait rien de l’origine du monastère. Diverses hypothèses ont été avancées pour expliquer son nom, mais la plus vraisemblable est que c’est le nom d’un anachorète qui a occupé ce rocher, ou du moine qui a construit le catholicon. Le premier occupant a dû arriver à la fin du quatorzième siècle ou au début du quinzième mais le monastère tel qu’on le connaît a été construit dans les années 30 du seizième siècle par les moines Joassaf et Maxime, deux frères originaires de Ioannina. Les fresques, elles, ont été achevées en 1560 alors que les fondateurs étaient déjà morts parce que l’on dispose, pour cette date, du nom d’un autre higoumène, Arsène. Le monastère a servi, en 1757, de refuge pour des habitants de Trikala qui y ont échappé aux violences du pacha  turc. En 1897, une guerre a opposé Grecs et Turcs et s’est achevée par la défaite des Grecs, ce qui a mis en grand danger de représailles la vie de Grecs de Kalambaka et de Kastraki, les deux villes au pied des Météores, qui ont eux aussi trouvé refuge à Roussano. Je n’ai pas trouvé à quelle date ni du fait de quelles circonstances ce monastère est devenu un couvent de femmes, mais comme le montre la photo ci-dessus on y a une grande dévotion envers sainte Barbara quoique le catholicon reste dédié à la Transfiguration. Un mot au sujet du nom de Barbara. En français, l’accent tonique étant toujours sur la dernière syllabe prononcée, il est sur le troisième A. En anglais, c’est sur le A initial (cf. Barbra Streisand, où le second A était si faible qu’il a disparu). En grec, non seulement c’est le contraire, avec l’accent tonique sur la syllabe du milieu, mais la consonne Bêta (B) ayant évolué phonétiquement vers Vita (V), cette sainte s’appelle Varvára. Je rappelle enfin ce que j’avais dit de son nom lorsque, dans mon article daté 21 juin 2011, j’avais raconté sa vie. Après que le propre père de cette jeune Perse née à Baalbek lui a tranché la tête sur ordre du gouverneur, ses camarades sont allées réclamer le corps et, pour donner une impression de distance et ne pas l’appeler par son nom de baptême, elles ont demandé “la jeune barbare”, “barbara” sans majuscule. Et elle a été ensevelie, puis canonisée, sous ce nom.

 

815i1 le monastère d'Agios Nikolaos (Météores)

 

Notre quatrième monastère, c’est celui de Saint Nicolas Anapafsas. Comme on s’en rend compte d’après ma photo, le rocher est étroit et son sommet est exigu, de sorte que les bâtiments se sont développés sur plusieurs étages. On suppose que ce monastère, dont le nom dérive du verbe anapauomai, se reposer, a dû commencer à exister avec une vie organisée au début du quatorzième siècle, mais ce qui est sûr c’est qu’en 1392 au plus tard il était fondé parce qu’un document de l’époque en fait mention. Au tout début du seizième siècle, le métropolite de Larisa se retire comme simple moine dans ce monastère et il y passe ses derniers jours (il mourra en mars 1510) en restaurant les bâtiments et en construisant le catholicon. C’est lui qui sera canonisé sous le nom d’agios Dionysios Eleimon (saint Denis le Miséricordieux). Un autre moine, Nikanor, terminera la construction et, en 1527, sont peintes de merveilleuses fresques par un célèbre peintre, Théophane Strélitzas, né à Héraklion de parents peintres du Péloponnèse qui ont émigré en Crète lorsque leur pays a été investi par les Turcs. Il est considéré comme le chef de l’école crétoise, et les fresques du catholicon de Saint Nicolas sont sa plus ancienne œuvre connue. Je suis très triste, encore une fois, de n’avoir pu prendre de photos, et tout particulièrement une scène qui se réfère à la Genèse (“L'homme donna des noms à tous les bestiaux, aux oiseaux du ciel et à toutes les bêtes sauvages”), où l’on voit Adam au milieu des animaux dans le Paradis Terrestre, en train de nommer chacun d’eux.

 

815i2 Météores, en montant vers Agios Nikolaos

 

En montant vers le monastère, on passe devant une petite chapelle troglodyte où il est possible de prendre des photos mais, à part le fait qu’elle occupe une caverne naturelle de la roche –peut-être agrandie de main d’homme–, elle n’est pas bien originale… Nulle part je n’ai trouvé d’information à son sujet, mais je suppose qu’à l’origine elle a servi de logement à quelque anachorète.

 

815i3 De la terrasse du Monastère St Nicolas (Météores)

 

Lorsque l’on est sur la terrasse de ce petit monastère, on a une belle vue sur le paysage. Et l’on aperçoit, en bas sur le parking, tout petit comme un jouet d’enfant, notre camping-car qui nous attend. Mais cela permet d’apprécier la hauteur de l’ascension. Avec nos six monastères, cela représente bien des dénivelés. Mais nous n’en sommes encore qu’au quatrième. Ce Saint Nicolas Anapafsas a été déserté au début du vingtième siècle. Inhabité, non entretenu, il s’est vite dégradé. Une cinquantaine de manuscrits qui y étaient conservés ont été transférés au monastère de la Sainte Trinité (notre prochaine étape). Et puis, dans les années soixante, les services archéologiques ont décidé de le sauver et ont effectué les travaux de restauration nécessaires.

 

815i4 ruines d'un monastère, aux Météores

 

Nous sommes toujours sur la terrasse. De ce côté-ci, on domine un autre Météore au sommet duquel un monastère a eu moins de chance que celui où nous sommes. On distingue bien les ruines de ses murs. Pour quelle raison il a été abandonné, je l’ignore.

 

815j1 Le monastère d'Agia Triada, aux Météores

 

Nous sommes descendus jusqu’à la plaine et nous sommes rendus jusqu’au pied du monastère d’Agia Triada (la Sainte Trinité). Une charte de 1362 mentionne, sous ce nom, un monastère  en ce lieu, mais le catholicon tel que nous l’avons vu (“no photo !”) a été construit, nous dit la dédicace peinte sur son mur, en 6984. À noter que les années sont comptées depuis la date supposée alors de création du monde. D’ailleurs, dans l’Église catholique, le célèbre cantique de Noël dit, lui aussi “Depuis plus de quatre mille ans / Nous le promettaient les prophètes, Depuis plus de quatre mille ans / Nous attendions cet heureux temps”. En fait, puisque 6984 correspond à 1475, la croyance d’alors était que le monde avait été créé en 5509 avant Jésus-Christ. Quant aux fresques, elles sont de 1741. Il y avait dans cette église une vieille et belle iconostase en bois sculpté mais, en 1979, des cambrioleurs l’ont emportée, ainsi que de remarquables icônes portables, dont une du Christ datant de 1662 et une de la Vierge datant de 1718.

 

Par ailleurs, au bout d’une galerie, on accède à une petite chapelle en rotonde creusée dans le roc et entièrement couverte de somptueuses fresques, la chapelle du Précurseur. C’est saint Jean Baptiste qui est appelé Prodromos, autrement dit Précurseur. On suppose qu’à l’origine cet endroit a dû être un ermitage, mais on a la date de 1682 pour l’aménagement en chapelle et la peinture des fresques. Le monastère possédait des manuscrits, auxquels en 1909 ont été ajoutés ceux de Rossano et d’Agios Nikolaos. Aujourd’hui, il est propriétaire d’un total de 124 mais pour des raisons de sécurité ils sont conservés depuis 1953 au monastère d’Agios Stefanos, que nous visiterons pour terminer. “Possession vaut titre”, dit la loi française. Si la loi grecque dit la même chose, le monastère d’Agia Triada a intérêt à bien garder ses titres de propriété en lieu sûr, mais… pas dans les coffres d’Agios Stefanos ! Ajoutons qu’un évêque érudit a légué à sa mort en 1808 sa bibliothèque personnelle riche de rares incunables. Lors de la Seconde Guerre Mondiale, cette bibliothèque a disparu, avec divers objets précieux. Espérons qu’elle refasse surface un jour dans une vente, car le monastère n’a pas brûlé, elle a donc été volée.

 

815j2 accès au monastère d'Agia Triada (Météores)

 

815j3 Accès très spécial au monastère d'Agia Triada

 

Dans le passé, on accédait à ce monastère, comme aux autres, par une échelle de cordes et aussi par le fameux filet suspendu à un croc au bout d’une corde longue de plusieurs centaines de mètres. C’est excellent pour maintenir l’isolement monastique, c’est très intéressant pour le touriste d’un point de vue folklorique, mais il faut bien avouer qu’il y a plus commode et, surtout, moins dangereux. C’est en 1925 qu’a été aménagé le chemin de ma photo ci-dessus lié à un escalier de 140 marches taillées dans le roc.

 

815j4 Météores, une salle du monastère d'Agia Triada

 

815j5 triade d'anges au monastère de la Ste Trinité (Mét

 

Puisque je ne peux rien montrer d’autre dans ce monastère, voici une grande salle à piliers qui, c’est clair, est moderne, mais qui, vu sa situation dans les bâtiments, doit succéder à une autre de même taille. Et une représentation d’une triade d’archanges (“la Triade originelle”) qui n’a sans doute pas grande valeur artistique mais qui me plaît bien.

 

815j6 Natacha et nos amis australiens près d'Agios Stefano

 

Pendant notre visite du monastère d’Agia Triada, nous avons vu, assis sous la triade d’archanges que je viens de montrer, un monsieur et une jeune fille en train de lire avec beaucoup d’attention un guide détaillant le monastère. Un peu plus tard, nous avons arrêté notre camping-car à quelques centaines de mètres d’Agios Stefanos, le dernier des monastères que nous voulions visiter, pour attendre l’heure d’ouverture aux visiteurs (il ferme plusieurs heures à la mi-journée). Et nous voyons s’approcher et s’asseoir sur un muret proche les deux mêmes personnes que nous avions vues à Agia Triada. Vu la chaleur et considérant le chemin parcouru à pied, Natacha leur propose un verre d’eau fraîche. Et nous avons lié conversation. Des gens très intéressants, cultivés, des personnalités riches. Ce sont un père et sa fille, des Égyptiens de religion copte qui vivent en Australie et qui effectuent ici un pèlerinage. Nous avons eu grand plaisir à rester en leur compagnie dans l’attente de l’ouverture du monastère d’Agios Stefanos puis pendant sa visite et, comme la route est longue à pied jusqu’au village, nous leur avons, ensuite, proposé de les redescendre dans notre camping-car. Nous les avons quittés devant leur hôtel, non sans avoir échangé nos adresses électroniques.

 

815k1 Météores, monastère Agios Stefanos

 

815k2 Monastère Saint Etienne (Météores)

 

Le monastère d’Agios Stefanos, donc. Dans ce nom, il faut reconnaître aussi bien la simple transcription directe du grec Stéphane que son évolution anglaise Steve ou l’évolution phonétique du français Étienne. Ce monastère dresse sa masse puissante sur ce gros “Météore” escarpé mais, comme on l’aperçoit sur ma seconde photo ce roc est tout proche d’un autre aussi haut mais accessible, lui, par la route. Aussi, pour la récompense du touriste qui a dû se hisser sous le soleil vers les cinq monastères précédents, puis redescendre sous ce même soleil, ici un petit pont permet d’éviter l’ascension.

 

815k3 précipice sous la passerelle vers Agios Stefanos

 

Et ce n’est pas un luxe car, comme on peut le constater sur cette photo prise du pont, la dénivellation est loin d’être négligeable, cela aurait représenté bien des marches à gravir. Sur le rocher, une inscription relevée par bien des voyageurs mais pour la dernière fois en 1927 et disparue depuis, disait “Jérémie” et “1192”. Cela fait très probablement allusion à un ascète qui a vécu là, dans une grotte de ce rocher, et y a inscrit son nom et la date. À part cet anachorète de la fin du douzième siècle, il faudra attendre la première moitié du quinzième siècle pour que l’on trouve cité l’archimandrite Antoine comme fondateur d’un monastère en ce lieu. Peut-être est-ce lui qui a construit la première église consacrée à saint Étienne.

 

Mais en 1545 une lettre du patriarche Jérémie Premier dit “Le très saint ascète Philothée […] assisté dans cette entreprise par l’hiéromoine Gérassime et par d’autres moines et novices a reconstruit, pour ainsi dire, l’église de fond en comble et l’a embellie. Il a construit de nombreuses cellules pour le séjour commode des moines résidents et des visiteurs et a agrandi le monastère en le dotant de nouvelles constructions”. D’ailleurs, datant également des environs de 1545, une fresque représente Antoine et Philothée. Mais… pas de photos !

 

La maison royale roumaine de Valachie a offert à ce monastère une église en obédience à Butoiu (dans le sud-est du pays, non loin de Targoviste), en plus de donations de reliques, d’objets de culte, etc., parmi lesquels le crâne de saint Charalambos. Les spécialistes ne s’accordent pas sur la date ni l’origine de ces liens, qu’ils situent entre la fin du quatorzième siècle et le début du seizième. Le crâne du saint, lui, a été donné en 1398 par Vladislav et le Grand Vornique (gouverneur) Dragomir. Cette information, je l’ai trouvée sous la plume d’un illustre savant, mais je ne la comprends pas car, ne connaissant pas trop bien l’histoire de la Roumanie, j’ai jeté un coup d’œil sur Internet, j’ai cherché Vladislav, et j’ai trouvé Vladislav I mort en 1377 et Vladislav II né en 1397, qui n’avait qu’un an lors du don du crâne… C’est Mircea I qui, à cette époque, de 1386 à 1418, règne sur la Valachie. Alors qui est ce Vladislav qui, conjointement avec le gouverneur équivalent d’un premier ministre, est autorisé à faire un don de reliques appartenant à la Couronne, je l’ignore. À moins qu’il n’y ait erreur sur la date.

 

815k4 église du monastère Agios Stefanos (Météores)

 

En 1798 a été construite une autre église, très grande, dédiée à saint Charalambos et où a été transféré le crâne du martyr (ce prêtre de Magnésie en Asie Mineure, qui prêchait ouvertement la religion chrétienne, a été supplicié du temps de Septime Sévère, empereur de 193 à 211). Cette église a repris à l’église Saint Étienne le rôle de catholicon du monastère. Puis, en 1857, c’est un réfectoire que l’on construit. Par ailleurs, de longue date le monastère s’est intéressé à l’instruction publique, protégeant et favorisant l’enseignement grec public au temps de la domination ottomane. Ainsi, il a construit une école primaire, et il en a subventionné une autre à Trikala.

 

815k5 jardins du monastère Agios Stefanos (Météores)

 

815k6 jardins du monastère Agios Stefanos (Météores)

 

Pendant la Seconde Guerre Mondiale, les bâtiments ont été sérieusement endommagés, en particulier l’église Saint Charalambos ainsi que les fresques de l’église Saint Étienne, le monastère a été pillé, à la suite de quoi il a été déserté. En 1961, ce sont des religieuses qui sont venues s’installer, renouant avec une tradition ancienne. En effet, en 1779, le Suédois Björnstahl écrit : “Au début, ce monastère était destiné à des femmes qui désiraient faire une retraite, mais plus tard il fut abandonné et tomba en ruines, jusqu’à ce qu’il fût de nouveau habité par des moines”. Ces religieuses, donc, rénovent et restaurent les lieux, effectuant un énorme travail matériel, en même temps qu’elles mènent des actions caritatives. Ici, comme à Roussano, ces femmes sont présentes et visibles, elles se montrent accueillantes, créant une atmosphère différente de celle qui règne dans les quatre couvents d’hommes.

 

815k7 dans le monastère Saint Etienne (Météores)

 

Poursuivant l’action ancienne du monastère en faveur de l’éducation, les religieuses ont, dans les années 1970, fait fonctionner dans leurs murs un orphelinat école primaire de filles dont les enseignantes étaient les religieuses.

 

L’ancien réfectoire du quatorzième siècle, restauré en 1852, accueille depuis 1972 le skévophylakeion, réorganisé dans une nouvelle muséographie en 1991. Les skévophylakeia sont les musées de monastères qui ne se proposent pas de présenter leurs collections comme des biens culturels, mais cherchent à en montrer le double caractère d’objets de culte réalisés et conservés comme des œuvres d’art. La collection est merveilleuse. Outre des vêtements brodés de fils d’or et datant des dix-septième et dix-huitième siècles, des objets liturgiques, des croix de bois sculpté, on peut voir de belles icônes et surtout des fragments de parchemins du sixième siècle, du douzième siècle, des manuscrits enluminés et des éditions anciennes rares, laïques (comme les œuvres d’Aristote) ou religieuses (évangiles). Mais, comme on peut s’y attendre, la photo est interdite, arrêtant ici mes commentaires sur ce que je ne peux montrer.

 

C’est sur la visite de ce monastère que se conclut notre séjour aux Météores. Au temps de la splendeur, il y a eu jusqu’à vingt-quatre monastères ainsi perchés. Si c’était le cas aujourd’hui, j’aurais voulu les voir tous, mais j’aurais opté pour l’ascension dans le filet, sinon cela aurait représenté trop de marches…

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16 janvier 2013 3 16 /01 /janvier /2013 18:29

814a Kolokotronis à Larisa

 

De Volos à Kalambaka (au pied des Météores), de Kalambaka au château franc de Platamonas et à la ville sainte macédonienne de Dion, la route croise obligatoirement Larisa, capitale de la Thessalie. En grec, ce nom ne comporte qu’un S (sigma), mais dans les transcriptions anglaises (panneaux indicateurs) ou françaises (guides) en caractères latins, il arrive que l’on trouve Larissa orthographiée avec deux S pour éviter que le S entre voyelles soit prononcé Z. Cette grosse ville de cent trente mille habitants, posée au milieu de la grande plaine thessalienne (mais oui, mais oui, il y a quand même en Grèce des espaces entre les montagnes qui occupent plus de surface qu’un mouchoir de poche), a connu l’occupation turque à partir de 1389, dès avant la prise de Constantinople soixante-quatre ans plus tard. Et les grandes puissances n’obtiendront qu’en 1881 le rattachement de la Thessalie, avec Larisa, au royaume de Grèce. Aussi Kolokotronis (photo ci-dessus), le héros de l’indépendance grecque, était-il mort depuis longtemps (15 février 1843). Ce qui n’empêche pas la ville de le célébrer. Quant à Evaristo de Chirico, le père du peintre italien Giorgio, il va dès lors pouvoir créer la ligne de chemin de fer Volos-Larisa-Kalambaka.

 

814b Larisa, ancienne mosquée

 

Restée sous domination turque si longtemps, un état encore à cette époque-là officiellement musulman, il n’est pas étonnant que les mosquées soient nombreuses. Mais recouvrant leur souveraineté sur les lieux, les Grecs, étroitement liés à la religion orthodoxe, se sont empressés de laïciser les mosquées, comme sur cette photo où l’on voit que des boutiques ont envahi le bâtiment religieux.

 

814c Musée archéologique de Larisa (mosquée)

 

814d Larissa, le musée archéologique est fermé

 

Une amie m’avait prévenu que, comme celui de Thèbes, le musée de Larisa (qui, lui aussi, a investi une ancienne mosquée) était fermé lors de son dernier passage ici. Or il comporte un intéressant menhir, des sculptures, des mosaïques. Serait-il rouvert ? Nous tentons notre chance. Hé non, fermé. Nous n’en voyons que cette mosquée du dix-neuvième siècle qui l’héberge.

 

814e Expropriation d'immeuble à Larissa

 

Reste, en plein cœur de la ville, le théâtre hellénistique. Comme on peut s’en rendre compte, des immeubles étaient construits au-dessus, qui ont été expropriés et détruits. En effet, le niveau de la ville moderne est bien supérieur à celui de la ville antique. C’est un programme européen de développement régional de 2000-2006 qui a pris en charge 75% des quatre millions quatre cent deux mille cinquante cinq Euros nécessaires à sa restauration. Et cela en valait bien la peine.

 

814f le théâtre hellénistique de Larisa

 

814g le théâtre hellénistique de Larisa

 

814h le théâtre hellénistique de Larissa

 

Ce théâtre ne se visite pas, mais il est bien visible de la rue, derrière une simple balustrade. Dans mon article sur Volos, j’ai dit que régnaient sur la Grèce continentale, donc la Thessalie, les rois de Macédoine, et que Démétrios avait été proclamé roi en 294. Il était le fils et le successeur d’Antigonos Gonatas, qui a construit ce théâtre au troisième siècle avant Jésus-Christ, donc dans les toutes premières années de ce siècle. Avec sa capacité de 14000 places, la cavea s’appuie sur les flancs de l’acropole antique. Mais les Romains, plus passionnés par les combats de gladiateurs que par le théâtre, en ont détruit les quatre premiers rangs de sièges, non seulement pour dégager plus d’espace mais aussi pour assurer plus de hauteur entre l’arène et les spectateurs les plus proches, donc plus de sécurité. Les membres du Conseil Fédéral des Thessaliens avaient leurs places réservées, comme en attestent leurs noms gravés sur leurs sièges. Plus tard, à l’époque impériale, de simples citoyens pouvaient acheter leur place fixe, leurs noms étant également gravés. Le théâtre continuera de fonctionner jusqu’à l’extrême fin du troisième siècle de notre ère, voire jusqu’au tout début du quatrième siècle.

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16 janvier 2013 3 16 /01 /janvier /2013 11:35

813a1 Le Centaure symbole du Pélion

 

813a2 Le Centaure symbole du Pélion

 

La grosse montagne du Pélion, qui culmine à 1652 mètres et occupe une longue péninsule prolongée, après un détroit, par l’île d’Eubée, était creusée d’une profonde caverne qui constituait la demeure du centaure Chiron. On dit que du fond de cette caverne, située tout en bas dans une gorge profonde, juste à la verticale de l’église des Taxiarques dont je vais parler tout à l’heure, à Miliès, un sentier souterrain chemine jusqu’à une autre caverne située à Malaki, sur la côte. Cronos, qui est aussi le père de Zeus, a pris la forme d’un cheval pour s’unir à Philyra et engendrer Chiron, d’où ce buste anthropomorphe sur un corps de cheval. Ce centaure-là n’était pas un être rustique et mal dégrossi comme les autres centaures, il était sage, instruit, et pour cette raison Apollon lui confia son fils Asklépios pour qu’il lui enseigne la médecine (mon blog au 10 mars 2011 au sujet du sanctuaire d’Asklépios à Épidaure). La célébrité et la sagesse de Chiron lui valent d’avoir été choisi pour symboliser le Pélion, comme en témoignent ces deux sculptures occupant une place d’honneur dans deux petites municipalités.

 

Mais cette montagne avait déjà connu auparavant une aventure. On sait comment Cronos, l’un des six Titans fils d’Ouranos (le Ciel) et de Gaia (la Terre), mutila son père en lui tranchant les testicules car sa mère ne cessait d’enfanter, le Ciel couvrant sans cesse la terre. Du sang de la blessure tombé sur la Terre, Gaia enfanta les Géants, frères des Titans. Or Cronos, de peur d’être détrôné à son tour, avale ses enfants à la naissance jusqu’à ce que sa femme, Rhéa, emmaillote une pierre qu’il avale tout rond en la prenant pour le nouveau-né tandis que celui-ci, le petit Zeus, est allaité par une chèvre, Amalthée, dans une caverne du mont Ida, en Crète. Devenu adulte, Zeus libère ses frères et sœurs de l’estomac de Cronos en administrant un émétique à son père et, au bout de dix années de lutte, la jeune génération parvient à chasser Cronos et les autres Titans de l’Olympe pour les enfermer dans le Tartare. C’est alors que les Géants, choqués de voir leurs frères les Titans ainsi traités, et poussés par Rhéa, attaquent les Olympiens. C’est la célèbre gigantomachie. Pour être aussi haut que les dieux sur l’Olympe, les Géants, dont la force est ahurissante, se saisissent du Pélion tout entier et l’entassent au-dessus de l’Ossa, le massif montagneux juste au nord, entre Olympe et Pélion. Finalement, les Olympiens remportent la victoire, et le Pélion reprend sa place (la légende ne précise ni quand, ni comment).

 

813a3 Le Centaure symbole du Pélion

 

Les autres centaures vivaient aussi dans cette montagne, c’est pourquoi je préfère imaginer que c’est l’une de ces brutes qui est représentée sur les poubelles en inox, indigne support pour le raffinement de Chiron. On se rappelle comment, ayant trop bu au mariage du roi thessalien des Lapithes Pirithoos avec Hippodamie, les centaures se sont précipités sur la jeune mariée et sur les autres femmes invitées, d’où le grand combat des centaures et des Lapithes. Dans une autre légende sur les détails de laquelle je passe parce qu’ils ne concernent pas cette montagne, Pélée, le père d’Achille, est à la chasse dans le Pélion avec Acaste qui, pour se venger d’un affront, profite de son sommeil dans la montagne pour lui cacher son épée et partir. À son réveil, Pélée se voit entouré des Centaures qui s’apprêtent à le tuer, mais notre brave Chiron lui trouve son épée et la lui rend, lui sauvant la vie. Pélée, qui est mortel, s’est marié avec Thétis, déesse immortelle, Néréide fille de Nérée et petite-fille d’Océan. La noce a lieu sur le Pélion, et Chiron offre à Pélée une lance de frêne. Tous les dieux de l’Olympe avaient été invités. Tous, à part une seule déesse oubliée, Éris, la Discorde. Pour se venger, c’est au retour des autres sur l’Olympe qu’elle lance la pomme de discorde qui sera la cause de la Guerre de Troie où mourra le fils de Pélée. Mariage bancal, et après la naissance d’Achille Thétis quitte son mari pour retourner dans les flots. Elle voulait tremper son fils dans le feu pour le rendre immortel, mais Pélée lui avait arraché des mains l’enfant, dont seul un osselet du pied droit avait été brûlé. Pélée alors confie Achille à Chiron, dans sa caverne du Pélion, pour se charger de son éducation, tandis que Philyra et Chariclo, respectivement mère et femme du centaure, se chargent des soins matériels. Pour réparer le pied atteint, Chiron va déterrer le squelette d’un géant qui avait été célèbre pour la rapidité avec laquelle il courait, il prélève l’osselet nécessaire et, en chirurgien expert, il procède à l’opération de substitution. Pour Homère, c’est toujours πόδας ὠκὺς Ἀχιλλεύς, Achille aux pieds rapides, conséquence de cette opération. Et puis ce Jason d’Iolkos, dont je parlais au sujet de Volos, il a lui aussi été élevé dans cet antre, confié à Chiron par son père lorsque le pouvoir lui a été pris par Pélias.

 

813a4 Source dans le Pélion

 

Et c’est avec le bois des arbres coupés dans cette montagne qu’il a construit le navire Argo pour aller, comme je l’évoquais également, conquérir en Colchide la Toison d’Or. Car, situation exceptionnelle en Grèce, le Pélion est remarquablement riche en eau, ce qui autorise une végétation très abondante jusqu’au sommet de la montagne. Ainsi la forêt se développe partout, mais on cultive également toutes sortes de fruits et de légumes, et en cette saison les agriculteurs proposent, sur le bord de la route, les cerises qu’ils viennent de cueillir. Les sources ruissellent de partout sur la roche, le courant est ensuite canalisé le long de la chaussée, et un complexe réseau de dérivations mène l’eau pure et fraîche à chaque parcelle.

 

813a5 village niché dans la montagne du Pélion

 

813a6 Vue, dans le Pélion

 

Les villages du Pélion sont, pour les uns, étalés en tout petits groupes de maisons, voire en maisons isolées le long de la route, sur de grandes distances, ou au contraire tout resserrés en masses compactes créant des taches dans un grand paysage vert (première photo ci-dessus). Par ailleurs, la montagne offre de temps à autre des échappées vers la mer. Ma deuxième photo ci-dessus montre une vue sur Volos par-dessus un toit de lauzes, ces pierres plates typiques des maisons de montagne (en Auvergne par exemple) où avant le transport aisé de matériaux par camion sur des routes macadamisées il était moins coûteux et plus facile d’utiliser des pierres prélevées au sol près du village que d’importer de loin des tuiles manufacturées, même si le poids de la lauze nécessite une charpente solide. Mais pour cela on ne manque pas de bois non plus à l’orée du village. Hélas, aujourd’hui, ces beaux toits ont tendance à disparaître.

 

813b1 Milies (Pélion), église des Taxiarques (Archanges)

 

813b2 Milies (Pélion), église des Archanges

 

Dans mon article sur le train à voie étroite créé par Evaristo de Chirico, je disais qu’il nous avait menés à Miliès, au cœur du Pélion, et que nous avions disposé de quelques heures pour visiter le village avant l’heure du retour. Cette visite étant hors sujet dans un article ferroviaire et cadrant au contraire parfaitement avec un article sur le Pélion, j’en remettais la description à plus tard. C’est-à-dire à aujourd’hui. De la gare, nous sommes montés par un sentier vers le village, à un petit quart d’heure de marche, et au bout d’une rue nous sommes tombés sur la place principale envahie par les tables et les chaises des tavernes, restaurants et bars. Donnant sur un côté de la place, se dresse l’église des Taxiarques, c’est-à-dire, en grec, l’église des Archanges. C’est d’ailleurs l’archange saint Michel qui nous accueille au-dessus de la porte. À l’intérieur, nous sommes éblouis par la splendide iconostase de bois doré.

 

813b3 Milies (Pélion), église des Archanges

 

813b4 Milies (Pélion), église des Archanges

 

813b5 Milies (Pélion), église des Taxiarques

 

Mais aussi par les fresques qui recouvrent intégralement murs et plafonds, tant dans le narthex que dans l’église. Ne pouvant présenter ici les dizaines de photos que j’en ai faites, je suis contraint d’effectuer un choix. C’est difficile, parce que toutes ou presque me plaisent… Ci-dessus, dans le narthex, c’est la grande fresque du jugement dernier. Au centre (première photo), on voit la pesée des âmes. Des mains des anges s’échappent des rayons qui vont frapper et culbuter les démons, trop pressés de s’emparer des âmes avant que la balance entre les bonnes et les mauvaises actions ait rendu son verdict. Sur la droite (deuxième photo), les damnés sont nus et les démons les tourmentent. Sur la gauche au contraire (troisième photo), les bienheureux s’avancent somptueusement vêtus vers la porte du paradis, où il rejoignent saint Pierre qui, muni des clés, va leur y donner accès.

 

813b6 église des Taxiarques à Milies

 

Certes j’aurais eu bien du mal à reconnaître saint Christophe dans ce personnage à la tête bien peu humaine si je n’avais lu son nom en caractères grecs, O agios Christophoros. Il n’y a donc aucun doute.

 

813b7 église des Taxiarques à Milies

 

De même, ici, voyant au milieu des flots (avec l’inscription bien inutile parce qu’évidente hê thalassa, la mer) un homme dans la bouche d’un poisson, j’ai cru pouvoir identifier le Jonas de la Bible. Jusqu’à ce que je remarque qu’il y avait plusieurs hommes dans plusieurs poissons, alors que Jonas serait seul et unique. Observant les alentours, j’ai alors vu (en haut à gauche sur ma photo) que des personnages émergeaient d’une caisse en bois. Et du coup j’ai compris que ce sont des morts qui sortent de leur cercueil, la fresque représente la résurrection des morts, et l’artiste n’a pas voulu oublier ceux qui ont péri en mer. Les poissons ne les avalent pas, ils les restituent, au contraire. Telle est, du moins, l’explication que j’ai imaginée pour cette image. Je suis preneur de toute autre interprétation éventuelle…

 

813b8 église des Archanges à Milies

 

Les images si savoureusement naïves se succèdent comme une bande dessinée remarquablement expressive. Après un Noé embarquant des animaux dans son arche, on arrive à cette image, malheureusement partiellement cachée par un grand drapeau grec enroulé sur sa hampe et remisé à cet endroit. Cette image, clairement, représente l’humanité engloutie dans les flots qu’engendre le déluge. Certains tentent de grimper au sommet des arbres et de s’y agripper mais on voit sur le ciel sombre que la pluie continue à tomber et l’on comprend que le niveau de l’eau n’a pas fini de monter et que tous seront noyés, à l’exception de la famille de Noé et des couples d’animaux qu’il aura embarqués.

 

813c1 fontaine 17e siècle à Milies

 

813c2 fontaine 17e siècle à Milies

 

813c3 toiture d'une fontaine du 17e siècle à Milies

 

Au moment où nous sortons de l’église, une dame fort aimable s’approche de nous et parce que, dit-elle, nous avons un bon matériel photographique et semblons préférer nous en servir plutôt que de nous attabler dans une taverne, elle propose de nous indiquer des choses intéressantes à voir. C’est une Allemande qui s’est installée ici, séduite par le village (il y a de quoi, c’est vrai). Une somptueuse bibliothèque comporte plus de 3000 livres rares qui lui viennent de l’école du dix-huitième siècle qui a fonctionné ici. Mais, bêtement, la bibliothèque est fermée le dimanche, jour où le train amène les touristes. Qu’à cela ne tienne, il y a un beau musée d’histoire populaire, qui traite du passé turc, mais aussi de l’horrible massacre de population dont se sont rendus coupables les Nazis en 1943. Normalement le musée est ouvert jusqu’à 14h30, nous nous y rendons à 13h25 mais… il est fermé. Notre mentor nous conseille alors une belle fontaine du dix-septième siècle un peu en dehors du centre du village et que, sans elle, nous n’aurions pas vue, parce que rien ne la signale. Elle se penche pour recueillir de l’eau dans la paume de sa main et en mouiller la pierre que l’on distingue au-dessus des deux petites vasques, pour la rendre plus lisible. On y voit qu’en l’an 1770 cette fontaine a reçu le nom de Fontaine du Baptême. Sans que je puisse savoir si c’est parce qu’elle a été destinée au baptême des nouveaux chrétiens ou si ce n’est qu’un nom, une dédicace au baptême du Christ par saint Jean Baptiste.

 

813d1 église Sainte Marine à Milies (Pélion)

 

813d2 église Agia Marina (Miliès, Pélion)

 

Cette dame allemande nous a encore indiqué, sans nous y accompagner cette fois, une autre église, perdue dans la verdure un peu en dehors du village. C’est en effet un édifice intéressant, avec des dalles de marbre serties dans l’abside, toutes incisées de motifs différents.

 

813d3 Sainte Marine (église, à Mélies)

 

Au-dessus du portail, le tympan représente la patronne de l’église, agia Marina, attaquant le démon à coups de marteau. En 732, à Poitiers, les Sarrasins ont de même été arrêtés par Charles Martel, d’où son surnom. Ce démon qu’elle veut bouter hors de son territoire par la force, est représenté avec la peau basanée… Et la sainte s’appelle Marine… Tiens, tiens, cela me rappelle quelqu’un, en France… Non, pas possible, ce ne serait pas conforme à la fameuse philoxénie des Grecs, si accueillants aux étrangers.

 

813e place centrale de Makrinitsa

 

Mardi 19. Nous ne sommes pas venus par le rail mais par la route. Nous avons dépassé Anakasia sans nous y arrêter, avec l’intention d’y revenir. Et comme c’est le “Haut Volos” (Ano Volos) j’en ai parlé dans mon article sur Volos (musée Theophilos, église d’Episkopi). Nous arrivons ainsi à Makrinitsa (ou Makrynitsa). Nous nous garons sur le parking avant le village et prenons la rue piétonne bordée de vieilles maisons traditionnelles que l’on pourrait apprécier si elles n’étaient pas monopolisées par les boutiques d’articles pour touristes. Au bout, on arrive à la grande place traditionnelle des villages du Pélion, avec au centre un gros arbre, souvent pluricentenaire. Sur la place, une petite église du dix-huitième siècle vaut, paraît-il, le coup d’œil. Malheureusement, elle est entièrement emmaillotée dans des échafaudages et des bâches qui n’en laissent rien voir. Eh bien, puisqu’un panneau indique un musée d’art populaire, allons-y. Seconde malchance, une feuille dactylographiée informe que depuis le dimanche 17 juin (il y a deux jours…) le musée est fermé pour travaux. Décidément, dure, dure est la vie de voyageur culturel.

 

813f1 Makrinitsa, fontaine

 

813f2 Makrynitsa, fontaine

 

Nous nous consolons en admirant, à côté de l’église, cette belle fontaine de marbre dont tous les panneaux sont sculptés en très bas-relief et dont les bouches crachant l’eau sont originales et décoratives. Puis nous allons nous offrir un rafraîchissement et là, la charmante jeune femme qui nous sert nous conseille d’aller voir le monastère de Saint Gerasimos.

 

813g1 Makrinitsa, vers le monastère St Gerasimos

 

813g2 Monastère St Gerasimos à Makrinitsa

 

813g3 Monastère St Gerasimos à Makrinitsa

 

Ce que nous faisons, bien sûr, en suivant cette rue qui a conservé son pavage d’autrefois. Saint Gerasimos est né dans le Péloponnèse au début du seizième siècle. Devenu moine, il est ordonné diacre puis prêtre à Jérusalem, où il s’est rendu en pèlerinage. À la suite de quoi, il mène pendant cinq ans une vie d’ascèse et de prière. De retour en Grèce, il va fonder à Céphalonie un monastère de femmes, et il reste là encore trente ans avant de mourir à 71 ans en 1579. Deux ans après sa mort, pour une raison que j’ignore, on a ouvert sa tombe, et on a trouvé son corps non corrompu. Il a donc été considéré comme saint par l’Église orthodoxe, qui lui attribue des guérisons et des exorcismes.

 

813g4 Monastère St Gerasimos à Makrinitsa

 

813g5 Monastère St Gerasimos à Makrinitsa

 

Le catholicon, c’est-à-dire l’église du monastère, date de 1767 et est consacré à la Panagia, la Vierge. Mais les portes en sont fermées. D’ailleurs, nous ne détectons pas le moindre signe de vie, donnant l’impression que ce monastère, comme beaucoup d’autres, est désaffecté. Mais je suppose qu’il n’en est rien, parce que sur Internet j’ai trouvé un document qui va jusqu’à donner le nom de la Supérieure –la Mère Eupraxie– et un numéro de téléphone, et quelqu’un d’autre dit dans un article de blog daté de juillet 2010 que le monastère compte une quinzaine de religieuses, qu’il s’est entretenu un moment avec l’abbesse et qu’il a pu voir le crâne de saint Gerasimos. Malgré tout, nous apprécions l’atmosphère de calme du lieu, son charme, nous faisons le tour de l’église et admirons la fresque de la Vierge au-dessus du portail, la triple abside. Puis nous repartons vers le parking pour récupérer notre véhicule.

 

813h1 église Agia Kyriaki, à Zagorá

 

813h2 tympan de l'église Sainte Cyriaque à Zagora

 

813h3 mur de l'église Sainte Cyriaque, à Zagora

 

Nous roulons vers l’est, ce qui nous mène à gravir le col de Chania, à 1200 mètres d’altitude, au milieu de belles forêts très denses et très vertes, de roche qui apparaît parmi les arbres et d’eaux vives qui ruissellent sur la pierre, qui cascadent en ruisseaux. Puis nous obliquons vers le nord-est pour nous rendre à Zagorá. Là, nous nous arrêtons d’abord devant l’église de Sainte Cyriaque (Agia Kyriaki). Cette sainte, une martyre romaine du troisième siècle, j’en ai parlé assez récemment, le 6 juin dernier, à Marathon. Dans cette église, je remarque particulièrement le tympan du portail principal qui représente une Dormition de la Vierge, et ces curieuses sortes d’assiettes de céramique décorée qui sont incrustées en grand nombre, comme on peut le voir sur la première photo, dans les murs de l’église. Elles représentent des sujets très divers, auxquels je trouve des airs d’art islamique et qui, en tous cas, n’ont rien de spécialement chrétien ou biblique. Je me demande s’il ne s’agirait pas d’incrustations, postérieures au départ des Turcs, de céramiques leur ayant appartenu. Nulle part je n’ai trouvé  la moindre explication, ce qui laisse place pour cette simple conjecture.

 

813i1 Place de Zagora (Pélion)

 

Ce village de Zagorá est du type extrêmement étalé que je définissais au début. On se retrouve dans la campagne, on croit être sorti du village… et puis on y entre de nouveau. Et tout au bout, on arrive à cette place ombragée de ses vieux arbres.

 

813i2 Campanile de Saint-Georges, à Zagora (Pélion)

 

Sur cette place, on trouve d’abord un campanile détaché et qui fait office de porte vers la petite esplanade d’une autre église.

 

813j1 église Agios Georgios, Zagora, Pélion

 

813j2 église Saint-Georges, Zagora, Pélion

 

Cette autre église, c’est Agios Georgios, Saint Georges. Comme beaucoup d’églises du Pélion, elle est bordée d’un préau. Évidemment, vues d’extérieur, ces églises sont très simples, elles ne séduisent pas au premier coup d’œil comme les églises romanes de villages de France ou d’Italie, mais lorsque l’on en fait le tour, côté abside on trouve la plupart du temps de superbes bas-reliefs taillés dans le marbre.

 

813j3 église Agios Georgios, Zagora, Pélion

 

813j4 église Agios Georgios, Zagora, Pélion

 

813j5 église Agios Georgios, Zagora, Pélion

 

Et c’est bien le cas ici. Sur la photo précédente, on a pu voir que l’abside principale et les deux absidioles latérales étaient composées de multiples facettes de plaques de marbre. Les trois photos ci-dessus montrent des exemples de la décoration qui y est gravée, des dessins naïfs amusants et décoratifs.

 

813j6 iconostase, église St-Georges, Zagora, Pélion

 

Selon le Guide Vert Michelin, il faut voir dans cette église la monumentale iconostase du dix-huitième siècle en bois sculpté et doré. Le hic, c’est que l’église est fermée, et que selon les gens du coin que nous avons interrogés on ne sait pas quand elle sera ouverte, peut-être dans dix minutes ou une demi-heure, peut-être pas du tout. Alors nous attendons un peu, puis nous renonçons. Par une fenêtre, sur le côté du portail, on peut l’apercevoir dans la pénombre. Appuyant mon objectif contre la vitre pour éviter de bouger pendant une pose longue, je déclenche, et la photo prise à travers la vitre donne l’image ci-dessus. Les lustres, le mobilier, cachent passablement l’iconostase que l’on n’aperçoit que de loin, mais au moins nous ne rentrerons pas bredouilles. Oui, je l’ai vue (un petit peu) la fameuse iconostase monumentale de Saint Georges de Zagorá !

 

813k Jumelage Tsagkarada avec Juigné

 

Pour refermer le circuit, nous retournons vers la route principale, qui part vers le sud. L’étape suivante, c’est Tsagkarada. Compte tenu du fait qu’en grec moderne GK se prononce comme le G dur français (un gang, une gargouille), le mot est parfois transcrit en omettant le K grec. Mais comme d’autre part, depuis l’Antiquité, un G devant une gutturale (G, K ou KH) se prononce comme un N (d’où le mot grec Aggelos a donné le prénom italien Angelo et le mot français ange, d’où aussi l’orthographe grecque Agkyra pour la capitale turque Ankara), il n’est pas illogique de transcrire ce nom comme il se prononce, à savoir Tsangarada. Heureusement que j’ai ce commentaire à faire sur la prononciation, parce que nous aurions dû voir sur la place principale un gigantesque platane millénaire déployant sa ramure sur une envergure de plus de trente mètres. Mais la route ne traverse pas cette place principale, dans ce village de type extrêmement étiré et dispersé et après avoir demandé notre chemin cinq fois et être partis chaque fois dans une direction différente, nous avons décidé de rentrer. Des églises emmaillotées ou fermées, des musées fermés, une bibliothèque fermée, un platane introuvable, c’est assez. Et malgré toutes ces déconvenues, Natacha et moi sommes bien d’accord pour dire que nous n’avons pas perdu notre temps parce que nous avons quand même vu des fresques, des sculptures, et aussi des paysages à couper le souffle au pays des centaures. Alors même dans ces conditions, le tour du Pélion, ça vaut le coup.

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