Comme je le disais dans mon dernier article, après notre visite brève de Lecce et quelques jours d’activités que j’appellerai "techniques", nous sommes allés hier soir accueillir à l’aéroport de Brindisi notre ami palermitain Angelo venu passer le week-end avec nous. Et après l’avoir laissé à l’hôtel où il a retenu une chambre, nous avons passé la nuit au bord d’un quai, devant la mer, et nous allons aujourd’hui découvrir tous les trois la ville de Brindisi. La visite sera incomplète, mais nous reviendrons à coup sûr, parce que c’est de ce port que nous nous embarquerons vers la Grèce. En attendant, cette gravure est extraite du Voyage pittoresque ou description des royaumes de Naples et de Sicile, de Saint-Non, dessinée par Des Prez, architecte pensionné du Roi à l’Académie de France à Rome, et elle est titrée Vue de la ville de Brindes ou Brendisi anciennement Brundusium, port célèbre des Romains sur la Mer Adriatique. Mais la ville que nous découvrons n’a pas grand chose à voir avec celle qui est représentée ici telle que l’a vue Saint-Non (la gravure est extraite du tome III publié en 1783).
Voici tout d’abord la cathédrale. En 1742 il a été constaté que la cathédrale devait être réparée et consolidée, mais les travaux n’ont pas commencé immédiatement et dès le 20 février 1743, un tremblement de terre a nécessité la reconstruction, achevée dès 1746 (mais le campanile attendra sa reconstruction jusqu’à 1780-1793), de l’église romane effondrée, qui avait été édifiée de 1089 à 1143 par les Normands soucieux de romaniser cet ouest conquis sur les Byzantins et que Frédéric II avait choisie pour célébrer ses noces, en 1225, avec Yolande de Brienne, reine de Jérusalem, âgée de quatorze ans. Cette cathédrale antérieure avait vu s’agenouiller la foule des pèlerins sur le point de s’embarquer vers la Terre Sainte, tout comme les armées de Croisés dont c’était le dernier contact avec l’Europe avant d’aller guerroyer à Constantinople ou à Jérusalem. Cette façade du dix-huitième siècle, ornée de statues dont, ci-dessus, sainte Catherine de Sienne, n’a rien qui rappelle cette grande période. Seul un tout petit fragment de mosaïque de sol retrouvé au dix-neuvième siècle et que l’on ne peut voir parce qu’il se trouve dans une partie du chœur non accessible au public permet de penser que tout le sol de la cathédrale était revêtu d’une somptueuse mosaïque comme à Otrante. Le 17 novembre 1941, un bombardement aérien a partiellement détruit le campanile, réparé en 1957 conformément à l’original.
Au fond du chœur et sur les côtés, de superbes stalles du seizième siècle (1594) en bois sculpté forment un fond sombre dans cette église d’un blanc lumineux. Mais vu de près et non plus en opposition avec les murs, ce bois de noyer n’est pas si sombre, son ton doré est particulièrement chaud et décoratif. Quant aux sculptures, elles sont très fines et délicates. Physiquement, on ne peut s’en approcher, je suis sûr que si l’on y laissait accès des crétins les dégraderaient, et le bois est si brillant, si poli qu’il serait tentant d’y porter une douce caresse. Mais des milliers de douces caresses équivalent à une violente agression. Que l’on pense aux douces lèvres qui, à force de se porter sur saint Pierre, au Vatican, ont usé son pied de bronze.
Faisant un petit tour dans l’église, je remarque ce grand crucifix, et le visage de douleur du Christ. Je n’aime pas les représentations gore, pleines de sang partout, mais ici les sourcils un peu froncés, le mouvement de la bouche, les yeux mi-clos et quelques gouttes de sang qui coulent sur la joue, le cou, les épaules suffisent à exprimer toute la souffrance du supplicié.
Enfermée dans une vitrine, cette Vierge vue dans son ensemble n’aurait rien de particulièrement intéressant si ce n’était ce visage que je montre en gros plan. Jeune, aux traits doux, au regard attentif, je la trouve particulièrement agréable à regarder, même si je ne vois en cette sculpture aucun génie créateur artistique particulier. Quant à la matière dont elle est faite, en la regardant de près j’ai bien l’impression que c’est de la cartapesta, c’est-à-dire du papier mâché, la spécialité de Lecce, mais que l’on peut trouver dans des villes proches comme Brindisi.
Cette Cène peinte au dix-huitième siècle est pleine de détails qui méritent d’être découverts en regardant attentivement le tableau. J’en montre trois en gros plan, mais ce ne sont pas les seuls qui valent la peine d’être remarqués. Sur la table, il n’y a pas que le pain et le vin que Jésus va utiliser en présentant Ceci est mon corps, et Ceci est mon sang, le vin c’est un serviteur, à l’extrême gauche, qui le sert directement de la cruche, le pain est sur la table, mais il y a également un plat de viande rôtie, un animal que je ne suis pas sûr d’identifier, peut-être un agneau, peu importe. Outre Jésus, debout, et le serviteur qui verse le vin, il y a treize personnages, ce qui, pour les douze apôtres, veut dire qu’un autre personnage n’est pas l’un des convives. Il s’agit de ce garçon sur la droite, beaucoup plus jeune que les apôtres, et qui dépose sur la table un plat recouvert d’une assiette retournée, autre serviteur. Parmi les apôtres, on repère Judas, qui tient à la main et cache soigneusement à la vue des autres la bourse de trente deniers qu’il a reçue en échange de la promesse de livrer Jésus demain matin à l’aube. Et puis dans les tableaux des siècles passés, que ce soit au seizième siècle ou au dix-neuvième, les peintres ont souvent aimé introduire dans leurs scènes d’intérieur un chat ou un chien, et ici, sortant de sous la table avec la nappe qui lui pend sur le dos, un petit chien est en train de boire de l’eau dans une bassine plate qui a été préparée pour lui, ou qui a été déposée là après avoir servi aux ablutions rituelles, tranquille et discret, pendant qu’autour de lui se déroule l’événement fondateur de la religion chrétienne, puisqu’il s’agit de l’anticipation de la mort du Christ, le pain de sa chair et le vin de son sang livrés par Judas pour le rachat des péchés du monde. Je trouve particulièrement intéressante cette opposition entre le quotidien des serviteurs, du chien, du repas préparé, la quotidienneté de la vie qui pourtant tourne autour de cette Cène, et la gravité de cette religion naissante. Naissante, parce que jusqu’à ce jour Jésus prêchait une doctrine qui dépoussiérait l’Ancien Testament, le réformait, mais c’est la Bible que lui-même lisait et commentait à la synagogue, c’était encore la religion juive.
Sur la place de la cathédrale se dresse cette colonne supportant une grande statue de la Vierge. Ni mon guide Michelin des Pouilles (édition italienne), ni mon livre sur la cathédrale, ni mon livre sur Brindisi, ni aucun des innombrables sites Internet consultés ne parle de cette colonne et de cette statue de la Vierge. Pourtant, je crois comprendre qu’il y a là une histoire intéressante. La dictature fasciste du Duce Mussolini était du côté de Hitler. Les bombardements qui ont gravement endommagé le clocher étaient des bombardements de la part des Alliés, je ne sais pas –et peu importe– si les avions et les pilotes étaient américains, britanniques ou autres. Puis, en 1943, le pouvoir change, Mussolini est déboussolé, l’Italie change de camp. De même qu’en France quelques années plus tôt, avant que l’État Français du maréchal Pétain s’établisse à Vichy / Cusset, le Gouvernement de la Troisième République était allé s’installer en Zone Libre à Bordeaux, de la même façon le Gouvernement libre de l’Italie antifasciste a choisi comme capitale temporaire la ville de Brindisi où a résidé le roi Victor-Emmanuel III, situation qui a duré cinq mois à cheval sur 1943-1944.
Et puis je vois, en tournant autour de la base de cette colonne, des plaques de bronze fort instructives. L’une montre la cathédrale, au-dessus à gauche un homme a les mains liées dans le dos et un autre se lavant les mains, c’est évidemment Jésus devant Ponce Pilate qui se lave les mains du sang de ce juste ; au-dessus à droite, un calvaire ; à gauche, une accouchée dans un lit et un bébé auréolé, c’est sainte Anne et la naissance de Marie ; et à droite, une personne allongée sur un lit et des gens tout autour, c’est la Dormition de la Vierge, toutes scènes en relation avec la grande statue de Madone au sommet de la colonne. L’inscription au-dessous dit Archidiocèse de Brindisi, Pie XII souverain pontife, Nicola Margiotta archevêque. Or Pie XII était le pape de l’époque de la Seconde Guerre Mondiale.
Une autre plaque montre un avion bimoteur à hélices, la statue de la Vierge à laquelle un homme adapte son auréole, quelques civils et quelques militaires. Mais ensuite, sur une troisième plaque, une grande foule est rassemblée. On voit des enfants, au fond grimpés sur je ne sais quoi des badauds observent la scène, il y a un homme qui offre ses médailles à la Madone, au premier plan un invalide est assis sur une chaise sa béquille à la main, à droite je distingue un prêtre, et au milieu, au pied de la statue, un évêque, sa mitre sur la tête et sa crosse dans la main gauche que l’on imagine éloignée du corps comme l’est la main droite étant donné l’emplacement de la crosse, en geste de célébration ou d’accueil.
De cela je tire des conclusions, mais je peux fort bien me tromper, et si un de mes lecteurs détecte une erreur ou connaît la vraie explication, je suis preneur et je reviendrai sur mon article pour le corriger. Je pense qu’après la guerre, en reconnaissance pour la paix, la victoire, le retour de la démocratie, cette statue a été apportée par avion, puis érigée sur la place lors d’une grande cérémonie religieuse et populaire. Mais ne s’agissant pas d’un monument ancien, d’un monument qui s’inscrit dans l’histoire de l’art, ni guides touristiques ni sites Internet, pas même le propre site municipal, ne jugent intéressant d’en parler. Et moi, précisément, ça m’intéresse.
Sur le flanc droit de la place en regardant la cathédrale se dresse le palais épiscopal, que le précepteur et conseiller de l’empereur Frédéric II, le métropolite Pellegrino d’Asti, a fait construire au treizième siècle. Mais par la suite le palais a subi bien des transformations, notamment au dix-huitième siècle, après le tremblement de terre de 1743, quand l’architecte célèbre à Lecce et à Brindisi, Mauro Manieri, en a reconstruit la façade avec les huit grandes statues représentant les doctrines.
Sur cette même place, ou plus précisément à son débouché, se trouve un palazzo vraisemblablement construit pour être le siège de l’administration civile, orné de ce célèbre balcon, la loggia Balsamo, du quatorzième siècle. Ces intéressantes figures sont, je trouve, comme une sorte de préfiguration de ces figures qui vont se multiplier avec le baroque, bien plus tard.
Et maintenant, par les rues de Brindisi, quelques images typiques de la vie italienne. Sur le photo ci-dessus, on voit un panneau de signalisation, une plaque indiquant qu’il est valable de 0h à 24h, et une grue tractant une voiture. Comme sous ce panneau il n’y a pas une seule place de stationnement libre, je l’interprète comme signifiant Stationnement obligatoire à toute heure du jour et de la nuit. Si vous n’y allez pas, on vous y tractera.
Cet écriteau est fixé à une grille à une vingtaine de mètres d’une église. Il dit Ne pas jeter d’ordures. Dieu te regarde. Sûr, si Dieu est embusqué dans un coin avec son carnet de PV à la main, mieux vaut être écolo.
Ici, c’est un drame de l’amour. Un garçon fait une déclaration enflammée : Hélène, je te veux tout plein de bonnes choses. Sois mienne. Et à côté, la réponse, sèche : J’suis lesbienne.
Encore une. Sur la pierre d’un banc public, quelqu’un a représenté une femme nue du style des déesses cycladiques, c’est-à-dire pas vraiment conforme aux canons de la mode des mannequins anorexiques. De plus, avouons-le, le dessin n’est guère réussi. En cachant la tête de la femme, son corps ressemble même vaguement à une tête de chien. Et à côté, un critique d’art avisé a écrit Che merda di disegno, soit Quelle merde de dessin. J’adore l’humour typiquement italien de ces panneaux et graffiti, c’est pourquoi dans mon petit tour de Brindisi je les ai introduits. Mais revenons aux choses sérieuses.
Il y a à Brindisi un château souabe, le Castello di Terra, construit par Frédéric II en 1227 et où il a résidé avec sa toute jeune femme Yolande de Brienne, mais que l’on ne peut visiter parce qu’il est occupé par le commandement de la Marine Nationale. La photo même est strictement interdite, sauf pour cette tour isolée que je montre ci-dessus, qui se trouve sur la rue un peu plus loin. C’est au temps de Ferdinand d’Aragon qu’un fossé a été creusé et cette tour construite, plus tard le fossé a été non pas comblé mais recouvert pour créer un souterrain, et la tour s’est retrouvée isolée en surface du corps du château. Évidemment, du temps de Saint-Non, le château était accessible, sinon nous n’aurions pas sa représentation comme ci-dessus, parce que si l’on peut, éventuellement, avec un petit appareil numérique très discret, faire vite fait, bien fait, une photo en se cachant, il est beaucoup plus difficile de ne pas se faire remarquer avec son bloc de papier Canson et ses crayons même le temps d’un croquis rapide. Un autre château, le Château Rouge (pour la couleur de sa pierre) ou Alfonsino (parce que créé par Alphonse d’Aragon) est bâti sur un îlot proche et constitue donc le Castello a Mare opposé au Castello di Terra. Lui aussi est occupé par la marine nationale qui l’a reçu en mauvais état et qui, de plus, ne l’a pas entretenu, mais heureusement il a été récemment confié aux soins du service des Biens Culturels. Néanmoins il n’est toujours pas visitable puisque encore militaire et, comme il est difficile d’accès et que nous ne pourrions même pas le prendre en photo, nous décidons de ne pas aller vers lui.
Notre promenade nous a menés devant cette église Santa Lucia. Lorsque nous sommes arrivés, il s’y célébrait une messe. Pas question, bien sûr, de distraire les gens en nous déplaçant et prenant des photos. Nous avons donc attendu dehors que les fidèles commencent à sortir, mais à peine étions-nous entrés qu’une dame nous a flanqués dehors parce qu’il lui fallait fermer l’église et qu’elle n’avait pas le temps d’attendre. Même cinq minutes. Nous n’avons donc pu descendre voir l’église inférieure du douzième siècle sur une base du huitième siècle avec ses fresques des douzième et treizième siècles, et n’avons pu admirer que quelques instants, en courant, les quelques fresques du treizième siècle qui subsistent dans l’église supérieure qui, construite aux quinzième et seizième siècles, a partiellement réutilisé ces murs. Mais les travaux de restauration de l’église au cours des siècles, la couverture de plâtre qui a nécessité le désastreux piquetage des murs, ont fortement endommagé les peintures. Ensuite, nous sommes restés un peu à l’extérieur, ce qui nous a permis de constater que cette dame qui nous avait fait sortir était vraiment pressée, puisqu’elle est restée vingt-cinq minutes discutant avec le prêtre et deux autres personnes. Bref, passons.
Nous voici devant un monument fondamental de Brindisi puisqu’il manifeste le début de l’expansion de la ville. En effet (je suis conscient de me répéter de nombreuses fois au fil de mes articles) la via Appia qui, de Rome, passait par Bénévent et piquait sur Tarente, a été déviée par l’empereur Trajan au début du deuxième siècle après Jésus-Christ pour, à partir de Bénévent, se diriger vers Brindisi qui, désormais, sera le principal port d’embarquement des Romains vers la Grèce et vers l’Orient. On dit que deux colonnes ont été construites pour marquer face au port (le seul et unique port naturel de toute la côte des Pouilles) l’aboutissement de la via Appia, en fait elles ont été dressées sur une grande place publique face au port, sans coïncider précisément avec le débouché de la route, mais répondant au désir de manifester la grandeur et l’importance de la ville en tant que grand port au bout de la route, lien entre Rome et l’Orient. Ci-dessus, on voit qu’il reste l’une de ces colonnes (première, seconde et dernière photos), en marbre cipolin d’Afrique, haute de dix-neuf mètres, tandis que l’autre colonne (troisième photo) s’est écroulée en 1528. Cela a été interprété par la population comme un mauvais présage, aussi n’a-t-elle pas été relevée. Et puis, longtemps après, en 1657, les parties qui pouvaient être récupérées ont été données à la ville de Lecce qui y a placé son saint patron protecteur, saint Oronzo. Après tout, si cette colonne est de mauvais présage, la générosité, la charité, justifient pleinement de la refiler à la ville voisine qui, par-dessus le marché, est contente et pleine de reconnaissance. Cependant, la base a été conservée en place. Le chapiteau que je montre au téléobjectif est une copie de l’original, qui est conservé dans un musée. Il est de forme carrée entre les blocs cylindriques de la colonne, et sur chacune de ses faces est sculptée une figure divine, dont je lis qu’elles sont Jupiter, Neptune, Pallas et Mars. Pour ma photo, choisissant parmi les trois figures masculines, j’aurais aimé voir un casque, un aigle, un trident pour identifier les dieux. Mais tous trois sont chevelus et barbus, sans casque et sans accessoire. Ma première impression qu’il s’agissait de Neptune est bien affaiblie par mon examen de ses collègues.
Cette église est très intéressante. Elle a été édifiée au sixième siècle lors de la campagne d’évangélisation de la région, mais détruite par les Lombards elle a été reconstruite entre le onzième et le douzième siècles sur le modèle de l’église du Saint Sépulcre de Jérusalem, comme bien d’autres à cette époque, mais c’était, paraît-il, la plus ressemblante. Il y avait à Brindisi en ce temps-là un établissement des chanoines réguliers du Saint Sépulcre, et c’est eux qui ont construit cette église qui, tout naturellement, prend le nom de San Giovanni al Sepolcro. Croisés et pèlerins, avant de s’embarquer, pouvaient se recueillir ici, c’était un peu comme un avant-goût de leur arrivée en Terre Sainte, mais également, pour les nombreux pèlerins qui n’avaient pas les moyens de se rendre jusqu’en Palestine, faute d’argent, faute d’une santé assez solide, ou pour toute autre raison, l’usage était de se rendre en un lieu de pèlerinage de substitution, si je puis dire, dans une église figurant les Lieux Saints et, partis avec les autres pèlerins, ils achevaient là le voyage.
C’est donc un bâtiment circulaire dont la voûte repose sur huit colonnes de réemploi, d’origine géographique parfois lointaine. Des fouilles ont mis au jour, sous l’église paléochrétienne, des traces d’une domus romaine du premier siècle avant Jésus-Christ avec de beaux fragments de mosaïque de sol.
La comparaison de ces deux chapiteaux et de la pierre des deux colonnes suffira à démontrer que l’église a été construite avec des éléments provenant d’édifices antérieurs, car il n’y a rien de commun entre les matériaux, entre les styles.
Les murs de l’église étaient intégralement revêtus de fresques des treizième et quatorzième siècles. Elles ont hélas beaucoup souffert, et notamment, ici comme dans bien d’autres endroits, du piquetage pour les recouvrir d’une couche de plâtre. Malgré cela, il en reste encore de grandes surfaces et elles sont souvent très belles. Ci-dessus, je montre un Christ en croix et une Descente de croix. Le premier est beau, expressif, émouvant, mais j’aime encore plus le second. Au centre, on voit Joseph d’Arimathie, celui qui a offert pour ensevelir Jésus le sépulcre qu’il avait fait creuser pour lui-même et qui, selon la légende, a recueilli le sang du Christ dans un vase, qui est le Saint Graal du cycle arthurien. Alors que les clous ont déjà été ôtés des mains de Jésus, il soutient le corps qui penche en avant, tandis qu’en bas, hors du cadre de ma photo, saint Nicodème, agenouillé, est occupé à arracher les clous des pieds de Jésus. Marie, à gauche, prend dans ses mains la main droite de Jésus et pleure en l’embrassant. Le regard de Marie brisée de douleur, le visage de Joseph d’Arimathie tourné vers Jésus avec amour et chagrin tout à la fois, mais sévère dans l’effort pour soutenir ce corps qui s’abandonne dans la mort, et le Christ lui-même, ses sourcils, ses yeux fermés, sa bouche, le corps qui s’affaisse, tout cela est d’une incroyable expressivité, plein d’une émotion intense. C’est une œuvre merveilleuse, si merveilleuse que l’on en oublie à quel point elle est dégradée.
Près de l’entrée, assis derrière une table, un homme est chargé de garder l’église aux heures d’ouverture. Mais c’est merveilleux de voir qu’il ne se contente pas de garder pour justifier je ne sais quel salaire. Il aime son église, il est partie prenante, il accueille le visiteur et voyant notre intérêt il est venu nous faire remarquer ce dessin gravé dans la pierre d’une colonne. Ce n’est pas le graffito d’un vandale contemporain, c’est le plan du temple de Jérusalem gravé par on ne sait qui, on ne sait quand, mais il y a bien longtemps, peut-être lorsque cette colonne appartenait à un édifice antérieur.
Ce sont les rois de la maison d’Anjou, Charles Premier et Robert Premier qui ont voulu cette église Saint Paul pour la destiner aux Frères Mineurs Franciscains, d’où son nom, en italien, de San Paolo dei Francescani. C’est donc de la fin du treizième siècle à la première moitié du quatorzième que s’est déroulée la construction, mais au dix-huitième siècle on a procédé à bien des modifications, par exemple en créant cet arc triomphal qui sépare la nef unique et le chœur, et en ajoutant des décorations baroques, notamment des autels.
Datant de l’origine, les poutres sont toutes décorées de peintures, et toutes sont différentes. En voici ci-dessus deux exemples. Certaines portent les lys de France, puisque la dynastie des Anjou qui régnait sur le royaume de Naples est issue du frère de Saint Louis IX de France.
Je disais il y a un instant que le dix-huitième siècle avait vu ajouter des autels latéraux baroques. Voici un détail de l’un d’entre eux. Des chapelles latérales n’ont pas été créées comme c’est d’habitude le cas, et les autels ont simplement été plaqués sur les murs existants.
Lorsqu’elle a été inaugurée, les murs intérieurs de l’église étaient intégralement revêtus de fresques dont il ne reste malheureusement que quelques fragments. Ils sont si restreints qu’il est difficile de déterminer quelles scènes étaient représentées, et quand on voit, par exemple, ces deux personnages en train de discuter, pris sur le vif, ou la vie qu’il y a dans le visage de ce saint que je n’identifie pas, on regrette vivement que les fresques soient si lacunaires.
Nous avons encore vu quelques autres endroits, le couvent de Sainte Thérèse, l’église San Benedetto, etc., mais ce sont des endroits que j’ai trouvés un peu moins intéressants et, puisqu’il faut être raisonnable et faire des choix, je vais cesser là.