Aujourd’hui nous allons visiter une seule église avant d’aller flâner en ville, mais il y a tant à dire à son propos... Descendant du métro à la station Spagna, je succombe, je prends cette photo de l’escalier qui monte de la piazza Spagna à l’église de la Trinità dei Monti.
Cette église que nous allons visiter, San Silvestro in Capite, se trouve au cœur de la ville. Certes, aujourd’hui la physionomie des lieux a bien changé, et la ville s’est amplement étendue en créant de nouveaux quartiers, mais au Moyen-Âge et encore à la Renaissance le voyageur arrivant du nord par la via Flaminia franchissait l’arc de Domitien et prenait, juste en face, la via Lata (la "rue Large", aujourd’hui plus étroite et nommée "Corso"). Après quelques centaines de mètres, il voyait sur sa droite la basilique de San Lorenzo in Lucina, et un peu plus loin, il avait à sa gauche l’église et le monastère de San Silvestro in Capite. Le monastère, c’était ce grand bâtiment accolé au flanc droit de l’église.
Je dis bien "c’était" parce que lorsqu’en 1870 Rome a été confisquée à la papauté et est devenue la capitale de l’Italie unifiée, les congrégations religieuses ont été expulsées et, en 1876, ce monastère de Clarisses est devenu la poste centrale de Rome. C’est là, entre autres, qu’arrive le courrier en poste restante. Hé oui, si l’on en doute voici une photo de l’intérieur qui permet d’apprécier les colonnades du cloître, les fresques du plafond… et les panneaux des services postaux.
D’ailleurs, dès le porche d’entrée, on est accueilli par quelques objets fixés aux murs qui montrent que le lieu est autre qu’un bâtiment moderne fonctionnel.
Sur la photo montrant que c’était bien la poste, on a pu apercevoir les plafonds. En voici deux photos en gros plan. Nos bureaux de poste ne sont pas tous ornés de cette façon, hélas.
Allez, encore une image de la poste, monastère dont je vais parler tout à l’heure, en même temps que de la création de l’église.
Nous franchissons le porche de l’église et nous trouvons dans l’atrium, une petite cour étroite parsemée de plaques et de statues.
L’église s’appelle "in Capite". Lorsque le nom apparaît au début, c’est souvent aussi "de Capo" ou "de Capite". Soit "Saint Sylvestre à la Tête". Et cette tête est celle de saint Jean Baptiste. Désolé, je vais être long, mais cela demande des explications. On se rappelle que Jean-Baptiste avait dénoncé le coupable mariage du tétrarque de Galilée et de Pérée Hérode Antipas avec sa belle-sœur Hérodiade (la femme de son demi-frère), ce qui lui avait valu d’être jeté en prison dans la forteresse de Machærus, en Pérée, sur la Mer Morte, et de susciter en prime la rancune tenace d’Hérodiade. Lorsque, séduit par la danse des sept voiles dont s’était dévêtue Salomé, la fille d’Hérodiade, Hérode lui avait promis de lui donner ce qu’elle demanderait, poussée par sa mère elle avait réclamé la tête de Jean-Baptiste, qui en conséquence lui avait été servie sur un plateau.
Le tableau ci-dessus montre Salomé offrant à Hérode la tête de Jean-Baptiste, mais selon les évangiles de saint Matthieu et de saint Marc, c’est le contraire. "À l’instigation de sa mère, elle dit : Donne-moi ici, sur un plat, la tête de Jean-Baptiste. Le roi fut attristé ; mais, à cause de ses serments et des convives, il commanda qu’on la lui donne, et il envoya décapiter Jean dans la prison. Sa tête fut apportée sur un plat, et donnée à la jeune fille, qui la porta à sa mère" (Mathieu, XIV, 8-11). "Le garde alla décapiter Jean dans la prison, et apporta la tête sur un plat. Il la donna à la jeune fille, et la jeune fille la donna à sa mère" (Marc, VI, 28).
Bref, Hérodiade, craignant que la tête de ce saint homme ne se ressoude à son corps si on les enterrait ensemble, cacha la tête dans le palais d’Hérode. Les disciples de Jean, eux, rendirent compte à Jésus de ce qui s’était passé et emportèrent le corps loin, à Sébaste, en Samarie, où ils l’enterrèrent. Beaucoup plus tard, au quatrième siècle, deux moines visitant les Saints Lieux trouvent la tête dans le palais d’Hérode et l’emportent dans un sac en peau de chameau. Mais ici, tout se complique parce que deux récits très différents se juxtaposent, entraînant des conséquences.
Le premier récit est simple. Ils emportent la tête de Jean à Tarse, en sud Turquie actuelle. L’empereur Valens (364-368) l’apprend et la fait apporter à Constantinople dans une voiture tirée par des mules, lesquelles refusent catégoriquement d’avancer une fois arrivées à environ 25 kilomètres de Chalcédoine. C’est considéré comme un signe miraculeux, et on garde la relique au village de Cosilaon. Mais l’empereur Théodose le Grand (378-395) s’y rend en personne, en 391, enveloppe la tête dans un manteau de pourpre impériale et l’apporte dans ses propres mains à Constantinople, puis construit dans le district d’Hebdomon une grande église et en février 392 y dépose la relique.
Selon l’autre récit, beaucoup plus compliqué, pendant le voyage des deux moines, un potier d’Emesa (Homs, en Syrie actuelle) se joint à eux, leur dérobe le sac pendant leur sommeil et rentre chez lui à Emesa. À sa mort, la relique est transmise à sa fille, et passe ainsi de génération en génération jusqu’à revenir à un moine d’un monastère voisin qui fait passer pour siens les miracles opérés par Jean. Découvert, il est expulsé, mais la tête reste enterrée là dans le monastère. En 452 ou 453, le Supérieur découvre la tête et construit une nouvelle église dans son monastère pour y accueillir la relique. Puis, en 761, une église magnifique est construite à Emesa même et la tête de Jean y est transférée. À partir de là, les sources sont moins sûres. En 761 Syrie, Palestine, Mésopotamie sont occupées par les Sarrasins et la Grèce était prise dans les conflits avec les Iconoclastes (les briseurs d’images, dont je parlerai tout à l’heure). Et parce que ceux-ci, soutenus par le pouvoir impérial, détruisaient aussi les reliques, des moines d’Emesa fuirent avec la tête dans une ville nommée Comana. Or deux villes portent ce nom, l’une en Arménie, l’autre en Cappadoce… Ils restèrent là jusqu’à la fin des Iconoclastes, en 843. Le patriarche Ignace accompagné de l’empereur Michel rapportent alors la tête à Constantinople, dans la chapelle du palais impérial, le 28 mai 850.
Ici, les deux versions se retrouvent, la tête de saint Jean Baptiste est à Constantinople, mais pas à la même date. Dans la seconde version, elle y est encore lors du sac de la ville par les Croisés en 1204. Des Français découvrent la tête dans les ruines du palais et l’emportent. Depuis, on peut voir la tête de saint Jean-Baptiste dans la cathédrale d’Amiens.
Mais selon l’autre version, quant le pape saint Paul I (757-767) fonde à Rome un monastère, il y héberge des moines grecs de Constantinople qui apportent avec eux la précieuse relique en pleine période des Iconoclastes et la déposent dans leur nouveau monastère. C’est-à-dire ici dans l’église de San Silvestro, où je l’ai vu de mes yeux et l’ai photographié ci-dessus.
Saint Jean-Baptiste a donc ainsi deux crânes, l’un à Amiens et l’autre à Rome. Après tout, on a bien pu montrer le crâne de Voltaire enfant, lui qui n’avait rien d’un saint… Pour marquer son avantage, San Silvestro fait valoir que le nom "de Capo" ou "in Capite" apparaît dans des documents datés, sans aucun doute possible, de 1192, soit 12 ans avant le sac de Constantinople et donc la prise d’un crâne par les Croisés. Depuis, la tête a été conservée dans un reliquaire. En 1527, c’est le sac de Rome par Charles Quint. Les soldats volèrent la riche décoration du couvercle, mais ne s’embarrassèrent pas d’une boîte avec un vieux crâne, que les religieuses du couvent gardèrent jalousement. Il y a quelques années, on a ouvert le précieux reliquaire, on y a trouvé ce crâne rempli de plâtre et de cire, enveloppé dans un tissu de lin datant du huitième siècle au plus tard. Ce tissu du huitième siècle qui correspond à la date d’arrivée à San Silvestro, le nom qui apparaît plusieurs années avant le sac de Constantinople, ces deux éléments tendent à accréditer la version selon laquelle la vraie tête de saint Jean Baptiste serait à Rome plutôt qu’à Amiens. Ou même qu’à Saint-Jean-d’Angély, selon une version qui aurait fait préférer cette ville à Amiens par les Croisés.
Venons-en à l’église elle-même. De nouveau, par avance je m’excuse platement pour la longueur des détails historiques que je vais devoir donner. Ou plutôt, pour être franc, que j’ai envie de donner. J’ai évoqué les Lombards, j’ai évoqué les Iconoclastes, j’y reviens maintenant.
En 568, les Lombards occupent le nord de l’Italie, avec Pavie pour capitale. Ils envisagent de gagner le sud peu à peu et de prendre Rome. Leur progression va nécessiter plus d’un siècle.
Pendant ce temps, alors qu’ils arrivent aux portes de Rome, en 730 l’empereur de Constantinople Léon III dit l’Isaurien (717-741) interdit les représentations sacrées et leur vénération. C’est le début de l’iconoclase. Le patriarche ayant refusé de signer le décret, il est déposé et remplacé par un autre, nommé par l’empereur. Le pape Grégoire II (715-731) informe Léon III que toute décision religieuse et toute nomination de patriarche relèvent de la seule autorité du pape, et il le déclare hérétique. Sous le pape suivant Grégoire III (731-741), un concile décide de l’excommunication de fait de quiconque détruirait des représentations religieuses. L’empereur riposte en confisquant les possessions papales de Calabre et de Sicile. Et la situation s’est poursuivie sous le pape Zacharie (741-752).
Le pape Étienne II ou Stéphane II ou Stefano en italien (26 mars 752 – 26 avril 757), souhaitant un allié militaire puissant et chrétien contre les Lombards quitte Rome le 14 octobre 753, franchit les Alpes (c’est la première fois dans l’histoire de la papauté que cela se produit) et rencontre en personne le roi franc Pépin le Bref (750-768), à Ponthion (du côté de Vitry-le-François), le 6 janvier 754. Parce que c’est la mauvaise saison et que ce long voyage est éprouvant, Pépin invite Étienne à passer l’hiver à Saint-Denis. Sensible à l’argument, d’autant qu’il tombe gravement malade, le pape accepte l’invitation du roi, s’installe à l’abbaye de Saint-Denis et rencontre plusieurs fois Pépin jusqu’à l’entrevue officielle et décisive de Quierzy, près de Laon, à Pâques 754, où Pépin le Bref promet formellement et publiquement sa protection au souverain pontife. Entre temps, échange de bons procédés, le pape a oint solennellement dans l’abbaye royale de Saint-Denis le roi, sa femme et ses deux fils. On peut aisément imaginer qu’Étienne II a l’intention, outre de contenir les Lombards, de disposer d’un appui pour se libérer de l’emprise de l’empereur de Constantinople et de créer ce qui serait plus tard les États Pontificaux.
En août 754, Pépin le Bref défait les Lombards à Pavie, accompagné d’Étienne II et de Fulrad, le supérieur, ou Père Abbé, de l’abbaye de Saint-Denis. Étienne, satisfait et riche d’une amitié personnelle pour Pépin et pour Fulrad, est de retour à Rome fin octobre 754 après une absence d’un an. Fulrad, lui, à son retour à Saint-Denis y reconstruit l’église abbatiale.
Étienne tombe très gravement malade en avril 757. Son frère prend le relais dès ce moment mais il ne sera couronné qu’après la mort d’Étienne, sous le nom de Paul I (29 mai 757 – 28 juin 767). Il sera canonisé saint Paul Premier. Le noble Romain propriétaire d’une Villa ici même où je me trouve aujourd’hui a eu le rare privilège d’être le père de deux papes…
Certes, les Lombards ont été vaincus. Certes, Pépin maintient sa protection pour Paul, avec qui les excellentes relations se poursuivent. Mais ces satanés Lombards ont pillé les environs de Rome, dévastant les cimetières paléochrétiens des catacombes. Il s’agit de sauver ce qui peut l’être. Un document de 761 signé Paul I dit en parlant de nombreuses reliques : "Je les ai apportées dans la ville de Rome et dans l’église que je viens de construire depuis ses fondations, à l’intérieur des murs, c’est-à-dire dans la maison qui m’est revenue en héritage de mes parents et où, comme c’est bien connu, je suis né et ai été élevé. Et par décision spéciale, j’ai décidé d’y établir un monastère de moines en l’honneur et sous le nom des saints Étienne, pape et martyr, et Sylvestre, pape et confesseur du Christ, dont les corps vénérables reposent à cet endroit". Ce transfert de reliques eut lieu le 19 juillet 761 pour saint Sylvestre et le 17 août 761 pour saint Étienne.
Quand Paul I choisit les reliques qu’il place dans son église, il ne le fait pas au hasard. Saint Étienne I (254-257)est évidemment un hommage à son frère aîné, ce frère étant également celui qui, par ses liens amicaux et politiques, a su donner à Rome son indépendance politique par rapport à l’Empire, aussi comprend-on qu’il ait voulu lui associer saint Sylvestre I (314-335) qui, au temps de Constantin, avait au contraire lié la religion à l’Empire pour lui permettre de se développer au grand jour hors du martyre. Parmi les autres reliques que Paul I a rapportées du cimetière de Saint Calixte figurent celles de saint Denis, pape de 259 à 268, en référence évidente à cet autre saint Denis, le Parisien qui a donné son nom à l’abbaye où Étienne II a longuement séjourné.
Et voilà (ouf !) pour les origines de cette église et de ce monastère, pour leur nom et leur emplacement.
La splendide peinture de la voûte représente l’Assomption de la Vierge. Le plafond est bien haut, les figures sont bien petites, il est difficile depuis la nef d’en apprécier les détails. En voici donc trois, agrandis.
Je peux supposer que ce sont là les Tables de la Loi, et que par conséquent il s’agit de Moïse redescendu du Sinaï.
Comment, dans cette église qui abrite (très probablement) le crâne de saint Jean Baptiste, ne pas le représenter ? C’est lui, ici, sur un nuage, près de la Vierge, et représenté aussi grand qu’elle au milieu de ces petits angelots.
Et puis légèrement en-dessous, et donc proche en dignité, le pape saint Sylvestre, grave, les mains jointes, tourné vers la Vierge en un geste de prière ou de supplication. Lui qui a permis le développement de l’Église, on peut penser qu’il demande son intercession pour que cesse l’iconoclase qui divise les croyants et affaiblit le christianisme. Ce que je trouve le plus excellent dans cette scène, c’est le petit ange, sous ses pieds, qui joue avec sa tiare et veut s’en coiffer avec un air fripon, tandis qu’un autre, qui semble un peu plus âgé et sérieux, veut l’en empêcher, à moins qu’il ne veuille la lui prendre pour s’en coiffer lui-même. C’est quelque chose que j’aime beaucoup dans ces peintures qui traitent de sujets sérieux, mais qui savent toujours y insérer un détail plein d’humour. C’est comme dans le travail, j’ai toujours aimé les gens sérieux à condition qu’ils ne se prennent pas au sérieux…
Dans le bas de l’église à droite on trouve cette "Madone de l’Espérance" pour ceux qui luttent contre les difficultés et les désillusions de la vie. Je trouve très belle cette statue.
Je ne sais pas qui représente cette peinture de plafond, mais en dehors de la sainte qui s’élève vers les cieux de manière bien conventionnelle, j’aime bien la composition, les couleurs, et ces nuées d’angelots.
Ici, nous voyons une Vierge à l’Enfant avec saint Antoine de Padoue et saint Étienne I. En dehors du petit air penché de saint Antoine, que je n’aime pas trop alors qu’il est en train de recevoir une fleur de Lys de la part de Jésus, cette toile de 1695-1696 est assez belle, avec cette Vierge berçant l’Enfant Jésus dans ses bras et ce que j’aime surtout c’est saint Étienne, que je montre en gros plan. Près de lui, au sol, sa tiare papale est posée sur une branche de palmier représentant son martyre. Les couleurs sont belles, éclatantes, la robe rouge de la Vierge et son manteau bleu, la cape dorée d’Étienne. J’aime aussi cette composition en diagonale qui me fait dire que saint Antoine est en dehors de la ligne de force du tableau.
Dans la chapelle de l’Immaculée Conception, une fresque de 1596 représente l’Adoration des Mages. Les Mages sont arrivés le 6 janvier, Jésus a donc tout juste deux semaines. Je le trouve bien avancé pour son âge… Mais j’aime bien cette composition complexe, tous ces personnages, et celui du premier plan bien détaché des autres, non pas en distance mais par la position, prosterné jusqu’à terre et présentant du doigt son présent. L’arrière-plan n’est pas négligé, ce sont des montagnes escarpées. J’ajoute une précision que je ne suis pas assez expert pour avoir trouvée moi-même : le peintre, Morazzone, est du nord de l’Italie, et la prééminence de la couleur sur la forme est la conséquence de son intérêt tout particulier pour la peinture vénitienne.
Ce tableau est du premier quart du dix-septième siècle. Ici, la Vierge et Jésus ont à leurs pieds quatre hommes. Au premier plan à gauche, il n’est pas difficile de reconnaître saint Jean Baptiste, mais pour les trois autres les spécialistes ne sont pas d’accord. Certains voient, dans le saint de premier plan en chasuble rouge, le pape saint Denis à qui est dédié l’autel de cette chapelle. Derrière lui à droite, sans auréole donc pas –ou pas encore– saint, ce serait saint Philippe Neri, canonisé en 1622 ce qui veut dire que le tableau serait antérieur à cette date. Et derrière, à gauche, avec quelques fleurs de lys sur sa tunique et sur sa couronne, certains y ont vu le roi de France saint Louis IX. J’ai un livre sur cette église, par une certaine Eileen Kane, docteur en histoire de l’art, qui pense que tout cela est faux. Pour elle, les deux personnages en chasuble de papes, à droite, qui se ressemblent, dont le premier est saint avec son auréole mais pas le second, seraient les deux frères, saint Paul I et Étienne II, dont c’est l’église construite sur le domaine familial. Quant à ce personnage de la Maison de France, tout à gauche, elle voit sur lui une corde à nœuds et une tunique de franciscain, il ne serait donc pas le roi de France mais saint Louis de Toulouse (que j’avoue ne pas connaître). Il est vrai que ces hypothèses sont assez convaincantes.
Dans le même bras droit du transept que le tableau précédent, figurent aussi la présentation de la tête de Jean Baptiste par Salomé à Hérode, que j’ai montrée au début, et cette procession ci-dessus. Ces deux tableaux, des peintures à l’huile sur toile, sont récentes. Elles sont l’œuvre de Virginio Monti, actif de 1875 à 1925. Je reviens un instant sur Salomé et Hérode. Derrière, penchée sur la table où elle s’appuie sur un coude, on voit Hérodiade très calme et satisfaite de cet horrible présent. Salomé, quant à elle, n’est nullement émue de la terrible chose qu’elle porte dans ses mains, elle sourit en regardant le tétrarque. En revanche, Hérode est fortement troublé, cela se voit dans son visage, dans sa position.
Le tableau ci-dessus représente une procession dans les rues de Rome avec la tête de saint Jean Baptiste. Peut-être est-ce la procession à laquelle fait allusion un prêtre de la basilique Saint-Pierre dans son journal au mois d’avril 1411 : à l’époque du Grand Schisme, le peuple de Rome et le clergé rendirent hommage au nouveau pape, l’antipape Jean XXIII lorsque, élu par le concile de Pise, il entra dans Rome. À cette occasion, quatre archevêques portèrent la relique à travers les rues de la ville.
Vite en passant, une vue du pied de ce magnifique lutrin du chœur.
Dans le bois de la chaire est sculpté ce visage de Christ imprimé sur un linge. D’habitude, on montre le voile de sainte Véronique, qui a essuyé le visage du Christ lors de sa Passion, voile conservé à Saint-Pierre du Vatican. Ceci n’évoque pas un Christ souffrant sur le Chemin de la Croix, mais ce que l’on appelle "l’image d’Edessa". Un texte du troisième siècle trouvé en Syrie raconte que le roi Abgar V Oukhama dont la capitale était à Edessa en Mésopotamie était atteint de la lèpre. Ayant entendu parler de ce Jésus qui prêchait et accomplissait des miracles, il lui envoya son secrétaire, qui était aussi peintre, avec une lettre demandant à Jésus de venir à Edessa, mais le secrétaire avait mission, au cas où Jésus refuserait, d’en faire au moins le portrait et de le lui rapporter. Quand il arriva, tant de monde entourait Jésus qu’il essaya immédiatement de peindre mais le visage rayonnait d’une gloire si inexprimable qu’il n’y parvenait pas. Jésus le vit, comprit ce qu’il avait entrepris, réclama de l’eau, se lava le visage, le sécha d’un linge sur lequel son visage s’imprima. Puis il fit une lettre pour Abgar expliquant qu’il ne pourrait aller le voir mais que dès que son prêche serait terminé il lui enverrait l’un de ses disciples. Quand Abgar vit le visage de Jésus sur le voile, sa lèpre guérit soudainement mais laissa des traces. Après la Pentecôte, Jésus lui dépêcha son disciple Thaddée, le roi se convertit et, lors de son baptême, les dernières traces de sa lèpre disparurent. Puis il plaça dans un niche sur une porte de la ville d’Edessa l’image sacrée. En 944 l’empereur de Byzance l’acheta et la plaça dans son palais. Elle en a disparu dans le sac de Constantinople en 1204 par les Croisés. Mais les moines grecs qui sont venus s’installer à San Silvestro l’auraient trouvée et apportée dans leurs bagages. Toujours est-il qu’elle a été vénérée dans cette église pendant des siècles. En 1870, à la veille de la prise de Rome pour en faire la capitale de l’Italie unifiée, le pape trouva plus prudent de transférer la relique au Vatican, ou elle se trouve actuellement mais non exposée au public. Et c’est à ce voile que se réfère la sculpture ci-dessus.
Nous terminerons cette longue visite par la "confession", cette sorte de demi-crypte sous l’autel qui contient les reliques de saints. Il n’est pas possible de descendre, mais on peut admirer cette belle réalisation qui date du début du vingtième siècle. Elle se situe exactement là où était la confession datant du Moyen-Âge et en a la même forme, mais elle est nettement plus profonde du fait de la recherche de reliques de martyrs à laquelle on a procédé en excavant. Par ailleurs, son auteur a tenté (et, semble-t-il, il y est parvenu) de créer un espace dans l’esprit du Moyen-Âge.
Nous sommes restés longtemps dans cette église, nous informant de tout puis, considérant que nous avions beaucoup vu et beaucoup appris, nous avons passé le reste de la journée à nous promener tranquillement dans les rues de Rome.