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20 mars 2010 6 20 /03 /mars /2010 22:11

412a Rome, San Bartolomeo

 

Maintes fois, nous avons tenté de visiter l’église San Bartolomeo all’Isola (Saint Barthélémy en l’Île), cette grande église sur l’île du Tibre, mais toujours nous l’avons trouvée fermée. Aujourd’hui, de nouveau, nous tentons notre chance et, ô miracle, elle est ouverte. Son clocher, comme beaucoup d’autres à Rome, date du douzième siècle, mais elle a été bâtie pour accueillir le corps de saint Barthélémy, l’apôtre qui avait été écorché vif, que l’on a apporté en 873.

 

412b Pinelli, San Bartolomeo all'Isola

 

J’ai déjà eu l’occasion de la photographier et d’en publier l’image dans mon blog. Je préfère donc, aujourd’hui, la montrer telle qu’on la voit depuis le Ponte Cestio qui relie l’île à la rive droite (quartier du Trastevere), et comme la représente Achille Pinelli. Je ne peux pas dire qu’elle soit splendide, mais sa position dans l’île, l’ambiance autour d’elle, ou je ne sais quoi d’autre, lui donne un charme certain.

 

412c Rome, San Bartolomeo

 

Ce n’est certes pas sa nef, très sombre, qui m’a enchanté. Comparée à celle de beaucoup d’églises hors de Rome, elle est assez belle, mais à côté de bien des églises romaines elle est assez quelconque. Toutefois, ses 24 colonnes de granit proviennent d’un temple païen. Sur ma photo, on distingue de loin une sorte de cylindre dans l’obscurité, au pied des quelques marches qui montent à l’autel.

 

412d Rome, San Bartolomeo

 

C’est la margelle d’un puits profond, puisqu’il descend à 12 mètres sous le sol de l’église. Il a été creusé dans le fût d’une colonne antique (ce qui explique que son diamètre soit petit pour un puits, même s’il est énorme pour une colonne). Cette pièce de marbre n’a pas seulement été évidée, elle a été sculptée au douzième siècle à l’effigie de saints.

 

412e Rome, San Bartolomeo

 

Quand nous étions enfants, quatre années de suite –de 1955 à 1958– nos parents nous ont emmenés en vacances dans une maison louée en Catalogne, à Palamós, distant de quelques kilomètres seulement de Palafrugell. Si j’évoque cela, c’est parce que ce Christ mutilé provient de l’église San Marti de Palafrugell qui a été incendiée pendant la guerre civile d’Espagne. La notice placée devant cette vitrine ne va pas plus loin dans ses explications, or il aurait été intéressant de savoir comment cet objet avait échoué là.

 

412f Rome, San Bartolomeo

 

Aucune explication non plus concernant cette icône. Les caractères sont cyrilliques, mais ni Natacha, ni encore moins moi, n’avons pu déterminer de quelle langue il s’agit. Le mot à gauche de la tête ressemble suffisamment au mot russe pour qu’on comprenne (même moi !) qu’il signifie "saint", mais le nom du saint est indéchiffrable pour nous, quelque chose comme Voïtikh... En tous cas, ce n’est pas un personnage connu.

 

412g Rome, San Bartolomeo

 

Cette autre icône au dessin très chargé, en revanche, est légendée en italien, ce qui rend très certaine l’identification de son origine. En dessous du Christ représenté siégeant dans un cercle et entouré des vingt-quatre vieillards de l’Apocalypse, un grand bandeau dit "à travers la grande tribulation". Plus bas, au-dessus d’une tour qui s’effondre, des bâtiments encadrent un homme derrière des barreaux, et sur le toit de ces bâtiments il est écrit "Le Christ dit Je suis la lumière du monde". Je ne suis pas capable d’interpréter tout ce que représente cette icône, mais j’aime la façon naïve dont sont représentés les personnages et les décors, la profusion des images, les couleurs.

 

412h Rome, San Bartolomeo

 

J’aime bien, également, ce tableau dont le style est radicalement différent et qui représente la Visitation, je suppose, parce que la position des deux femmes, Marie et Élisabeth, est la même que dans le célèbre tableau de Ghirlandaio, au Louvre. Toutes deux portent des vêtements qui peuvent se rapporter à leur époque, tandis que les deux femmes sur la gauche sont en vêtements contemporains du peintre, ce qui peut signifier qu’elles ne font pas partie de la scène, qu’elles sont de passage. Quant aux deux hommes, à l’arrière-plan, sur les marches de la maison… L’un peut être Zacharie, le mari d’Élisabeth, puisque ce couple était âgé et n’avait plus l’espoir d’avoir un enfant, mais qui accueille-t-il, je n’en sais rien. Quant aux montagnes, tout au fond, et le paysage dans son ensemble, ils évoquent plus la campagne romaine que la région de Jérusalem (Zacharie et Élisabeth vivaient à Ein Kerem, près de Jérusalem, et Joseph et Marie à Nazareth, dans le nord du pays).

 

412i Rome, San Bartolomeo

 

Et puis il y a cette Vierge à l’Enfant. Jésus a l’air d’un adulte, la trentaine, mais en réduction dans les bras de Marie. Mais le regard de Marie est merveilleux. Que de tristesse et de foi, dans ce regard !

 

413a1 Rome, San Crisogono

 

Sur la vision de cette belle fresque, nous ressortons de l’église, franchissons le Ponte Cestio et suivons la via della Lungaretta qui, dans l’Antiquité, était le début de la via Aurelia, laquelle allait jusqu’en Gaule en longeant la côte. En quelques minutes, nous arrivons à San Crisogono (Saint Chrysogone).

 

413a2 Vasi, San Crisogono

 

La représentation qu’en donne Giuseppe Vasi laisse voir que l’espace était beaucoup plus dégagé de son temps, au dix-huitième siècle. L’histoire de saint Chrysogone, soldat de l’armée romaine, fait état de sa prédication à Rome à la fin du troisième siècle et au début du quatrième, où il aurait converti beaucoup de gens, parmi lesquels sainte Anastasie et saint Rufin. Cela lui aurait coûté d’être arrêté par l’empereur Dioclétien et condamné à la décapitation. Il aurait été exécuté à Aquileia, très loin de Rome, du côté de Trieste, près de l’actuelle frontière de Slovénie, avec Anastasie et Rufin comme compagnons de martyre. Et à Aquileia on trouve un sarcophage sur lequel est gravé son nom. Par ailleurs, les archives épiscopales de la ville le citent dans la liste de ses évêques. Il faudrait supposer que ce soldat ait été évêque et ait eu une action missionnaire à Rome. Ce n’est pas impossible, il a pu être en garnison à Rome (aux portes de la ville, les soldats en armes ne pouvant y pénétrer), et convertir des gens, soit collègues militaires, soit lors des permissions, soit encore après avoir pris sa retraite. Puis il serait allé à Aquileia dont il serait devenu l’évêque. Surpris alors dans ses fonctions épiscopales, il aurait été exécuté. Mais certains pensent qu’il n’y a pas de lien entre les deux, saint Chrysogone ayant toute son histoire sur Rome, jusqu’à sa condamnation capitale, et par ailleurs un évêque portant le même nom aurait résidé dans le nord du pays, en Vénétie.

 

413b Rome, San Crisogono

 

Cette église trouve son origine au cinquième siècle. Mais c’est au douzième siècle qu’elle a reçu sa forme actuelle, avec ses vingt-deux colonnes de granit oriental qui ont été récupérées sur des temples païens et son clocher, même si elle a encore été assez profondément modifiée au dix-septième siècle par le cardinal Scipione Borghese, dont on retrouve partout le monogramme et le nom. Notamment, c’est de son temps qu’ont été ajoutés aux colonnes antiques ces volumineux et curieux chapiteaux en stuc et qu’a été monté le plafond à caissons. Passons sur la mosaïque de l’abside qui date du treizième siècle mais qui, à mon avis, ne vaut pas celles de plusieurs autres églises de Rome.

 

413c Rome, San Crisogono

 

Le sol, lui, me paraît plus original. Ces grands 8 rappellent le travail des Cosmates dont il est contemporain (il date du treizième siècle), mais ici il s’agit non pas d’un appareillage de marbres multicolores, mais de mosaïques, chaque cercle central représentant un dessin particulier.

 

413d Rome, Saint Chrysogone

 

Et pour changer un peu, voici une fresque moderne. Je ne sais qu’en penser. Je ne la trouve pas affreuse, mais je n’y vois aucune inspiration pieuse. C’est curieux, dans des genres extrêmement différents, je ressens que les auteurs de mosaïques du quatrième ou du neuvième siècle, les auteurs de fresques du Moyen-Âge, et puis les peintres de la Renaissance ou de l’époque classique, les sculpteurs, tous ces gens avaient la foi. Peut-être était-ce le cas de l’auteur de ce Christ, mais il ne l’a pas fait passer dans son œuvre. Par ailleurs, je trouve que tous les styles que j’ai cités précédemment coexistent sans choquer, et là, soudainement, j’ai l’impression que cette peinture n’est pas à sa place. Mais tout cela n’est que mon impression personnelle, je ne veux pas m’ériger en critique d’art, encore moins en juge des consciences.

 

413e Rome, San Crisogono

 

Passons vite sur la richesse des décorations (gâchée par les gros câbles électriques qui courent partout). Ces scènes de la vie de saint Chrysogone se trouvent tout autour de l’abside.

 

413f Rome, San Crisogono

 

Cette peinture semble représenter la Sainte Trinité, avec Dieu le Père à droite, portant l’Agneau sur ses genoux, Jésus appuyé sur sa croix, et le Saint Esprit symbolisé par cette colombe qui rayonne. La disposition du sujet n’est pas banale, en général le Père siège en majesté, ou sa main apparaît dans un nuage au-dessus de la tête du Fils.

 

413g Rome, San Crisogono

 

Ici, c’est la Vierge qui est en majesté, entourée des Trinitaires et d’anges portant la même croix que les religieux. Je trouve intéressante cette composition, et en particulier les deux petits angelots en bas à gauche qui semblent étrangers à la piété ambiante et jouent tranquillement dans leur coin.

 

413h-Rome--Saint-Chrysogone.jpg

 

Mais surtout, avant de quitter l’église, je voudrais montrer la parure du chœur. Sur ma photo de la nef, on aperçoit que le chœur est entouré d’une sorte de paroi semi-circulaire sombre. Il s’agit d’un travail en bois sculpté datant du dix-huitième siècle, dont je montre ici un détail de la partie supérieure. Ce même motif, très fin, très élégant, se répète tout autour. Le personnage de gauche, à la chevelure courte et frisée, semble vouloir représenter un Noir.

 

413i Rome, San Crisogono

 

Lorsque nous quittons l’église pour nous rendre à la sacristie, en haut du mur dans le dos de la personne qui nous accueille aimablement et auprès de qui nous achetons un livret sur San Crisogono, que vois-je ? cette mosaïque de l’Ordre de la Sainte Trinité dont nous avons déjà vu le modèle à San Carlo le 7 février, emblème des Trinitaires qui se sont donné pour mission la délivrance des esclaves. Cette mosaïque du vingtième siècle me confirme donc dans l’idée qu’autour du chœur chaque ange est encadré par un esclave blanc et un esclave noir, l’un et l’autre affranchis ou soignés par les Trinitaires.

 

413j Rome, San Crisogono

 

Il serait long et fastidieux de montrer en détail chacun des objets contenus dans ces vitrines, mais un coup d’œil de loin permet d’apprécier les richesses qu’elles contiennent, avant de descendre dans les entrailles de l’église paléochrétienne.

 

414a Rome, San Crisogono, église paléochrétienne

 

Je disais en commençant que les origines de cette église dataient du cinquième siècle. Elle a été modifiée au huitième siècle. L’église actuelle n’en est pas la modification, c’est une nouvelle construction au-dessus de l’ancienne. Nous sommes à cinq mètres sous le sol de la "nouvelle" église, qui a entraîné au douzième siècle l’abandon de celle où nous sommes maintenant. L’abandon et l’oubli. Et puis, en 1908, des fouilles qui se sont poursuivies jusqu’en 1928 ont redécouvert cette église paléochrétienne, qui a alors été dégagée. Ce que l’on voit ici, c’est le mur de son abside du cinquième siècle.

 

414b Rome, San Crisogono, église paléochrétienne

 

Lorsque l’on se promène, on a presque l’impression de visiter une catacombe, mais il n’en est rien, et je trouve particulièrement émouvant de me trouver dans ce lieu de culte très ancien, qui n’a pas subi les aménagements et embellissements des siècles suivants. Les dernières modifications sont du huitième siècle.

 

414c Rome, San Crisogono, église paléochrétienne

 

On a vu un sarcophage décoré de dessins en ondes dans une niche, maintenant en voici un autre le long d’un mur. Il date du troisième siècle après Jésus-Christ et représente le défunt dans une conque entourée de deux tritons au milieu de scènes tout à fait païennes. Nous avons été abordés, devant ce sarcophage, par une touriste canadienne d’Ottawa qui ne disposait d’aucune information sur cette église primitive. Et en effet, nul panneau explicatif ne dit ce que l’on voit et si, comme elle, on passe un mois en Europe, il est impossible d’acheter partout, comme nous le faisons, des documentations, sous peine de voir l’avion du retour s’abîmer en mer sous la surcharge. Cela nous a donné le plaisir d’une petite conversation internationale.

 

414d Rome, San Crisogono, église paléochrétienne

 

Je terminerai cette visite de San Crisogono en montrant un échantillon des fresques du huitième siècle, malheureusement assez abîmées, qui décoraient les murs. Ici, c’est saint Benoît qui guérit le lépreux en le bénissant.

 

Une autre montre Chrysogone, dans la tunique blanche et le manteau rouge bordé d’une bande, tenue des cavaliers romains, encadré de sainte Anastasie et de saint Rufin. Nous nous remplissons les yeux avant de regagner notre camping-car dans une banlieue beaucoup moins esthétique.

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14 mars 2010 7 14 /03 /mars /2010 00:37

410a1 Rome, Santa Maria in Via Lata

 

Notre balade d’aujourd’hui ne comportait aucune visite précise. Nous nous promenions le nez en l’air. Et puis, passant en fin de journée dans le bas du Corso, non loin de la piazza Venezia, nous avons pensé qu’il pourrait y avoir quelque chose d’intéressant dans l’église Santa Maria in Via Lata. Déjà, il vaut la peine d’essayer de prendre du recul pour apprécier sa façade dessinée par Pierre de Cortone, et construite entre 1658 et 1662. Je dis "essayer", parce que le Corso est une rue plutôt étroite.

 

410a2 Rome, Vasi, S. Maria in Via Lata

 

Or le nom de cette église signifie Sainte Marie sur le rue large. C’est qu’encore à l’époque de Giuseppe Vasi (1710-1782), auteur de la gravure ci-dessus, la rue avait une ampleur qu’elle a perdue aujourd’hui. L'église est, en fait, infiniment plus ancienne que sa façade, puisque bâtie au quatrième siècle par l’empereur Constantin et consacrée par le pape saint Sylvestre là où avaient vécu saint Pierre, saint Paul et saint Luc.

 

 

410b Rome, Santa Maria in Via Lata 

410c Rome, Santa Maria in Via Lata

 

Sans être exceptionnelle de splendeur, sans vraiment justifier un détour, Santa Maria in Via Lata est assez belle, avec son pavement assorti à ses colonnes. Mais, surtout, nous sommes à moins de cent mètres du palais d’Aste qu’avait acheté Lætitia Ramolino épouse Bonaparte, la mère de Napoléon, lorsque son fiston empereur a été envoyé pourrir à Sainte-Hélène par la perfide Albion, palais appelé désormais Palazzo Bonaparte. Elle y a vécu jusqu’à sa mort, en 1836. Santa Maria était sa paroisse.

 

410d1 Rome, Santa Maria in Via Lata

 

410d2 Rome, Santa Maria in Via Lata

 

On ne peut donc s’étonner de trouver sur le sol de l’église la pierre tombale de Joseph Napoléon Bonaparte (1824-1865), né à Philadelphie, fils de Charles et de Zénaïde. Ni son buste dans une chapelle latérale.

 

410e Rome, Santa Maria in Via Lata

 

Et, dans la même chapelle, de l’autre côté, on trouve le monument funéraire et le buste de Zénaïde. Elle est une nièce de Napoléon Premier, fille de son frère Joseph. Elle a épousé son cousin Charles, lui aussi neveu de l’empereur, fils de son frère Lucien. Le couple, marié en 1822, est parti vivre à Philadelphie et a eu trois enfants, dont celui qui est enterré ici est l’aîné.

 

410f Rome, Santa Maria in Via Lata

 

Avant de quitter cette église, une halte devant ce Christ impressionnant. Je n’admire pas son pagne qui ressemble au chèche de Yasser Arafat, mais j’aime l’idée réaliste de l’artiste qui représente une mèche de cheveux qui pend (quand il est en vie, Jésus a les cheveux longs, mais sur la croix pas une mèche ne dépasse), et puis il a été flagellé, il est tombé sur le chemin de croix, et l’on ne représente généralement que les stigmates, le sang ne s’écoulant que de son flanc, des quatre clous, et sous la couronne d’épines. Ici, il y a du sang sur son torse, sous son bras gauche, et ses deux genoux sont écorchés. Je ne suis pas en train de réclamer une représentation gore, avec de la peinture rouge partout comme dans un film d’horreur, mais ou bien le Christ doit être stylisé, à peine figuratif, ou bien il faut un minimum de réalisme. C’est, aussi, ce que j’aime dans la célèbre Pietà de Michel-Ange dans la basilique Saint-Pierre. Les artistes ne se privent pas de représenter des martyrs décapités, ou au milieu des flammes de leur bûcher, etc., mais le Christ est épuré.

 

411a1 Rome, Santi Dodici Apostoli

 

Telle est mon opinion, mais n’épiloguons pas. En sortant de Santa Maria in Via Lata, et après avoir fait nos photos de la façade, nous nous disons que, puisque nous sommes dans le coin, ce serait le moment de visiter dans la rue parallèle, à deux cents mètres à peine, la basilique Santi Dodici Apostoli, les 12 Saints Apôtres. Cette église, qui remplace un ancien lieu de culte voulu par l’empereur Constantin, a été construite au sixième siècle pour accueillir les reliques de saint Philippe et de saint Jacques le Mineur, mais son portique à neuf arches a été construit entre 1474 et 1481 par Julien della Rovere, futur pape Jules II (1503-1513).

 

411a2 Rome, Pinelli, SS Dodici Apostoli 

Hé oui, ici encore je manque de recul. Quand la focale normale est de 31 ou 32mm, un grand angle de 18mm me semblait raisonnable. Je me rends compte que pour des monuments de grande taille, dans des villes anciennes dont les rues sont étroites, ce n’est pas suffisant. Heureusement, nous avons acheté un certain nombre de livres d’artistes qui ont représenté Rome. Ici, c’est une aquarelle d’Achille Pinelli.

 

411a3 Rome, Santi Dodici Apostoli

 

Comme on pouvait s’en apercevoir, en bien petit, sur ma photo de la façade, comme on le distingue nettement sur l’image de Pinelli, et comme je le montre en gros ici devant le clocher, les saints apôtres sont représentés, en compagnie de Jésus, en statues monumentales sur le toit de la basilique. Il en est de même à Saint-Pierre du Vatican, à Saint Jean de Latran et dans plusieurs autres églises de Rome. Ce qui a fait dire à Joseph Brodsky, ce philosophe et poète russe émigré aux États-Unis après avoir été chassé d’Union Soviétique, qu’à Rome, des statues poussent sur les toits des églises.

 

411a4 Rome, Santi Dodici Apostoli

 

Alors il faut que j’en montre au moins une en gros plan. Ces statues sont l’œuvre de Carlo Rainaldi et ont été réalisées au milieu du dix-septième siècle.

 

411b1 Rome, Santi Dodici Apostoli

 

411b2 Rome, Santi Dodici Apostoli

 

411b3 Rome, Santi Dodici Apostoli

 

Ces trois lions datent du haut Moyen-Âge. Les deux premiers, du douzième siècle, encadrent l’entrée de la basilique, le troisième est du treizième siècle et il est placé lui aussi sous le porche mais sur le côté. Je les trouve pas mal, ces braves bêtes, et comme elles sont en surnombre j’aurais bien demandé si je ne pourrais pas en emporter une, mais j’ai pensé que ce serait trop lourd et trop encombrant dans le camping-car.

 

411c Rome, Santi Dodici Apostoli

 

Soyons sérieux. Voici la nef de cette grande basilique. Il faut reconnaître que ce n’est pas aussi spectaculaire que dans d’autres églises de Rome.

 

411d1 Rome, Santi Dodici Apostoli

 

En revanche, la voûte de la grande nef, décorée en 1706 par le même artiste que l’église du Gesù, et qui représente le Triomphe de l’Ordre des Franciscains, est assez grandiose. Mais je n’aime pas du tout ce genre de peinture…

 

411d2 Rome, Santi Dodici Apostoli

 

Et si, à vrai dire, je n’aimerais pas avoir cette représentation (dix-huitième siècle) de la chute des anges rebelles dans mon salon, et prendre le thé et les petits gâteaux en la contemplant, dans le faste de cette basilique je trouve que cela va bien. Et puis c’est assez admirable cet effet de trompe-l’œil, car il fait croire que, devant un ciel peint, des sujets en stuc sculptés hors du cadre sont précipités dans le vide. Il n’y a aucun relief, aucun stuc, aucune sculpture, tout est peint. Même vu au naturel, dans l’église, ce n’est pas évident. En conclusion, j’aime bien.

 

411e Rome, Santi Dodici Apostoli

 

Comme dans la plupart de ces églises très anciennes, il y a une crypte, qui est très impressionnante avec son dédale de chapelles entre les colonnes et ses multiples fresques. Ici, cette partie en demi-cercle se trouve sous l’abside.

 

411f Rome, Santi Dodici Apostoli

 

Cette photo de la coupole au-dessus du chœur de la basilique est prise depuis l’escalier qui descend vers la crypte.

 

411g Rome, Santi Dodici Apostoli

 

J’ai dit, au début, que le pape avait voulu cette basilique, à la place de l’église de Constantin, pour y placer les reliques de saint Philippe et de saint Jacques le Mineur, qu’il venait de recevoir. Voici donc le sarcophage dans lequel elles sont conservées. Indépendamment du gros écriteau placé sur la tombe, le sarcophage est gravé d’une inscription en latin qui dit "Ici ont été réunis les corps des saints apôtres Philippe et Jacques le Mineur".

 

411h Rome, Santi Dodici Apostoli

 

Cette église, et surtout dans sa crypte, contient beaucoup de belles choses. Je ne trouve pas que cette Vierge fasse en elle-même partie des plus remarquables, mais j’ai choisi de la montrer en raison de sa signification. En effet, près d’elle une inscription en langue espagnole donne une explication. "Cette image de la Vierge pleine de grâce des Trente-Trois, réplique de celle qui est vénérée dans le sanctuaire cathédrale de Florida (Uruguay), bénie par Sa Sainteté Jean-Paul II, fut intronisée sur cet autel le 25 octobre 1994. Sa fête liturgique est célébrée le 8 novembre". Lorsque, le 25 août 1825, les "Trente-Trois Orientaux" proclamèrent l’indépendance de l’Uruguay, ils allèrent se prosterner devant cette statue de la Vierge (ou plutôt devant son original, à Florida), et depuis elle est la patronne du pays. Cette copie est donc, pour la colonie uruguayenne de Rome, un peu de la terre de leur pays.

 

411i Rome, Santi Dodici Apostoli

 

J’ai parlé des fresques nombreuses qui ornent la crypte. Voici le Bon Pasteur, en tunique et en manteau de pourpre, comme les empereurs romains. De chaque côté, un homme en toge –je suppose qu’ils figurent des apôtres, peut-être Philippe et Jacques– recueillent dans leurs mains quelque chose qui tombe du ciel. Il semble que ce soit de l’eau, mais on ne peut la garder dans les mains. Il y a eu, au temps de Moïse, la manne qui tombait du ciel dans le désert, mais ici, malgré la présence d’un palmier, on a plutôt l’impression d’un paysage verdoyant. Alors est-ce la grâce qu'ils reçoivent du Ciel ? Je n’ai donc pas l’explication de cette fresque, mais la représentation me plaît bien.

 

411j1 Rome, Santi Dodici Apostoli

 

Je donne cette photo d’une autre chapelle prise d’un peu plus loin pour montrer que les murs sont entièrement peints et donnent une impression de chaleur. Mais de là on voit mal le dessin de la fresque centrale.

 

411j2 Rome, Santi Dodici Apostoli

 

La voici donc en plus gros plan. "Ils virent des charbons ardents posés, un poisson posé dessus, et du pain (Jean, 21)", dit la légende peinte en arc de cercle au-dessus des têtes. Et l’évangile de saint Jean, au chapitre 21, raconte en effet la pêche miraculeuse et l’apparition de Jésus ressuscité. Les disciples le reconnaissent, et Pierre se jette à l’eau pour aller vers lui. Les autres viennent avec la barque. "Lorsqu'ils furent descendus à terre, ils virent là des charbons allumés, du poisson dessus, et du pain. Jésus leur dit : ‘Apportez des poissons que vous venez de prendre’. Simon Pierre monta dans la barque, et tira à terre le filet plein de cent cinquante-trois grands poissons ; et quoiqu'il y en eût tant, le filet ne se rompit point. Jésus leur dit : ‘Venez, mangez’. Et aucun des disciples n'osait lui demander : ‘Qui es-tu ?’ sachant que c'était le Seigneur. Jésus s'approcha, prit le pain, et leur en donna ; il fit de même du poisson. C'était déjà la troisième fois que Jésus se montrait à ses disciples depuis qu'il était ressuscité des morts".

 

411k Rome, Santi Dodici Apostoli

 

Avant de sortir de l’église précédente, j’ai montré un Christ en croix. Alors ici, remontant de la crypte, je m’arrête un instant devant celui-ci, qui est frappant, lui aussi. D’abord, sans doute, parce qu’il est placé devant un fond bleu qui fait ressortir de façon dramatique son corps distendu. Dans le supplice de la croix, on meurt par étouffement et, la mort étant retardée si le supplicié se donne un peu d’air en s’appuyant sur ses pieds, les soldats ont brisé les jambes des deux larrons auprès du Christ pour qu’ils soient morts avant le sabbat des Juifs, mais ont épargné celles de Jésus, constatant qu’il était déjà mort. Ici aussi, les genoux sont en sang, et puis les bras sont distendus, les épaules presque déboîtées, le thorax gonflé et le ventre rentré, pour montrer que les poumons ne pouvaient plus expirer l’air. Je trouve donc cette représentation dramatique particulièrement réaliste et émouvante.

 

Pour terminer, une petite anecdote qui a eu pour théâtre le bas de cette église et que rapporte un chroniqueur qui en a été le témoin en 1543. Il s’agit de deux aristocrates romaines, Livia Colonna et Faustina Mancini, toutes deux très belles et pour cela rivales. "Elles entrèrent dans l’église, l’une par la première porte, l’autre par la dernière et, au niveau du bénitier, elles se trouvèrent nez à nez. Très vite, elles se rajustèrent, s’arrangèrent, se refirent, se redressèrent, mirent en valeur, en quelque sorte, toute leur beauté, elles se dévisagèrent de la tête aux pieds […]. Après s’être bien assaillies mutuellement du regard, à la fin elles se tournèrent le dos de façon que chacune ait l’air de dire ‘vous vous avouez vaincue’".

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13 mars 2010 6 13 /03 /mars /2010 23:59
408a0 Rome, Pinelli, mardi gras au Corso

Avant hier, c’était Mardi Gras. Au Corso, selon la tradition, il s’est passé des choses… mais nous n’y sommes pas allés. Nous n’y avons songé que trop tard. Dommage. Aussi ne puis-je dire comment se passe de nos jours le carnaval, mais par le passé il avait lieu tous les ans, à l’exception de l’année 1809 où, la France de Napoléon occupant Rome, le peuple romain a souhaité manifester de la sorte son mécontentement. La "statue parlante" Pasquino déclara, à cette occasion, que "l’ours danse sous le bâton, mais pas l’homme". Le Mardi Gras, des chevaux étaient lâchés sans cavalier pour une grande course, et c’est de là que vient le nom de cette rue, le Corso. Tel est le sujet de cette aquarelle d'Achille Pinelli. Nous avons visité, le 26 novembre, l’appartement de Goethe, qui se trouve dans cette rue. En février 1788, il écrit : "Les fous ont encore fait un beau tapage lundi et mardi, surtout mardi soir, où la folie des Moccoli était en pleine floraison". Le soir, après la course de chevaux, les Moccoli étaient des hommes qui défilaient, une chandelle à la main, et essayaient d’éteindre la chandelle des autres.

 

Aujourd’hui jeudi, piazza del Popolo, au bout du Corso, il y avait deux vastes lits de paille, et du crottin. Je crains donc que nous n’ayons manqué la suite de cette longue tradition.

 

408a1 Rome, Piazza Barberini

 

Mais l’heure n’est plus au Mardi Gras. Parce que Natacha a des photos à faire au palazzo Barberini et dans son jardin, nous débarquons au métro qui porte ce nom, et sortons sur la place du même nom. Original. Comme nous sommes déjà venus des tas de fois ici, je pense amusant de montrer la place aujourd’hui,…

 

408a2 Rome, Roesler, piazza Barberini

 

408a3 Rome, Gustav Palm, piazza Barberini

 

…et aussi telle qu’elle était pour Ettore Roesler Franz (1845-1907) ou pour Gustav Palm (dont je ne connais pas les dates).

 

408b Rome, fontaine du Triton

 

Impossible de ne pas montrer les abeilles et la tiare d’Urbain VIII Barberini avant de rejoindre Natacha dans son travail.

 

408c1 Rome, boutique pour ecclésiastiques

 

Lorsqu’elle en a fini, nous allons faire un tour dans les petites rues. Là, par chance, nous tombons sur une boutique dont je note soigneusement l’adresse, parce que je peux en avoir besoin pour me fournir en crosse et en mitre si je deviens évêque.

 

408c2 Rome, boutique pour ecclésiastiques

 

Et ce n’est pas tout. Pour commencer un large chapeau de prêtre pour avoir l’air rétro (même à Rome où beaucoup de prêtres sont encore en soutane, je n’en ai pas vu qui portaient ce beau couvre-chef), et puis une calotte violette quand je serai évêque et rouge lorsque je serai cardinal. Et les chaussettes assorties. Pas d’autres sous-vêtements en vue, mais dans notre supermarché de quartier il y a actuellement, sur le mannequin, un tee-shirt à 6,90 et un boxer à 4,90, tous deux du plus beau fuchsia. Non, le vrai problème, c’est qu’il n’y a pas de calotte blanche. Comment ferai-je, après mon élection au trône de saint Pierre ?

 

409a1 Rome, Sant'Ignazio

 

Tant pis, passons notre chemin. Il y a quelque temps, nous avons lié conversation, au Mac Donald’s (excellente référence pour les gourmets), avec une famille dont le père était un carabinier de la brigade des biens culturels dont les bureaux sont piazza di Sant’Ignazio, et qui nous avait recommandé d’aller visiter la splendide église située en face de là où il travaille. C’est une église des Jésuites, la seconde, construite en 1626, seulement 58 ans après l’église du Gesù. Saint Ignace de Loyola avait souhaité créer une école gratuite, la toute première au monde, "de grammaire, d’humanité et de doctrine chrétienne", le Collegio Romano. Mais cette école a eu un tel succès qu’elle atteignait 2000 élèves au début du dix-septième siècle, et qu’il a fallu lui prévoir une église spécifique, les églises du voisinage étant incapables d’accueillir cette foule d’étudiants.

 

Je cite Stendhal : "Tout près du temple d’Antonin se trouve l’église de Saint Ignace. Le grand peintre Dominiquin avait fait deux dessins ; un jésuite prit la moitié de chacun de ces dessins, et c’est ainsi que nous est venue l’église actuelle, commencée en 1626 et finie en 1685. L’intérieur est riche plutôt que beau". Ce n’est pas tout à fait exact. Le jésuite Horace Grassi, professeur de mathématiques au Collegio Romano, qui a recueilli les deux dessins du Dominiquin, s’en est inspiré, certes, mais à la fin son projet était très différent d’un simple collage de deux demi-dessins. Une commission, à laquelle participait le célèbre architecte Carlo Maderno, approuva ses plans et la construction commença sur l’emplacement d’un temple païen dédié à Isis (dans l’Antiquité, ce quartier était habité par de nombreux Égyptiens). Après quelque temps, Grassi est envoyé enseigner à Sienne, et un autre jésuite, le Père Antonio Sasso, dirige les travaux à sa suite. Mais il fait réaliser une façade plus élevée de 5 mètres que celle des plans de Grassi. Nouvelle convocation de la commission, qui déclare : "Nous soussignés, professeurs d’architecture à Rome, […] estimons qu’il y a des transgressions très évidentes qui méritent élimination et transformation totale". En conséquence, une partie de la façade a été détruite et reconstruite selon les plans initiaux.

 

409a2 Rome, Vasi, Sant'Ignazio

 

Puisque j’ai commencé, aujourd’hui, à placer des scans de livres que nous avons achetés ici à Rome, je continue avec cette gravure de Giuseppe Vasi, ce graveur et architecte italien (1710-1782), qui nous permet de voir l’apparence des lieux au dix-huitième siècle. Le bâtiment qui fait suite à l’église est celui du Collegio Romano. Aujourd’hui, sur cette place, on a si peu de recul qu’il est impossible, avec mon trop faible grand angle, d’obtenir une vue plus ample que celle que j’ai photographiée. J'aimebien Vasi, qui agrémente toujours ses vues de monuments de détails piquants. Ici, c'est un carrosse dont une roue s'est détachée, ailleurs ce sont des chevaux qui se cabrent, etc. 

  409b1 Rome, Sant'Ignazio

 

On peut apprécier l’ampleur de cette église. Sur la gauche, dans l’une des chapelles que l’on devine, se trouve la tombe de saint Roberto Bellarmino. Hé oui, saint. Le 12 avril 1615, ce cardinal soutient que "vouloir affirmer que, réellement, le soleil est au centre du monde et qu’il ne tourne que sur lui-même sans courir de l’orient à l’occident et que la terre se trouve dans le troisième ciel et tourne à grande vitesse autour du soleil est chose très dangereuse", puisque la Bible atteste "que le soleil est dans le ciel et tourne autour de la terre à grande vitesse et que la terre est très loin du ciel, située au centre du monde, immobile". C’est dans son palais que le 26 mai 1616 Galilée se récuse, déclare rejeter les thèses de Copernic… mais ajoute en privé "eppur, si muove". J’avais, le 21 décembre, montré la statue de Giordano Bruno, moine philosophe jugé hérétique et brûlé vif le 17 février 1600 pour ses théories. On ne sera pas étonné que les minutes de son procès, le 14 janvier 1599, fassent apparaître le nom du cardinal Bellarmino parmi les membres siégeant au tribunal, lui qui a écrit que "les hérétiques incorrigibles, spécialement les récidivistes, peuvent et doivent être châtiés par l’Église, et condamnés par l’autorité civile à des peines temporelles et jusqu’à la mort même". Les années passent. Au dix-neuvième siècle, Stendhal écrit au sujet du Collegio Romano : "Vous me prendriez pour un satirique bilieux et malheureux si je vous expliquais le genre de vérités qu’on y enseigne. Je crois qu’il a fallu une bulle pour permettre d’y exposer, mais seulement comme une hypothèse, le système qui prétend que la terre tourne autour du soleil […]. De là cette fameuse persécution de Galilée sur laquelle on ment même aujourd’hui, en 1829".

 

409b2 Grenade, St François-Xavier baptise un Indien

 

Sur ma photo de la nef, on distingue au fond du chœur trois grands peintures mais, bien sûr, on ne peut voir ce qu’elles représentent. Et parce que celle de gauche montre saint Ignace de Loyola envoyant saint François-Xavier comme missionnaire aux Indes (occidentales), je préfère placer ici une photo que j’avais faite le 18 août 2006 en Espagne, à Grenade, et qui représente saint François-Xavier baptisant un Indien. L’inscription disait qu’il en avait baptisé un million deux cent mille.

 

409c Rome, Sant'Ignazio

 

L’église, comme le dit Stendhal, est d’une richesse extrême. On peut l’apprécier d’après cette image du transept.

 

409d1 Rome, Sant'Ignazio

 

Mais surtout, ce qui est le plus frappant, c’est la monumentale peinture de la voûte de la nef réalisée en 1684 par un jésuite du nom d’Andrea Pozzo. La lumière de Dieu tombe sur saint Ignace et se réfléchit sur la représentation allégorique des quatre parties du monde. Pozzo est l’auteur d’un traité sur la perspective et le trompe-l’œil, qui a eu un grand retentissement dans la peinture du dix-huitième siècle. Certes, cette vue globale ne permet absolument pas d’apprécier ce trompe-l’œil, mais elle montre la vaste composition de l’ensemble.

 

409d2 Rome, Sant'Ignazio

 

La peinture de l’abside, elle aussi de Pozzo, illustrera mieux la manière de l’artiste. Il s’agit de la représentation de miracles accomplis par saint Ignace. Les personnages montrés en avant des colonnes de l’architecture, les sujets dans le ciel en arrière plan, donnent une impression de relief selon la technique du peintre.

 

409e Rome, Sant'Ignazio

 

Ceci est le monument funéraire du pape Grégoire XV (1621-1623) et de son neveu le Cardinal Ludovico, dont la représentation est limitée à un médaillon en-dessous de la statue de l’illustre oncle. C’est l’œuvre du Français Pierre Legros (1666-1719).

 

409f Rome, Sant'Ignazio

 

Le monument est encadré de deux figures allégoriques au pied du trône du souverain pontife. À sa gauche, c’est la religion. À sa droite (photo ci-dessus) c’est la munificence, par le même Pierre Legros.

 

409g Rome, Sant'Ignazio

 

Deux allégories de la "fama", la renommée, volettent en outre à la hauteur de ses épaules. La représentation de gauche a embouché la trompette. Et c’est un autre Français qui les a sculptées, Pierre-Étienne Monnot (1657-1733). Je ne déteste pas cette statue de Grégoire XV, quoiqu’elle soit un peu maniérée. J’en dirais autant de la Munificence. La Renommée, quant à elle, est beaucoup moins élégante et raffinée, le visage n’est pas joli, mais elle est amusante avec ses deux joues gonflées pour souffler fort. Ce que je reproche surtout à ce monument –mais il faut le voir en entier pour en juger–, c’est que toutes les statues aient la même taille. De ce fait, alors qu’en moyenne les hommes son plus grands que les femmes, le pape paraît petit. Et cette impression est encore augmentée par le fait de la perspective puisque, placé plus haut, il est plus loin des regards ce qui le diminue encore.

 

En conclusion, cette église vaut la peine d’être vue, mais elle ne me laisse pas un souvenir impérissable.

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10 mars 2010 3 10 /03 /mars /2010 23:31

Après nos visites à Santa Pudenziana et à Santa Prassede, nous avions un rendez-vous. Un rendez-vous sympa. En effet, ce blog, je l’avais ouvert à l’origine pour que famille et amis puissent, quand ils en auraient le temps ou l’envie, savoir où nous en sommes de notre périple et voir en résumé ce que nous verrions en grand, texte et images.

 

Mais Internet est une "toile" World Wide, et Google m’a référencé sous plusieurs mots-clés. Du coup, quelqu’un qui prépare un livre de latin m’a sollicité pour une photo, et de temps à autre un lecteur m’adresse un commentaire. Et ce n’est pas parce que là n’était pas le but initial que cela ne me fait pas plaisir. Au contraire.

 

Parmi ces correspondants, il en est un qui est particulièrement fidèle. Mais il est responsable, que dis-je, responsable ? coupable que mes chevilles enflent, enflent, même en dehors de la moindre entorse, de la moindre foulure. En effet, il ne dit jamais que des gentillesses.

 

Il s’appelle Pierre. Il est marié à Donatine, qui est née italienne, en Basilicate. Ainsi, passant la plupart de leurs vacances en Italie, ils connaissent fort bien le pays, et non pas en touristes, mais de l’intérieur, à travers la famille de Donatine. Cela, malheureusement, c’est une approche que nous ne pourrons avoir de ce pays. Mais à travers leurs avis, leurs conseils, leurs suggestions, nous pouvons nous en approcher.

 

Or tous deux sont dans l’enseignement, et ont donc droit à des vacances dites "d’hiver", en février, qu’ils ont décidé de passer à Rome et à Naples. Ah, les vacances des enseignants ! Certains ministres, et d’autres, soit mal informés, soit (plutôt) de mauvaise foi, font passer les professeurs pour de fieffés feignants, qui ne travaillent que 15 ou 18 heures par semaine, et entrecoupent ces semaines de travail léger de nombreuses et longues vacances. J’ai été professeur pendant 12 ans en début de carrière. J’ai ensuite, pendant 30 ans, été chef d’établissement ou adjoint. J’ai très souvent accompagné des inspecteurs dans les classes lors des inspections. J’ai vu, de l’intérieur et de près, le travail des enseignants. D’abord, ces heures de face à face sont intenses, tant physiquement qu’intellectuellement. Pas une seconde d’inattention n’est permise. Et puis, un cours, cela se prépare. Quel professeur oserait se présenter devant ses élèves sans savoir de quoi il va traiter ? Non, c’est vrai, il y en a quelques uns qui osent. C’est une infime minorité, mais quelle profession n’a pas ses brebis galeuses ? Et les corrections de copies. On a du plaisir –j’avais un immense plaisir– à se trouver en face d’élèves, mais les copies c’est une corvée qui prend des heures et des heures. Quant aux vacances, si elles n’étaient pas nécessaires, indispensables, même, il n’y aurait pas autant de professeurs dépressifs, exténués.

 

Bon, j’arrête avec mon petit couplet habituel (ceux qui me connaissent l’ont entendu, ou lu, maintes et maintes fois). Donatine et Pierre sont en vacances à Rome depuis le début de la semaine, et par mail nous avons décidé de nous rencontrer. Je leur adresse un SMS pour proposer aujourd’hui, 19h, au célèbre Caffè Greco. Nous arrivons à l’heure, ils sont déjà là… devant le café fermé pour travaux. Bêtement, je n’avais pas vérifié. Nous partons vers la piazza San Silvestro, où l’autre jour Natacha et moi avons pris un pot dans un décor et une ambiance sympathiques. Évidemment, nous nous trompons de chemin, mais Donatine, dont l'italien est la langue maternelle, s’informe et nous remet dans le droit chemin.

 

407 Rome, avec Pierre et Donatine

 

Et c’est ainsi que nous passons ensemble trois heures qui me semblent 20 minutes tant elles ont été agréables, en sirotant notre apéritif. C’est par certains aspects une conversation sur qui nous sommes les uns et les autres, ce que nous sommes, d’où nous venons (ce n’est pas toujours comme avec Pierre Dac : "À l’éternelle question philosophique Qui sommes-nous, d’où venons-nous et où allons-nous, je réponds Je suis moi, je viens de chez moi et j’y retourne"), mais c’est aussi une conversation comme si nous nous connaissions depuis toujours. J’avais eu l’occasion de dire que nous n’avions pu visiter le palais Farnèse qui abrite l’ambassade de France parce qu’il aurait fallu réserver par Internet longtemps à l’avance et, pensant toujours que dans une semaine ou deux nous aurons quitté Rome, nous ne faisons pas de réservation à long terme. Or hier Donatine et Pierre ont effectué cette visite. Eh bien ils ont eu cette attention délicate d’acheter pour nous l’offrir une carte représentant un plafond décoré de peintures splendides.

 

Natacha comme moi sommes ravis de cette rencontre avec nos nouveaux amis. Nous avions prévu de fêter cette rencontre en leur offrant cet apéritif. Pierre a pris la note et a refusé de me la passer. Nous sommes donc ses invités… Alors ce sera pour une autre fois parce que, en France ou à l’étranger, nous sommes bien décidés à nous revoir.

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9 mars 2010 2 09 /03 /mars /2010 23:15

Il semble que deux églises à Rome situées à proximité de Sainte Maria Majeure, qui ne font pas partie des habituels circuits touristiques, méritent la visite si j’en crois quelques informations glanées ici ou là. Santa Pudenziana (Sainte Pudentienne) n’a obtenu aucune étoile globale de la part de mon Guide Vert Michelin, juste une petite étoile partielle malgré "la disparition de plusieurs figures de la belle mosaïque* qui remonte à la fin du quatrième siècle". Quant à Santa Prassede (Sainte Praxède), elle a une étoile globale et une autre partielle pour la mosaïque du chœur, elle aussi. Allons voir ça de plus près.

 

404a Rome, Santa Pudentiana

 

Nous commençons par Santa Pudenziana. Il est vrai que cette façade ne mérite pas à elle seule le voyage de Rome, même si elle n’est pas inintéressante.

 

404b Rome, Santa Pudentiana

 

Ses colonnes aux très fines torsades, ses sculptures délicates, sa fresque hélas très effacée, méritent d’être vues. Ces éléments datent du douzième siècle, à une époque où un peu partout on construisait sur les façades des églises de Rome des porches à portique.

 

404c Rome, Santa Pudentiana

 

En faisant le tour des rues, on arrive à la parallèle, qui présente cet aspect tout à fait ancien et qui permet d’être convaincu lorsque l’on lit que c’est l’une des plus anciennes églises de Rome. Elle a son origine au quatrième siècle. De là, on aperçoit le clocher qui, comme le portail de façade, est du douzième siècle. Mais lui, il ressemble comme un frère à tous les autres nombreux clochers de cette époque, ce qui ne l’empêche pas d’être léger et beau.

 

404d Rome, Santa Pudentiana

 

Revenons sur la façade principale pour pénétrer dans l’église. On y accède par une petite pièce où une religieuse est assise derrière une table, occupée à lire. Ce doit être intéressant, parce qu’elle ne répond pas à mon bonjour. Sans doute mon accent est-il mauvais, elle a peut-être cru à un juron. Aujourd’hui, il fait un peu froid et il a plu, par égard pour elle je repousse la porte derrière moi. D’un geste énervé assorti d’un grognement, elle me signifie que la porte doit rester ouverte. Soit. Mais je ne peux m’empêcher de penser que si les religieuses se donnent comme épouses (mystiques) au Christ, le pauvre, avec elle il est bien mal tombé et doit être malheureux en ménage. Mais moi, si je continue avec mes médisances, je vais aller griller en enfer où je risque fort, ô terrible châtiment, de me retrouver avec elle, alors vite je passe dans l’église pour photographier la nef.

 

404e1 Rome, Santa Pudentiana

 

404e2 Rome, Santa Pudentiana

 

404e3 Rome, Santa Pudentiana

 

La voici, cette splendide mosaïque. Je la trouve bien chiche cette seule petite étoile de mon guide. D’abord, c’est original et amusant, cette représentation des évangélistes par leurs attributs dotés d’ailes comme des anges. Sur ma photo, on en aperçoit deux. À gauche, c’est le lion de saint Marc, passablement anthropomorphe, qui fronce les sourcils et montre les dents avec un air furieux. À droite, c’est le bœuf de saint Luc, bien plus paisible, avec le regard doux d’une bonne vache qui rumine dans son pré. Autour de Jésus, les apôtres sont pleins de vie, ils ne sont pas debout et figés comme souvent, ils se tournent, parlent, font des gestes. Je ne suis pas capable de les identifier individuellement, je ne sais pas pourquoi deux d’entre eux reçoivent une couronne de laurier. Mais à coup sûr, sur la dernière photo, le plus jeune, avec ses cheveux longs et son air un peu féminin, c’est saint Jean. La femme qui, sur cette dernière photo, pose la couronne est sainte Pudentienne. Le style de cette représentation, l’une des plus anciennes mosaïques chrétiennes de Rome, n’est pas encore byzantin, il est très romain avec ce mouvement et ces couleurs vives.

 

404f Rome, Santa Pudentiana

 

Cette fresque est légendée. Ces messieurs sont, de gauche à droite, saint Paul, saint Pierre et saint Pudens. Je ne me souvenais pas que le troisième ait été canonisé, et donc ou bien sa sainteté est peut-être usurpée, ou bien ma mémoire est défaillante. Je cite saint Paul, la deuxième épître à Timothée, 4, 21 : "Hâte-toi de venir avant l'hiver. Eubule, Pudens, Linus, Claudia et tous les frères te saluent". Ce Pudens est un sénateur converti au christianisme, dont la maison était ici même (elle existe encore, dans les soubassements de cette église), et qui y reçut saint Pierre. Cela, c’est historique. Je vais dire un peu plus loin ce que fait ici ce sénateur, à part avoir reçu saint Pierre chez lui.

 

404g Rome, Santa Pudentiana

 

Natacha travaille sur les gens des pays d’Europe centrale et orientale à Rome. Et c’est fou le nombre de Polonais que l’on trouve ici. Non pas que l’on entende souvent parler polonais dans la rue, cela arrive mais il est beaucoup plus courant d’entendre parler russe. Non, c’est dans les églises que les tombes de Polonais plus ou moins illustres pullulent. Ce Vladimir Czacki a été fait cardinal par Léon XIII en 1882, il a été titulaire de l’église Santa Pudenziana et "il a excellemment géré la légation française dans des temps très difficiles". Lui mort en 1888, ces "temps très difficiles" ne peuvent être la séparation de l’Église et de l’État en France (1905) mais quand, en 1866, Napoléon III prend le parti de l’unité italienne cela crée un fossé entre lui et la papauté, suivie par l’immense majorité du clergé français. Je suppose que c’est à cette époque que se réfèrent ces mots.

 

404h Rome, Santa Pudentiana

 

Et ici, c’est un monument à une certaine Calixte, "fille de Wenceslas, de la très noble famille polonaise Rzewuska". En effet, ce Wenceslas Rzewuski fut grand hetman de Pologne au dix-huitième siècle. C’est de cette famille, dont une branche était installée dans ce qui est aujourd’hui l’Ukraine mais qui appartenait alors à la Pologne, qu’est issue Évelyne Rzewuska, épouse du comte Hanski, adulée par Balzac qui fit deux fois le voyage d’Ukraine, et finit par l’épouser en 1850, neuf ans après être devenue veuve. Mais lui-même mourut l'année même de son mariage, six mois plus tard. Le 4 janvier, j’avais montré dans mon blog la maison où avait vécu à Rome le frère d’Évelyne Hanska.

 

404i Rome, Santa Pudentiana

 

Désolé, ici encore j’ignore ce que je montre. Cet homme, quoiqu’habillé en blanc et non en violet ou en rouge, est un évêque ou un cardinal, parce que près de lui il a posé sa mitre, et que cet angelot obèse lui tient sa crosse. Si je montre cette photo, c’est pour cet angelot. Si gros, si laid, avec une tignasse si noire, avec un regard et un maintien si sérieux devant ses petites ailes cotonneuses, je le trouve irrésistible.

 

404j Rome, Santa Pudentiana

 

En revanche, dans une chapelle voisine, pas drôle du tout mais émouvante de beauté, cette Madone est hélas complètement dans l’ombre. Ce n’est que grâce au flash (autorisé) que l’on peut la découvrir, après coup, sur la photo. S’il vous plaît, mettez comme dans bien d’autres églises, un monnayeur qui permette, pour 50 centimes, d’allumer un projecteur pendant une minute. Hélas, je ne vois que peu de touristes venir ici, et il faudrait peut-être vingt ans pour rentabiliser l’appareil. Sans compter que, là où il y a des monnayeurs, tout est longtemps obscur, et quand nous arrivons et mettons notre obole, la foule se précipite, les appareils photo crépitent, et quand cela s’éteint tout le monde repart, sans bourse délier. Il n’empêche, quel dommage que l’on ne puisse pas admirer à loisir ce splendide tableau de la Vierge. Je focalise ici sur son visage fascinant.

 

404k Rome, Santa Pudentiana

 

Dans une autre chapelle, cet ange. Là, non seulement c’est aussi obscur qu’à côté, mais de plus une horrible tête, en plâtre ou en je ne sais quoi, est enfermée dans une boîte qui cache en grande partie le tableau. Or je trouve admirable la façon dont le peintre a rendu ces grandes ailes blanches, admirables aussi la carnation de l’ange, son visage, son geste. Par conséquent je cadre sur cette partie apparente du tableau.

 

404L1 Rome, Santa Pudentiana

 

C’est avant de ressortir de l’église, près de la porte qui donne sur l’aimable religieuse de ce que je n’ose pas qualifier du nom d’accueil, que se trouve ce grand tableau représentant la sainte éponyme de l’église. Nous avons vu, tout à l’heure, le sénateur Pudens. Il a deux filles, dont l’une porte le nom de Pudentienne, bien sûr, comme c’est l’usage chez les Romains, et l’autre s’appelle Praxède. Ce sont ces deux sœurs que l’on voit ici. J’aurais voulu demander laquelle, à droite ou à gauche, est Pudentienne, l’autre étant la patronne de la basilique que nous allons visiter à la suite, à quelques centaines de mètres. Mais devant l’air toujours aussi rébarbatif de la personne, je ravale ma question. Ce que je sais, c’est que Pudentienne est morte avant Praxède, très jeune et je crois –je crois seulement– qu’elle n’avait que seize ans.

 

Je dirai seulement que ces deux sœurs ne sont pas des martyres. Elles n’ont pas été prises, sommées de sacrifier aux dieux païens, torturées, mises à mort. La sainteté, elles l’ont acquise, d’une part en prenant quand même courageusement le risque de subir le martyre, d’autre part en se dédiant à ensevelir les martyrs. Leur père a reçu saint Pierre, c’était donc le premier siècle, elles ont vécu là au second siècle. Cela donne l’âge de la maison primitive. Après elles, des thermes se sont installés sur les fondations de la villa, et au quatrième siècle une première église a été ouverte dans l’enceinte des thermes.

 

404L2 Rome, Santa Pudentiana

 

Devant celle de la droite, des cadavres sont entassés, qu’elle lave. Sur le gros plan, on voit derrière elle un corps dont la tête n’a pas été complètement détachée, mais dont la colonne vertébrale a été tranchée.

 

404L3 Rome, Santa Pudentiana

 

Celle qui est sur la gauche du tableau tient dans ses mains une tête d’homme, qu’elle lave dans un puits ou dans une grande cuve de pierre. Ou encore, la coutume aurait été de recueillir dans un puits le sang des martyrs, et peut-être est-ce là son occupation. Ce que représente ce tableau est évidemment horrible, ces corps mutilés, torturés, accumulés sans sépulture après leur mort. Mais il y a d’une part la générosité de ces jeunes femmes (la générosité, c’est moral, cela ne se peint pas sur la toile, mais le spectateur peut compenser l’horreur montrée avec le sentiment éprouvé), et d’autre part il y a leur représentation même. Notamment la beauté des visages, la détermination de la première, qui paraît l’aînée (Praxède ?), et la douceur de la seconde.

 

405a Rome, monastère Sts Cyrille et Méthode

 

Il y a à peine 300 mètres entre Santa Pudenziana et Santa Prassede. En arrivant près de cette dernière église, nous longeons ce mur, qui est celui d’un monastère. L’église Santa Prassede fait directement suite sur la gauche à ce mur rouge.

 

405b Rome, monastère Sts Cyrille et Méthode

 

Si je parle de ce monastère, si je le montre, c’est à cause de ce que dit cette plaque apposée sur sa façade. "Dans ce monastère ont habité, dans les années 867-869, les saints Constantin, Cyrille et Méthode, apôtres des Slaves, créateurs de la liturgie et de l’écriture paléoslave". Hé oui, l’écriture cyrillique, l’alphabet qu’utilise Natacha, celui du russe, du biélorusse, de l’ukrainien, du bulgare, etc., avec des différences minimes d’une langue à l’autre (mais qui, à moi qui ne parle pas ces langues, me permettent au premier coup d’œil de dire si un texte est en russe ou en biélorusse). Ils ont donc vécu ici, dans ce bâtiment.

 

406a Rome, Santa Prassede

 

Et puis voilà la façade, parfaitement neutre et fondue dans la mur voisin, de Santa Prassede. Désolé, Monsieur, d’afficher votre ventre sur Internet, mais vous avez vu que je prenais ma photo, et au lieu de longer le mur hors champ, vous êtes venu sur le bord du trottoir juste en face de l’objectif. Je considère cela comme une concession de votre droit à l’image et je vous en remercie.

 

406b Rome, Santa Prassede

 

Ainsi, au premier coup d’œil, il semble qu’il n’y ait rien de très spécial à voir dans cette église et que nous en ressortirons bientôt. Erreur. Grave erreur. Sa richesse est exceptionnelle, comme nous allons le voir.

 

406c Rome, Santa Prassede

 

D’abord, il y a le sol. Ces dessins de marbre sont caractéristiques des Cosmates. Ici, ils se sont surpassés. Non seulement l’allée centrale de la nef est d’une remarquable finesse, mais autour, ce que je ne montre pas ici, le décor de chaque rectangle est différent du suivant.

 

406d1 Rome, Santa Prassede 

 

Puis il y a la mosaïque de l’abside. On reconnaît le pape Pascal Premier, que l’on voit souvent représenté, et qui offre son église. Quand sainte Pudentienne, morte à seize ans, a été enterrée sur la via Salaria, près de son père le sénateur Pudens, Praxède, toute seule, a hérité le terrain de son père, et a décidé de construire un édifice destiné à recevoir les chrétiens (en cachette, nous sommes au second siècle et cette religion est interdite. On a vu comment sa sœur et elle s’occupaient des martyrs). Appelons cela une église primitive, si l’on veut, associée à un refuge. Mais les sbires de l’empereur Antonin le Pieux (138-161, le successeur d’Hadrien), sur dénonciation ou comme fruit de leurs recherches appliquées, ont découvert et exécuté ces chrétiens, que Praxède ensevelira. Ces terres données par de riches propriétaires pour y bâtir des édifices destinés au culte étaient ce que l’on appelait des "titres". Mais c’est en 822 que Pascal I, trouvant un bâtiment en ruine et près de s’écrouler, a construit l’édifice actuel, et cette mosaïque date de ce neuvième siècle. De chaque côté du Christ, il y a trois personnages, et celui du centre est une femme. Ce sont les deux sœurs, et c’est Praxède que l’on voit ici auprès du pape et de saint Paul qui la présente à Jésus en lui passant un bras autour des épaules. Mais il est évident que cette représentation est symbolique, sept siècles séparant le constructeur de l’église de la sainte à laquelle elle est dédiée. De l’autre côté (que je ne montre pas ici), c’est sainte Pudentienne présentée par saint Pierre.

 

Encore un mot sur cette représentation. Dans la Rome antique, lorsque l’on offrait un présent à l’empereur ou que l’on en recevait un de lui, l’usage était de se couvrir les mains. C’est pourquoi, assimilant le Christ à l’empereur suprême, aussi bien Pascal I se cache les mains sous le pan de sa chasuble dorée pour offrir son église, que sainte Praxède, dans son riche habit byzantin, porte la couronne la récompensant pour ses actions, de ses mains recouvertes du voile blanc orné de gemmes, symbole de sa virginité.

 

406d2 Rome, Santa Prassede

 

Autour de l’abside, de chaque côté, douze personnages de blanc vêtus et dont la barbe est blanche également, représentent les vingt-quatre vieillards de l’Apocalypse. Eux aussi, portant des couronnes, se sont recouvert les mains du pan de leur manteau.

 

406d3 Rome, Santa Prassede

 

Et de chaque côté, encore au-dessus, deux anges accompagnent les symboles ailés de deux évangélistes. Sur ce côté droit, ce sont l’aigle de saint Jean (son évangile commence par la "lumière vraie" de Dieu, or l’aigle est censé être le seul animal capable de regarder en face la lumière du soleil) et le taureau de saint Luc (son évangile commence par le sacrifice du taureau de Zacharie). De l’autre côté, on trouve bien sûr saint Mathieu représenté par un homme (son évangile commence avec la généalogie humaine de Jésus), et Marc par un lion (dont l’évangile commence avec la prédication de Jean-Baptiste, "celui qui crie dans le désert" et le lion est l’animal typique de la vie dans le désert).

 

406e Rome, Santa Prassede

 

Tout autour de l’église, il y a de nombreux tableaux. Ici, je pense que l’interprétation ne fait pas de doute. Un homme est penché vers la joue de Jésus, c’est Judas qui, l’embrassant, le désigne aux soldats qui s’emparent de lui. Au sol, un homme armé d’un sabre brandit son arme au-dessus de la tête d’un autre homme, comme dit l’évangile "un de ceux qui étaient avec Jésus étendit la main, et tira son épée ; il frappa le serviteur du grand prêtre, et lui coupa l'oreille" (Matthieu, 26, 51).

 

406f Rome, Santa Prassede

 

On peut descendre sous l’autel dans une sorte de crypte où ont été rassemblées les reliques de nombreux martyrs. Notamment celles du sénateur Pudens et de sa fille Pudentienne enterrée près de lui, comme on l’a vu, dans la catacombe de Priscilla, via Salaria, et celles de son autre fille Praxède, également enterrée avec lui. On peut apercevoir au fond une fresque très abîmée.

 

406g Rome, Santa Prassede

 

La voici. Il est dommage qu’elle soit si écaillée, que les couleurs en soient si passées, parce que le dessin en est très beau.

 

406h Rome, Santa Prassede

 

Nous remontons. Sur le côté droit, il y a une splendide chapelle, celle de saint Zénon. La richesse des ors qui la recouvrent, les peintures, les mosaïques, tout est magnifique. Sur le plafond, on peut voir un Christ de représentation typiquement byzantine dans un médaillon porté à bout de bras par quatre anges en position très rigide. Cette photo permet, je crois, de se faire une idée de la magnificence de la décoration. Et puis, ici, au moins, avec une piécette, on peut illuminer la chapelle et l’apprécier pleinement. Sur la paroi, Pascal Premier a également fait représenter sa mère, Théodora Épiscopa, en compagnie de la Vierge, de Pudentienne et de Praxède.

 

406i Rome, Santa Prassede

 

Cette mosaïque est de style radicalement différent. Et je l’aime beaucoup moins. Au-dessus de la tête de la Vierge, dont l’auréole est nimbée d’étoiles, Dieu le Père et Jésus portent conjointement l’agneau que survole la colombe du Saint-Esprit. Elle-même, les pieds dans les fleurs, avec des anges qui apparaissent de part et d'autre de sa robe, est adorée par deux anges, par on peuple de religieuses à droite, de prêtres ou de moines à gauche.

 

406j Rome, Santa Prassede

 

Dans le chœur, sous la grande mosaïque de la voûte, on a pu apercevoir sur ma photo de la nef, derrière le baldaquin, une peinture dont voici un détail, sainte Praxède au pied de la croix, lavant un cadavre de martyr, les yeux au ciel. Derrière elle, on voit des hommes transportant les corps des suppliciés. J’aime cette évocation de la candeur, de la jeunesse, de la dévotion, de la générosité.

 

406k1 Rome, Santa Prassede, colonne flagellation Jésus

 

Nous finissons la visite de cette église devant un objet qui, s’il est authentique, est réellement impressionnant. C’est la colonne de la flagellation de Jésus. Pour le marquis de Sade, on s’en doute, ha ha ha, c’est un vulgaire morceau de marbre trouvé par terre dans le coin, ha ha ha. Mais, sous peine de passer pour sacrilège, aïe aïe aïe, il faut s’agenouiller et réciter un Notre Père devant "ce monument de la superstition chrétienne". Je lui laisse l’entière responsabilité de ce jugement. Les personnes préposées à la garde de la basilique, en tous cas, laissent les touristes, croyants ou pas, se promener, prendre leurs photos, et ne regardent personne d’un air choqué. Nous sommes au vingt-et-unième siècle, je veux bien croire que le regard ait changé.

 

406k2 Rome, Santa Prassede, colonne flagellation Jésus

 

406k3 Rome, Santa Prassede, colonne flagellation Jésus

 

Comme on peut s’en douter, dans une basilique qui recèle une telle relique, on trouve des représentations de la scène de la Flagellation, où les artistes ont reproduit cette colonne telle qu’ils pouvaient la voir de leurs yeux.

 

Et ce n’est pas tout. Cette basilique est recouverte de fresques, diverses chapelles latérales offrent des splendeurs, on peut voir aussi (mais c’est peu spectaculaire en photo) la planche sur laquelle saint Charles Borromée donnait à manger aux pauvres, une espèce de Resto du Cœur de l’époque. J’ai pris des masses de photos, mais il faut que je sois raisonnable, je limite mes publications. J’arrête donc ici. Mais je pense que Santa Prassede est une visite à conseiller à qui passe à Rome assez de temps pour ne pas être contraint de se limiter aux grands classiques.

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6 mars 2010 6 06 /03 /mars /2010 23:57

403a Rome, musée de la Libération

 

Chaque jour, le métro que nous prenons au terminus Anagnina passe devant la station Manzoni, sous-titrée Museo della Liberazione. Et chaque fois la voix dans le haut-parleur annonce "Prossima fermata : Manzoni, Museo della Liberazione. Uscita lato destro" (Prochaine station : Manzoni, Musée de la Libération. Sortie côté droit). Certes, nous sommes venus à Rome pour les monuments et les œuvres d’art, mais les horreurs commises par le nazisme et par le fascisme ne peuvent nous laisser indifférents, même si en France nous avons eu l’occasion de voir pas mal de choses à ce sujet, même si lors de notre dernier séjour à Budapest, l’an passé, nous avons visité la synagogue et son musée, ainsi que le Musée de la Terreur sur les horreurs commises par un autre régime dictatorial, au temps du communisme. Ce musée est situé dans ce qui a été une prison politique. Ici, on voit une fenêtre murée par les nazis. Le prisonnier était en isolement total, sans la moindre lumière.

 

403b Rome, musée de la Libération

 

Les murs d’autres cellules minuscules et également totalement obscures ont été recouverts de graffiti par leurs divers occupants successifs. C’est terriblement émouvant de lire, par exemple : "Le dernier espoir n’est pas perdu. Peut-être la vie sera-t-elle sauve. Ayez confiance. 3-6-44". Mais ils n’en sont pas ressortis vivants.

 

403c Rome, musée de la Libération

 

Même si ce document n’est pas lisible sur ma photo ainsi réduite, je tiens quand même à le montrer. Dans la dernière colonne il est dit que, par décision du tribunal militaire en date du 7 mars 1944, la peine de mort devra être appliquée à Giuseppe Morosini.

 

403d Rome, musée de la Libération

 

Et ici, le conseiller du tribunal de guerre transmet l’ordre de procéder à l’exécution du citoyen Giuseppe Morosini, pour espionnage et autre, dans le fort Bravetta, le lundi 3 avril 1944 à 8h du matin. Et évidemment c'est URGENT, remis À LA MAIN. Quelle horreur !

 

403e Rome, musée de la Libération

 

On peut voir une affiche interdisant aux Juifs les administrations civiles et militaires, le Parti (ça, ce n’est pas grave, je ne vois pas quel Juif aurait souhaité y mettre les pieds), les entités provinciales, communales, para nationales, les banques et les assurances, ainsi que les écoles italiennes.

 

403f Rome, musée de la Libération

 

Par ailleurs, les Juifs étrangers (donc ne possédant pas la nationalité italienne) sont expulsés du pays. J’ignore si cela, malgré la volonté des antisémites, a finalement sauvé la vie de ceux qui du fait de cette mesure ont pu émigrer vers un pays que n’a pas touché la Solution Finale, les États-Unis, par exemple.

 

403g Rome, musée de la Libération

 

Il Messaggero est un grand journal qui existe toujours. Il annonce la décision du conseil des ministres d’exclure enseignants et élèves de race hébraïque de l’école italienne de tout type et de tout niveau, ce qui signifie de la maternelle à l’université. On l’a vu sur l’affiche tout à l’heure, mais je tenais à montrer aussi la façon dont cela a été annoncé. Les dessins représentaient des gens au "nez juif", c’était ordurier, fait par des propagandistes. Maintenant, c’est une information sérieuse dans un journal sérieux, donnée par des journalistes.

 

403h Rome, musée de la Libération

 

Beaucoup ont critiqué l’attitude du pape Pie XII qui ne s’est pas prononcé suffisamment fermement contre le nazisme et l’antisémitisme. Et beaucoup ont prétendu que ce n’était pas vrai, qu’il a fait ce qu’il a pu. Je n’ai, pour ma part, aucune idée sur le sujet, parce que je manque d’information. En revanche, et indépendamment du Pape, un document cite toutes les institutions religieuses qui ont sauvé des Juifs, et combien chacune. Au total, il y a plus de cent institutions, et des milliers de vies. Et en mars 1946, le Congrès de la communauté Israélite italienne adresse à Pie XII le texte ci-dessus de remerciement à l’Église catholique. Je tire quelques mots importants.

"Ressent l’impérieux devoir de rendre un révérend hommage à Sa Sainteté"

"Les preuves de fraternité humaine données par l’Église pendant les années de persécution"

"Bien des fois des prêtres ont subi la prison et les camps de concentration, ont immolé leur vie pour assister de toutes les façons les Juifs"

"Les Juifs se rappelleront éternellement combien […] l’Église a fait pour eux".

 

À un autre étage, les documents sont en allemand, je n’y comprends rien. Il y a leur traduction en italien, mais cette traduction ne représentant pas un document original je préfère en parler sans la montrer. Je n’en ai d’ailleurs pas fait de photo pour cette même raison. Ce sont plusieurs salles consacrées à parler de la prostitution forcée des femmes dans les camps de concentration, au profit (si je puis employer ce mot) des Allemands. Ce ne sont pas des Juives, considérées comme de race inférieure, et donc ne pouvant pas être impliquées dans des gestes qui, biologiquement, sont destinés à la procréation, même si évidemment tout était fait pour que ces femmes ne soient pas enceintes. Ce sont donc des femmes envoyées en camp de concentration pour des motifs autres que raciaux. Parmi les "fiches descriptives", on voit une Française accusée pour raison politique. Une Allemande qualifiée "antisociale" parce qu’elle avait un enfant hors mariage. On peut apprécier les motifs… Elles sont extrêmement jeunes, toutes ont entre 20 et 22 ans. Elles sont cloîtrées, jour, repas, nuit, dans leur cellule où se rendent les hommes qui veulent les "utiliser". Il y a des registres dans lesquels ils sont inscrits. Cela aussi, c’est horrible. Plus horrible ou moins horrible que l’extermination des Juifs, je n’en sais rien. Quand on va aussi loin dans l’horreur et dans l’abjection, je pense qu’il n’y a plus de degrés.

 

Dans toutes les églises que nous avons visitées, ou presque, il y a des scènes de martyre. À Rome plus qu’ailleurs, parce que c’est là que s’est d’abord développé le christianisme avec le plus d’activité avant l’époque de Constantin. Et l’on se dit que ces supplices étaient barbares, qu’il est inconcevable que des hommes aient pu inventer ces grils, ces bassines d’huile bouillante, ces jeux du cirque avec des bêtes sauvages, ces crucifixions, etc. Mille huit cents ans plus tard, deux mille ans, on en est au même point. Il s’y ajoute la technique, il s’y ajoute l’ampleur numérique, mais psychologiquement et humainement c’est strictement la même chose. La Deuxième Guerre Mondiale et le nazisme n’ont pas été les derniers. Il y a eu récemment l’ex-Yougoslavie, il y a plusieurs pays d’Afrique. Et à moins d’en rajouter une couche dans le racisme avec des réflexions du genre "oui, mais ces gens-là ne sont pas civilisés, ils ne sont pas comme nous", il faut bien admettre que l’humanité est incorrigible de son sadisme.

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6 mars 2010 6 06 /03 /mars /2010 23:20

Aujourd’hui, nous avons jeté notre dévolu sur le baptistère de Constantin au Latran et sur deux ou trois églises du mont Celio. Mais ces églises nous n’en avons visité que deux, et incomplètement parce qu’elles sont riches de mille choses à découvrir, nous y reviendrons un autre jour et je préfère regrouper ce jour-là tout ce que nous y aurons vu.

 

401a Rome, ex-Latran près Scala Santa

 

Par ailleurs, nous nous sommes attardés un peu avant de nous rendre au baptistère. De l’autre côté de la place de Saint Jean de Latran (San Giovanni in Laterano), dans les restes de l’ancien palais du Latran, il y a cette Scala Santa que l’on n’est autorisé à gravir qu’à genoux, et sur le flanc, en extérieur depuis la destruction des murs, cette fresque où Jésus brandit un livre qui dit en latin "La paix soit avec vous". C’est de cela que parle Stendhal quand il dit : "On trouve sur la façade latérale du petit bâtiment de la Scala Santa, vers la route de Naples, une mosaïque célèbre qui remonte à saint Léon III [795-816]. J’avoue que je n’y vois rien que de médiocre". Et c’est aussi mon humble avis…

 

401b Rome, palais du Latran

 

401c Rome, palais du Latran

 

Revenons sur le côté de la place où se dresse la basilique. La bande de mur blanc que l’on distingue sur l’extrême bord gauche de la première de ces deux photos, avec ses statues gigantesques sur le toit, c’est la basilique Saint Jean. Et ce grand, ce gros bâtiment ocre, c’est le palais du Latran. Certains le trouvent laid, moi je l’aime bien. Le premier palais était la résidence habituelle des papes. En 1309, le pape Clément V, un Français, Gascon, va s’installer en Avignon. Lorsqu’Urbain V, un autre Français, du Gévaudan celui-là, revient à Rome, le palais du Latran vient d’être ravagé par un incendie, et la basilique aussi. Il s’installe alors au Vatican.

 

Bien avant, à la fin du neuvième siècle, et par conséquent dans l’ancien palais, il s’est passé des événements dont j’ai lu le récit en quatre exemplaires. Plutôt que de les raconter moi-même à partir de mes sources, je préfère laisser ce soin à la plume de Stendhal, ce sera mieux dit. Les dates que j’ajoute entre crochets sont celles des règnes des différents papes. Entre parenthèses, les chiffres sont donnés par Stendhal.

 

"Le premier acteur des nombreuses tragédies sacerdotales dont les rues de Rome furent le théâtre au Moyen Âge est le pape Formose. Il était évêque de Porto, et commença sa carrière par conspirer pour introduire l’étranger dans sa patrie. Formose voulut rendre les Sarrasins maîtres de Rome. Jean VIII [872-882] l’excommunia, et huit ans après Formose fut porté au trône pontifical par l’une des deux factions qui divisaient Rome (891). Il avait pour lui la noblesse et les hommes remarquables par leur esprit ; il chassa la faction contraire au moment où elle allait consacrer le pape qu’elle avait élu […]. Après la mort de Formose, la faction contraire porta au trône Étienne VI [896-897]. Ce pape fit déterrer le cadavre du pape Formose (896), le fit revêtir de ses habits pontificaux, et, l’ayant fait placer au milieu d’une assemblée d’évêques, il lui demanda comment l’ambition avait bien pu le porter à avoir l’audace de changer le siège de Porto contre celui de Rome. Formose, n’ayant pas répondu, fut condamné. Son corps, ignominieusement dépouillé des ornements dont on l'avait revêtu, eut les trois doigts de la main droite coupés, et de plus on le jeta dans le Tibre. Luitprand ajoute que des pêcheurs le retrouvèrent, et que lorsqu’ils rapportèrent ses restes mutilés dans l’église de Saint-Pierre, les images des saints se courbèrent respectueusement devant le malheureux pontife. Les Romains, fatigués des débauches d’Étienne VI, le saisirent et l’étranglèrent en prison". Charmante époque, n’est-ce pas ?

 

401d Rome, obélisque de Saint-Jean de Latran

 

On a vu, sur l’autre façade du Latran, une vaste place avec un obélisque au centre. L’archéologue italien Rodolfo Lanciani, au début du vingtième siècle, nous dit que ce monolithe "a été apporté d’Héliopolis à Alexandrie par Constantin et a été transféré à Rome en l’an 357 par Constance, sur un vaisseau ou un radeau avec un équipage de 300 rameurs, qui accosta au Vicus Alexandri, à trois milles de Rome. Les inscriptions hiéroglyphiques commémorent le roi Thoutmosis III de la dix-huitième dynastie".

 

Sixte V ne fut pape que de 1585 à 1590 mais eut le temps de faire dresser les obélisques du Latran, de Sainte Marie Majeure, de Saint Pierre du Vatican, de la piazza del Popolo. Parlant de cet obélisque du Latran, Stendhal dit que "les Égyptiens avaient l’art de transporter des fardeaux énormes et de creuser d’immenses temples dans les rochers ; c’est là tout leur mérite, mérite d’esclave. Leurs hiéroglyphes, si on les devine réellement, ne disent que des platitudes". Je lui laisse la pleine responsabilité de ce jugement, que je ne me sens nullement obligé d’approuver.

 

Le texte latin gravé sur le socle dit : "Constantin, vainqueur par la Croix, baptisé ici par saint Sylvestre, a propagé la gloire de la Croix". En fait, ce n’est pas historique que Constantin a été baptisé par le pape saint Sylvestre après sa victoire sur Maxence. Ce n’est qu’au moment de sa mort, en 337, qu’il a reçu le baptême, mais saint Sylvestre était déjà mort (en 336). La légende de la guérison de la lèpre lors de son baptême après le succès sur Maxence, dont j’ai parlé hier au sujet de sa fille Constance, est née au huitième siècle. Aucune trace de ce récit auparavant.

 

401e Rome, San Giovanni in Laterano, côté

 

Lors de notre visite de la basilique le 17 décembre, nous ne nous étions pas rendus sur son flanc nord, à côté du dos du palais du Latran, en face de l’obélisque. Pourtant, cette façade qui se trouve au niveau du bras droit du transept vaut la peine d’être vue. Je la trouve infiniment plus élégante que la façade principale.

 

401f Rome, San Giovanni in Laterano

 

401g Rome, San Giovanni in Laterano

 

Sous son porche, les murs comme le plafond sont entièrement recouverts de fresques. Ici, on voit saint Pierre voletant sur son petit nuage avec ses clés du Paradis dans sa main droite, et saint Paul avec son épée curieusement brandie, d’une façon incommode et dangereuse. Ce ne sont pas les peintures que je préfère.

 

401h Rome, San Giovanni in Laterano

 

En revanche, j’aime bien ce plafond, ses couleurs et le chœur des anges tout autour. Je ne sais pas qui est représenté, je suppose que Jésus est en compagnie de Dieu le Père, et en face d’eux une femme qui doit être la Vierge, et un homme à l’épaule dénudée et portant un grand bâton terminé en forme de croix, c’est vraisemblablement Jean Baptiste. Et si c’est lui, le beige foncé ou brun clair que l’on aperçoit entre son aisselle et son manteau serait alors son habituel vêtement en peau de chameau.

 

401i Rome, San Giovanni in Laterano

 

Et je finis par ceux-là. J’adore ces anges avec leurs visages poupins et la candeur de leur regard.

 

402a Rome, baptistère de San Giovanni

 

C’est très bien, tout cela, mais nous nous attardons alors que nous sommes venus pour le baptistère. Il a été construit en 324 par l’empereur Constantin, et il a été dans les premiers temps de la liberté de culte pour les chrétiens le seul lieu où l’on baptisait.

 

402b Rome, baptistère de San Giovanni

 

Comme on le voit sur ces deux photos, d’extérieur et d’intérieur, c’est un édifice octogonal. Autour du baptistère proprement dit un autre octogone ajouté au cinquième siècle est délimité par de belles colonnes de porphyre. L’ensemble est léger, clair, élégant. Mais il va de soi que les dorures et la plupart des décorations sont venues l’enrichir au cours des siècles.

 

402c Rome, baptistère de San Giovanni

 

Ce n’est qu’au seizième siècle que sera construit le lanternon, ainsi que la rangée de colonnes supérieure. Cette photo permet de se rendre compte que partout, en bas comme en haut, les panneaux sont intégralement recouverts de peintures. En voici quelques unes.

 

402d Rome, baptistère de San Giovanni

 

Constantin est debout sur son estrade accompagné je suppose du pape Sylvestre, et avec eux tous les soldats voient un prodige dans le ciel, une grande croix avec l’inscription "en Jésus la victoire". La légende au-dessus du tableau explique : "À Constantin qui se porte contre Maxence, il promet une victoire certaine après avoir vu dans le ciel une croix portant ces mots Sur ce signe tu vaincras".

 

402e1 Rome, baptistère de San Giovanni

 

Ça y est, Constantin a vaincu. Il remplace les cultes païens par le christianisme. "Ayant fait abattre les statues des dieux, ayant fait renverser les autels, il ordonne que soit placée la Croix".

 

402e2 Rome, baptistère de San Giovanni

 

On ne voit pas bien le détail de ce qui se passe sur la photo d’ensemble. Je trouve intéressant de faire un gros plan, sinon sur la croix qui est apportée par le pape Sylvestre et accueillie par ces personnages en blanc, du moins sur les statues païennes brisées que l’on emporte.

 

402f Rome, baptistère de San Giovanni

 

Au sol, des grilles de bronze cachent des orifices. Je suppose qu’elles sont trop anciennes pour qu’il s’agisse de bouches de chauffage, probablement servaient-elles à évacuer l’eau après les baptêmes. S’il en est ainsi, les fosses sont antiques, mais il est clair que les grilles sont bien postérieures à la création du baptistère. On connaît la légende qui veut que le pélican, quand il n’a rien à donner à manger à ses petits, se sacrifie en s’ouvrant la poitrine pour se donner en pâture. C’est l’image voulue ici de Jésus s’offrant en sacrifice aux hommes en rémission de leurs péchés.

 

Chez Musset, dans la Nuit de Mai, l’image est autre. C’est le poète qui est dans le rôle du pélican.

          "Poète, c’est ainsi que font les grands poètes.

          Ils laissent s’égayer ceux qui vivent un temps,

          Mais les festins humains qu’ils servent à leurs fêtes

          Ressemblent, la plupart, à ceux des pélicans".

 

Triste, déçu par l’amour, Musset est resté sourd à sa muse pendant longtemps. C’est elle qui l’appelle et l’incite à se remettre à écrire.


          "[…] Ne crois pas, ô poète,

          Que ta voix ici-bas doive rester muette.

          Les plus désespérés sont les chants les plus beaux,

          Et j’en sais d’immortels qui sont de purs sanglots.

          Lorsque le pélican, lassé d’un long voyage,

          Dans les brouillards du soir retourne à ses roseaux,

          Ses petits, affamés, courent sur le rivage

          En le voyant au loin s’abattre sur les flots.

          Déjà, croyant saisir et partager leur proie,
          Ils courent à leur père avec des cris de joie,
          En secouant leurs becs sur leurs goîtres hideux.
          Lui, gagnant à pas lents une roche élevée,

          De son aile pendante abritant sa couvée,

          Pêcheur mélancolique il regarde les cieux.

          Le sang coule à longs flots de sa poitrine ouverte.

          En vain, il a des mers fouillé la profondeur,

          L’océan était vide, et la plage déserte.

          Pour toute nourriture, il apporte son cœur".

 

Et on continue ainsi. Je cite de mémoire (l’espace –et le poids– dans le camping-car sont trop limités pour que j’aie emporté toute ma bibliothèque), je ne crois pas me tromper parce que même si je trouve un peu ridicule parfois ce romantisme exacerbé, ce long, très long poème est l’un de mes favoris que je sais par cœur depuis des lustres et que je déclame de temps en temps sous la douche. Quand on chante faux, on a bien le droit de déclamer. Et pour dédramatiser, pour ceux qui déjà pleurent sur le pauvre pélican, on peut ajouter que les petits se regardent alors d’un air consterné. "Oh, non, c’est pas vrai, il va encore nous servir des tripes".

 

402g Rome, baptistère de San Giovanni

 

Dans un baptistère, il faut bien des fonts baptismaux ou, pour le baptême par immersion, une grande cuve ou une baignoire. Voici l’objet, placé au centre de la construction.

 

402h Rome, baptistère de San Giovanni

 

Autour, plusieurs chapelles ont été ajoutées. L’une d’entre elles, la chapelle de saint Jean Baptiste qui date de la fin du cinquième siècle, a toujours sa porte d’origine, en alliage d’or, de bronze et d’argent, et lorsqu’elle pivote sur ses gonds, si l’on en croit Dante (Divine Comédie, Purgatoire, IX), elle émet un son qui est l’air du Te Deum laudamus. Nous n’avons pas eu l’occasion de l’entendre…

 

402i Rome, baptistère de San Giovanni

 

Encore quelques images. Ici, un haut-relief de représentation assez naïve. La Vierge est belle, j’aime bien les plis de son vêtement, les mains et le pied qui débordent du cadre, mais surtout j’adore les angelots tout mignons qui gravitent autour d’elle.

 

402j Rome, baptistère de San Giovanni

 

L’un des papes qui sont intervenus sur ce baptistère est, comme partout dans Rome, Urbain VIII Barberini, avec ses abeilles. Mais ici elles sont amusantes, elles ne figurent pas dans son blason, elles vont butiner cet arbre.

 

402k Rome, baptistère de San Giovanni

 

C’est sur cette photo que je vais quitter ce baptistère. Après les abeilles, on voit apparaître le nom de ce pape, P.O.M. signifiant Pontifex Optimus Maximus, soit Pontife très bon très grand. Ces deux qualificatifs, dans la Rome antique, étaient usuellement accolés au nom de Jupiter. Pour les papes, le premier qualificatif n’est pas toujours présent, il arrive fréquemment que le nom soit seulement suivi des deux lettres P.M. qui sont alors plus ou moins l’équivalent de Souverain Pontife. Cela dit, ce n’est pas tant pour Urbain VIII que j’ai choisi cette photo, mais pour les petits anges armés de pinceaux qui sont en train de faire son portrait en voletant devant son compas et sa règle, instruments qui en font l’architecte des travaux intervenus.

 

Et voilà. Nous sommes allés ensuite voir San Clemente mais n’en avons pas visité la basilique paléochrétienne parce que nous voulions voir dès ce soir l’église des Santi Quattro Coronati. Et puis là, après un tour dans l’église, nous avons vu qu’il était possible de visiter le cloître et une chapelle couverte de fresques, à condition de venir plus tôt. Voilà pourquoi, comme je le disais au début, je préfère parler de ces deux églises et de quelques autres dans le secteur lorsque nous y reviendrons.

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4 mars 2010 4 04 /03 /mars /2010 21:03

397a Rome, Quirinal

 

Ce matin, nous nous sommes rendus à Monte Cavallo, autrement dit au palais du Quirinal. Mais je commence par son nom de Monte Cavallo, le Mont du Cheval, parce que nous y sommes accueillis par ce Dioscure –Castor ou Pollux, il n’est pas possible de les différencier parce qu’ils sont jumeaux– qui maîtrise son cheval. Le 3 janvier, j’ai raconté l’histoire de cette statue antique, mais je n’ai pas raconté l’histoire des jumeaux. On connaît l’image souvent représentée de Léda serrant un cygne sur son sein. Il s’agit de Zeus qui, l’ayant vue du haut de son Olympe, la désira et, pour la séduire, prit l’aspect d’un cygne d’une éclatante blancheur. Léda, qui était nue au bain, le vit, et serra contre elle cet oiseau qui se montrait affectueux. Et Zeus profita de cette position contre elle pour la posséder. Léda ne se douta de rien, et eut des rapports avec son mari. Au terme de la gestation, elle pondit deux œufs. Hé oui, des œufs, après une relation avec un oiseau. De l’un des œufs sortirent les Dioscures (en grec, Dios-Kouroi, les enfants de Zeus), dont l’un était pleinement humain et l’autre un demi-dieu. Et, de l’éclosion de l’autre œuf, sortirent les jumelles Hélène, demi-déesse, et Clytemnestre, humaine, qui épousèrent deux frères, la première Ménélas, roi de Sparte et la seconde Agamemnon, roi de Mycènes. La beauté d’Hélène lui valut les amours de Pâris, fils du roi de Troie, qui l’emmena chez lui. Telle fut la cause de la guerre de Troie.

 

397b Rome, Quirinal

 

397c Rome, Quirinal, par Gaspare Vanvitelli (1653-1736)

 

Mais si nous sommes ici, c’est parce que le Palais du Quirinal, résidence d’été des papes tant qu’ils régnaient sur Rome, puis résidence royale à partir de 1870, quand Victor-Emmanuel II a régné sur l’Italie unifiée, et actuellement résidence du président de la République, est ouvert à la visite du public, mais exclusivement le dimanche matin de 8h30 à 11h. Ce n’est déjà pas si mal si l’on compare avec le palais de l’Élysée qui n’ouvre ses portes que deux jours par an, lors des Journées du Patrimoine. On voit ici, à la suite de ma photo, un tableau de Gaspare Vanvitelli (1653-1736) le représentant. Les Dioscures sont déjà là, mais il s’y adjoindra une vasque antique à la fontaine et surtout un obélisque. La scène est nettement plus champêtre qu’aujourd’hui…

 

Les salles du palais qui sont ouvertes à la visite sont somptueuses, les murs sont peints de fresques remarquables, les lustres en cristal de Venise sont admirables, mais la photo est interdite. Je préfère donc passer, parce que je ne peux commenter ce que je ne peux montrer. Un mot cependant de la chapelle. Le pape Paul V Borghese (1605-1621) chargea Carlo Maderno de construire la chapelle du palais –d’où son nom de Cappella Paulina– qui devait être aussi belle pour cette résidence papale que la Chapelle Sixtine pour l’autre résidence papale, au Vatican. Notamment, pour faire le pendant de la chute des damnés du Jugement Dernier que Michel-Ange avait peinte, elle devait représenter la chute des Anges Rebelles, dans le même style. Mais jamais elle n’a été réalisée et, pour les célébrations par le pape on pendait aux murs des tentures rouges damassées. Mais un plafond splendide, en stuc doré, a été créé, et dans ce décor somptueux de 42 mètres de long et 20 mètres de haut, lorsque nous sommes passés par là, il se donnait un concert. Quand bon nombre de visiteurs, comme nous, ont pénétré pour écouter, les gardes postés à l’entrée n’ont rien dit. Aussi sommes-nous allés nous asseoir sur des sièges que des gens blasés ou sans goût avaient désertés, et nous avons assisté gratuitement, pendant plus d’une demi-heure, à ce concert.

 

Goethe aussi a eu l’occasion d’aller à la Cappella Paulina, mais lui c’était pour assister à une messe papale. "J’aurais voulu que le chef de l’Église eût ouvert ses lèvres d’or […]. Je l’ai vu aller et venir devant l’autel, se tournant tantôt d’un côté, tantôt de l’autre, gesticulant et marmonnant comme un quelconque curé".

 

397d Rome, jardin du Quirinal, au roi Charles-Albert

 

Ensuite, empruntant la via del Quirinale, nous avons fait un tour dans les jardins, où un grand monument célèbre le roi Charles-Albert, représenté par une statue équestre. Sur le socle, des plaques de bronze en ronde-bosse représentent des scènes de son règne.

 

398a Rome, Sant'Andrea al Quir

 

Nous sommes passés devant l’église du Bernin Sant’Andrea al Quirinale visitée le 3 janvier. Une photo, et nous continuons notre chemin.

 

398b Rome, San Carlo alle Quattro Fontane

 

Encore un peu plus loin, c’est San Carlo alle Quattro Fontane, que nous avions visitée le même jour. Lors de notre visite du cloître, il faisait nuit, et au bout de quelques minutes, la lumière électrique s’était éteinte. Aujourd’hui, nous aurions bien aimé y retourner, mais nous nous sommes trop attardés dans notre visite du Quirinal, puis au concert, puis dans le jardin, aussi l’église est-elle fermée pour l’heure du déjeuner. Tant pis, nous passons notre chemin, non sans admirer une fois de plus le jeu de courbes imaginé par Borromini.

 

398c Rome, San Carlo alle Quattro Fontane

 

Mais sur la façade voisine, mon regard est attiré par cette mosaïque. En latin, Signum ordinis sanctissimæ Trinitatis et captivorum. Ce qui veut dire Signe de l’ordre de la très sainte Trinité et des prisonniers. Jésus, sur un trône d’or, en Christ Pantocrator, donne la main à un blanc à sa droite et à un noir à sa gauche. Les deux hommes portent une chaîne qui entrave leur pied. Je pense que ces deux prisonniers encadrant le Fils de Dieu symbolisent, à eux trois, un parallèle avec la Trinité du Père, du Fils et de l’Esprit Saint. Peut-être ce symbolisme n’est-il pas voulu, toujours est-il que cet ordre des Trinitaires s’est donné dès le Moyen-Âge la mission de soulager les peines des esclaves et si possible de les affranchir à la suite d’une vision de san Giovanni dei Matha, qui a créé leur ordre. L’une des collines de Rome, le mont Cælius (Monte Celio, en italien), est situé au sud du Colisée et là, paraît-il –mais je n’ai pas su trouver plus de précisions–, se trouve la représentation originale de ce Christ et de ces esclaves, réalisée en marbre par les Cosmates en 1210.

 

398d Rome, Quattro Fontane

 

San Carlo est à l’angle entre la rue du Quirinal et la rue des Quatre Fontaines, d’où son nom. Lorsque j’ai parlé de ces fontaines la dernière fois, j’avais dit ne pas savoir ce qu’elles représentaient. Je n’avais pas lu, à l’époque, ce qu’en dit William Dean Howells (Roman Holidays, New-York, 1908) : "Aucune fontaine ne peut être tout à fait affreuse, mais certaines fontaines peuvent être tout à fait stupides, comme, par exemple, celles qui donnent son joli nom à la rue des Quatre Fontaines et qui consistent en deux Vertus extrêmement quelconques et deux vieux Fleuves très mornes qui sommeillent en face les uns des autres". Ici, on peut supposer que l’animal est une louve plutôt qu’un loup, et ce fleuve est alors le Tibre avec sa corne d’abondance qui nourrit Rome. L'autre fleuve est, je crois, l'Arno. En observant bien, je croirais que les deux divinités féminines sont plutôt deux déesses que des Vertus, Junon pour l'une d'elles.

 

398e1 Rome, Porta Pia par Michelangelo

 

Nous avions vu que ce carrefour donne vue sur trois obélisques, ceux de la Santa Trinità dei Monti (au-dessus de la piazza di Spagna), de Sainte Marie Majeure en face, du Quirinal d’où nous venons. La quatrième perspective est sur la Porta Pia, que nous ne connaissons pas encore. Nous continuons donc tout droit vers cette dernière œuvre de Michel-Ange. Toujours aussi original, l’artiste a tourné sa porte vers la ville, alors que l’habitude était de montrer la face la plus ornée aux voyageurs venant de l’extérieur.

 

398e2 Rome, Porta Pia

 

Ce n’est d’ailleurs qu’au milieu du dix-neuvième siècle que le sommet et la face externe furent achevées. On y voit les deux statues géantes de sainte Agnès (dont nous aurons l’occasion de parler dans quelques instants) et de saint Alexandre. Ces statues, que nous voyons aujourd’hui entières, ont souffert peu après leur mise en place.

 

Edmondo de Amicis était correspondant de guerre lors de la prise de Rome, le 20 septembre 1870, qui mit un terme au pouvoir temporel des papes et acheva l’unité italienne. "Je ne me rappelle pas bien quelle heure il était quand on annonça qu’une large brèche avait été ouverte près de la Porta Pia […]. Nous sortîmes sur la terrasse d’une villa et vîmes distinctement les murs abattus et la Porta Pia en mauvais état. Toutes les propriétés voisines des murs grouillaient de soldats […] . Des officiers d’état-major et des estafettes couraient dans toutes les directions […] Nous voyions les matelas appliqués sur les murs par les soldats du pape et déjà à moitié brûlés par nos feux ; nous voyions les colonnes de la porte, les statues, les sacs de terre amoncelés sur la barricade construite devant […]. Quand la Porta Pia fut libérée, et que la brèche voisine fut ouverte jusqu’au sol, deux colonnes d’infanterie furent lancées à l’assaut […]. La Porta Pia était toute à terre ; seule, l’énorme statue de la Madone, qui se dresse derrière, était restée intacte ; les statues à droite et à gauche n’avaient plus de tête".

 

398f Rome, Porta Pia

 

Le pape Pie IV (d’où le nom de la porte), qui régna de 1559 à 1566, est celui qui commanda la construction de ce monument, qui fut construit de 1561 à 1564. Or ce pape était l’un des quatre pontifes donnés à la chrétienté par la famille des Médicis. Le blason ci-dessus, avec ses boules, est celui de cette famille, que Michel-Ange a placé bien haut, bien grand, sur la face interne, avec la tiare et les clés de saint Pierre.

 

398g Rome, Porta Pia, plat à barbe

 

Mais il y a aussi, sur cette face de la porte, un curieux sujet que l’on retrouve en trois exemplaires. Ce sont… des plats à barbe, entourés d’une serviette roulée, avec ses franges aux extrémités. Et si l’on peut s’étonner de cette curieuse décoration sur une porte de ville, l’explication en est pourtant simple. Michel-Ange aurait voulu, dit-on, rappeler au pape Pie IV que l’un de ses ancêtres exerçait la profession de barbier.

 

398h1 Rome, Porta Pia

 

Franchissons la porte. Sur la place, juste avant le début de la large via Nomentana, se dresse un imposant monument. Il porte l’inscription MCMXXXII – ANNO X° E.F. c’est-à-dire 1932 – 10ème année E.F. et, si j’ignore de quoi ces deux initiales sont l’abréviation, en revanche je n’ai pas besoin d’être un grand mathématicien pour calculer que dix ans avant 1932 c’était l’an 1922… Or c’est les 28 et 29 octobre 1922 que les Chemises Noires de Mussolini ont pris le pouvoir lors de cette Marche sur Rome qui est restée célèbre. Par conséquent le F doit être l’initiale du parti. Le E est peut-être celui de l’État ?

 

Sur chaque face, des scènes de batailles. L’inscription dit fièrement : "À peine un siècle d’histoire, mais combien de sacrifices, combien de batailles et combien de gloire !"

 

398h2 Rome, Porta Pia

 

Sur ma photo on pouvait distinguer, je crois, la signature de l’auteur de ces mots. Mussolini. Je trouve cependant intéressant de le montrer en gros plan, parce que visiblement le nom a été buriné, la pierre en porte la marque. Et puis le nom a été inscrit de nouveau. Là aussi, on peut lire l’histoire. D’une façon moins classique, et surtout moins univoque. Il n’y a pas eu des époques successives avec des idéologies successives. Il y a de larges superpositions (j’emploie consciemment ici le présent).

 

398i Rome, en ville

 

Continuons notre chemin. Ce tag m’intéresse. Il est en latin et dit "Si tous… moi non". Belle indépendance d’esprit. Rabelais aurait apprécié que l’on ne se comporte pas comme les moutons de Panurge.

 

399a Sant'Agnese fuori le Mura

 

Nous voici arrivés à la basilique dédiée à sainte Agnès. Nous sommes au temps de l’empereur Dioclétien (284-305). Agnès a douze ans, et on veut la marier au fils du préfet de Rome. Elle refuse, non pas parce qu’elle ne l’aime pas, ou parce qu’il n’est pas beau, ou parce qu’elle en aime un autre, ou parce qu’elle est trop jeune (même à cette époque, c’est bien jeune pour se marier, puisqu'il s'agit de l'âge minimum fixé par la loi), mais parce qu’elle a voué sa vie à Jésus-Christ, qui est le seul vrai Dieu. Donner cet argument, alors que Dioclétien est l’un des empereurs qui ont le plus persécuté les chrétiens ! Peut-être dans un deuxième temps la mettra-t-on à mort, mais avant on va s’amuser un peu. Elle ne veut pas livrer son corps au fils du préfet, eh bien elle le donnera à d’autres. Là où est aujourd’hui la piazza Navona était le stade de Dioclétien, et sous les gradins de la façade ouest les prostituées attendaient les clients. Agnès serait placée là, nue, exposée aux regards et, bien sûr, à la concupiscence des hommes. Un miracle lui fait instantanément pousser une longue, longue chevelure dans laquelle elle s’enroule comme dans un manteau de lumière. Là s’élève aujourd’hui l’église Sant'Agnese in Agone, que nous avons visitée le 27 décembre. Devant un tel prodige, on décide de la mettre à mort. Elle sera brûlée vive. On élève un grand bûcher, sur lequel on la place. Les flammes s’élèvent. Mais soudain, elles se mettent à brûler à l’horizontale, vers les bourreaux. Assez de prodiges, Agnès est tuée à l’épée. Puis on transporte son corps là où nous sommes, via Nomentana, où il y a un cimetière comme le long de toutes les routes qui sortent de Rome.

 

399b Sant'Agnese fuori le Mura

 

Nous verrons un peu plus loin qui est cette sainte Constance qui fit construire une première basilique sur sa tombe au quatrième siècle. Stendhal décrit l’entrée. "À environ un mille hors de la porte Pia, on aperçoit une petite église dans laquelle on descend par un magnifique escalier de quarante-cinq marches, sur les murs duquel on voit, à droite et à gauche, plusieurs inscriptions sépulcrales. Cette façon d’entrer dans l’église rappelle d’une manière frappante la fin des persécutions contre les chrétiens et le siècle de Constantin qui l’a bâtie. Nous avons retrouvé ici ce respect pour les antiquités chrétiennes qui quelquefois saisit nos cœurs, malgré le souvenir de ce que les chrétiens ont fait quand ils ont été les plus forts".

 

399c Sant'Agnese fuori le Mura

 

Lorsque nous sommes arrivés, se célébrait un baptême collectif de bébés. Je me suis abstenu de prendre des photos, mais nous avons pu voir –sans les comprendre parfois– des coutumes à nous inconnues, comme ces pères présentant, tous ensemble, à bout de bras, leurs bébés. Dans le bas de l’église, nous sommes restés à observer, à regarder. Puis, à la fin de la cérémonie, alors que le prêtre, fatigué, était affalé sur une chaise, jambes étendues, sans avoir le courage d’aller à la sacristie se défaire de ses habits sacerdotaux, complètement abandonné de ces nombreux paroissiens qui, quelques minutes plus tôt, se bousculaient pour être photographiés avec lui, nous avons fait un tour de cette église bâtie sur le plan des basiliques païennes, à trois nefs.

 

399d Rome, Sainte Agnès hors les Murs

 

Dans le bas, la nef se referme derrière ces colonnes et cette tribune. Tout est élégance en même temps que sobriété. Au fond à droite une porte donne sur le bâtiment annexe. En 1853, Gregorovius raconte que "le 12 avril à cinq heures du soir, le sol dans la maison annexe à Sainte Agnès céda sous le pape […]. La chute de la papauté a ainsi été symboliquement annoncée ; mais cela n’a pas encore porté de conséquence. Peu après, j’ai vu Pie IX passer en carrosse devant la Porta del Popolo. Il avait l’air rayonnant". Maintenant, c’est Benoît XVI qui à Noël dernier tombe à la renverse sous les assauts d’une fanatique et on ne parle pas pour autant de chute de la papauté…

 

399e Sant'Agnese fuori le Mura

 

Cette photo permet d’apprécier la beauté des colonnes de la nef et le baldaquin. Cette profusion de porphyre donne un ton rouge tout à fait particulier à l’église. En même temps, on aperçoit la finesse et la légèreté des colonnes de la galerie.

 

399f Sant'Agnese fuori le Mura

 

Comme dans toutes ces églises très anciennes, la voûte de l’abside est recouverte d’une mosaïque qui date de l’origine du bâtiment reconstruit, au septième siècle, et a été sauvegardée malgré les remaniements et embellissements qui se sont succédé au cours des siècles. Au centre il s’agit à coup sûr de sainte Agnès, parce que son nom est inscrit au-dessus de sa tête dans la mosaïque. Sur ma photo réduite c’est illisible, mais c’est clair sur ma photo initiale, comme sur l’original. À gauche, quelqu’un lui offre son église. Comme d’habitude, c’est le pape qui procède à ce don, et donc Symmaque (498-514), qui fit remettre en état et consolider le premier oratoire édifié par sainte Constance au quatrième siècle. À droite, c’est le pape Honorius I (625-640) qui reprit l’édifice à la base et l’agrandit en lui donnant son aspect actuel.

 

399g Sant'Agnese fuori le Mura

 

Nous avons vu que la pauvre petite Agnès a été tuée en raison de sa foi. Une jeune femme, Émerentienne, va prier auprès de son corps, et reste là alors que personne ne veut s’approcher, mais au contraire tous ont fui, de peur d’être lapidés comme suppôts du christianisme et d’Agnès. Sous la fresque de gauche, la légende dit, en latin : "Tandis qu’elle priait auprès de la tombe de la bienheureuse Agnès, la vierge Émerentienne a rendu l’esprit, lapidée par les infidèles". Sous la fresque de droite, la légende dit que "Les parents de sainte Agnès recueillirent le corps de la bienheureuse Émerentienne et l’ensevelirent à côté de celui de la bienheureuse vierge Agnès".

 

399h Sant'Agnese fuori le Mura

 

Avant de ressortir, encore un petit tour dans l’église. Tout en haut du bas-côté gauche, il y a ce beau Christ en bois au visage très expressif.

 

399i Sant'Agnese fuori le Mura

 

Et encore cette statue qui porte un agneau. Ce n’est pas un ange, puisqu’il n’a pas d’ailes et que, par ailleurs, c’est une représentation clairement féminine. Peut-être est-ce sainte Agnès portant sur son cœur le Christ sous forme d’agneau. Quoi qu’il en soit, je trouve très belle cette statue, curieusement de pierre pour le vêtement et métallique pour les parties du corps apparentes, ou peut-être en bois doré. Cet assemblage inhabituel me plaît beaucoup.

 

399j Sant'Agnese fuori le Mura

 

L’escalier par lequel nous sommes arrivés débouche sur le bas-côté droit de la basilique. Lorsque l’on ressort par le portail du fond, on se retrouve de plain-pied sur cette cour-jardin. Cette autre façade est bien différente de la première.

 

400a Rome, Santa Constanza

 

Nous repartons. Tout près de là se trouve Santa Costanza, sainte Constance. C’est là qu’un affranchi de Néron avait une maison de campagne, dans laquelle l’empereur s’était rendu pour se suicider (quand il avait déploré "quel artiste meurt avec moi !" Agnès, c’était l’époque de Dioclétien, à la charnière du troisième et du quatrième siècles. Nous voici quelques années plus tard, avec Constantin (306-337), cet empereur qui autorisa la liberté de culte, fit construire beaucoup d’églises et se fit baptiser avant de mourir. L’usage étant de donner aux filles le nom de leur père ou de leur frère, on se trouve avec deux Constance, la sœur et la fille de l’empereur. Pour leur baptême, il fit construire un beau baptistère, rond comme c’était l’usage.

 

400b Rome, Santa Constanza

 

On se rappelle que la mère de Constantin était sainte Hélène, celle qui fit apporter à Rome l’escalier du palais de Pilate, gravi par Jésus (la Scala Santa). On ne sera donc pas étonné que les deux filles de Constantin s’appellent Constance et Hélène. Après leur mort, elles ont été enterrées dans ce baptistère devenu leur mausolée, et converti en église au treizième siècle. Mais d’abord, quelques mots de cette sainte Constance.

 

400c Rome, Santa Constanza

 

Pour commencer, un peu de politique. Dioclétien décide qu’il y aura deux empereurs en titre (les Augustes) et deux adjoints (les Césars). Dioclétien, Auguste, règne sur Rome et son César, Galère, siège à Sirmium (Sremska Mitrovica, en Serbie). L’Auguste Maximien règne à Milan et son César Constance Chlore à Trèves, pour gouverner Gaule et Grande-Bretagne. On sait quelles persécutions terribles des chrétiens Dioclétien a entamées en 303, mais en 311 son adjoint Galère qui gouverne l'Orient décide de la liberté de culte. Dioclétien meurt en 305, et Maxence lui succède à Rome. En 306, c’est Constance Chlore qui meurt. Son fils Constantin, bien loin d’accepter de n’être qu’un César, un adjoint dans une tétrarchie, s’autoproclame Auguste et tente d’éliminer ses adversaires. Il vient à bout de Maxence en 312 et entre dans Rome le 28 octobre (mais ce n’est qu’en 324 qu’il sera enfin seul empereur). Il décide immédiatement de la liberté de culte et protège les chrétiens. La légende raconte qu’atteint de la lèpre, il est guéri miraculeusement dans l’eau de son baptême par le pape Sylvestre Premier. Ce pape qu'il va, en personne, faire entrer triomphalement dans Rome, marchant lui-même à pied et guidant par les rênes le cheval sur lequel il mène le pape. Des années plus tard, c’est sa fille Constance qui va être atteinte par la lèpre. Sur les conseils de son père, elle va dormir près de la tombe de sainte Agnès (morte, on s’en souvient, du temps de Dioclétien). Dans son sommeil, elle voit en rêve Agnès qui lui dit de se convertir, et quand elle se réveille elle est guérie. Il est maintenant facile de comprendre pourquoi Constance fit construire la première basilique dédiée à sainte Agnès, sur cette via Nomentana où elle était enterrée et où avait eu lieu cette vision salvatrice.

 

400d Rome, Santa Constanza

 

Le bâtiment est extrêmement intéressant. On y voit par exemple cette mosaïque où sainte Constance vient vers Jésus avec son rameau de palme à la main.

 

400e Rome, Santa Constanza

 

Il y a aussi sur les parois des fresques très fraîches et aux couleurs à la fois douces et richement variées. Le dessin est remarquable. Je ne suis pas capable d’interpréter la signification de la fresque ci-dessus, mais j’y vois à gauche une crosse d’évêque, au milieu ces femmes musiciennes, à droite un agneau pascal présenté derrière un livre (l'évangile).

 

400f Rome, Santa Constanza

 

Il y avait dans ce mausolée un magnifique sarcophage de porphyre contenant la dépouille de Constance. Mais les papes ont trouvé qu’il serait décoratif dans leurs collections particulières, et ils l’ont fait transporter au Vatican. Ici, c’est comme si on le voyait. Comme si, parce que c’est une copie de l’original. Sainte Hélène, la mère de Constantin, était morte en 335, deux ans avant lui, et il lui avait fait faire un sarcophage de porphyre jumeau de celui de Constance (mais avec d’autres sculptures), que nous avons vu également au musée du Vatican et que j’ai montré le 9 décembre dans mon blog.

 

400g Rome, Santa Constanza

 

400h Rome, Santa Constanza

 

400i Rome, Santa Constanza

 

Au plafond de la galerie circulaire, tout autour, une splendide mosaïque représente toutes sortes de scènes qui tournent autour des vendanges. Il y a bien quelques fleurs ou cet oiseau, mais on retrouve surtout le motif de ces vendangeurs qui foulent aux pieds le raisin. Les grains sont représentés certes très gros, mais il n’y a aucun doute sur le sens de cette scène. En effet, les feuillages autour d’eux sont clairement ceux de la vigne, et les pressoirs n’existant pas encore c’était toujours en piétinant les grappes qu’on en extrayait le jus. L’homme qui apparaît tout à gauche de ma photo des vendangeurs (coupé sur le bord de l’image) est celui de la troisième photo, qui conduit les bœufs du char chargé de fruits. Au-dessus du char on a encore des feuilles de vigne, et on peut voir aussi une grappe de raisin qui pend de la treille. Et puisque les grains de cette grappe sont de même diamètre que les fruits qui sont dans le char, cela signifie que l’on est en train d’apporter aux vendangeurs une nouvelle cuvée à presser.

 

400j Rome, dans le métro

 

Notre journée a été bien chargée, nous avons vu beaucoup de choses, nous en avons pris plein les yeux, nous rentrons. Dans la galerie du métro, nous voyons cette affiche, à l’approche des élections de conseillers régionaux, le dernier week-end de mars. "Assez de divisions. Ensemble, recousons l’Italie", avec trois bras aux couleurs du drapeau italien, vert, blanc, rouge. Et c’est une pub de l’Union du Centre, qui appelle à voter pour des candidats de divers partis ayant tous l’intention, ensuite, d’élire à la présidence du Conseil Régional Renata Polverini, candidate soutenue par Berlusconi.

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26 février 2010 5 26 /02 /février /2010 20:37

394a Rome, Madama Lucrezia, statue parlante

 

Descendus du bus piazza Venezia, nous allons rendre visite, sur la piazza San Marco qui n’en est qu’une excroissance, à Madama Lucrezia puisque tel est le nom donné à cette statue parlante, au même titre que Pasquino. Mais son interlocuteur préféré est l’Abate Luigi de Sant’Andrea della Valle. Cette statue antique vient d’un temple d’Isis, cette déesse égyptienne, la sœur d’Osiris, et aussi sa femme puisque, prenant modèle sur ce panthéon égyptien, mais aussi lui prêtant leurs mœurs, les pharaons, on le sait, avaient coutume d’épouser leur sœur. À ce sujet, lors de la mort d’Alexandre le Grand, l’immense empire qu’il avait conquis fut partagé entre ses généraux. C’est à un certain Ptolémée, dont le nom signifie Le Guerrier (en grec, la guerre se dit polémos ou ptolémos) qu’échut l’Égypte. Et pour se conformer à l’usage, sans doute aussi pour se faire reconnaître à l’égal des pharaons du passé, il a épousé sa sœur, ce qui l’a fait surnommer Philadelphe, "Qui aime sa sœur". C’est de cette lignée que sortira Cléopâtre, dont le nez…, etc. Bref, Madame Lucrezia a orné le temple d’Isis établi dans les parages au premier siècle après Jésus-Christ, lorsque le panthéon romain s’est enrichi de cultes étrangers. Le dernier des Flaviens, l’empereur Domitien, avait pour Isis une dévotion particulière.

 

394b Rome, San Marco

 

394c Rome, San Marco

 

Après avoir salué respectueusement Madame Lucrezia, nous avons jeté un coup d’œil sur l’église San Marco qui lui est voisine sur cette même piazza. Cette église, assez discrète, est incluse dans le palazzo Venezia. Ce n’est que grâce à ses grandes arcades blanches qu’elle se détache du mur rouge du palazzo.

 

394d Rome, San Marco

 

Sous le porche, outre des plaques antiques fixées sur les murs, on peut remarquer cette margelle de puits, antique elle aussi portant des inscriptions que je n’ai pu déchiffrer.

 

394e Rome, San Marco

 

À l’intérieur, la nef est couverte d’un classique plafond plat à caissons, et elle est bordée de très belles colonnes de marbre. Au fond, on remarque l’abside décorée.

 

394f Rome, San Marco

 

Comme dans nombre de vieilles églises romaines, l’abside porte une mosaïque. On voit le Christ entouré de saints, et en-dessous douze agneaux venant de droite et de gauche en encadrent un treizième qui porte une auréole. Le symbolisme en est très évident, c’est Jésus entouré de ses apôtres.

 

394g Rome, San Marco

 

Sur ma photo de la nef, on peut distinguer qu’au-dessus du chapiteau des colonnes il y a des bas-reliefs. Ces sculptures représentent des scènes de l’Évangile. Reste à les identifier. Ici, peut-être Jésus est-il en train de chasser les marchands du temple.

 

394h Rome, San Marco

 

Sur celui-ci, je n’ai non plus aucune certitude. Cette femme qui supplie Jésus est-elle l’hémorroïse, considérée comme impure par la religion juive, qui sollicite sa guérison, ou la femme adultère qui implore le pardon ?

 

394i Rome, San Marco

 

Sur le côté, on peut descendre dans un souterrain, ou hypogée, sous le chœur, en forme de couloir. Là, une plaque posée du temps de Pie XII signale que sous l’autel, auprès des reliques de saint Marc, ont été placés en 1474 les corps des saints martyrs perses Abdon et Sennen ainsi que ceux de plusieurs de leurs compagnons exhumés de cimetières romains suburbains par le pape Grégoire IV. Situons-nous dans le temps, Grégoire IV a régné de 827 à 844, et en 1474 nous étions sous le pontificat de Sixte IV (1471-1484).

 

Abdon et Sennen sont deux Perses qui ont vécu au troisième siècle et se sont convertis au christianisme. L’empereur Decius, Dèce en français (249-251) ayant décidé de la persécution des chrétiens dans cette région de son empire, ils furent enchaînés et emmenés ainsi, reliés l’un à l’autre, à Rome. Là, ils furent bastonnés puis exécutés au Colisée, à l’épée.

 

395a Rome, casa dell'Ara Coeli

 

395b Rome, casa dell'Ara Coeli

 

Sortis de l’église San Marco, nous nous dirigeons vers l’Autel de la Patrie, de l’autre côté de la place, puis vers le Capitole. La construction de l’Autel de la Patrie et du Vittoriano ont entraîné la destruction de bâtiments très anciens, comme la Casa dell’Ara Cœli (la Maison de l’Autel du Ciel), dont l’église Santa Maria voisine a pris le nom, parce que bâtie sur le terrain de cette propriété et de cette chapelle primitive.

 

396a1 Rome, musées du Capitole, Constantin

 

Nous sommes déjà venus visiter les musées du Capitole. Ignorant qu’ils étaient aussi riches, nous nous y sommes rendus assez tard le 20 novembre et n’avons pu en voir qu’une partie. Aussi, l’autre jour à la Centrale Montemartini Natacha a-t-elle pris un billet groupé valide sept jours (pour moi, l’entrée étant gratuite aussi bien à Montemartini qu’au Capitole, le problème ne se pose pas), et nous voilà de nouveau, après pas loin de trois mois, dans ce musée. Dans la cour, nous sommes accueillis par la gigantesque statue de l’empereur Constantin. Il était représenté assis, et dans cette position il mesurait dix mètres de haut. Pour ces statues colossales, le vêtement était une parure de bronze sur une ossature en bois ou en plâtre, et seules les parties du corps qui étaient nues, tête, mains, pieds, étaient en pierre. Voilà pourquoi nous ne voyons ici que ces parties du corps, séparées les unes des autres, le reste ayant disparu.

 

Le geste du visiteur, qui lève le bras pour pousser la porte de verre, semble répondre au doigt de Constantin. Quand je l’ai vu arriver, j’ai attendu qu’il soit dans le champ pour donner l’échelle de la statue, mais lorsque, dans mon viseur, j’ai vu qu’il faisait ce geste, je me suis hâté de déclencher, d’autant qu’il a eu la bonne idée de se retourner vers la cour au même moment.

 

396a2 musées du Capitole, Dace

 

Les Daces sont les Roumains d’aujourd’hui (d’où le nom de cette marque de voitures roumaines rachetée par Renault lors des dénationalisations du post communisme, Dacia). Cette statue avait été sculptée pour orner le forum de Trajan, puis elle a été transférée à la Villa Borghese. En 1733, le pape Clément XII l’a récupérée pour ce musée. Elle est faite de deux marbres, l’un bien blanc pour les parties du corps découvertes, l’autre veiné de violet pour le vêtement. Elle représente un prisonnier Dace, et j’aime particulièrement la façon dont l’artiste a su montrer sur l’expression de ce visage la tristesse et l’humiliation, ainsi que, parallèlement, la fierté de celui qui ne veut pas se montrer abattu et soumis. Si un jour nous quittons Rome, nous irons chez les Daces leur manifester notre respect.

 

396b Rome, musées du Capitole, louve

 

Voici la traditionnelle louve romaine. L’authentique, la première. Je préfère montrer un gros plan de sa tête, qui est magnifique, d’autant plus que les jumeaux Romulus et Rémus qui la tètent, œuvre de Pollaiolo, ont été ajoutés lors des travaux effectués dans le palais par Michel-Ange. En effet, ce symbole de Rome n’a pas été créé à l’origine pour cela. C’est une œuvre étrusque, ou peut-être grecque de Grande Grèce (le sud de l’Italie et la Sicile), datant du cinquième siècle avant Jésus-Christ. Et d’ailleurs, la louve romaine… La légende des jumeaux allaités par une louve, ce qui est peu crédible, est peut-être née d’un jeu de mots. C’est mon hypothèse, il ne faut pas y adhérer automatiquement, mais moi je m’y accroche. En latin, lupa désigne en effet la femelle du loup, mais c’est aussi le terme qui désigne couramment une prostituée. Or nous sommes dans les environs d’Albe, qui est déjà une ville constituée au moment de la naissance de Rome, sur les bords du Tibre qui charrie des bateaux et qui, à cet endroit, permet d’accoster facilement. Ici sera d’ailleurs plus tard le port de Rome. La rive est boisée et l’on sait que sous le couvert des buissons des prostituées exerçaient leur métier pour les marins qui abordaient là. Telles sont les données, avérées. Voilà pourquoi j’avance la théorie que la "lupa" qui a allaité les jumeaux abandonnés est sans doute une prostituée à laquelle ses activités ont donné un enfant à cette époque qui ignorait la pilule et le préservatif (il existait des préservatifs en cuir cousu dont l’efficacité était évidemment aléatoire, et qui de toute façon n’étaient pas courants), et si cet enfant était mort-né elle a pu allaiter des enfants trouvés. Et puis est arrivée cette splendide sculpture, et l’on en a fait la mère de la Ville.

 

396c Rome, musées du Capitole, Urbain VIII

 

À chacun de nos pas dans Rome, nous voyons un blason avec des abeilles. C’est celui de la famille Barberini. Ce blason marque des édifices ou des fontaines, des monuments, commandés par le pape Urbain VIII (1623-1644) ou par un cardinal membre de sa famille. Cette statue de marbre créée par le Bernin entre 1635 et 1640 le représente dans des habits de cérémonie extrêmement recherchés, mais le mouvement de sa cape, son geste large, sa tête très légèrement tournée ont voulu exprimer une certaine cordialité, une certaine chaleur, derrière l’officialité et la grandeur de sa fonction. Par ces détails, cette statue de marbre se distingue d’un original en bronze réalisé de 1628 à 1631 en vue de le placer sur son (futur) monument funéraire à Saint-Pierre du Vatican.

 

396d Rome, musées du Capitole, Innocent X

 

Autre pape célèbre, Innocent X qui a succédé à Urbain VIII (1644-1655). Lui, c’est un Pamphili. Je l’ai choisi pour mon blog parce que j’ai aimé son portrait par Velasquez et aussi parce que je trouve splendide ce bronze d’Alessandro Algardi. Il avait été commandé par les Conservateurs (depuis 1363, la ville est administrée par un Sénateur assisté de trois magistrats électifs appelés les Conservateurs), pour être placé dans leur palais à l’occasion de l’Année Sainte 1650. La fusion du bronze fut imparfaite, et les Conservateurs la refusèrent. Il fallut recommencer, mais le temps pressait, et la seconde fusion fut placée à la hâte et inaugurée le 9 mars 1650, juste à temps pour les célébrations. Algardi n’avait pas eu le temps de parfaire à froid, comme on le fait d’habitude, le poli du bronze et de rectifier les imperfections du moulage. Pour mon œil qui n’est pas expert, ces petites imperfections donnent au contraire une force extraordinaire à cette statue dont un poli trop parfait aurait peut-être brisé le naturel et la vie. Lui aussi, comme Urbain, est représenté dans le mouvement, tête tournée, geste large.

 

396e Rome, musées du Capitole, Charles Ier d'Anjou

 

Cette statue représente Charles Premier d’Anjou (cocorico), frère du roi de France Louis IX (saint Louis). L’empereur germanique Frédéric II était également roi de Sicile, ce qui lui donnait pouvoir sur tout le sud de l’Italie, et souvent il se trouva en rivalité avec le pape, qui l’excommunia. Charles d’Anjou, après avoir défait son fils Manfredi en 1266, s’empare du royaume de Sicile, et rend les états du sud de la péninsule à la suzeraineté du pape. Déjà, en 1265, il avait accepté la charge de sénateur de Rome (je viens de dire que le magistrat suprême de l’administration municipale de Rome était le sénateur), et en 1266, quelques jours avant de défaire Manfredi, le pape Clément IV (un pape français, comme par hasard, un Languedocien nommé Foucauld, qui a régné de 1264 à 1271) l’avait couronné Roi de Sicile en la basilique Saint Jean de Latran. Il était né en 1226, il restera sénateur de Rome jusqu’en 1284 et roi de Sicile jusqu’à sa mort en 1285. Voilà donc qui est ce digne Monsieur que nous voyons ici assis sur le Lion d’Anjou sans craindre de se faire mordre les fesses.

 

396f Rome, musées du Capitole, Horace et Curiace

 

Une grande fresque. Elle représente le combat des Horaces et des Curiaces et a donné son nom à la salle. C’est cette salle qui est décorée, à chacune de ses extrémités, par les papes Urbain VIII et Innocent X. Cette œuvre est du Chevalier d’Arpin (1568-1640) qui s’est inspiré de Tite-Live pour réaliser ses peintures. Je montre ici un détail, beaucoup plus significatif que la fresque entière, qui recouvre tout un mur et que l’on regarde en se déplaçant, mais qui en photo, sur une étroite page de ce blog, ne signifie plus rien. Le troisième Horace, celui qui a fait semblant de s’enfuir après la mort de ses deux frères, se retourne pour tuer le troisième Curiace, celui qui, blessé à la jambe, l’a rejoint le dernier. La scène est très fouillée, pleine de détails montrant la vie et la mort.

 

396g Rome, musées du Capitole, enlèvement Sabines

 

L’enlèvement des Sabines est de Pierre de Cortone (1596-1669). Ici, ce n’est plus une fresque, mais un tableau sur toile. La peinture en est clairement baroque. Là aussi, même si la taille du tableau est moindre que celle de la fresque des Horaces et des Curiaces, je préfère mettre l’accent sur un détail que je trouve intéressant. J’aime l’expression de cette jeune femme venue à une invitation pour une fête, qui est élégante, qui a paré sa coiffure d’une couronne de fleurs, et qui se fait enlever par un grand méchant Romain. Elle a un air effrayé, mais la représentation est maniérée.

 

396h Rome, musées du Capitole, tigre et veau

 

Junius Bassus, consul en 317 après Jésus-Christ, s’était fait construire sur l’Esquilin (la colline où est Sainte-Marie-Majeure) un bâtiment dont l’une des salles était décorée de splendides panneaux de marbre. Cette technique de l’opus sectile utilise des morceaux de pierre découpés selon les formes souhaitées, se distinguant de la mosaïque en ceci, que cette dernière n’utilise que de très petits morceaux de forme carrée ou même irrégulière, et ce n’est que par leur arrangement que les contours du dessin apparaissent. Cette tigresse attaquant un veau est l’une des rares œuvres en opus sectile que nous ayons conservées.

 

396i Rome, musées du Capitole, Caravage 

Il se trouve qu’en art, Natacha et moi avons souvent les mêmes goûts. Le Caravage en particulier est l’un de nos peintres préférés. Aussi, à la pinacothèque, sommes-nous allés lui rendre visite.

 

Aux seizième et dix-septième siècles, la riche et puissante famille Mattei se construit cinq palais dans le centre de Rome. Pour orner l’un d’eux, ils commandent au Caravage un Saint Jean-Baptiste (1602). Ce tableau est tout à fait révolutionnaire. D’habitude, saint Jean est un bébé en compagnie de l’Enfant Jésus et de leurs mères, ou bien c’est l’adulte en peau de chameau, qu’il soit ou non représenté près du Jourdain. Mais jamais on ne l’avait représenté en adolescent nu qui nous regarde en embrassant un bélier. Même la position relâchée sur un lit défait, une peau de bête sous le derrière pour plus de douceur, est absolument originale, et le clair-obscur qui fait briller la peau blanche détache ce corps du fond du décor que l’on ne distingue pas dans la pénombre.

 

Ce tableau est entré à la pinacothèque du Capitole en 1750, sans qu’on n’en identifie ni l’auteur, ni le sujet. Ce n’est qu’en 1953 que les experts ont assuré qu’il n’y avait aucun doute sur l’auteur, qui ne pouvait être que le Caravage. Quant au sujet, il est en l’honneur du protecteur du peintre, Cyriaque Mattei, dont le fils se prénommait Jean-Baptiste. Mais malgré cet anonymat, il avait été trouvé si magnifique qu’il avait été acheté et exposé.

 

396j Rome, musées du Capitole, Caravage

 

Quant à ce tableau, la Bonne Aventure (1595), il est, sinon une œuvre de jeunesse (le Caravage était né en 1560, il avait donc 35 ans et une certaine expérience), du moins l’une des premières réalisées à Rome, étant venu en 1592 de sa Lombardie natale et de Milan où il avait étudié la peinture. Son intérêt pour les scènes de rue se manifeste dans cette Bohémienne lisant les lignes de la main de ce jeune homme. Sa façon de supprimer tout le décor d’arrière-plan, ne laissant même pas deviner une profondeur de champ, est une nouveauté dans l’histoire de la peinture. J’adore ce tableau. Avec son demi-sourire et son regard fixé sur le visage de son client beaucoup plus que sur sa main, on comprend qu’elle compte plus sur sa psychologie que sur sa connaissance de la chiromancie, mais de plus elle est en train, très discrètement, de lui subtiliser son anneau et en le regardant elle surveille s’il s’aperçoit de quelque chose. Et lui, je ne sais s’il croit aux prévisions que la "zingara" peut lui annoncer, mais il la regarde avec un œil plus intéressé par la jolie fille que par ses révélations, par le sourire enjôleur qu’elle lui adresse que par ce qu’elle est en train de faire à ses dépens. Et tout cela dans deux attitudes, dans deux regards…

 

Et voilà. Nous avons vu mille choses, j’ai pris des tas de photos, mais j’ai piqué ici ou là dans ma collection ce qui avait eu le plus d’impact sur moi.

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26 février 2010 5 26 /02 /février /2010 20:06

393a à Latina, Julia Hartwig

 

Il y a quelques jours, dans le métro où nous étions debout, bien serrés les uns contre les autres, Natacha (qui d’habitude ne regarde pas par-dessus l’épaule des gens, et n’aime pas quand moi je lui dis que j’ai vu ceci ou cela dans le journal de mon voisin) s’est trouvée placée de telle façon que, sans le vouloir, son regard est tombé sur le journal de la dame dont les circonstances lui faisaient partager la chaleur et le coude dans les côtes. Et là, quelle n’a pas été sa surprise de voir la photo de Julia Hartwig. Après avoir timidement hésité un moment, elle a demandé le titre de ce journal. Et cette dame, charmante comme la plupart des gens de ce pays que nous avons l’occasion de côtoyer, a répondu que c’était un journal local de Latina, qu’elle ne le trouverait pas ici, mais que si cet article l’intéressait elle le lui donnait. Et cette gentille dame de découper la page en question.

 

Or ce personnage phare de la littérature polonaise contemporaine, poétesse, traductrice (elle parle couramment le français), auteur de livres pour enfants et d’essais dont une célèbre monographie sur Guillaume Apollinaire, était invitée à une présentation de deux de ses recueils de poèmes traduits en italien, le deux février –aujourd’hui–, à Latina, à 17h30. Natacha, pour qui son œuvre n’a (presque) pas de secrets et qui l’apprécie beaucoup, brûlait d’envie de se rendre à cette cérémonie. Voilà pourquoi nous nous sommes rendus dans cette petite ville à environ 70 ou 80 kilomètres de notre implantation.

 

Julia Hartwig, ce n’était à vrai dire pour moi guère plus qu’un nom rencontré ici ou là dans des ouvrages sur la littérature internationale, et dans les bibliographies concernant Apollinaire puisque mon goût prononcé pour la poésie m’a conduit à voir pas mal d’ouvrages sur différents poètes. Mais j’étais attiré néanmoins par la curiosité, ainsi que par la perspective de pénétrer dans un établissement scolaire italien, car c’était le lycée classique Dante Alighieri, à Latina, qui accueillait l’événement. Et je me disais que, si l’on parlait polonais je ne comprendrais pas un traître mot, mais qu’en italien je pourrais peut-être saisir vaguement le sens général de ce qui se dirait.

 

393b à Latina, Julia Hartwig

 

Ce sont des messieurs très sérieux qui l’ont accueillie. Très sérieux et très importants. Cela se voit dans leur maintien et bien entendu aussi pour qui a l’occasion (la chance) de les entendre parler, dans leur façon de poser leur voix.

 

393c à Latina, Julia Hartwig

 

C’est d’abord Franco Luberti, président de l’Institut d’Études Angelo Tomassini de Latina qui a pris la parole pour présenter son invitée, pour parler brièvement des activités de son institut et de la poésie contemporaine.

 

393d à Latina, Julia Hartwig

 

Ce monsieur est le docteur Silvano De Fanti, chercheur au département de langue et de civilisation d’Europe centrale et orientale de l’université d’Udine (en Vénétie). Il est le traducteur de l’un des deux recueils de poèmes en édition bilingue polonais / italien présentés aujourd’hui, et que Natacha s’est offerts avec gourmandise à l’entrée. C’est quelqu’un qui aime bien prendre la parole et qui lira avec délectation des poèmes de Julia Hartwig, et d’autres.

 

393e à Latina, Julia Hartwig

 

Et voici monsieur Jaroslaw Mikolajewski. Je ne sais ce qui, de son apparence physique ou de son nom, révèle le mieux son origine polonaise. Il est directeur de l’Institut polonais de Rome. L’équivalent des fonctions que j’exerçais à l’Institut français de Concepción, au Chili. Rassurez-vous, je ne suis pas allé lui serrer la cuiller en le gratifiant d’un Bonjour, cher Collègue. Sauf lorsque monsieur De Fanti le faisait à sa place, il traduisait les paroles de Julia Hartwig à qui, à vrai dire, on a bien peu passé le micro. Sans doute pensait-on qu’une femme ne serait pas aussi passionnante que des hommes. Et puis Jaroslaw a bien insisté sur le fait qu’elle était née en 1921, qu’elle avait 89 ans, qu’elle faisait partie des poètes anciens, etc. Peut-être a-t-il dans une autre vie dirigé l’institut polonais de Pékin, où la galanterie consiste à traiter d’honorable vieillard celui que l’on respecte (origine de ma culture, Hergé, Le Lotus Bleu, éditions Casterman).

 

393f à Latina, Julia Hartwig

 

Et puis au bout de la table, quelqu’un qui détone un peu par son style dans cette assemblée. Sans doute est-ce pour cela qu’on l’avait placé en bout de table. Francesco Groggia est le traducteur de l’autre recueil de poèmes dont il est question aujourd’hui.

 

393g à Latina, Julia Hartwig

 

Après une longue série de discours masculins et une brève intervention féminine de l’invitée (mais elle ne parle pas italien, c’est fatigant de devoir traduire), nous avons eu droit à un intermède de clarinette, assez bien joué et agréable. Comme nous pouvons l’imaginer d’après le gros foulard du musicien, ce magnifique amphithéâtre qui ferait rêver bien des proviseurs français n’était pas chauffé. On peut voir les grosses bouches destinées à souffler de l'air chaud, mais essoufflées elles ne soufflaient rien cet après-midi.

 

393h à Latina, Julia Hartwig

 

L’intermède a été suivi, enfin, de lectures de poèmes de Julia Hartwig en traduction italienne. Ce lycée est un établissement classique, et d’après les affiches de représentations théâtrales passées, il semble avoir une forte orientation littéraire. Toujours est-il qu’un professeur avait préparé ses élèves pour ces lectures. Idée fort sympathique, et d’autant plus excellente que ces jeunes ont manifesté un réel talent.

 

393i à Latina, Julia Hartwig

 

Ils sont venus sans apprêt, dans leurs vêtements de tous les jours ou presque, avec naturel, exprimer des textes qu’à l’évidence ils ressentaient fortement. Je ne dis pas qu’ils n'éprouvaient pas le trac, cela se voyait lorsque, avant de monter sur la scène, ils s’entretenaient avec fièvre avec leur professeur qui, modestement, ne s’est montré à aucun moment au public, ou encore quand, attendant leur tour de lecture, ils se tordaient les mains. Mais en bons professionnels, dès lors qu’ils se trouvaient en face du micro, c’était fini, ils affirmaient leur voix et faisaient merveilleusement partager leur émotion littéraire.

 

393j à Latina, Julia Hartwig

 

Pendant chacune de leurs lectures, le musicien accompagnait d’une phrase musicale en sourdine de temps à autre les vers de Julia Hartwig, ou bien ponctuait un moment particulier. J’ai choisi trois de ces lecteurs talentueux pour illustrer mon propos, mais à la vérité tous ont été bons et auraient mérité que je les montre. Mais là n’est pas le but de mon blog, j’en ai donc pris trois seulement.

 

393k à Latina, Julia Hartwig

 

On dit que toute traduction est une trahison. Sans doute, mais lorsque l’on a entre les mains un roman la partie narrative est essentielle. Si l’on perd en traduction la richesse du style de l’auteur, c’est fort dommage, mais on n’a pas tout perdu. En poésie, c’est autre chose. Je ne prétends pas que le poète peut dire n’importe quoi et que ce qui compte, ce n’est que le style, le rythme, la musique de ses vers. Une transcription mot pour mot de Verlaine Les sanglots longs / Des violons / De l’automne / Blessent mon cœur / D’une langueur / Monotone n’a aucun sens. Le traducteur d’un poète doit alors procéder à une re-création pour essayer de rendre au mieux le sentiment du poète. C’est un exercice horriblement difficile, et ne parlant ni polonais, ni italien, j’ignore comment nos deux traducteurs s’en sont sortis. Mais j’ai apprécié que l’on demande à Julia Hartwig de lire en polonais deux originaux de ses poèmes. Ainsi, même sans rien comprendre, j’ai pu écouter et apprécier les sons de sa poésie. Mais… deux seulement. J’ignore si elle s’est sentie frustrée d’être venue de si loin pour une si brève participation.

 

393L à Latina, Julia Hartwig

 

J’ignore également si ses livres ont trouvé beaucoup d’amateurs. Mais dans la séance de dédicace qui a suivi, il y avait autant de jeunes élèves ayant participé aux lectures (et qui avaient reçu gratuitement un exemplaire, je suppose) que d’adultes, sinon plus.

 

393m à Latina, Julia Hartwig

 

Quand est venu le tour de Natacha, elle a pu converser en polonais. Évidemment, avec son compatriote directeur de l’institut polonais de Rome, avec ses deux traducteurs, Julia Hartwig ne se trouvait pas perdue, mais on voit à son visage qu’elle était contente de parler avec Natacha, qui ne lui a pas caché son admiration et son intérêt. Dans son travail de rapprochement est / ouest, Natacha s’est intéressée particulièrement aux Biélorusses, Polonais, Lituaniens, Ukrainiens qui ont été en relation avec la France ou avec l’Italie. Tous ces pays d’Europe centrale ont eu des frontières mouvantes, ont été réunis dans le Grand-Duché de Lituanie, ou dans le Royaume de Pologne, parfois absorbés par la Russie, selon les siècles. Bien des célébrités sont nées ou ont vécu dans la région de Grodno, dont Natacha est originaire. J’y ai vu la maison de Mickiewicz, celle du grand géologue Domeyko qui a donné son nom à deux villes et une Sierra au Chili, etc. Et c’est de cette région que vient Anjelika Kostrovicka, la mère de Guillaume Apollinaire. Natacha a, lors de séjours dans son pays, cherché à retrouver sa maison, en vain. Et puisque Julia Hartwig est une spécialiste d’Apollinaire et a publié à son sujet, toutes deux ont un moment discuté à ce propos. Il y a plusieurs hypothèses concernant le lieu précis de cette origine.

 

 393n à Latina, Julia Hartwig

 

À la fin de la conversation, cordiale, je dirai même presque amicale, Julia Hartwig a dédicacé les deux livres de Natacha. Nous avons un instant hésité à chercher un coin tranquille pour passer la nuit sur place, et puis nous avons pensé que cette ville n’avait pas l’air de présenter un grand intérêt, aucun de nos guides n’en fait même mention, alors nous avons repris la route et sommes rentrés au bercail, je veux dire à notre emplacement habituel en banlieue romaine.

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